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Poésie en prose
Cyrill : Des mélancolies d’assommoir
 Publié le 01/09/23  -  13 commentaires  -  1116 caractères  -  326 lectures    Autres textes du même auteur


Des mélancolies d’assommoir



J’ai sabordé ma barge à de funestes sorts et je vais dérivant. Attendant la mort je vous ai croisés survivants, pauvres pantins défaits d’un effet de manche. En âmes lassées de sœurs d’avalanche, vous avez perdu la faconde et la fièvre qui vous brûlait.

Sombres individus trafiquants de rêves barbares, fabricants de hasards sur résidu de grève, vous étiez mes doubles maudits, vieux dandys de la dernière heure aux troubles de longtemps ourdis.
Amarres larguées sur le tard, j’avais pourtant quelques accessoires à disposition : un manteau de bruyère, une pipe d’écume, une plume intrépide abâtardie sous le chapeau, des abîmes sans horizon, des reculades enhardies ; des tragédies dans la panade, une peau de chagrin rétrécie par l’absence et toujours un cargo de retard.
Je voulais aller quelque part entre le sublime et l’ampleur, j’avais le cœur hagard, le crime au bout des doigts.

Mais la vague à l’endroit rime envers la fortune. Dans le gris de l’hiver flottent les embruns de nos souvenirs, notes opportunes aux parfums amers. L’alcool à mon palais éblouit le restant.


 
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   Ornicar   
18/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Navigation au jugé, genre bateau ivre.
J'adore ce texte brûlant comme un alcool fort. Je l'ai tout de suite aimé dès la première gorgée sans trop me l'expliquer. Preuve s'il en est, qu'il n'est pas nécessaire de bien comprendre pour aimer. Difficile de commenter dans ces conditions. Essayons.

Les mots ont parfois une vie indépendante en dehors du sens qu'ils servent au quotidien, du texte et du contexte habituel de leur utilisation qui trop souvent n'est qu'un corset, les assigne à résidence. C'est toute la magie et l'enjeu d'une écriture poétique quand, par le jeu d'associations inattendues, d'étranges cheminements et des voies détournées, elle se fraye un passage jusqu'au coeur de notre monde sensible, provoquant des émotions là où on ne les attendait pas.
C'est ce qui advient ici.

Que fait le narrateur et qui est-il ?
Je l'imagine volontiers ancien marin au commerce, "mar-mar" comme on dit dans la marine marchande ("barge, pipe d'écume, cargo de retard"), rêvant d'une vie à sa démesure ("Je voulais aller quelque part entre le sublime et l'ampleur"), en rupture de ban et de société ("amarres larguées sur le tard"), méprisant les apparences et la majorité de ses contemporains ("pauvres pantins défaits d'un effet de manche") quand ces derniers renoncent à leurs rêves les plus fous ("vous avez perdu la faconde et la fièvre qui vous brûlait"), porté sur la boisson enfin et s'auto-détruisant de la sorte ("J'ai sabordé ma barge à de funestes sorts et je vais dérivant").

Du désespoir ("attendant la mort") à l'assommoir du titre, des langueurs océanes aux brouillards éthyliques, des marins du port d'Amsterdam à "Un singe en hiver", le lecteur assiste au naufrage de ce perdant magnifique qui rejette tout le monde et dont personne ne veut, pour qui tout compromis ne peut être que compromission et ne trouve refuge que dans l'ivresse. En voilà un au moins qui n'aura jamais "le vin petit et la cuite mesquine".

Cette confession est traversée de part en part d'éclats, de lueurs, de fulgurances. Il y a comme un souffle, un élan qui capte et retient l'attention du lecteur du début jusqu'à la fin. Finalement, si le sol se dérobe et tangue sous mes pieds, il n'y a que peu d'images ou de formulations hermétiques. Pour ma part, je n'en vois qu'une seule qui ne me parle pas : "En âmes lassées de soeurs d'avalanche".

Loin de toute préciosité affectée, voici une prose intensément poétique qui fait honneur à la catégorie, qui m'accroche et m'arrache.
Embarquement immédiat !

   Eki   
18/8/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Je sais qu'on ne peut pas décortiquer la poésie mais tout de même j'aimerais avoir votre interprétation sur ces deux points :
"En âmes lassées de soeurs d'avalanche"...
"reculades enhardies". Je vois dans cette dernière expression une contradiction...Des reculades qui donnent du courage ? peut-être que quelque chose m'échappe.

A part cela, j'ai vraiment aimé cette écriture atypique.

