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Réalisme/Historique
aldenor : Adieu Alexandrie
 Publié le 01/08/19  -  10 commentaires  -  7137 caractères  -  58 lectures    Autres textes du même auteur


Adieu Alexandrie


« C’est qui ? »


– Un message vient de s’afficher ! s’exclame Dimitri.

– Un message ? Qui dit quoi ? demande Hasfoun.

– Je ne sais pas. Ce n’est pas de l’arabe. Ça pourrait être de l’anglais : « Ceste kwi ».

– Ça veut dire quelque chose : « Ceste kwi » ?

– Aucune idée.


*


Hasfoun Affar est malvoyant. Il vend des roses sur la corniche d’Alexandrie. En passant, au niveau de l’hôtel Cécile, il a ramassé un objet qui chantait. La chanson s’interrompt, puis reprend dès le début, une fois, deux fois, trois fois. Drôle de radio qui rejoue tout le temps le même air. Mais l’objet est agréable à tenir. Léger, ferme, lisse, plat. Il l’emporte. Et s’empresse de retrouver son ami Dimitri pour lui montrer sa trouvaille.

Les deux garçons ont le même âge, 14 ans. Dimitri vend des corbeilles et des couronnes de fleurs au cimetière grec-orthodoxe. Il récupère les roses sur les tombes le lendemain pour Hasfoun. Tandis qu’il examine l’appareil, « C’est qui ? » s’inscrit sur l’écran.


*


– Pour plus de précision ces deux mots sont suivis d’un point d’interrogation. On nous pose une question.

– Attends un peu. Depuis quand les radios envoient-elles des messages aux auditeurs ?

– Radio ? Mais non, c’est un téléphone portable que tu as ramené ! Ça vaut une fortune. Si tu veux, je pourrais te chercher un acquéreur.

– Je ne sais pas. Pour l’instant ce message m’intrigue. Tu dis qu’on nous pose une question. Il me semble plutôt que c’est au propriétaire du téléphone que la question est posée.

– Ouais. Possible. De toutes manières, ça ne nous avance à rien… Minute, j’ai des clients.


Tony et Evdoxia se recueillent chaque année le 29 avril sur la tombe du poète Constantin Cavafis. Tous deux cheveux blancs bien tirés et noués en queue-de-cheval, vêtus pareillement de beige et de blanc, comme des enfants jumeaux pour la promenade du dimanche. Dimitri les accueille :


– Kalispera monsieur-dame ! Une corbeille à 250 livres ? Une couronne à 1000 livres ?

– Hé Dimitri, kalispera petit escroc ! Tu ne nous reconnais pas ! Nous te voyions toujours ici avec ton père. Il nous vendait les corbeilles à 25 livres. Et à 25 piastres il y a quarante ans.

– Oui, mais s’il les avait vendues à meilleur prix, vous ne me connaîtriez pas, j’aurais été tout ce temps à l’école. Allez, je vous fais la corbeille à 245 livres en souvenir de mon défunt père et à condition que vous m’aidiez à déchiffrer le message que mon ami a reçu sur son portable.


Tony regarde l’écran :


– « C’est qui ? »

– On dit donc cé ki et non pas ceste kwi…

– Oui. C’est du français. Ça signifie : qui est-ce ?

– Ah bon. Mais qui est qui ?

– Hum… Tout ce que je peux te dire c’est que le message est envoyé par une dénommée Dimbladys. Elle demande à ton ami, en français, « C’est qui ? ».

– Hasfoun ! Viens ! Nous avons élucidé le message. Il paraît qu’une certaine Dimbladys te pose cette question, en français : « C’est qui ? »


Hasfoun s’approche, tout déguenillé, tenant un bâton en guise de canne.


– Tu appelles ça une élucidation ?


Evdoxia s’étonne :


– Mon Dieu, ton ami est aveugle !

– Pas tout à fait, il voit des ombres.

– Ah oui, mais tout de même, comment utilise-t-il son portable ?

– Et comment se l’est-il payé ? renchérit Tony. C’est le dernier modèle ! Il vaut plus de 1000 livres !

– Tu entends ça Hasfoun ? Ce truc vaut plus que 1000 de tes roses !

– Ça m’est égal. Je ne compte pas le vendre. J’aime le toucher, c’est tout.

