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Poésie classique
Castelmore : L’ami et l’ingénue
 Publié le 07/06/21  -  13 commentaires  -  2406 caractères  -  229 lectures    Autres textes du même auteur

À mon meilleur ami.


L’ami et l’ingénue



Ami, proche et secret, affamé de désir,
En rêvant qu’un beau soir, éblouissante et nue,
Elle te fasse don du goût de son plaisir,
Dépose ton hommage aux pieds d’une ingénue.



À ses bras gracieux, des bracelets d’argent
Dansent aux chants jolis s’envolant de sa bouche,
Effleurent ses yeux pers d’un doux reflet changeant…
Mais, te voilà contrit, car la belle est farouche !

Tout ton être, fougueux, d’élans vains a vibré…
À ses boucles d’or fin, drapant sa chevelure,
À son teint, pâle et frais, sa lèvre au sombre ambré,
À la chaste fierté qui marque son allure…

Balayant la raison de ton esprit tremblant
Sous des vents furieux, de désordre en tumulte,
Ils attisent le feu, le vertige troublant
De tes sens, exaltés par sa splendeur occulte.



Ton piètre corps, piteux, et ton cœur en haillons,
Funèbres désormais, veulent quitter la vie…
Oui, la Femme surtout ! De tous les bataillons
D’accroche-amour trompeurs, maîtresse inassouvie.

Je te vois mon ami dans ce miroir railleur
Qui, surpris m’interroge : « Est-ce là le jeune homme
Que nous avons connu, galant, coq, guindailleur,
Caressant le satin, à la lèvre une pomme ? »

Plus rare de cheveux, le geai griffé de gris,
Ton front porte moins haut et ton regard de flamme
Décline, comme braise aux foyers rabougris.
Qu’importe ! Aux ans leur poids… Mais, parle-moi de l’âme !



Oui, redis-moi ! les voix, les rires et les bruits,
Les cris, les pleurs, les chants… la Musique du monde
Oui, que j’appelle l’âme ! y germent tous les fruits
Des marchés de l’Olympe où le nectar abonde.

Ce breuvage divin apaisera l’émoi
Nourri de fiel amer qui brûle tes entrailles.
Je le sais bien Ami, puisque nous sommes moi !
Et que tous les démons avec qui tu ferrailles,

Je les porte en mon sein, avec le noir troupeau
De tous les sentiments d’une attente obsédée
D’une simple évidence : « Oui je l’ai dans la peau. »
Que faire ? Attendre alors l’œillade concédée ?



Un signe de la Belle, un fanal du destin ?
Mais que l’avenir soit enfant de l’ingénue
Ou de l’appel ardent d’une terre inconnue…
Dédions à Bacchus la vie et son festin !


 
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   Cyrill   
24/5/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour.

Intéressant sans être original, ce dédoublement par l'entremise d'un miroir, qui permet de se parler à soi-même, de se juger sans mansuétude, mais de s'enjoindre aussi de profiter des joies terrestres.
L'écriture est soignée, le vocabulaire riche, et les métaphores abondent.
Ce poème mériterait d'être déclamé, il s'y prête tout à fait. Il m'a fallu tout de même plusieurs lectures pour en démêler le sens de certaines phrases un peu complexes, mais ce n'est pas un reproche.

Une ode à la vie, à l'amour, au vin, je veux bien trinquer avec cet agent double !

   Anonyme   
28/5/2021
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour,

Un texte très bien écrit, mais vraiment d'un autre âge.
Personnellement je n'apprécie vraiment pas ce type de poème.
L'ami est vieux, la belle est jeune, Tiens donc ? (cf : boucles d'or fin, son teint pâle et frais...)
Alors tout est là pour rendre un bel effet, le vocabulaire, l'expression, la rigueur.
Peut-être même la richesse des rimes, (je laisse au spécialistes le soin de les apprécier).
On trouve des allitérations, des diérèses bien employées, les césures belles.
Du bon travail, certes, mais d'un autre âge.

Éclaircie

   papipoete   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Bien
bonjour Castelmore
Tout de go, je dis que voici un poème trop long ! ( en son temps, mon maître ne l'aurait même pas lu, à cause de cela ! )
Mais je ne suis pas " mon maître ", aussi fais-je l'effort de le parcourir : je crois deviner un ancien bel homme... qui ne l'est plus, et se désespère de ne plus plaire...
NB savoir reconnaître qu'on a eu son heure de séduction, et se dire face au miroir : ben oui, je suis d'accord avec ton verdict ; je ne suis plus et ne serai plus, fais-toi une raison ! ( même une Ferrari, dont le compteur affiche " quelques lieues ", peut se garer sur le côté et laisser passer une autre rutilante ! )
des alexandrins classiques sans faute, que put déclamer Cyrano de Bergerac...

