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Poésie libre
Raoul : Images fantômes d'images
 Publié le 30/06/19  -  10 commentaires  -  981 caractères  -  313 lectures    Autres textes du même auteur

" Je vous parle parce que moi je suis d'ici et vous au loin."
R. Brautigan.


Images fantômes d'images



Un dessin de Mušič velote
papier mince arraché à l'innommable à l'invisible

Son petit tas de traits prend forme et corps
sec bref dru
comme un fagot de brindilles tibias

Le blanc de la page est sa fenêtre
l'index l'a gratté jusqu'à la glaise
jusqu'aux cendres
aux filaments de cinabres pulmonaires

Pourtant la page est petite
rongée rognée...

elle contient le vent le froid les fièvres
les crânes percés d'orbites où la folie est cavernicole
une dernière buée de l'âme
et la vermine à mandibules qui change les rayures
en épluchures de peaux

Les doigts mélangés y sont morts
Ils ont pris racine comme des scorsonères
noués aux tendons du cou pelé
au menton hirsute de hachures

Et aucune raison aucune pour que ça s'arrête

spectres aux tracés indélébiles
spectres gravés
que nous dites-vous si muettement


 
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   Mokhtar   
13/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce poème nécessite un travail documentaire sur Zoran Music, peintre slovène, interné à Dachau en 1944, qui, libéré, sera poursuivi par les sbires de Tito.

Durant l’atroce séjour à Dachau, il vécut au milieu de cadavres entassés. L’horreur au quotidien, banalisée, finit par exclure tout sentiment de pitié ou de commisération et l’artiste, à la vie en sursis, ressentit le besoin de dessiner ces cadavres dont il voulait capter la beauté tragique. Il ne disposait que d’un peu d’encre et de papier. C’est donc sur ces dessins de captivité (dont une partie seulement a été récupérée) que porte le poème.

L’œuvre de Music virera de bord (refoulant le passé) quand, à sa libération, il séjournera à Venise.

Il faut aller voir les dessins pour apprécier le poème. On comprendra mieux les termes « petit tas de traits », « fagot de brindilles » qui dépeignent les dessins, mais aussi laissent imaginer le travail nerveux et fiévreux de l’artiste qui gratte, hachure et martyrise son carré de papier, comme poussé par une force obsessionnelle.

On y remarquera aussi le travail sur les doigts, dans leur rigidité cadavérique, qui restent expressifs sur les corps en décomposition (scorsonère : radis noir) et ressemblent à des racines.

J’ai buté sur « velote ».

« Filament de cinabres pulmonaires ». Le cinabre, minerai rouge de mercure, quand il est artificiel (reconstitué) ressemble à un amas d’aiguilles (à rapprocher des traits de Music). Cette substance servirait à soigner la tuberculose. Interprétation sans garantie
.
Ce texte assez érudit, qui implique de connaître l’œuvre de l’artiste, a le grand intérêt de bien retranscrire l’émotion visuelle de ces dessins qui, artistiquement, sont à apprécier au-delà du morbide. Mais surtout l’écriture laisse imaginer la frénésie de celui qui se déclarait « en transes » quand il grattait son papier de façon compulsive.

« Tracés indélébiles », « aucune raison pour que cela s’arrête », l’auteur invite à une interprétation prémonitoire de l’œuvre.
Personnellement, je ne peux m’empêcher de rapprocher les dessins noirs du peintre slovène de certaines photos abominables prises après le drame de Hiroshima.

Beau poème très travaillé, (qui m’a fait un peu repenser à la « charogne » de Baudelaire) et qui incite à connaître le peintre.

Peut-être aurait-on pu être un peu explicite dans la présentation, pour retenir le lecteur et le lancer sur la bonne piste.

PS : J’oubliais : superbe titre

Mokhtar, en EL

   Davide   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Raoul,

Comment parler de quelque chose qui dépasse l'entendement humain ?
Les mots se perdent dans un magma de cruauté sans échappatoire où "les doigts mélangés", "morts", "ont pris racine comme des scorsonères".

