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Sentimental/Romanesque
aristee : Je vais me marier
 Publié le 06/07/07  -  2 commentaires  -  30678 caractères  -  32 lectures    Autres textes du même auteur

Un faux ami. Un faux témoignage. Et la vie de trois personnes est gâchée durant 20 ans. Mais il y a la vengeance, qui est la dernière volonté de celle qui n'est plus...


Je vais me marier


Je vais me marier. Je suis très, très heureux. Normalement, je devrais être très, très heureux. Point final. Pourtant il y a autre chose. Quoi ? Je n’en sais rien. Une sorte de crainte. Oui, c’est ça une sorte de crainte. Mais je n’en vois pas la raison. Je suis fol amoureux de Jeanne. Alors ? J’essaie d’analyser la petite réserve que je ressens. Mais non voyons !! Il n’y a pas de réserve. Il ne peut y avoir de réserve à un amour complet.


Pourtant, si, il y a un petit quelque chose. Quelque chose comme… oui, une sorte de… claustrophobie. Voilà. Je crois que c’est bien ça ! Une sorte de claustrophobie. Je vais m’enfermer dans le mariage. En me mariant, je vais planter plein d’interdits autour de moi. Les autres femmes, c’est fini. Les longues soirées dans les boîtes avec les copains, c’est fini. Les décisions de partir immédiatement, comme ça, sur un coup de tête, sur la côte ou ailleurs, c’est fini.


Tout cela n’est pas très important puisque j’aime passionnément Jeanne. Et ça, c’est merveilleux ; C’est vrai, c’est merveilleux. Mais quand même, de perdre toutes ces libertés, c’est dommage. Bof !! Tu as un petit coup de blues. Ce n’est pas grave. J’aimerais bien savoir si les futurs mariés ressentent comme moi, cette sorte de… recul. Non. De recul, c’est trop fort. Bien sûr, il n’est pas question de reculer. J’ai une petite crainte avant d’entrer dans une vie tout à fait nouvelle. Après tout, c’est bien normal. Un mauvais moment à passer, et une fois marié, je serai parfaitement heureux. J’ai eu une telle chance d’aimer et d’être aimé aussi fort.


Je déjeune chez les futurs beaux parents. Je crois qu’ils sont un peu vieux jeu. Remarque, cela ne manque pas de charme. J’ai acheté une chemise avec des poignets de manches spéciaux (des poignets de manches mousquetaires, je crois) pour mettre des boutons de manchette. C’est mon oncle qui m’a prêté ses boutons de manchette. C’est quand même un peu ridicule. Pourquoi pas une queue de pie et un chapeau haut de forme ? Je ris tout seul en m’imaginant ainsi affublé…


La glace me renvoie l’image d’un jeune garçon BCBG que je ne connais pas. Et une idée surgit soudain. Et, si Jeanne ne m’aimait plus en me voyant déguisé comme ça ? Mais non. C’est elle qui m’a demandé de mettre des boutons de manchette. Et puis, son amour ne tient pas à un détail vestimentaire. D’ailleurs mon amour non plus. Si je la voyais en robe avec une traîne de 5 mètres et un diadème dans les cheveux, je l’aimerais quand même. Ça, c’est sûr. Je l’aimerais quand même. Bien sûr, ce serait plus long pour la déshabiller… Oh, j’ai honte. J’ai honte de penser à « ces choses ». Ce n’est pas pour « ça » que je l’aime. Non. Ce n’est pas que pour cela. Hein ? Un peu quand même ? Bien sûr. Et c’est normal.