Mon passage préféré est celui-ci :

Amarres larguées sur le tard, j’avais pourtant quelques accessoires à disposition : un manteau de bruyère, une pipe d’écume, une plume intrépide abâtardie sous le chapeau, des abîmes sans horizon, des reculades enhardies ; des tragédies dans la panade, une peau de chagrin rétrécie par l’absence et toujours un cargo de retard.

Le titre "Des mélancolies d'assommoir" est très énigmatique, original et incite à la découverte du texte.

Ce texte méritait deux lectures pour que je m'imprègne bien de vos mots. On a le sentiment d'entrer dans un univers clos alors que le texte est relativement court et nous donne mille détails qui permettent de visualiser une situation, un état.
On retrouve une richesse de sonorités que j'ai particulièrement aimée.

Sans faire de composition en vers, vous exprimez une pensée. C'est en particulier grâce à cette forme qu'on reconnaît la prose.
N'est-ce pas ?

Paul Valéry disait que la prose est un discours qui disparaît au fur et à mesure qu'il avance, dont l'effet dévore la cause en ce sens que la prose produit du sens et le sens dévore la prose...

En fait, j'ai compris cette pensée en vous lisant.

Eki en mode Prose

   Eskisse   
26/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Une triple dérive dans cette prose vraiment extra-ordinaire au sens de "qui sort de l'ordre", qui sort de l'ordre des mots utilisés dans leur acception conventionnelle ou quotidienne. De la vraie poésie, quoi ! De la poésie comme je l'aime.

Dérive des mots donc avec des envolées amples et fluides, des sens avec l'alcool porté par le titre et la clausule et de l'âme avec ce désespoir qui nous entraîne ( nous sommes véritablement pris par ce mouvement) au fin fond de la noirceur.

"Je voulais aller quelque part entre le sublime et l’ampleur, j’avais le cœur hagard, le crime au bout des doigts."
Au fond de ce voyage marin, dans ce rythme ternaire, une quête d'absolu qui me fait adhérer à cent pour cent aux états d'âme du narrateur.

C'est écorché et sensible, beau à en pleurer.

Bravo !

   Donaldo75   
26/8/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime bien
J’ai trouvé ce poème en prose très tonal ; dès le titre, fort bien imaginé, il véhicule par ses mots et ses vers une forme imagé et riche. Et la richesse ne se conjugue pas avec détails – un défaut que peuvent avoir ces textes – mais avec couleurs, un peu comme dans un tableau figuratif qui laisse découvrir de nouvelles terres à chaque fois que le spectateur le contemple. La tonalité vient de ce que le champ lexical imprime à ma lecture ; à cet effet, je pourrais comparer cette tonalité à de la musique, celle de ce poème quand je ferme les yeux et que ma mémoire me répète ce que je viens de lire.

   papipoete   
1/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Cyrill
" je suis sous, sous ton balcon... " dans ce bar sordide, où tous les " refaiseurs de monde " échouent sur la même grève que moi.
C'étaient des cadors, des fiers-à-bras mais ici ne sont plus que des muets, qui s'écrasent la mettent en veilleuse, alors que la bibine commande...
NB ça ne va pas fort dans le for intérieur de ce raté ( c'est lui qui le dit ) et au fin fond de la solitude, la cour qui partage son désespoir rend moins lourde l'enclume, qu'il traîne au hasard de ses mélancolies. Quand tous ces courtisans abandonneront ce Seigneur, tout s'écroulera ( je connais la question... )
" j'ai tout loupé, même la barge de mes amoures prend l'eau de toute part " est exprimé avec beaucoup de poésie ; en particulier dans la 3e strophe qui a ma préférence.

   Robot   
1/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Il avait les outils pour construire une vie extraordinaire. Mais le hasard de rencontres et de "funestes sorts" ont conduit à une déchéance dont l'alcool a été une des causes.
Une écriture forte pour un récit empli d'images de désolation qui décrivent un déclin rendu inéluctable.

   Myndie   
1/9/2023
Bonjour Cyrill,

avant tout te dire que, pour une raison toute personnelle, j'ai tout de suite accroché au titre. De temps en temps, j'introduis dans mon programme de lecture un ouvrage de Zola et je viens tout juste de finir, pour la 3ème fois ! « L'assommoir ». Voilà pour l'anecdote.

Je partage entièrement le ressenti d'Ornicar et son analyse au sujet de la poésie qui frappe au cœur dès qu'on lui ôte son corset.
Je ne sais pas expliquer ce qui fait l'attrait pour moi d'un poème en prose, tellement différent d'un poème tout court. Si je m'y arrête, c'est qu'il possède ce charme magique et cette séduction énigmatique qui crée l'emprise. C'est mille fois le cas ici.

