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Policier/Noir/Thriller
Andre48 : Chaises et compagnie
 Publié le 28/03/18  -  6 commentaires  -  13214 caractères  -  59 lectures    Autres textes du même auteur

Le futur nous réserve-t-il des meurtres bien difficiles à résoudre ?
L'achat de Jean-Paul lui a été fatal.


Chaises et compagnie


L’ouverture du magasin « Chaises et Compagnie » s’était faite en fanfare. Spots télé, journaux, avalanche de courriels ; impossible d’échapper à l’événement. Jean-Paul avait décidé de n’y aller que plusieurs jours après l’ouverture, il aimait bien être tranquille pour faire ses achats éventuels.

La publicité avait claironné : « Un achat inoubliable ! » Il avait vaguement compris que pour mieux vendre les sièges, des personnages décoratifs étaient assis dessus. Un mardi, en tout début d’après-midi, il prit la route pour le centre commercial, se gara près de l’entrée du magasin.

Dès l’entrée, il vit toute une flopée de personnages assis, immobiles. Méfiant, il pensait : « C’est certainement encore un moyen de tromper le client, mais rentré chez moi, il n’y aura peut-être plus qu’un simple siège. »


– Vous pensez à un coup de pub, lui dit le vendeur.

– Non pas vraiment.

– C’est normal, le produit est nouveau, je vais vous expliquer.

– Merci.


Prudemment, Jean-Paul emprunta les allées, il y avait tout un ensemble de bancs, poufs, tabourets, fauteuils… avec des personnages assis, tous très différents les uns des autres. Ici un tabouret de bar avec une fille parfaite en robe rouge, là un jeune cadre dynamique avachi dans son fauteuil vintage, plus loin une vieille anglaise très droite sur sa chaise en bambou, Miss Marple, peut-être ?

Il s’avança pour toucher le tabouret, la fille disparut avant que sa main ne l’effleure. Surpris, il recula, le vendeur lui fit son petit discours : « C’est prévu, la puce intégrée se déconnecte si vous êtes à quelques centimètres du personnage. C’est purement décoratif, car nous ne voulons pas satisfaire tous les fantasmes des clients. Mais dans votre maison, sièges et personnages meubleront l’intérieur. Beaucoup de gens seuls ne peuvent plus supporter leurs chaises vides, le manque d’invités, d’amis, de famille, de bruits… D’un autre côté, nous désirons éviter dès à présent que ces hologrammes mangent et discutent entre eux ou avec vous. Plus tard, peut-être… Aujourd’hui ce sont juste des objets décoratifs, ils sont là et pas là, avec eux vous éviterez la solitude.


– Je vois.

– Vous pouvez aussi les désactiver, de toute façon avec ou sans eux, c’est le même prix.

– Laissez-moi choisir, répondit Jean-Paul.


Il ne se lassait pas de les détailler, il passa et repassa en revue toute cette collection, hésitant, comparant les prix... Il se décida pour la chaise en bambou avec Miss Marple, en se disant : « Avec elle, je serai certainement à l’abri des fantasmes. »

« Excellent choix monsieur. »

Ce satané vendeur qui le suivait comme son ombre devait sortir cela à tous ses clients. Son achat sous le bras, il se dirigea vers sa voiture et la coucha sur la banquette arrière. Dix minutes plus tard, il était chez lui.


Un tel achat devait être mis bien en évidence, il ouvrit donc les volets du salon, côté rue et la plaça au ras de la baie vitrée. Puis, il alla sur le trottoir vérifier l’effet produit. De là, on pouvait admirer la vieille dame posant de trois quarts, impassible, tirée à quatre épingles, hautement respectable.

Il n’en finissait pas de se féliciter de son achat, « finalement, pour le même prix ! »

La présence de cette femme ne changea pas son train-train quotidien : de temps en temps il la déplaçait, pour finalement la remettre à sa place initiale. À son insu, tout doucement, elle entra dans sa vie. Plus il l’observait, plus elle semblait s’intéresser à lui. Jean-Paul essayait de faire comme d’habitude, mais s’il sortait, il la savait seule, s’il éteignait la lumière il la savait dans le noir.

Il se raisonnait et évitait soigneusement de trop lui parler. Il était englué dans ses petites habitudes de retraité et les jours passaient lentement. Chaque soir avant de se coucher, il sortait la bouteille carrée, buvait un coup, puis, la quittait sans pouvoir s’empêcher de lui dire bonsoir.