Quelle heure est-il ? Bigre ! Bientôt neuf heures. Il faut bien l’avouer, la cérémonie du mariage, c’est une sacrée corvée. Enfin… Pour moi. Je suppose qu’il y en a qui aiment ça. Pour en mettre plein la vue aux copains et copines. Si j’avais été libre (c’est bien ce que je disais tout à l’heure : je ne suis déjà plus libre) si j’étais libre, j’aurais mis ma femme et ma canne à pêche dans la voiture, et en route… Nous nous serions installés au bord du Lez. J’aurais mis ma canne à l’eau. Nous aurions fait l’amour. (Bien sûr, j’aurais apporté des couvertures pour avoir un minimum de confort, je ne suis pas un sauvage) Ensuite, côte à côte, une cigarette au bec, nous aurions, Jeanne et moi, regardé le bouchon de ma canne à pêche. J’aurais peut-être pris une petite friture (qu’en rentrant j’aurais donné aux voisins, on ne va pas s’embêter à faire de la friture un jour de mariage). Nous serions rentrés chez nous, pour faire encore un peu l’amour. Le lendemain, grasse matinée, et sans nous presser, nous serions partis sur la côte. Je ne sais pas, moi ! Disons, vers Carry le Rouet ou Sausset les Pins. Dans un chouette petit hôtel. Oui, bon, hé bien mon gars, c’est fini les rêves. C’est l’heure, il faut y aller.


Ces maudites chaussures me font mal aux pieds. J’aurais dû les mettre plusieurs jours avant pour les casser un peu. Bien sûr, ce n’est qu’une petite chose. Mais ça gâche. Oui, ça gâche. Et comme le dit Guy Roux : « Faut pas gâcher ». En revanche, j’ai bien réussi mon nœud de cravate. Oui, je suis content, il est chouette. Bon. J’y vais.


Quel monde !!! Pour 5 personnes du côté de Jeanne il n’y en qu’une de mon côté. Elle en a des amis !!!!! Ou plus exactement, ce sont les beaux parents qui ont « des obligations ». Moi, je n’ai plus que ma mère, et elle est Agent de Maîtrise à la Sécurité Sociale, ce n’est pas une V.I.P., Maman, mais quand même, c’est quelqu’un !!. Si j’étais sûr que Jeanne devienne une aussi bonne mère que la mienne. Mais qu'est-ce que je dis ? Bien sûr qu’elle le sera !! Mais pour ma mère c’est une certitude, pour Jeanne, c’est un espoir. Mais qu'est-ce que j’ai ? Je crois que je suis trop lucide. Et l’excès nuit en tout. Tu parles !!!Je vais philosopher le jour de mon mariage. Ça ne va pas la tête, dis, mon Pierrot ?



oooOOooo



Je viens de trouver ce vieux cahier, dans le tiroir d’une commode de mon ancienne maison. Ce vieux cahier sur lequel j’ai écrit ce qui précède, le soir de mes noces, pendant que Jeanne s’attardait dans la salle de bain. Et je n’ai jamais repris mon récit. Cela fait 23 ans. Oui. Il y a 23 ans, je me mariais avec Jeanne. Un mariage d’amour. En relisant ces quelques lignes, je suis un peu surpris. Le soir de mes noces, j’étais très amoureux, mais j’étais très lucide. Je savais que je perdais beaucoup de ma liberté, et confusément, ça me gênait. Comme j’avais raison !! Cette merveilleuse Jeanne s’est révélée être... Bon, laissons cela.


Mais quand même pendant trois ans, c’était bien... Nous sommes restés trois ans ensemble. C’est long trois ans. Et cela aurait pu durer plus longtemps, s’il n’y avait pas eu cette histoire idiote. Je n’étais responsable de rien. Mais Jeanne était devenue une furie…Alors, je suis parti en Afrique Noire. Au Gabon d’abord, où j’ai trimé dans une exploitation forestière. Ensuite, je suis entré dans une Société commerciale, dans laquelle, à force de travail je suis parvenu au rang de Directeur, à Abidjan.


Je suis un des rares Français qui soit resté 20 ans, sans revenir une seule fois en France. Lorsque je me suis trouvé à la tête d’un bon petit capital ; j’ai acheté (sur simples photos) une belle maison pour ma mère. Ma mère, qui elle, est venue plusieurs fois me voir en Afrique.