Oui, ce texte  brûle comme l'alcool, il est terriblement efficace grâce à une écriture élégante et affûtée, un rythme fluide, et surtout, surtout, l'émotion d'un écorché vif. Ce que tu y mets t'appartient ; ce que j'y décèle m'est propre et ne correspond sans doute pas à ta propre sensibilité. C'est ce qui fait tout l'intérêt du partage et mon bonheur de lectrice.
En tout cas, pour avoir si souvent essayé de rebondir sur tes quatrains, je retrouve ici l'atmosphère propre aux marins et aux bateaux qui me semble avoir beaucoup d'importance pour toi.

S'il te restait encore à prouver quel grand poète tu es, ou quoi que ce soit sur la finesse de ta sensibilité poétique, c'est chose faite.

Merci de nous avoir offert ce beau moment d'intensité.

Myndie,
sobre comme un chameau

   Provencao   
1/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

"Mais la vague à l’endroit rime envers la fortune. Dans le gris de l’hiver flottent les embruns de nos souvenirs, notes opportunes aux parfums amers. L’alcool à mon palais éblouit le restant."

Afin d’évoquer ces mélancolies, vous reprenez fort bien de grands symboles comme la vague à l'endroit, la fortune, le gris de l'hiver, les embruns de nos souvenirs....

Vous avez su illuminer votre langage par des derivants, des pauvres pantins, des âmes lassées...C’est dans de tels mots brefs et denses, que le sublime et l'ampleur se rejoignent.

Bel écrit liant la poésie de la pensée. L’âme est l’Esprit, cet Esprit, ce coeur hagard qui souffle, de façon aboulique et augural librement.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Lariviere   
1/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Salut Cyrill,

Rhaaa ce que j'ai aimé ce poème !

y'a pas à dire, celui là c'est un vrai et un bon...

Tout y est la petite touche philosophique car le ton et le traitement sont réfléchis, profond, on se noie dans les images fortement impactantes et formidablement surréalistes ; bien sur la musicalité est admirable, c'est sonore du début à la fin, les allitérations et les rimes internes sont de haute volée le rythme est là, assurée et paisiblement posé par ces phrases impeccablement ponctuées pour faire césure utile à la prose...

Je ne cite pas de passage au plus je relis au plus tout me semble inconcevablement beau et réussi

franchement merci pour cette agréable lecture et chapeau !

   Pouet   
1/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Slt,

déjà le titre. Un sacré morceau le titre. C'est mieux que Des didascalies d'arrosoir.

Je trouve que cette prose navigue entre embruns métaphysiques et contre velléité d'écriture.

Il me plait de voir ce texte ainsi : le poète marin nous expulse tout d'abord que le sabordage d'inspiration et contagieux pour soi-même, que les autres ne sont que reflet englué et puis chavirer de l'encrier n'est pas pire qu'une coulée de neige mica. Il est compliqué d'articuler de la plume avec des flocons au fond du gosier, l'incendie s'accommodant difficilement du givre sémantique. Viennent les ombres élégantes sur d'oniriques pontons, mais il est exclu de se mirer dans la vase au risque d'apercevoir l'opacité de son âme. Demeure que nous allons du tombeau au berceau et qu'il est déjà trop tard avant de commencer. Se pencher sur les maux ; le travail (littéraire) n'existe que pour les feignants de l'être. Ensuite il faut bien se parer et les manteaux de bruyère ont forcément des caractères plus ou moins effacés, plus ou moins inaudibles pour nos cartographies hésitantes. L'ensemble vogue entre des lames d'espoir désespéré et de boit-sans-soif dans nos abysses existentielles.

Fort joli morceau que voilà.

   Vincente   
2/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Retour à une sorte de réalité où, après l'idéalisme débridé mais construit dans lequel se sont intercalées quelques briques d'artifice, le désenchanté devient désenchanteur très convaincant dans ces quelques lignes…

Je trouve très juste en guise d'outil à dépression "des abîmes dans horizon".

Le final parachève ce qui était déjà un aveux narratif pathétique, ainsi sans concession à "l'alcool" bien mal embouché.

   Skender   
5/10/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,
Je découvre ce très beau texte, truffé d'allitérations et d'assonances, de rimes oserais-je dire bien qu'il ne soit pas versifié, ce qui lui donne un rythme langoureux qui est en adéquation avec le thème évoqué. Un thème assez surréaliste et onirique, l'énumération des "accessoires à disposition" du protagoniste est à ce titre très parlante. En somme, un poème en prose qui tout en paraissant très spontané et naturel, semble avoir été pensé dans les moindres détails. "Mais la vague à l'endroit rime envers la fortune", rien qu'un exemple de toutes les jolies choses que l'on trouve ici. Merci.

   Cyrill   
5/10/2023


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