Poétiser l'horreur devient pour le peintre une façon de survivre psychologiquement à ces camps de l'enfer.
Ainsi, le dessin semble extraire un peu de vie à la mort qui entoure l'artiste prisonnier : le mot "velote" (de velot, dont on se sert pour faire le vélin) est subtil en ce sens qu'il semble, en extériorisant les tourments de Zoran Mušič, donner vie à la mort elle-même.

La feuille devient le support de sa liberté - ou plutôt de sa survie :
si "la folie est cavernicole", le "blanc de la page est sa fenêtre" sur son monde intérieur, le seul "endroit" qui lui reste.

Dessiner la mort pour la mettre à distance, la rendre irréelle. Mais le témoignage, lui, est bien réel. Et ceux qui sont "au loin" (dans le temps, peut-être) ne peuvent qu'être touchés, sinon bouleversés par leur violence et leur inhumanité.

A l'image d'une danse macabre, ce poème me donne le vertige. Tout y est juste, imagé, percutant. De la belle ouvrage.

J'ai beaucoup aimé,

Merci Raoul, (quel plaisir lorsque j'arrive, au moins un peu, à vous comprendre ;) )

Davide

   Vincente   
1/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Raoul,

Les images parlent clair avec des associations qui ne semblent en rien tenir du hasard. Les méandres de ce qui est pensée du narrateur arrivent sans filtre par sa plume. Les mots sont rugueux et les expressions laissent sourdre "l'innommable".

Le cadre s'implante par le deuxième vers. Jusqu'à mi poème se précise l'action liminaire. Il semble que sur une vieille image, très endommagée, se grattent les saletés accumulées "terre et cendres" et qu'apparaisse, dans le trouble, la crainte de deviner l'horreur.
La deuxième moitié dit l'horreur. La "description" trouve une formulation surréaliste, seule semble-t-il en mesure de dessiner l'indicible. Ce qui se cristallise alors dans l'œil du narrateur, comme dans celui du lecteur, y perdurera. "Et aucune raison aucune pour que ça s'arrête".

Poésie terrible, où la page retrouvée, page d'histoire, est endommagée, où les images qui affleurent du papier meurtri sont à la fois mémoire et horreur, où les corps comme exhumés crient "si muettement" leur dévastation.

Bouleversant ! Par le sujet, par la façon, par la pudeur qui montre tant, assurément nécessaire.

Edit : Je ne connaissais pas et n'ai pas pu me renseigner sur l'oeuvre de Zoran Mušič, ni sur la signification de "velote", à l'instar de Pizzicato. Si bien que mon interprétation s'est construite à partir d'une lecture assez mystérieuse, et pourtant pleine de sens pour moi qui entrevoyait la découverte parmi des ruines d'une vieille photo d'un charnier ou d'un dessin horrifié. (ce qui est troublant d'ailleurs, c'est que mon commentaire reste pourtant "crédible" même à partir de cette configuration là, pour peu que l'on entende certains des termes de façon un peu métaphorique).
Relisant aujourd'hui, ce poème, je lui trouve une force supplémentaire d'un point de vue réaliste, l'écriture y est puissante mais plus descriptive. Mais cela se produit au détriment d'une richesse créative qui était plus encore imaginative. L'une des particularités s'est donc enrichie au détriment de l'autre, et vice et versa... J'aimais presque mieux ma première rencontre, et pourtant c'est bien celle-ci qui a le mérite de l'authenticité.

   hersen   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément
Parce que tout est écriture.

Un très beau poème, Raoul, toi qui, toujours, dans les petits papiers...

Tu réussis à nous "dire" les dessins de Music, non pas qu'ils laissent une ambiguïté, mais tu leur donnes un éclat, une évidence.

"un petit tas de traits". Que l'on rapproche de "tas d'ossements". Et tout le poème est ainsi, il dit au travers des dessins ce qui se passait dans les camps, la matière qu'avait l'artiste pour travailler, pour témoigner, jusqu'à l'obsession.

Normalement, je soulignerais que l'emploi d'un mot comme "scorsonère" en poésie, chapeau ! mais là, non, c'est trop frappant, parlant, réel. je vois ces doigts. c'est le mot qu'il fallait.

