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Récit poétique
Cyrill : Tout conte fait
 Publié le 09/09/24  -  7 commentaires  -  3875 caractères  -  103 lectures    Autres textes du même auteur

Vie de famille.


Tout conte fait



Cela faisait cinq ans et des miettes de temps que Maryse agitait en mon âme ravie une émotion de père,
lame bien aiguisée fouissant en ma chair l’amour et la torture.
Comme une chimère égayant mon âge, un sillon d’aventure creusé sur mon visage.

Ma petite chérie conquise par la vie dès le jour qui la vit quitter ses couvertures gazouillait à présent un caprice enchanteur auprès de sa maman.
Elle revendiquait pas moins de cinq sucettes.
Et fit la forte tête.
Annie dans son étourderie lui offrit un chat noir.
Sorte de création au pelage factice,
animal-maléfice,
il promenait son nonchaloir comme une émanation sur clair de paysage.

Ce que considérant d’un souverain mépris, notre tendre Maryse ignora le félin,
le remisant au rang de fantasmagories sans l’ombre d’un câlin.
Cette enfant dans son incurie martelait le piano d’un violent staccato, lorsque l’anneau d’Annie – las sur la gamme, abandonné dans un rond de silence –
tinta de loin en loin,
comme un spectre témoin de querelles trop vives s’anime en dissonances de cristal, en stances fugitives.

La trame parentale ourlée des fils du temps s’effrangeait andante sur l’aurore d’un drame.

La veine jugulaire palpitait de colère dans le cou de Maryse.
Ma mie serra son faon dans l’étau de son âme.
Sans ce sang bleu pulsé, sans la flamme en ces yeux révulsés,
c’eût été un poème en écrin, notes d’alexandrins sur mitan littéraire.



… Sonnerie familière en notes agacées me guide malgré moi…

C’est ma mère, ma mie, hurlai-je vers ma mie.

C’est Mamie, m’irritai-je à part moi. Puis répondant :

Maman ?

Maryse ! ordonna-t-elle.

Oui, elle te fait la bise, tentai-je d’abréger.

Passe-la-moi, dit-elle, c’est ma petite-fille.

(Annie prit dans sa main la main de notre enfant, tâchant de la soustraire.)
Je répliquai, urbain, pour nous sauver la mise :

Maryse prend son bain.

Hélas la coupe est pleine,
déborde des rancœurs de la vie de famille où se noie notre fille.
J’en conçois de la peine.
Je tire sur le fil, que se taisent enfin les plaintes de ma mère !
À travers un sanglot les yeux déments d’Annie reflètent un chat noir qu’aussitôt j’exécute.
Sur l’heure on enterre l’animal honni.
Le crime est dérisoire avec son corollaire. En moins de cinq minutes il se dissipe du tableau.

Je borde notre enfant tandis que sa maman étale ses cheveux d’une main clandestine,
et chante une comptine :

♪♫

Cinq ans

en fermant ses paupières.

plus cinq sucettes

Une brise a glissé, pure sur ses traits pâles, comme on murmure un vœu.

fois cinq minutes

Ses doigts se sont croisés sur l’aimable percale.

plus toi

Un faisceau de lumière emporte vers les cieux le babil de Maryse.

plus moi

Je lisse, religieux, le drap qui se résigne à la joue de Maryse

égalent

dont la blancheur souligne

zé…

ses lèvres closes et bleues.

ro




 
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   Myndie   
31/8/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

voilà un texte à l'écriture élaborée, réfléchie, subtilement suggestive, qui pousse à la réflexion et semble relever autant du « conte » que d'un récit du passé, celui d'une paternité tardive.
En attestent le choix du prénom (Maryse n'est plus très actuel) et cette très jolie formulation :
« Comme une chimère égayant mon âge, un sillon d’aventure creusé sur mon visage. »

Il y a évidemment un sens profond à découvrir sous le langage du poète qui émaille son texte d'expressions plus poétiques les unes que les autres :
« il promenait son nonchaloir comme une émanation sur clair de paysage. »
« Un faisceau de lumière emporte vers les cieux le babil de Maryse. »
«  le drap qui se résigne à la joue de Maryse »

et se joue, via les allitérations, des sonorités et de leur musique :
-le « t » pour le côté agaçant des sons et l'évocation des « querelles trop vives »(martelait – staccato- stances – tinta- cristal),
-le « n » et le « l » pour le côté douceur comme celle du « rond de silence » (anneau - Annie- las – loin – dissonances),
-le « m » pour la cocasserie de la situation
(C’est ma mère, ma mie, hurlai-je vers ma mie.
C’est Mamie, m’irritai-je à part moi. Puis répondant :
Maman ? 
Maryse !).