– Bonjour Hasfoun. Je suis Tony. Et ma femme Evdoxia. Tu veux nous dire comment tu as eu ce téléphone ?

– Je l’ai ramassé, il était par terre.

– Bon, mais tu sais qu’il faudrait le rendre à son propriétaire. Ces appareils sont géo-localisables. Tu risques des ennuis.

– Ne vous en faites pas pour moi. Des ennuis, j’en aurai toujours. Ce que j’aimerais d’abord c’est comprendre le message que j’ai reçu. Ensuite, on verra.


Evdoxia intervient :


– Cesse de chicaner Tony. Allez Hasfoun, essayons de résoudre ensemble cette énigme. Si ce portable n’est pas le tien, nous pouvons me semble-t-il passer à un niveau supérieur de compréhension. Voyons qui en est le propriétaire…


Elle manipule les touches et décrète :


– Voilà son profil ! Elle s’appelle Jocelyne Akkad. 15 ans, aime la poésie et les rahat-loukoums et joue au tennis.


Tony conclut :


– Dimbladys, une de ses amies, lui demande : « C’est qui ? » Il s’agit sans doute d’un garçon que Jocelyne fréquente en secret. Satisfait Hasfoun ?

– Non, mais les choses commencent à s’éclaircir dans ma tête. Jocelyne a perdu son portable. Elle est anxieuse de le retrouver. C’est donc d’elle que le message émane. Elle utilise le portable d’une copine puisqu’elle n’a plus le sien. Elle ne pense pas que ce soit un inconnu qui l’a trouvé, ou volé. Autrement elle prendrait un autre ton. Elle menacerait. Voleur, rends-moi mon portable ! Sinon je vais à la police qui te géo-localisera ! Elle devait être avec un groupe d’amis quand elle l’a perdu et pense que l’un d’eux le lui a fauché par plaisanterie. Elle demande « c’est qui… c’est lequel d’entre vous qui a mon portable ? ».

– Lumineux ! applaudit Eva. Mon pauvre Tony avait tout de travers !

– Mais toi aussi, madame « niveau supérieur de compréhension », tu n’avais rien compris !

– C’est clair ! Au final, nous voyons tous des ombres d’une certaine manière. Si ce n’est avec nos yeux, avec notre cerveau. En tous cas, voilà, l’énigme est résolue. Eh bien allons mettre une corbeille à 250 livres à ce cher Cavafis maintenant. Il va s’étonner du prix !

– Attendez. J’aimerais remettre en main propre son portable à cette Jocelyne. Comment pourrais-je… ?

– Tu l’appelles ou tu lui envoies un message, c’est tout simple, coupe Tony pour en finir.

– Non. Je voudrais que ce soit une vraie rencontre… avec quelque chose de poétique, de théâtral… Vous comprenez ?

– Mais oui, dit Evdoxia en faisant de gros yeux à son mari. Bien sûr que nous comprenons. Pourquoi penses-tu que nous aimons Cavafis ? Connais-tu ce passage de « Dieu abandonne Antoine » ?


Elle récite :

« Avec courage,

comme quelqu’un qui s’y attendait,

fais tes adieux à Alexandrie

qui s’éloigne de toi. »


– C’est beau. Et donc ça vous inspire une idée qui me permettrait de retrouver Jocelyne ?

– Oui, je crois que j’ai une idée…

Nous avons affaire à des jeunes filles francophones. Elles se sont retrouvées dans les environs de l’hôtel Cécile, peut-être au café de l’hôtel. Elles venaient sûrement du collège Saint-Marc à proximité. C’est la dernière école francophone d’Alexandrie. Le premier appel manqué remonte à quatre heures cet après-midi. Une heure après la sortie. Tout semble s’ajuster. On peut supposer qu’elles sortent ensemble tous les jours de l’école. Vous n’avez qu’à vous poster aux portes du collège demain à trois heures et repérer celles qui marchent en direction de l’hôtel Cécile…


*


Dimitri et Hasfoun interceptent le groupe de jeunes filles s’acheminant vers l’hôtel Cécile et Hasfoun, brandissant le portable d’une main et son bâton de l’autre, demande glorieusement : « Cé ki ? »


 
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   hersen   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Kalimera Aldenor,

Ta nouvelle était en 4 dans mon vote.
J'ai surtout aimé le cadre, un cimetière d'Alexandrie, et l'évocation du poète grec Constantin Cavafy.