Ma mère est morte il y a 15 jours. Elle a été enterrée sans moi. Mais j’ai décidé de revenir définitivement en France, dans ma maison, que je ne connaissais pas encore ; dans le Nord du Vaucluse. Je ne me suis jamais remarié. Bien sûr, je n’ai jamais manqué de femmes. Sous l’influence conjointe de la chaleur et de l’oisiveté, les Européennes, en Afrique, ont une fringale d’amour, qui donne aux célibataires l’embarras du choix.


Comme le chantait Bécaud : « Et maintenant, que vais-je faire ? »


J’ai du pain sur la planche. Les aménagements sont vieillots. Je vais commencer par refaire la cuisine, puis je vais aménager une salle de bains moderne. Il faut aussi que je m’organise pour l’entretien de la maison. Trouver une femme à tout faire, qui fera le ménage, les courses et la cuisine. Pas facile à trouver. Je vais demander à l’épicière. Elle est âgée, mais justement, pour cela, elle m’a connu « avant »



oooOOooo



Voilà. C’est parti. La cuisine est en chantier. Pendant les travaux, j’irai prendre mes repas à La Truffe Noire à Grillon. Et j’attends la visite d’une jeune femme qui pourrait me servir de gouvernante. On sonne. La voilà.


- Bonjour. Madame ou Mademoiselle ?

- Madame, Monsieur.

- Bien. Vous êtes mariée. Avez-vous des enfants ?

- J’ai un fils de six ans

- Ah ? Alors je crains que l’on ne vous ait pas bien expliqué ce que je cherchais. Je suis seul, et je cherche une personne qui puisse entièrement s’occuper de ma maison. Ménage, courses, cuisine, linge… Alors, avec votre famille, je crains…

- Si, Monsieur, c’est bien ce que l’on m’avait dit. Je peux m’arranger.

- Alors c’est parfait. Je vous laisse visiter la maison, et vous me direz combien d’heures par jour vous pourrez me consacrer.


Il fut convenu qu’elle viendrait trois heures le matin et trois heures l’après-midi. Elle n’avait pas de problème de garde pour son fils, les beaux parents étant logés dans une maison mitoyenne. Nous nous sommes mis d’accord sur les conditions, et Nicole prit ses fonctions dès le lendemain. Il y a huit jours qu’elle travaille pour moi, et j’ai tout lieu de me féliciter d’avoir trouvé une perle. Elle fait son travail avec méthode et sans venir me déranger à tout bout de champ. Au début, elle m’a demandé mes goûts en matière culinaire, et elle se révèle un bon cordon bleu.


Il y a donc huit jours qu’elle travaille ici. J’ai entrepris d’écrire un bouquin sur la vie dans le haut Comtat durant la Révolution Française. J’étais en train d’étudier des documents fournis par l’archiviste départemental, quand, il y a une heure, elle est venue frapper à la porte de mon bureau.


- Puis je vous parler, monsieur ?

- Bien sûr. Je vous écoute. Asseyez-vous.

- Vous savez, Monsieur, que je m’appelle Nicole Charensol ?

- Heu… Oui, bien sûr… Mais…

- Ce nom de Charensol ne vous dit rien ?

- C'est-à-dire, que le nom de Charensol est très répandu dans la région. Ce nom devrait me dire quelque chose ?

- Monsieur…Le nom de jeune fille de votre femme.

- Ah oui. C’est exact. Mon ex-femme était née Charensol.

- Pas ex, Monsieur. Elle est toujours votre femme.

- Quoi ? Oui, enfin, si l’on veut. Nous nous sommes quittés il y a 20 ans. C’est vrai que théoriquement nous sommes encore mariés. Je n’ai pas jugé utile de faire les frais d’un divorce qui n’aurait rien changé. Mais… pourquoi me dites-vous cela ?

- Elle est très malade, Monsieur et elle veut vous voir.

- Me voir ? Mais…moi, je ne vois pas très bien…Où habite-t-elle ?

