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Récit poétique
Cyrill : À Madame L.
 Publié le 18/04/25  -  8 commentaires  -  4358 caractères  -  151 lectures    Autres textes du même auteur


À Madame L.



Madame,

Vous serriez un bouquin entre vos doctes mains, comme closes sur un brûlot,
vous voulant abriter d’un charroi de névroses et tout le saint-frusquin.
Ainsi vous aperçus-je, tapant du brodequin jusqu’au fond du bistrot.
Las ! vous m’avez conquis avec un rien d’adresse,
cette once du talent qui me faisait défaut.
Déjà vous me teniez en laisse.
Je me mis en devoir de vous conter mon purgatoire, un ronron dont j’étais l’otage.
Et du strapontin de comptoir où pour quelque artifice en pétale de lys vous me tendiez la page,
à noircir ou laisser,
je pris le clair et l’ombre au hasard des reliefs, de crainte que ne sombre à jamais votre nef.
Vous m’appreniez à lire et j’espérais écrire en quelques queues d’aronde,
votre faconde seule ayant fait un linceul de toute vanité.

Je tirai l’opercule d’une absinthe en flacon et versai quelques lignes.
Un verbe fanfaron,
complainte qu’on racole afin d’allitérer son premier opuscule,
feuillets en parasol ne semblant érudits que par inadvertance.

Afin de tutoyer puis de poigner la main des poètes maudits ;
d’envoler mes oiseaux effarouchés de plumes, ma danse-hésitation, la valse de ma prose ;
de jouer de l’écume,
désordre vers lequel du fond de votre brume vous me laissiez aller jusqu’au bout de l’hypnose,
je bus dans le liquide un frisson de mon être.

Pompette et plumitif, je vous laissai connaître un peu de mon esquif,
la flaque où chavirait mon naïf palimpseste et l’encre d’où coulaient mes lexies indigestes.
C’est alors que, Madame, fîtes vers moi ce geste.
De votre main qui tremble, onde de quelque style à l’amble vagabond,
ensemble pulsatile égaillant des brandons, vous me réconfortiez.

Sans finir mon breuvage et chassant le bourdon, je me mis à l’ouvrage.
En rondes arabesques,
en pleins et déliés que la nappe en papier prit pour une écorchure qu’il lui fallait soigner,
je liai quelques fils, biffai la fioriture au tumulte dantesque infus de mon exil.

Dame, ouvriez mes yeux frappés de cécité.
J’amarrai mon fantasme à l’anse de vos vœux, ancrai mon enthousiasme à votre quai houleux.
Et le corps du sujet ouvrit sa parenthèse innocente de thèse ou d’encyclopédie, afin de vous conter
– plutôt que mes déboires et mes bénignités –
toute complexité vaquant en ma mémoire et mes apartés oratoires.

Flapie dans votre veste, vous guidiez mes cursives et me rendiez modeste.
Vous aviez ce regard lesté d’ambivalence en dessous de vos fards.
Vos lèvres arrondies sur des ronds d’éloquence me firent comme un signe alerte et goguenard.
Vous fûtes ma déesse à compter de cette heure où de ligne en tangente
je dégringole et tente.
Je lutte et crapahute en parfait amateur.

Madame dilettante, alors vous disparûtes.


***


Une pute aux yeux pers,
une fée de comptoir qui du fond de ce noir dans lequel je me perds a pris
– toute vesprée jusqu’à l’aube levée –
votre place au café.

Si je m’ennuie de vous, n’en prenez pas ombrage.
Si je n’ai plus le goût de vous faire un message ;
si ma plume s’engoue d’une âme de passage, arpente de guingois les feintes d’une fable ;
si de simples remous ont eu raison de moi,
c’est que Diable me charme, et magie me désarme.

Depuis ce temps, Madame, j’ai renoncé aux drames, aux flèches de l’esprit,
et suis resté épris des vouloirs de la dame.
Je brade mes folies sur la chair alanguie de ma chère endormie,
oublieux de ce rade où vous m’aviez promis de curieuse manière une belle aventure avec le dictionnaire
et la philosophie.
Avec la poésie, les tables de matières.



***


Je confie cette lettre au garçon de café.
Soin de vous la remettre, si vous laissez parfois vos grâces en abandon voiler la moleskine.
Je vous en prie, Madame, acceptez mon pardon,
ne soyez trop mutine et lisez ma réclame.

Revenez m’apparaître ! Me darder ce regard dont vous avez l’audace.
Je sais le reconnaître.
Ce serait un honneur qui déjà se préface.


 
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   Myndie   
19/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

c'est un récit tout ce qu'il y a de plus poétique que je viens de lire. J'ai été charmée du début à la fin par cette prose qui peine à dissimuler ses élégances d'alexandrins, son goût pour le jeu des sonorités et cette délicatesse de plume, ces « grâces en abandon », belle formulation, toute trouvée pour qualifier cette écriture imagée et inventive.
J'aime bien aussi le mélange des styles, mariage d'un langage très moderne et de ce qui n'est pas sans rappeler l'amour courtois chanté par les troubadours.

Car c'est bien là d'une belle déclaration d'amour qu'il s'agit. Déclaration à une ombre convoquée par ta plume, une ombre qui éblouit, rassure, réconforte et inspire le poète perdu dans son « purgatoire », dans l'alcool et la déprime. Et une ombre qui disparaît.
Est-elle simplement une belle inconnue de passage ? Est-elle Erato personnifiée ?
Ou les deux peut-être ?

Toujours est-il que le manque est cruel et le message (« la réclame ») vibrant d'humilité et de – j'ai envie de dire dévotion -, de supplictation. Bref, d'émotion.
De "déesse" à détresse, deux petits caractères font la différence.