   Cristale   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Passionnément
Il n'y a pas d'âge pour la poésie, elle est ou elle n'est pas. Je suis heureuse, à l'heure où le vocabulaire de notre belle langue s'appauvrit, quand le langage n'est pas galvaudé et garde sa richesse que d'aucuns déclarent désuette.
Sur cette page je suis comblée et j'espère bien en lire encore longtemps de ce cru là.

L'affront de l'âge subi en silence jour après jour devant un miroir est un vrai et pénible sujet et même, pour certains, une véritable souffrance que le narrateur développe avec pudeur.
Sous la peau, le coeur et l'esprit de la personne sont les mêmes, l'enveloppe est une traîtresse qui ferme la porte aux plaisirs qui n'ont plus de vie que dans le fantasme.

Jolie mise en page et jeu de rimes soigné, j'ai aimé ce long discours, sur un sujet souvent mis en vers mais qui, ici prend une dimension poétique grâce à ce beau langage qui, je l'espère, perdurera et sera encore enseigné.

Merci Castelmore,
Cristale

P.S.; je reviens appuyer sur mon curseur pour souligner l'application et le travail sur ce long poème sans qu'aucune peine ne s'en ressente.

   GiL   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Rien à faire, je ne marche pas !
À la deuxième lecture j’ai bien discerné que le regard porté par le personnage sur lui-même se voulait chargé d’humour, d’où le style suranné, le vocabulaire, les poncifs et l’emphase. Mais je ne marche pas !
Le poème est trop long, trop bavard pour que je puisse apprécier cette distanciation pourtant bien amenée et bien rendue.

Le plan est clair :
Exorde (1Q) ;
Elle (3Q) ;
Moi : mon corps (3Q) ;
Moi : mon âme (3Q) ;
Chute (1Q).
Onze quatrains !

Cinq vers cependant m’ont touché par leur sincérité :
    Je le sais bien Ami, puisque nous sommes moi !
    Et que tous les démons avec qui tu ferrailles,
    Je les porte en mon sein, avec le noir troupeau
    De tous les sentiments d'une attente obsédée
    D'une simple évidence : « Oui je l'ai dans la peau. »

Pour ce qui est de la forme, c’est excellent (bien qu’un peu amphigourique, parfois) : j’ai bien aimé le style suranné, le vocabulaire, les poncifs et l’emphase.
Trop d'adjectifs à mon goût dans les 3 quatrains décrivant l'ingénue (occulte m'a paru discutable, en revanche j'en ai appris un, savoureux : guindailleur !).

Dommage ! Désolé, Castelmore.

   Corto   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Il y a du panache dans ce poème.
On le verrait bien sur scène dans une comédie où l'artiste se parle avant de rejoindre un compagnon d'infortune et de soirée.

Le style est soigné sans exagération, il est fluide sans trop de détours.

Je relève pour le déguster ce vers:
"Qu’importe ! Aux ans leur poids… Mais, parle-moi de l’âme !"

J'ai envie de soulever mon chapeau qui ressemblerait à celui de Cyrano, ce qui pour moi qui suis souvent sévère avec des poèmes classiques de peu d'intérêt, est un évident signe de respect.

Merci pour ce bon moment.

   Anonyme   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Castelmore,

La Vie étant un sujet abstrait, il s’agit donc ici d’une allégorie. Vous lui avez donné les traits d’une ingénue, en tout cas selon le titre. Si vous l’aviez faite parler elle-même, on aurait eu une prosopopée, qui sous votre plume aurait sans doute fourni des dialogues gourmands.