- À Richerenches, à 4 kilomètres. Elle a su que vous étiez revenu. Et quand elle a appris que je travaillais chez vous elle m’a appelée. Je suis allée la voir hier soir. Elle est vraiment très malade, et m’a demandé de vous dire qu’elle avait des choses très importantes à vous dire. Alors, voilà. J’ai écrit son adresse et son numéro de téléphone sur ce papier. Je crois que vous ne devriez pas trop tarder pour aller la voir…

- Merci, Nicole. Vous avez fait la commission, je vais réfléchir…Elle ne vous a rien dit d’autre ?

- Non, Monsieur. Rien. J’ai seulement senti que c’était important. Et pressé.


Voilà. J’ai beau réfléchir, faire des hypothèses sur la raison pour laquelle mon ex-femme veut absolument me voir, je ne vois rien qui tienne debout. Elle ne va pas me parler des motifs de notre séparation. Cela n’a plus aucune importance. Je ne crois pas qu’il s’agisse de problèmes matériels : elle avait une fortune personnelle bien supérieure à la mienne. Bien sûr, le plus simple est de lui téléphoner. Mais je n’en ai pas envie. Pas envie du tout. Quand on s’est quittés…


Je laisse passer trois jours avant d’aller voir Jeanne. J’ai passé un coup de fil, et c’est une infirmière- garde malade qui m’a répondu. Elle savait que je devais téléphoner et il a été décidé que je viendrai dans l’après-midi à 14 heures.


Jeanne habite dans une très belle villa. C’est l’infirmière qui est venue m’ouvrir et m’a guidé jusqu’à la chambre de Jeanne. Elle était couchée. Mon Dieu qu’elle a changé !! J’ai du mal à la reconnaître. Seuls les yeux d’un bleu profond ont gardé un peu de sa vivacité.


- Je suis heureuse de te voir. Mais tu as mis du temps pour venir… Enfin tu es là, et c’est ça l’important. Assieds-toi. Je n’ai plus beaucoup de force. Je te parlerai peu.


Elle laissa passer une bonne minute pour récupérer de l’effort qu’elle avait dû faire pour prononcer ces quelques mots, et aussi, je le pense, pour se remettre de l’émotion de me revoir après tant d’années.


- Pierre, j’ai pris la précaution de tout mettre par écrit. Je n’étais pas certaine de pouvoir attendre ta venue. Tu verras. Ce que je te demande risque de bouleverser tes plans. Mais j’aimerais vraiment beaucoup que tu fasses le nécessaire. Maintenant, si tu veux bien me laisser. Je vais m’économiser. Tu liras mon papier et demain, si je suis toujours là, tu viendras me donner ta réponse, à la même heure.


Après avoir déposé un baiser sur son front, et lui avoir promis de revenir le lendemain, je pris congé, remontait dans ma voiture et ce n’est qu’arrivé chez moi, dans ma maison de Grillon, qu’installé dans mon fauteuil, j’ouvris l’enveloppe remise pas Jeanne.


L’enveloppe contenait deux feuillets couverts d’une écriture tremblante, irrégulière, quelquefois difficile à déchiffrer.


Mon Pierre,

Tu comprendras plus tard ce possessif. J’étais follement heureuse de me marier avec toi. J’étais extrêmement jalouse, c’est vrai, mais c’est parce que je t’aimais trop. Nous étions mariés depuis trois ans quand ton ami Jean Galin est venu me voir. Il m’a dit : tu as vu dans le journal le crime qui a eu lieu à Valréas ?

Bien sûr, dans la région tout le monde était au courant et moi aussi évidemment. Hé bien m’a dit Jean, c’est ton mari l’assassin. Je croyais d’abord que Jean voulait faire une plaisanterie, d’un goût douteux d’ailleurs. Et il a fini par me dire : J’en ai la preuve absolue : je l’ai vu sortir de chez la victime, une jeune femme de 24 ans, Nicole, qu’il connaissait bien (très bien même, puisque, c’était sa maîtresse) juste à l’heure du crime.