Au fil des jours, avec sa vie fade et sans imprévus, ce trop gentil petit vieux commença à taper sur les nerfs britanniques de Miss Marple. Elle qui avait vécu maintes aventures, connu tant de personnes intéressantes, résolu bien des crimes, se morfondait sur sa chaise. Bien sûr, la nuit, quand Jean-Paul dormait, elle pouvait bouger un peu. Mais, toutes ces heures passées, seule ou à subir la présence de cet homme si insignifiant, ne pouvaient plus durer.

Le voir le matin, manger en trempant son pain dans son bol de café, se raser en chantant faux, prendre le pick-up rouge pour aller faire quelques courses et revenir avec son journal acheté au tabac du coin… En début d’après-midi, il filait dans sa chambre pour sa sieste quotidienne, ensuite il stagnait un livre à la main ou devant son écran d’ordinateur.

Chaque soir, elle l’entendait manger bruyamment, la bouteille de vin à portée de main et râler en regardant les infos à la télévision. Puis, avant d’aller se coucher, siroter son foutu whisky, et se diriger droit vers la vieille bibliothèque pour tripoter ses trois bouddhas en ivoire.

Lui, était content de son acquisition, il avait enfin reçu quelques visites d’amis qu’il avait un peu perdus de vue et de voisins curieux de voir cette Miss Marple qui disparaissait dès qu’on voulait lui faire la bise. Dans cette maison, surtout pour elle, l’ennui se faisait de plus en plus pesant. Elle savait que la situation ne pouvait durer éternellement. Une idée germa dans sa tête…


Une nuit, elle alluma l’ordinateur de Jean-Paul et fit ses recherches sur une partie du Web noir, vouée à satisfaire les désirs de tous les malfaisants de la Terre. Poisons, outils de torture, services spéciaux, Blackmagix.com composait toute la gamme. Ce site tibétain présentait en détail les deux articles utiles à son projet. Son choix fut vite fait. Le règlement pouvait se faire par échange d’objets de valeur. Une secte ayant des correspondants dans le monde entier se chargeait discrètement de prendre et de livrer les objets.

Elle envoya la photo cryptée des trois bouddhas en ivoire, ils furent immédiatement acceptés comme moyen de paiement. Un gentil virus intervint et effaça toutes les traces de la transaction. Satisfaite, elle sourit et retourna sagement s’asseoir sur sa chaise.


Ce vendredi, Jean-Paul devait s’absenter pour le week-end. À midi, il remarqua à peine le regard un peu plus vif de sa locataire. Il ferma sa porte à double tour et sortit. Dès son départ, elle envoya par mail le signal convenu : « Je vous attends impatiemment cette nuit. »

Vers dix heures du soir, elle mit les statuettes dans un sac et le déposa juste derrière le portillon du jardin. À trois heures du matin, une ombre silencieuse s’approcha de la maison, passa un bras et saisit le sac ; tout se déroulait comme prévu. Le dimanche soir, en rentrant, Jean-Paul remarqua la disparition de ses trois bouddhas. Il entra en transe, il fulminait, lançait des regards agressifs à Miss Marple. Sa tête bouillonnait, pas de traces d’effraction et seulement la disparition de ses trois statuettes adorées…

Dans ces conditions, comment porter plainte pour ce vol ? Il ne fallait pas y penser, c’était de l’ivoire. Il voyait déjà le policier lui poser des questions et appeler les douaniers… Il tournait en rond en rageant. Pour se calmer, il saisit une nouvelle bouteille de J&B et en vida une bonne moitié avant de se coucher, assommé.


Elle guetta patiemment durant trois semaines la livraison des deux articles choisis avec soin. Une nuit, vers minuit et demi, un livreur tout de noir vêtu, avec une capuche lui dissimulant la tête, déposa par-dessus le portail, un sac noir. Elle entrebâilla doucement la porte, sortit, prit le paquet et le cacha sous le buffet en se disant : « Demain soir ou jamais. » Pendant la sieste de Jean-Paul, elle versa le contenu d’un petit sachet de poudre blanche dans sa bouteille de whisky.