J’ai beaucoup aimé le traitement du thème. La Vie serait finalement une allumeuse qui ne conclut pas toujours. Ça me rappelle une boîte de nuit de ma jeunesse, La Dolce Vita. J’en ai payé des Bellini, à la Vie (Champagne + purée de pêches) ! J’en ai enivré, des luettes de Bacchantes, pour draguer la Vie, mais j’ai pas toujours fini la nuit avec elle. Plus d’une fois je me suis retrouvé face à ma psyché, à lui réciter votre poème :)

Dupond regarde donc Dupont dans un miroir, en essayant de ne pas prendre le melon. Le bilan est mitigé mais la fin est un pied de nez à l’ingénue, un Carpe Diem à la gloire de Bacchus. Le fanal du destin a des piles Duracell. J’aurais mis une majuscule à Vie, puisqu’elle est le sujet de l’allégorie.
J’ai particulièrement aimé le trio 8/9/10 de Oui, redis-moi… jusqu’à l’œillade concédée. Trois quatrains d’une prosodie particulièrement bien équilibrée, où le Moi répond au Moi dans une déclaration d’amour désespéré à la Vie.

- J’aime bien le mot « hommage » du premier quatrain. Dupond ayant déjà pas mal roulé sa bosse, cet « hommage » est à la fois une promesse de fidélité et un témoignage de gratitude. Il faut bien ça pour affronter la Vie.

- La danse du ventre du deuxième quatrain pêche un peu par ses « chants jolis », qu’il ne faut pas chercher à prononcer après deux Bellini.

- Idem pour le « sombre ambré » du troisième quatrain qui pourrait bien achever la demoiselle.

- Le quatrième quatrain me semble boiter grammaticalement. Je n’ai pas compris quel était le sujet de « ils attisent le feu ». Si ce sont « les vents furieux », alors devrait suivre « qui attisent le feu » (subordonnée relative) et non pas « ils attisent le feu ». Sinon, quel est le sujet ? D’autre part, les deux participes présents, balayant/tremblant, du premier vers, affaiblissent son euphonie, surtout qu’un « vertige troublant » vient encore lester la nacelle deux vers plus loin.

- Au cinquième quatrain, l’épithète « funestes » me semblerait mieux convenir que « funèbres ». En effet, le funèbre intervient après la mort, alors qu’au contraire, le funeste l’évoque ou l’annonce, ce qui est bien confirmé ici par la fin du vers : « veulent quitter la vie ». Pour bien lire les deux derniers vers, il faut aussi savoir que vous êtes gaucher (vous remarquerez que je n’ai pas dit gauche) et s’habituer à lire quelques-uns de vos vers en partant de la fin. Ainsi de : « Oui, la Femme surtout ! De tous les bataillons // D’accroche-amour trompeurs, maîtresse inassouvie. » qu’il faut lire : « Oui, la Femme surtout ! maîtresse inassouvie // De tous les bataillons d’accroche-amour trompeurs ». C’est parfois éreintant et dans le cas présent plutôt contre-productif, l’inversion n’ayant de valeur que si elle rehausse l’image, qui en comparaison, me semble ici embrouillée et affaiblie par le mot « bataillons » à la rime.

- Au sixième quatrain on peut trouver une excuse à la cacophonie du « miroir railleur » en fin de vers. Ne dit-on pas que la Vie ne rime à rien ? Vous voyez, Castelmore, je fais tout ce que je peux :)) Par contre, j’aime beaucoup le vernaculaire « guindailleur » de nos amis wallons.

- On en arrive donc à mon trio préféré 8/9/10. Mais je suis très à cheval sur la Mythologie. Ainsi, « tous les fruits de l’Olympe » sont-ils une contre-vérité cosmogonique. L’Olympe est réservé à quelques Dieux et aux Muses. Des invités y séjournent parfois mais jamais de mortels. Or les Dieux ne se nourrissent pas de fruits mais uniquement d’ambroisie et de nectar. Donc, vu le peu de monde qui fréquente l’endroit, il serait étonnant qu’on y voie des marchés. Et puis franchement Castelmore, vous voyez Zeus ou Héra crier : « Il est beau mon citron ! » tous les jeudis matin ?
C’est juste bon pour nos joutes sur I Feel Good… :))

Voilà, je suis arrivé au bout. Dommage que votre excellente plume classique soit parfois contaminée par des inversions malencontreuses soumises à la rime, et quelques tournures alambiquées dans leur excès de raffinement et de subtilité. Ce que vous avez à dire est suffisamment intéressant pour nous épargner l’esbroufe des imbroglios stylistiques.
J’attends le prochain, peut-être une prosopopée du désespoir, pour nous remonter le moral ?
Bellini

   Myo   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Il est déjà intéressant de savoir que vous vous entendez bien avec vous-même. C'est un bon point d'être son meilleur ami... vu qu'on doit se supporter 24h sur 24, ça facilite les choses.