Dans le passage suivant, il y a un contraste frappant entre la poésie qui fait la magie de cette image :
« La trame parentale ourlée des fils du temps s’effrangeait andante sur l’aurore d’un drame »

et ces tableaux à la dureté surprenante (il s'agit d'une toute petite fille)
« La veine jugulaire palpitait de colère dans le cou de Maryse.
Ma mie serra son faon dans l’étau de son âme.
Sans ce sang bleu pulsé, sans la flamme en ces yeux révulsés, »

C'est ici que pour moi se révèle toute la richesse d'un texte qui ne manque pas de questionner sur le sens à donner à une histoire se référant autant à la mort ( le chat -quelle horreur!-, les lèvres bleues), qu'à la folie et à l'amour-souffrance.
Alors comme pour mettre fin à la supputation, l'auteur nous offre cette petite phrase :
« déborde des rancœurs de la vie de famille où se noie notre fille. » qui contient toutes les réponses , y compris l'hostilité envers la mère, ce ressenti qui rend agressif par trop de culpabilité latente, parfois sibylline.
Car effectivement, on peut y voir le refoulement de l'agressivité oedipienne, la culpabilité qui en découle et qui fait rejeter la violence sur soi-même en guise d'auto punition ou pousse à reproduire ce sentiment d'amour/haine sur son propre enfant.

C'est en tout cas un très beau texte, riche de symboles et de sens cachés. Merci infiniment pour ce cadeau de lecture.

   Ornicar   
6/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Etrange, inconfortable et déstabilisant !
Mais assurément poétique. Et "récit" il y a. Un récit où les rimes, allitérations, assonances, échos sont présents en nombre ; un récit qui se déroule, pas toujours mais très souvent, au rythme de l'hexasyllabe. De belles formules, de belles expressions, de belles images font l'originalité de cette trame et masquent le drame que pourtant l'on pressent dès le vers 2 ("lame bien aiguisée fouissant en ma chair l'amour et la torture") et qui se précise à mi-parcours : "La trame parentale ourlée des fils du temps s’effrangeait andante sur l’aurore d’un drame". Au passage, bel oxymore que cette "aurore".

L'ensemble est déstabilisant et source de malaise chez le lecteur car ce voyage "au bout du conte" souffle constamment le chaud et le froid. Chaud du cocon familial et des liens d'amour et du sang, froid de la violence et de la haine qui surgissent inopinément sur le mode "crescendo" : l'image du "chat noir" par exemple "animal-maléfice", celle de la "veine jugulaire qui palpite de colère" ou encore cette "coupe pleine" qui "déborde des rancœurs de la vie de famille où se noie notre fille" jusqu'à la mort (rélle ? symbolique ?) de l'enfant.
On navigue aussi entre un certain réalisme (la scène du téléphone, par exemple qui sent le "vécu") et l'onirisme (la scène de la bague et du piano), ce qui, pour moi, est gage d'une réussite certaine.
Par ailleurs, si ce texte jette parfois, à la façon d'un flash, une lumière crue sur les relations familiales en ne cachant rien de leur violence, il n'éclaire pas toute la scène, laissant suffisamment de zones d'ombre de nature à susciter le questionnement intime et propre à chacun.
Enfin, le titre en forme de jeu de mot cultivant l'ambiguïté ajoute encore au malaise : dans cette histoire, quelle est la part de vérité, de vécu ? Quelle est la part de fiction, de romanesque ?

Voilà un texte riche, dense, qui nécessite plusieurs lectures pour se l'approprier, plus exactement tenter d'approcher "sa vérité", et qui saura faire résonner des échos différents en chacun de nous.

   Provencao   
9/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Cyrill,

Véritablement sous le charme de cette intrigue révélation, cette apparence et cette sagesse.