Après dîner, il stressait encore à l’idée de ne plus pouvoir prendre les statuettes disparues entre ses mains ; ce fut une triple ration. Il laissa la bouteille carrée presque vide au bord de l’évier, alla vers sa chambre et s’écroula tout habillé sur son dessus-de-lit. Miss Marple passa immédiatement à l’action. Elle sortit le paquet de sa cachette et le déplia sur le lit à côté de Jean-Paul qui, déjà, ne ronflait plus. On aurait dit une sorte de housse en plastique noir pour stocker des vêtements. Dessus, une grosse étiquette jaune indiquait :

Sac de liquéfaction à 95%. Maximum 100 kg

Livré avec 6 m de tuyau d’évacuation

Mettre hors de portée des enfants

La longue fermeture éclair émit un léger sifflement quand elle ouvrit en grand le sac. Sans états d’âme, elle dénuda complètement le dormeur, plia ses jambes et réussit en le basculant sur le côté, à le mettre dans la gueule du sac. Après quelques fermes poussées, le crâne chauve y entra aussi. Elle ferma hermétiquement la housse noire, arracha l’étiquette jaune, brancha le petit tuyau et le déroula jusqu’au siphon d’évacuation de la douche. En tirant d’un coup sec sur la cordelette rouge elle dit « action ». Les produits chimiques et les bactéries dévoreuses d’os se ruèrent joyeusement sur le corps inerte, sans se poser de questions.

Elle calcula que le processus pour ce repas de soixante-dix-huit kilos prendrait environ trois heures ; le temps pour elle d’un thé et de mettre en scène le départ de sa victime. Quand elle revint, une eau quasi limpide finissait de s’écouler sur le sol de la douche et la housse était devenue toute plate. La dernière goutte écoulée, il restait moins de cinq kilos de poudre brunâtre et un peu collante, elle la répartit dans trois sacs plastique estampillés « La Belle Vie ».

Bien avant le lever du soleil, elle sortit discrètement de la maison et vida peu à peu le contenu des trois sacs en faisant le tour du quartier, souriant à l’idée qu’il puisse pleuvoir. Sa deuxième promenade fut pour jeter la bouteille, la housse et la carte d’identité découpées en morceaux. Elle répartit le tout dans différentes poubelles de la rue qui seraient ramassées au petit matin. Pour terminer, elle prit la valise où elle avait fourré quelques vêtements en vrac. Comme une ombre, elle fila vers un campement de gens du voyage et laissa la valise près de la première remorque.

Jean-Paul ne manqua à personne, sauf, peut-être, au buraliste qui au bout de six jours, ne voyant pas son client, lança l’alerte. Les policiers se déplacèrent : la voiture était devant la porte du disparu. Ils sonnèrent sans résultat et forcèrent la serrure. Sous l’œil inexpressif de Miss Marple, ils inspectèrent la maison, et finirent par repartir bredouilles.

D’autres investigations suivirent et confirmèrent le vol récent des statuettes ; Jean-Paul s’était suffisamment répandu en lamentations auprès de ses voisins. La porte de la penderie bâillait, laissant voir une tringle presque vide, slips et chaussettes s’étaient aussi envolés… Un départ ? L’ordinateur livra une partie de ses secrets, un mail d’origine inconnue fixait au disparu un rendez-vous : « Ce soir à vingt-deux heures au centre commercial. »

En résumé : trois statuettes d’ivoire volées, du linge manquant, plus de valise, une douche qui coulait depuis plusieurs jours, uniquement les empreintes du disparu dans la maison et le mail d’une inconnue… L’inspecteur Mathéo avait été désigné pour cette enquête. Il s’y colla sans grand entrain.

En quinze ans de carrière, le policier avait démêlé quelques affaires compliquées. Il sollicita l’aide de nombreux contacts, sans résultat.

Il se demandait : « Par où commencer ? » C’était surtout le mail qui lui posait problème : impossible d’en connaître l’origine. Les services spécialisés n’avaient jamais vu un tel travail d’artiste pour empêcher quiconque de remonter à l’auteur, tout ça pour un simple rendez-vous.

L’enquête de voisinage fut à pleurer. Le voisin de droite déclara : « Oui c’est un voisin, mais on ne se parlait pas. Le soir je le voyais dans sa cuisine avec sa bouteille. Jamais il n’offrait un verre, à personne, alors… » Un autre lui dit tristement : « Jamais la fête, pas de bruit, pas de femmes … tout ça c’est pas normal. » Trois maisons plus loin, plus personne ne le connaissait. L’inspecteur voyait et revoyait Miss Marple, dans cette foutue maison, il tournait en rond, se grattait la tête, marmonnant : « C’est sûr que quelque chose cloche. »

Tous ses collègues le chambraient : « Disparu ou assassiné par un hologramme ? », « Fais-la parler elle a tout vu ! », « Amadoue-la, couche avec elle ! » Il passa des heures à échafauder des hypothèses. Dans le salon, quand il tentait d’effleurer Miss Marple, elle disparaissait, s’il reculait elle réapparaissait. De loin, il lui jeta La Gazette du Soir, le journal traversa la vieille dame. Finalement, il s’avoua vaincu par elle.