Un dialogue introspectif sur ce temps qui passe, qui change notre physique et nous rend moins avenant et pourtant la flamme reste vivante en nous et se rappelle à notre bon souvenir.
L'envie, la fougue, le désir qui nous semblaient si naturels à l'heure de la jeunesse, deviennent souvent cruels quand la vieillesse s'avance.

De là à noyé ses désillusions dans quelques verres de vin ... c'est humain... Mais la vie à parfois l'art de nous prendre à notre propre jeu, et de retourner les situations les plus compromises.

Un écrit construit avec talent, une approche originale et un état d'âme qui me touche sincèrement.

Merci du partage.

   emilia   
7/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Sans doute faut-il bien se connaître pour être son propre meilleur ami, mais qui pourrait mieux que soi-même connaître ses désirs, ses faiblesses… face à « la belle ingénue/qui se montre rebelle » et dont l’attirance met tous ses sens en émois ? Le portrait que le narrateur dresse de lui-même face à son miroir affiche les effets de l’âge, tout en soulignant que « l’âme » continue d’apprécier tout ce qui permet de se sentir vivant, « ferraillant au besoin avec les démons et balayant la raison… » tant les « élans « éprouvés « attisent le feu… » ; quand « l’attente » tourne à l’obsession, en faisant familièrement le constat de « l’avoir dans la peau », /qu’importe les ans/ et quelque soit l’avenir, la devise sera celle du « carpe diem » : « Dédions à Bacchus la vie et son festin », en offrant une belle leçon d’optimisme dans un jeu scénique et théâtral ainsi qu’ une composition symétrique de trois fois trois quatrains, avec une entrée et une sortie, que l’on pourrait prêter à Don Juan qui affirme dans sa tirade des conquêtes amoureuses : « Pour moi, la beauté me ravit partout où je la trouve, et je cède facilement à cette douce violence dont elle nous entraîne … »

   Ligs   
8/6/2021
Bonjour Castelmore,

J'ai eu du mal à rentrer dedans cette fois, je ne saurais dire vraiment pourquoi. La longueur ? Je ne pense pas. Le thème ? Peut-être, j'ai pensé à Ronsard, dont je ne ne suis pas fan. Pourtant plusieurs passages m'ont touché, et j'ai apprécié le final et le besoin de vivre qui ne se résigne pas, avec la référence à Dionysos - pardon, Bacchus, mais je préfère son homologue grec. Peut-être ai-je trouvé le texte un peu trop emphatique ?
Vraiment je ne sais répondre à cette question.

Du coup, je ne mettrai pas de notation à ce poème, dont je vois par contre l'énorme travail sur le plan formel.

Au plaisir de vous relire,

Ligs

   Louis   
9/6/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce poème présente les rapports subtils d’une double dualité, comme réponse à une angoisse de mort.
Le locuteur, en effet, se rapporte à deux doubles : l’ami, double spéculaire ; et l’ingénue, double féminin et onirique.
Le locuteur se présente ainsi dans une identité éclatée, d’allure schizophrénique, mais visant l’unité d’une identité libérée de sa crise existentielle.

Janus ouvre la porte du poème, qu’elle refermera à la fin du premier quatrain, afin de permettre, en s’effaçant, une nouvelle entrée sur un triscèle, dont les trois branches aux trois ramures figurent le trio constitué de l’ingénue, de l’ami et du locuteur.

Elle ouvre la première porte sur une adresse du locuteur à son double, qui n’est en rien maléfique, mais plutôt bienveillant.
Il est désigné comme un « ami, proche et secret »
Proche, il est ce soi familier bien connu ; secret, il est cette part opaque de soi, que l’impossibilité d’une totale transparence à lui-même du sujet humain, rend mal connue.
L’ami est ainsi à la fois proche et lointain. Sa part secrète fait de lui un autre, introduit chez le locuteur une part d’altérité et de distance à soi. L’ami est à la fois le même et l’autre.