Car la beauté et la vérité de cette trame parentale ont été cachées en partie, non seulement parce que cela ne se pouvait autrement, sans changer toute l’harmonie de tout conte fait, mais aussi parce que cela convenait, afin qu’il y eût plus d’exercice de la liberté d'expression et de la sagesse.

Au plaisir de vous lire
Cordialement

   Vincente   
10/9/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Le mode d'expression de ce récit est assez déroutant, enfin surtout au début, ensuite on s'habitue à ce ton de conte un brin médiéval racontant une saynète très contemporaine (avec cet appel téléphonique qui vient s'immiscer assez abruptement dans le trio familial en tension). Le langage est assez châtié, mais dans un registre à la fois psycho et poético-évocateur, cette prise de recul du narrateur, si elle est amusante, bien sympathique dans le regard, manque tout de même de fluidité pour mettre le lecteur à l'aise ; alors que le propos est modeste, familier, le regard tendre et enjoué, le phrasé est très appliqué, peu aisé à saisir, il y a comme un paradoxe, presque une confrontation, entre ce qui se raconte et ce qui s'écrit. On peut deviner une volonté de l'auteur de bousculer les codes pour provoquer et faire saillir les événements du propos, tout en leur apportant une profondeur.
Ça a marché pour moi, mais seulement en partie, j'aurais apprécié un peu plus de souplesse dans l'énoncé pour me laisser aller dans l'important, c'est-à-dire ce qui se raconte, qui est bien touchant, dans son advenue, comme dans le regard qui s'en est emparé.

J'aime beaucoup le final en comptine, en particulier ce séquençage en vers alternativement commentés et, en italiques, chantés.

   Dameer   
10/9/2024
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Hello Cyrill,

Un genre hybride, entre récit et poésie, c’est très original !

Il m’a fallu plusieurs lectures pour découvrir ce qui se cache dans cette journée d’apparence ordinaire, autour d’une petite fille chérie de 5 ans à qui on passe tous ses caprices, qui tient tête à ses parents et les amène au bord de l’énervement, quand ils sont las de négocier !

"Lame bien aiguisée fouissant en ma chair l’amour et la torture"
Il y a donc la maman, Annie qui promet des sucettes (des sucettes à l’anis ?), puis qui offre un chat à sa fille, sans doute dans l’espoir de l’apaiser. Espoir vain, la petite fille ignore le chat. Un chat noir, animal-maléfice "promenant son nonchaloir comme une émanation sur clair de paysage."

Ce nonchaloir est un joli mot : un chat noir nonchalant ! Opposition plus tard entre le noir du chat et le blanc du drap : le noir synonyme de mal, le blanc synonyme de pureté, de virginité. Le chat sera symboliquement (du moins j’espère) assassiné par le père.
"A travers un sanglot les yeux déments d’Annie reflètent un chat noir qu’aussitôt j’exécute. Sur l’heure on enterre l’animal honni."

Parfois la Maman est au bord de la rupture, quand "cette enfant dans son incurie martelant le piano d’un violent staccato." c'est alors que résonne le choc de l’anneau sur les touches : comme un appel à son époux d’intervenir.

Vient alors cette séquence très amusante, lorsque la grand-mère réclame sa petite fille au téléphone : "C’est ma mère, ma mie, hurlai-je vers ma mie…"

La journée s’achève sur les deux parents rivalisant pour border la petite Maryse dans son lit, la Maman lui chantant une comptine de sa composition pour l’endormir, tandis que :
"Je lisse, religieux, le drap qui se résout à la joue de Maryse, dont la blancheur souligne ses lèvres closes et bleues."
Les lèvres bleues apportent une conclusion déstabilisante voire inquiétante.

Tout compte fait, c’est un joli conte cruel.

   papipoete   
12/9/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
bonjour Cyrill
un conte en trompe-l'oeil, sur une journée ordinaire, autour d'une fillette entourée d'une mère d'un père.
quand l'un rouspète, l'autre cajole
et vice et versa...
NB arriver à trouver l'équilibre, entre être aimé, et être haï n'est pas toujours facile ; cela ne marche pas forcément, et on regrette, on se dit... si j'avais su !
entre la drôlerie et la cruauté parfois, avec ce chat-panseur " exécuté aussitôt enterré "
mais tout est dans la subtilité d'écriture, de notre auteur...

   Cyrill   
23/9/2024


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