Le nom de la victime, nous le connaissions en effet toi et moi, et tu faisais souvent des plaisanteries avec elle que je n’aimais pas. Alors, avec ce que me disait Jean sur tes rapports avec elle, le fait qu’à l’heure du crime tu n’avais pu me dire où tu étais et enfin, Jean t’ayant vu sortir de la maison de la victime juste à l’heure du crime, tout cela ne me laissait plus d’espoir. Tu étais l’assassin de ta maîtresse.

Jean m’avait dit : je peux sauver Pierre en ne disant rien. Mais, tu le sais sans doute, Jeanne, je t’aime depuis longtemps. Viens vivre avec moi.

J’étais malheureuse au-delà de toute expression. Je voulais tout à la fois me séparer de toi (tu m’avais sans doute trompée et tu étais un assassin) mais je ne voulais pas que tu sois inquiété par la police. Je t’ai alors dit que j’aimais Jean, ce qui était faux, que de ton côté, tu me trompais… J’ai été odieuse, je le reconnais, et sans même essayer de te justifier, tu es parti.

Je n’ai jamais su où tu étais. J’ai refusé d’aller vivre avec Jean, qui continuait à venir me voir, en espérant que mes sentiments à son égard changeraient.

Ils pouvaient d’autant moins changer que quelques jours après ton départ, je me suis aperçue que j’étais enceinte. Huit mois après ton départ naissait notre fils Xavier. Tu n’étais plus là… et puis, il faut bien le dire, je ne voulais pas qu’il porte le nom d’un assassin. Xavier porte donc mon nom et il est né de père inconnu.

Xavier avait deux ans quand le véritable assassin de la jeune Nicole a été arrêté. Tu n’étais pour rien dans ce meurtre et je me suis précipitée chez Jean pour l’injurier. Il m’a avoué m’avoir menti parce qu’il m’aimait et espérait que, toi parti, je serais heureuse de venir chez lui.

Cet homme est un monstre. Je ne sais quelle a été ta vie, mais il a gâché la mienne, et à cause de lui, je n’ai pu connaître une vie normale et heureuse avec un mari merveilleux, et un enfant. Pierre, j’aimerais que tu dises à Xavier qu’il a un père, et j’aimerais que tu nous venges.

Notre fils est à Valence rue Madier de Monjaud. Va voir mon fils, notre fils. Je crois que Jean, lui, est toujours à Valréas.

Depuis que tu es revenu, je rêve de pouvoir t’expliquer tout ce qui s’était passé il y a 20 ans. Et puis, je suis tombée gravement malade, et j’ai pris la décision de ne pas prévenir Xavier que mes jours sont comptés, avant de t’avoir vu et d’avoir recueilli ton pardon pour t’avoir cru coupable de cet atroce assassinat.

Tu sais tout. Je te le demande : venge-nous. Je suis épuisée. Si je ne te revois pas, Adieu.


Le lendemain, lorsque je suis retourné chez Jeanne, elle était morte dans la nuit. Je pris aussitôt ma voiture pour me rendre à Valence chez mon fils. Mon fils. Quand je pensais à mon fils, moi qui me considérais comme célibataire et sans famille, cela me faisait une curieuse impression d’irréalité.


Les 80 kilomètres, dont une grande partie par l’autoroute, à partir de Montélimar, furent vite couverts, et j’arrivais chez mon fils vers 15 heures 30. C’était un samedi. Il était chez lui. Lorsqu’il vint m’ouvrir, je ne pouvais plus avoir aucun doute. Je crus me revoir jeune homme. Très poliment il me demanda ce que je désirais, et je lui ai répondu que j’avais beaucoup de choses à lui dire… qui ne pouvaient être dites sur le pas d’une porte. Il était intrigué, mais il me fit entrer.


Je commençais aussitôt mes explications :


- Je vous apporte beaucoup de nouvelles. Je vais commencer par la plus triste. J’ai vu hier votre Maman à Richerenches. Nous avons parlé, pas très longtemps parce qu’elle était très très fatiguée. Votre maman, je ne sais pas si elle vous l’avait dit, était très malade. Je suis désolé, elle est décédée cette nuit.