Et c’est à lui qu’il est demandé de « rendre hommage » à une femme, une femme particulière, une « ingénue ».
Le locuteur, « je », ne se propose pas d’exécuter cette tâche directement, il la confie à cet autre comme lui-même.
Il lui faut l’intermédiaire d’un double pour atteindre une autre figure du double, le double féminin, l’«ingénue ».
Rendre « hommage » à l’ingénue, le choix du mot a son importance. Il est dérivé du bas-latin "hominaticum", qui lui-même a pour origine les termes "homo", "hominis" : l’homme. Parce que, explique Le Littré, celui qui faisait hommage devenait l'homme du seigneur.
Rendre hommage à l’ingénue, c’est donc convenir être son homme,
C’est être à elle, comme elle est à lui, en lui.
En écho, le locuteur affirmera dans le dixième quatrain : « Je l’ai dans la peau »
Déclaration d’union intime, indéfectible. Promesse de fidélité et de révérence. Engagement de soumission et d’obéissance.

Le profil de Janus se précise. Elle a ouvert la porte et impose sa présence, sous les traits étonnamment ressemblants que lui donnait Giotto ( ou l’un de ses élèves) dans le détail d’une fresque de la basilique Saint-François d'Assise, dédiée aux vertus franciscaines, et plus particulièrement à la vertu d’obéissance. Le peintre "primitif" représente un visage à deux faces, l’une masculine, qui est celle d’un homme assez âgé, et l’autre féminine, celle d’une femme plus jeune, à la différence que, chez Giotto, c’est la face féminine et non masculine, qui tourne son regard vers un miroir. Ce personnage double se veut une personnalisation de la vertu de "prudence", vertu au service de "l’obéissance".

Mais qui est plus précisément « l’ingénue », cette part féminine du locuteur ? Que personnifie-t-elle ?
Dans le premier quatrain, elle est présentée comme donatrice de plaisir :
« En rêvant qu’un beau soir, éblouissante et nue,
Elle te fasse don du goût de son plaisir »
« don du goût de… », l’expression est un peu chargée, mais le sens semble assez clair. Cette face de Janus a quelque chose de Vénus. Elle personnifie le plaisir : celui de vivre, en premier lieu, et le plaisir du corps tout autant que le plaisir de l’âme.
Venus est « éblouissante et nue », ainsi est-elle aussi symbole de beauté et, par sa nudité, d’authenticité, qu’aucune voile ne dissimule, qu’aucune apparence trompeuse n’altère.
Ingénue rime avec nue. Elle est ce principe féminin dans toute sa vérité, et se révèle toute de pureté, de candeur et de fraîcheur.
Comme cela apparaît dans le deuxième quatrain, elle est encore cette sensibilité artistique, que l’on associe souvent au féminin, cette part artiste du locuteur : « aux chants jolis s’envolant de sa bouche»

Mais s’il faut aller quérir le plaisir de vivre, et en recevoir le don ; s’il faut aller rendre hommage à la belle, c’est que les deux faces de Janus se sont disjointes, et qu’un éloignement s’est produit, qu’une crise existentielle est en cours.
Et c’est à l’ami, le double spéculaire, l’ami resté fidèle, d’œuvrer à la tâche du rapprochement, celle de la réunification entre le locuteur et la joie de vivre.

La crise est explicitement formulée dans la cinquième strophe :
« Ton piètre corps, piteux, et ton cœur en haillons,
Funèbres désormais, veulent quitter la vie… »
Le locuteur a perdu le goût de vivre, considérant l’outrage des ans, infligé sur son corps et sur son cœur.
Il a perdu le goût de vivre, dans la séparation qui s’est produite avec l’ingénue, qui le personnifie. À ce mouvement d’éloignement, répond en retour une volonté de s’éloigner de la vie.
Il lui faut donc "renouer", pour conjurer cette tendance destructrice, avec celle qui s’est éloignée de lui, celle qui s’est détachée de son corps et de son âme, et lui redire, lui manifester à nouveau, avec une force renouvelée, son "attachement".

La tâche ne sera pas aisée. La belle ingénue s’avère « farouche », pas facile à aborder, à séduire, à courtiser.
Si l’ami est d’emblée proche, l’ingénue est plus difficile à approcher. Plus rétive. Plus indocile. Craintive et fuyante.
Le locuteur se trouve ainsi tiraillé entre Eros et Thanatos.
Alors que l’ami est immédiatement visible dans le miroir, l’ingénue s’avère troublante, par sa «splendeur» non immédiatement perceptible, « splendeur occulte », lointaine, pas aisément accessible. Il convient d’imaginer l’ingénue « éblouissante et nue », s’offrant dans toute sans candeur, mais aussi paradoxalement en retrait, dans un invisible où se tient sa « splendeur ».
L’ingénue tout à la fois se donne et se refuse ; se livre et cache ses secrets.
Ses attraits se font plus grands encore d’être en retrait.