Une troublante et très belle lettre. Il est vrai que l'amour et l'épistolaire ont toujours fait bon ménage.

*Après relecture : lire "supplication", j'aime bien les néologismes mais quand même! :-D

   Zeste   
18/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
La conquête de l'esprit et du cœur. Pour le partage du monde intérieur de l'auteur, une plume légère qui en même temps qu'elle élève l'âme, la libère. Le reste c'est de la très belle littérature, l'essentiel étant la frénésie, voire de la délectation dans la confidence et de l'authenticité dans le partage. Une impression unique de l'appropriation du récit par le lecteur.

   Damy   
18/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un très grand plaisir de lecture. Oui, comme le dit Myndie, vous êtes troubadour. Quel talent !
Peut-être que les deux sont la même ?

   Dimou   
18/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Tu avais surement ce texte en stock mais je me dis que peut-être ce nouveau cycle créatif a point ? Bon on s’en fiche :

”En parfait amateur” t’es modeste pour un génie. Mon avis. Ton penchant. Mais t’es tellement agréable ainsi on veut pas te changer hein.

Un texte dédié à une femme qui semble avoir mis le pied à l’étrier à notre Poète maudit inter-cosmique, qui une nouvelle fois livre un texte prosé d’immense acabit, fourni d’un lexique riche et foisonnant. Un hommage vibrant qui nous fait vibrer.

Ce commentaire restera bref, j’ai pris un certain pied à la lecture et j’y reviendrai un jour c’est sûr.

Bon week-end

Signé : un admirateur.

   papipoete   
19/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Cyrill
Madame, Il fallait bien pour que j'ose croiser votre regard, qu'une rasade d'Absinthe vienne à mon secours, et Vous étiez là à me faire un brin d'éducation du savoir se tenir, du savoir écrire de plume appliquée.
Etiez-vous réelle, ou fantôme merveilleux ?
à présent, le bistrot est morne plaine, et seule une pute aux yeux pers, emplit le vide de Vous, me laisse désemparé et orphelin de Vous...
NB notre auteur écrit tout style de poésie ; de lignes déconcertantes pour le néophyte que je suis ; des alexandrins à faire rougir le " petit amoureux " de M. Desbordes ; et ce jour un récit poétique dont chaque ligne écrase la précédente de beauté !
comment avancer mon " talent ", face à telle perfection ? je suis baba et ne pourrais citer un passage plus qu'un autre
- " Dame, ouvriez mes yeux frappés de cécité... " et la dernière strophe me font chavirer, mais de mon oeil de cyclope ne rêve pas, Vous écrivez de façon magique !

   jfmoods   
19/4/2025
En lisant ce récit poétique - avec un certain plaisir - je me demande quelles plumes célèbres, en coulisse, sont à la manœuvre. Quelque soit la verve que nous déployons, nous sommes tributaires des lectures qui nous ont façonné. Ici, un véritable kaléidoscope d'influences.

Le sens aigu de l'auto-dérision n'appartient qu'à Corbière, lui qui ne pouvait se dessiner que sous les traits du moins que rien, du plumitif. Le mélange savoureux des registres, cette manière d'adosser trivial et sublime, c'est lui aussi. Sans oublier l'amour impossible, la muse fuyante, le lieu de "biturage" : des éléments incontournables de cet univers.

Ensuite ? Forcément Baudelaire. L'absinthe, évidemment mais aussi la figure plutôt ambiguë de la muse, la sacralisation d'un décor sordide.

La mélancolie ? La musicalité du propos ? Verlaine.

Qui faudrait-il convoquer encore ? Rimbaud pour l'imagerie de la dérive. Prévert pour la gouaille, l'humour populaire et une certaine forme de tendresse.

Et puis loin, très loin, comme le souligne judicieusement Myndie, l'amour courtois, entre imploration et vénération.

Bref, on reconnaît la qualité du poète à sa manière bien personnelle de faire chanter la langue sur une partition multiforme.

Merci pour ce partage !

   Mokhtar   
23/4/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Si c’est avant tout, ici, la luxuriance de l’écriture assez fascinante qui retient, je ne peux m’empêcher (c’est surement une tare) de chercher à discerner un message exprimant un choix, voire une vocation. La mise en scène des deux femmes (muses, allégories… ?) émanant d’un écrivant cherchant sa voie et sa voix ne peut-elle servir à opposer deux axes d’expression poétique ?

La première exalte la puissance de l’écriture du tourmenté, évoluant des gouffres aux cimes, se sublimant dans les paradis artificiels et dans des introspections créatives, sans freins ni pudeurs, accouchant d’extases et de souffrances. Et qui n’hésite pas à s’embarquer dans des nefs ivres.

La seconde, image de classicisme lisse, dont les feintes magiques désarment, avec ses attraits émasculant, en castratrice des folies.

L’auteur a choisi, avide des dévoiements qui le subliment.

Rimbaud plutôt que Musset, Jeff Koons plutôt que Rodin, Dali plutôt que Raphael, Stockhausen plutôt que Mozart, Iam plutôt que Brel…La Messe est dite.

Mais plus que le thème, c’est la richesse flamboyante du style de ce texte qui me séduit. Mon et mes prédécesseurs ont bien disséqué tous ses attraits. Pour ma part, je retiendrai particulièrement les « élégances d’alexandrins et le goût pour les jeux de sonorités » que décrit très bien Myndie, élégances qui sonnent un peu comme un hommage nostalgique à une écriture objet… de dépit amoureux. ( ?)

Merci pour ce superbe texte, très travaillé, et très réussi.

   Cyrill   
28/4/2025


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