Il décida de passer au moins trois nuits dans cette satanée maison. Il choisit la chambre d’amis, fit un tour dans le petit jardin et fuma quelques cigarettes. Dans la cuisine il repéra ce qui pouvait encore se boire, et il attendit, attendit… Avant d’aller s’étendre il crut surprendre la vieille dame regardant fixement la belle défense d’ivoire sculptée, bien seule, tout en haut de la bibliothèque. 


 
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   plumette   
5/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien
je termine ma lecture avec le sourire;
voilà un idée qui ne me serait jamais venue à l'esprit : un crime parfait commis par un hologramme.

Le point de départ est savoureux: acheter une chaise garnie pour se sentir moins seul!
La description de l'achat, le retour à la maison, les petites transformations dans le comportement de Jean-Paul mènent très agréablement le lecteur jusqu'à la moitié du texte.

J'ai été moins sensible au point de vue de Miss Marple et à cette intrigue destinée à supprimer Jean-Paul. Mais je salue l'imagination de l'auteur.e.

Quant à la fin, elle retrouve son ton un peu distancié et rigolo.

l'écriture est efficace et se laisse oublier, ce qui me semble bien convenir à ce type d'histoire.

Plumette

   Louison   
13/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
L'écriture est agréable, l'histoire assez inventive, très originale, mais je n'ai pas vraiment compris l'intention de "Miss Marple", je pensais qu'elle allait prendre vie et vivre à sa place.

Je reste un peu sur ma faim (fin)

J'ai malgré tout passé un bon moment de lecture.

   Anonyme   
28/3/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour

Déjà, je pense que la catégorie de cette nouvelle aurait du être :
thriller/fantastique.
Que dire de cette histoire abracadabrante ?
Le scénario est bien déroulé mais après, l'adhésion à cette nouvelle
fait parti d'une autre dimension.
Donc, pourtant amateur de thriller, je reste mitigé quant à la qualité
d'ensemble de ce récit.

   David   
28/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Andre48,

J'aime beaucoup l'idée : ce drame de la chaise vide, c'est presque une expression en soi pour exprimer la solitude "chaise vide". L'histoire est quand même fantastique, cette "Miss Marple, peut-être ?" comme elle est présentée (même en français ça singe un "isn't it ?" très british:) n'est pas sensée avoir son libre arbitre, et pourtant... L'histoire joue de nombreux clichés avec bonheur, jusqu'à cette fin qui promet un nouveau meurtre du même acabit.

Ce n'est pas inoubliable mais c'est un genre de récit qui me plait, qui colle bien à l'esprit de la nouvelle justement.

   hersen   
29/3/2018
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai franchement flashé au début de la nouvelle, l'histoire du mobilier vendu avec un hologramme, l'idée est vraiment intéressante et pose la question de la solitude, ou de la communication.
Dans ce délire, je suis surprise que le narrateur ne choisise pas une bimbo, mais la vieille dame. Cela ne me semble pas logique. (bon, c'est vrai, je n'ai jamais eu à choisir d'hologramme pour m'accompagner dans mon quotidien, je parle sans savoir :)

Ensuite, viennent le meurtre et l'enquête. Je ne sais comment dire, il me manque un petit quelque chose.
j'ai pensé après coup que c'était une enquête à l'envers, le meurtre est perpétré par miss Marple, qui en connait un rayon pour ne pas se faire attraper. Oui, mais quelle importance cela aurait-il eu, puis qu'elle n'existe pas ? j'ai un petit coup de mou a ce niveau-là; Ou alors il m'aurait fallu que la miss, elle reprenne vie; Une vraie vie.
le dark n'a pas été très développé, mais il aurait pu l'être bien davantage;

Bref, je suis mitigée, je salue l'originalité mais je trouve des failles au traitement.

Mais à te relire !

hersen

   Sylvaine   
15/7/2018
 a aimé ce texte 
Un peu
L'histoire est prenante et bien racontée, quoiqu'il y ait de petites négligence d'écriture. Mais je suis restée incrédule face à cet hologramme qui se conduit comme un être de chair et de sang. En d'autres termes, je n'ai pas adhéré au postulat sur lequel est construite la nouvelle. J'attendais une révélation inouïe sur la vraie nature de cette Miss Marple, révélation qui n'est pas venue : en définitive, c'est bien un hologramme et rien de plus. En fait, je crois avoir été gênée parce que vous hésitez, me semble-t-il, entre deux genres, le fantastique et le policier. Pour dire les choses plus familièrement, le texte reste "entre deux chaises" !


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