Xavier cria :


- Non, oh non.


Puis il se mit à pleurer. Je vins près de lui et le serrai dans mes bras.


- Je comprends votre immense grand chagrin. Par un concours de circonstances que je vais vous raconter, elle n’a pas eu la vie heureuse à laquelle elle avait droit et cela à cause d’une infâme fripouille, dont vous et moi, nous la vengerons. Moi aussi, Xavier j’ai été malheureux à cause de cet homme. Il a fait croire à votre mère que j’étais un assassin, et que je l’avais trompée... Ce qui était faux, archi faux. Je n’étais pas un assassin, je lui étais fidèle, mais je suis… votre père, ton père.


Xavier qui pleurait les deux mains devant la figure, releva la tête.


- Que dites-vous ?

- Je dis que je suis ton père. Je ne savais pas que ta maman était enceinte quand on a fait croire à ta mère, que j’étais un assassin... Elle a cru également que je l’avais trompée avec la victime. J’étais follement malheureux. Je suis parti. C’est hier, seulement que j’ai tout appris. Le nom de celui qui m’avait lâchement accusé et l’existence d’un fils à moi.

- Viens. Asseyons-nous sur ce canapé.


Assis l’un contre l’autre, Xavier posa sa tête sur mon épaule.


- Maman m’a parlé souvent de vous… de toi... Surtout depuis qu’elle a su que les accusations portées contre vous… contre toi… étaient fausses. Et mon rêve était de te retrouver.


Il se remit à pleurer :


- Mais dans mon rêve, nous étions tous les trois, Maman toi et moi…

- Xavier, prépare quelques affaires. Tu vas venir chez moi, nous irons revoir ta maman avant la mise en bière et nous prendrons les dispositions qui s’imposent.


Deux heures plus tard, nous étions à Richerenches et je fis les démarches nécessaires pour l’enterrement. Xavier est resté trois jours chez moi, jusqu’à l’enterrement de Jeanne. Nous avons appris à nous connaître. Nous avions vingt ans à rattraper. J’étais fier d’avoir un fils, aussi attachant. Mais il devait repartir à Valence pour poursuivre ses cours. La première demande de Jeanne était satisfaite. Il me restait à régler mes comptes avec Jean. J’étais bien résolu à me venger, à venger Jeanne.


Je fis d’abord une enquête à son sujet. Il n’était plus à Valréas. Il était à Orange, toujours célibataire, et il n’avait sans doute pas eu connaissance du décès de Jeanne, car il n’était pas à son enterrement. Je n’eus aucune difficulté à trouver son domicile à Orange. Une très jolie villa dans la périphérie. Jean avait acheté un portefeuille d’assurances, et semblait avoir une vie aisée.


Je vins le voir dans son agence. Il ne mit pas plus de trois ou quatre secondes pour me reconnaître.


-Toi, c’est bien toi dit il avec un grand sourire, comme si ma vue le remplissait de joie. Je me demandais vraiment ce que tu avais pu devenir. Cela fait combien ? Au moins 15 ans, peut-être plus, que nous ne nous sommes pas vus !

- Oui. Cela doit faire 20 ans.

- 20 ans !! Tu dois en avoir des choses à me raconter !

- Oh, pas plus que toi sans doute. Il n’y a pas de raison !

- Moi, je suis toujours resté dans la région. Mais toi, je suppose que tu as dû voyager ?

- Pas tellement, pas tellement. Tiens, en parlant de voyage, sais-tu que Jeanne est partie pour le grand voyage dont on ne revient pas ?

- Quoi ? Que veux-tu dire ? Jeanne serait… morte ?

- Tu ne le savais pas ?

- Non. Cela fait un an que je ne l’ai pas revue. Cela me fait beaucoup de peine…et je pense que tu dois être très triste aussi. As-tu eu l’occasion de la revoir vivante.