Tu installes ainsi un couple "intello" face à deux enfants qui vivent d'expédients, dont l'un est aveugle. Ainsi, la discussion autour du téléphone est très marrante, surtout le "niveau supérieur de compréhension", tandis que Hasnoun ne compte pas le vendre, alors qu'on imagine ce que serait pour lui un pactole de mille livres, car il "aime le toucher" (j'ai un peu fondu, là :))

J'adore aussi le petit trafic de roses.

Et que dire quand Dimitri déclare : si mon père vous avait vendu ses fleurs plus cher, j'aurais été à l'école; On ne se connaîtrait pas.
Il y a là beaucoup qui prête à réflexion, et j'aime par-dessus tout le côté humain que tu arrives à faire ressortir, c'est pas mal fort.

En fin, la fin. Cé ki ? imaginons ce que nous voulons, même si je ne peux m'empêcher de regretter de ne pas savoir comment l'auteur voyait ce retour du téléphone...par un guenilleux aveugle, posté à la sortie d'une école upper class. Tu m'as un peu frustrée, mais je comprends très bien que tu aies arrêté pile poil à cet endroit. Perso, ça me fait encore plus mal.

merci beaucoup pour cette lecture, Aldenor.

   Luz   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonsoir aldenor,

J'ai beaucoup aimé cette nouvelle écrite à l'occasion du défi.
Je reproduis simplement mes impressions d'alors :

Une nouvelle gaie, entrainante, remonte-moral. Tout est cohérent et s'enchaine bien. Mais, peut-être qu'il ne fallait pas acheter la corbeille pour 250 livres : il fallait négocier à 180 et conclure à 200 ; c'est quand même plus poli (je crois)...

J'ai trouvé "Dieu abandonne Antoine" de Cavafi (je ne connaissais pas) :

Lorsque soudain à l’heure de minuit,
tu entendras passer la troupe invisible
dans un cortège d’exquises musiques et de voix –
ne te lamente pas en vain sur ton sort,
ton destin qui t’abandonne,
tous tes desseins qui partent en fumée.
Avec courage,
comme quelqu’un qui s’y attendait,
fait tes adieux à Alexandrie
qui s’éloigne de toi.
Surtout ne t’abuse pas, ne te dis pas
que ce n’est qu’un rêve
que tes oreilles se sont trompées;
ne daigne point tels vains espoirs.
Comme si tu t’y attendais depuis toujours,
avec le courage
de quelqu’un qui fut digne de cette ville,
approche-toi d’un pas ferme de la fenêtre
et écoute avec émotion,
sans te laisser aller aux invocations des lâches
– leurs lamentations! –
écoute comme une ultime jouissance
les instruments exquis de la troupe secrète
et fait tes adieux à Alexandrie que tu perds.

Et j'aime beaucoup la chute ; commencer par "C'est qui ?" et finir par "Cé ki" : fallait le faire.

Bravo !

Luz

   Robot   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J'ai beaucoup apprécié l'humour réaliste de ce texte qui m'a captivé. Je trouve les interlocuteurs et leurs dialogues construits pour retenir l'attention du lecteur. Les échanges "sonnent" vrais.

Et puis cette démarche qui vise à découvrir la clé de l'énigme posé par ce téléphone perdu à des côté hilarant.

Le récit est vivant. Il cerne aussi quelque chose des relations humaines avec beaucoup de fraicheur et de crédibilité.

Et la conclusion, comme une boutade qui ne nécessite pas d'en dire beaucoup plus.

Un bon moment de lecture.

   Shepard   
1/8/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour Aldernor
Du bon et du moins bon dans ce texte à mon avis. Dans le positif :

- L'action et la narration qui ne perd pas de temps, c'est vivant et c'est 'frais'.
- Un groupe de personnage que l'on situe rapidement
- Une fin humoristique, qui termine ce court moment de lecture mais agréable

Dans le négatif :

- Les répliques des dialogues me semblent parfois bizarres dans la bouche d'enfants de 14 ans... Je dirais même que la plupart des adultes ne parlent pas de cette façon (ex : l'explication à la 'Sherlock Holmes' de l'histoire par Hasfoun, ça m'a paru artificiel)
- Le 'mystère' est un peu faible pour passer autant de temps dessus. Une discussion entière pour deviner que le proprio du téléphone veut le récupérer, alors que ça tombe quand même sous l'évidence.