L’image spéculaire de l’ami ne reste plus passive, réceptive, elle renvoie au locuteur le reflet de son passé : « est-ce là le jeune homme / Que nous avons connu, galant, coq, guindailleur » ?
Le double spéculaire devient alors lui aussi dissemblable, par l’altération que lui a fait subir le temps.
Le double se dédouble en une image du passé, celle d’un fringant jeune homme, vers lequel penche le miroir, et celle du présent que le locuteur projette sur l’ami :
« Plus rare de cheveux, le geai griffé de gris,
Ton front porte moins haut et ton regard de flamme
Décline, comme braise aux foyers rabougris »
Dans ce « déclin » du regard, tout devient fuyant en ce jeu des doubles et des miroirs.

Et puisque le miroir amical reflète le passé, le locuteur lui demande de rappeler la vie d’autrefois dans son intensité, d’ajouter à l’image le bruit de la vie, d’en être à la fois le reflet et l’écho : « les voix, les rires et les bruits / Les cris, les pleurs, les chants… la Musique du monde », jouant sur un autre dédoublement intérieur, celui entre le corps et l’âme.
Le locuteur se fait le foyer d’où irradient et convergent échos et reflets, les doubles intérieurs et extérieurs, les éclats d’une personnalité qui tend à se briser.
Une personnalité devenue multiple, habitée de mille éclats de soi : «tous les démons avec lesquels tu ferrailles » ; « le noir troupeau de tous les sentiments ».
Le retour de l’ingénue, cette part lumineuse de soi,« éblouissante », permettra seule de chasser les sombres démons, en retrouvant l’unité de soi et de la vie, de soi et du goût de vivre, de soi et de la «Musique du monde ».

Mais « que faire » quand ce retour se fait attendre ?
De l’ingénue au loin, le locuteur reçoit toutefois son image de «prudence » au service d’une obéissance, au sens d’une soumission à la vie telle qu’elle est, soumission et non résignation ; au sens de l’acceptation, du grand Oui à la vie sous tous ses aspects.

Le poème se clôt sur une dédicace.
Quel que soit l’avenir :
« Dédions à Bacchus la vie et son festin »
Elle reconnaît, en quelque sorte, dans ce toast, que la vie peut être un joyeux banquet, et que l’on peut, par cette « prudence » dans les plaisirs, qui ne consiste pas en moindres jouissances, mais en jouissances plus grandes, plus saines, plus libres, se sentir un convive rassasié.
Et se fait l’écho de l’invite baudelairienne :
« Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve.»
Baudelaire qui ajoutait tout de même, dans Le spleen de Paris :
« Il est l'heure de s'enivrer ! Pour n'être pas les esclaves martyrisés du Temps, enivrez-vous sans cesse ! De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise. »

   Queribus   
11/6/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Deux choses m'ont sauté aux yeux à la première lecture de votre texte: d'une part sa longueur (ce qui décourage souvent le lecteur) ensuite la perfection de l'écriture avec un strict respect de la prosodie classique et de la ponctuation; tout cela est à votre honneur.

J'ai aussi, hélas, trouvé les défauts classiques des classiques: de belles phrases et de belles envolées qui pourraient avantageusement être simplifiées; les mêmes choses pourraient être dite en un sonnet par exemple mais vous avez fait un choix et c'était strictement votre droit. Votre poème a dû très certainement demandé un très gros travail qui incite au respect.

En résumé un gros travail et une écriture parfaite que je salue.

Bien à vous.

   Jahel   
23/6/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Même si le corps, par le temps dégradé, peu à peu s'affaisse aux portes du tombeau: rien d'étrange à cela. Pourquoi s'alarmer de savoir que la chair est mortelle et périssable? Seul l'esprit demeure et reste vivifiant.
Miroir mon beau miroir!
La jeunesse est une manne, chaque jour renouvelée, dont il faut se nourrir quand elle nous est donnée, sans jamais l'engranger sous peine de pourriture (abjecte moisissure) et de laisser au coeur des souvenirs amers.
Chaque âge " à ses raisons que la raison ignore."

Un poème classique, peut-être un peu convenu, mais qui est, néanmoins, le fruit d'un travail efficient.


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