Merci pour cette lecture qui touche fort, qui met en avant tristement, mais indéniablement, l'Art en avant.
Qui peut douter de son utilité, de sa nécessité ?

   David   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Raoul,

Cette fin sur "dire muettement" est glaçante, elle m'a emporté juste après la lecture vers.... pas un néant, mais un genre de suspension, puis une relecture, un peu de curiosité pour cet artiste au nom... d'artiste. Mince, Mušič, Mušič muettement, ça ne s'invente pas.

Les vers harmonisent une description infernale sobrement, curieusement, l'atmosphère est très présente.

J'ai pensé au tableau "NOUS NE SOMMES PAS LES DERNIERS." mais peut-être juste parce qu'il m'a semblé répondre étrangement au poème.

   Luz   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Bonjour Raoul,

Je ne comprenais pas le poème. Alors, après plusieurs lectures j'ai lu les premiers commentaires et vu les dessins de Mušič.
Évidemment, quelle force dans ceux-ci : échapper à la folie en dessinant la folie humaine ; et quelle force, quelle précision retranscrite dans votre poème ! Je souscris sans réserve aux commentaires élogieux précédents : poème terriblement angoissant, mais le rappel régulier que l'homme est capable du pire est évidemment nécessaire.
Merci.

Luz

   senglar   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Je ne connaissais pas Zoran Music, ni ses dessins. Et je me dis que c'est impardonnable ! Merci Raoul d'avoir réparé cet oubli.

Et pourtant j'en ai lu des livres sur les nazis et leurs atrocités, j'en ai vu vu des films, des documentaires, y compris des extraits de "Nuit et brouillard" (seulement des extraits !). Je pensais naïvement avoir accompli mon devoir de mémoire. C'était insuffisant, quoi de plus poignant, de plus accusateur que le dessin d'un artiste en enfer en devoir de témoignage, le poème de Raoul le dit très bien qui montre des âmes qui meurent.

"Le blanc de la page est sa fenêtre"

Alors qui est fautif ? Qui n'a pas fait son travail ?

"spectres gravés
que nous dites-vous si muettement"
Je devine maintenant que les spectres nous disent :
''' puisque vous n'avez pas su transmettre notre mémoire ne vous étonnez pas que la barbarie soit à vos portes ! '''

Il est nécessairement temps de pleurer !

"' une dernière buee de l'ame
et la vermine a mandibule qui change les rayures
en epluchures de peaux '"

sans commentaire j'ai enleve les accents de meme que ma signature, les majuscules et la ponctuation

   Anonyme   
30/6/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Avec le seul nom Müsïc, je n'étais pas parvenu à me documenter. Le commentaire de Mokhtar, qui précise le prénom Zoran, m'a permis de découvrir la biographie de ce peintre et mieux appréhender le poème.

Les sévices que cet homme a subis, les horreurs qu'il a connues et exprimées dans ses dessins sont retranscrits de façon magistrale dans ce texte.

Un superbe écrit qui implique une lecture attentive pour en apprécier la qualité.

   papipoete   
1/7/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
bonjour Raoul
Charlotte Delbo écrivit des pièces de théâtre à Auschwitz, pendant que la funeste cheminée fumait... les comédiennes oubliaient cet affreux panache. Zoran Music sans chevalet, mais sur un papier de fortune, dessina l'innommable derrière les murs de Dachau, et malgré l'horreur au bout de ses yeux, elle l'aida à résister, ne pas mourir pour finir comme les figurines que son crayon esquissait !
NB l'auteur montre ce que le peintre vit, sans termes crus, que des images aux contours noirs, tels ces " fagots de brindilles tibias "... " les doigts mélangés y sont morts...ont pris racine "
Comme le peintre eût aimé vous lire !
Beau poème pour une feuille de papier si mince, mais forte évocation de ce qui se passait de l'autre côté de la fameuse pancarte...

   Myo   
29/8/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un écrit qui transperce, déchire, étreint comme ces coups de crayons
derniers sursauts d'humanités au sein de l'enfer...

Vos mots ont la puissance de ces traits...

BRAVO!

Myo


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