En résumé, une histoire légère, un peu trop peut-être pour mon goût.

   placebo   
2/8/2019
J'ai du mal à commenter les textes, un peu rouillé je crois :)

J'ai été perturbé par le décor et les dialogues très nus, les répliques plutôt élaborées.
J'ai bien aimé ces multiples évocations, ce poète, cette francophonie, ces personnages créés - qu'y a-t-il derrière ceux à peine menitonnés ?

Les différentes reconstitutions de l'historique m'ont paru un peu fastidieuses. Pourtant ce sont elles qui permettent au reste du récit de prendre forme.

Donc, je ne sais pas... :)

bonne continuation,
placebo

   Anonyme   
3/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour aldenor,

J'ai suivi en décalé le défi et j'ai lu tous les textes proposés.
Pas très habituée de la section nouvelle, je vais tenter un commentaire, cependant.

L'histoire est attachante, située dans une ville chargée d'histoire, faisant rêver et par rapport au sujet du défi qui donne une idée très différente de l'approche du handicap (très différente de celle que les occidentaux peuvent avoir).
En cela elle est originale et intéressante, d'autant que beaucoup de tendresse émane du récit.
Le texte comporte essentiellement des dialogues et c'est là que je suis un peu gênée. Ils ne me semblent pas être le reflet de ce que pourrait se dire ses deux gamins déscolarisés dans ce lieu (pour le style, pas pour le fond).
Par contre le caractère des personnages est bien rendu à travers ces dialogues, justement.

Merci du partage,
Éclaircie

   maria   
4/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour aldenor,

Une histoire simple, instructive et drôle, présentée clairement.
On ne se mélange pas dans les personnages, l'action est située dans le temps et dans l'espace. Ces "commerçants" sont attachants, voire émouvants. Ils gèrent leurs besoins matériels sans y oublier leur âme et leur coeur d'ados.
Je regrette cependant que le texte est construit essentiellement sur des dialogues. Solution de facilité ?
Merci pour le partage et à bientôt.

   Donaldo75   
5/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Aldenor,

Je n'ai pas spécialement suivi le concours sur le handicap alors je ne saurai dire si les contraintes sont respectées et tout et tout. Par contre, je sais que ce récit m'a donné envie de poursuivre, parce que l'histoire est bien développée. Parfois, cependant, il freine un peu, devient poussif. Ce n'est pas l'histoire qui est en cause mais la narration qui peine à enclencher la phase suivante. Mais j'ai quand même bien aimé.

Merci pour le partage.

Donaldo

   Jocelyn   
8/8/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime l'humour réaliste (je n'arrive pas à appeler autrement) du récit encré dans un moment donné et dans une circonstance très strict. De nombreux champs à développer comme les vies respectives des deux garçons, le lien entre le couple et le poète et même des conflits de génération effleurés par le prix d'une corbeille de fleur. Mais tout ça non, l'auteur reste focus comme un Limier sur l'objectif ou la circonstance.

J'aime aussi le côté roman policier (sauf que dans ce cas la police ce sont des civils qui se passeraient volontiers de la police). Le contexte initie la réflexion et naturellement le lecteur à son tour tente d'analyser les faits à sa manière. Et si la française n'était pas une française finalement ? Oh mais quelle importance ? On ne sait pas ce que ces gars vont trouver devant l'hôtel. Va savoir c'est qui...

   mirgaillou   
9/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Toute une ambiance et je l'ai bien connue pour avoir vécu non pas en Egypte mais au Maghreb.
Il y a toute une culture de la débrouille, de la solidarité, du marchandage aussi. On voit fréquemment ces associations de la misère, cette solidarité aussi. la pauvreté matérielle de certains habitants génère la pauvreté intellectuelle. En contrepartie, une malice, un état de fait accepté allègent le quotidien.
Quelle saveur à la fin, avec leur cé ki? Impayable un sujet trop rarement abordé car il demande de la tendresse malgré une petite note plus taquine que moqueuse.


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