- Oui. Mais elle était très mal. Elle avait du mal à parler.


Jean n’a pas osé me questionner plus avant, mais j’ai senti, évidemment, qu’il était extrêmement gêné. Il a fini par me dire :


- Je suppose qu’elle a pu te dire... qu’elle avait un fils.

- C’est vrai. J’ai eu pas mal de surprises. Maintenant, excuse-moi, je ne peux m’attarder. J’ai été heureux de constater que tu as eu beaucoup de chance dans la vie. Tu es bien installé, tu sembles en pleine forme. Il faut que tu en profites !

- Il faut que j’en profite ? Que veux-tu dire par là ?

- Rien de spécial. Tu me sembles bien nerveux ! Il faut profiter chaque jour de ce que la vie donne, car elle peut subitement te l’enlever.

- Je ne t’avais pas connu aussi philosophe… ou sibyllin.

- Bof ! Allez ! Je te laisse.


J’avais la certitude qu’il ne dormirait pas bien cette nuit… et sans doute les nuits suivantes. Mon but unique était désormais ma vengeance. Je ne voulais pas faire n’importe quoi. Je prendrai le temps qu’il faudra, mais Jean souffrira pour les trois vies qu’il a en grande partie démolies. Un enfant qui a cru ne pas avoir de père jusqu’à l’âge de 20 ans, Jeanne qui a cru avoir aimé un homme, qui l’avait trompée et qui de surcroît était un assassin, et moi,enfin, dont l’amour avait été brisé et qui suis resté 20 ans en exil.


Il était important de restaurer de bons rapports avec Jean, et je regrettais lors de notre dernière entrevue de lui avoir laissé penser que je savais certaines choses. Il fallait qu’il pense que je n’avais aucun soupçon à son égard. Je pris mes contrats d’assurance en cours, et après avoir pris rendez-vous avec Jean, je vins à son agence.


- Dis donc, mon vieux Jean, je ne sais pas grand-chose dans le domaine des assurances. Peux-tu regarder mes contrats et me faire des propositions pour que je place tous mes contrats chez toi.

- Fais-moi confiance. Je t’étudie ça rapidement et je te fais des propositions dans deux ou trois jours.


Jean semblait très soulagé de me voir lui faire confiance. Mes anciens contrats étant résiliés, je concentrai toutes mes polices chez Jean. Je pris l’habitude de passer souvent à l’agence pour discuter avec Jean et avec sa jeune secrétaire. J’attendais patiemment qu’au cours d’une visite, je me retrouve seul avec la secrétaire, Roxane. Ce qui finit par arriver. Après avoir discuté de choses et d’autres, je demandai à Roxane :


- Vous savez, Roxane, j’ai un peu honte de mon ignorance totale en matière d’assurances. Je crois que le mieux serait pour moi, que j’étudie les contrats et particulièrement tout ce qui est écrit en petit et que les assurés redoutent puisque ce sont ces petites clauses qui permettent aux assureurs de refuser leur garantie ; pourriez-vous me donner, Roxane, des documents (en blanc évidemment) qui vous servent pour établir les contrats : Conditions générales, Conditions particulières, Proposition, etc.


Roxane bien sûr ne fit aucune objection, et je repartis avec une liasse de documents. J’avais, sur mes contrats d’assurance, la signature de Jean. Je passais des heures à essayer d’imiter sa signature. Ce ne fut pas pour moi un travail fastidieux. Je retirais même de cet exercice un plaisir… un peu malsain, j’en conviens.


Lorsque je fus pleinement satisfait de mon imitation de signature, je me rendis à Valréas ou je fis l’acquisition d’une Mercedes d’occasion. Le lendemain, à l’agence de Jean, j’indiquai à Roxane mon intention d’acheter une Mercedes et lui demandai de me faire une offre d’assurance, garantie par garantie pour que je puisse prendre ma décision sur l’achat du véhicule et choisir mes garanties.. Elle me fournit les précisions demandées.


Pour que mon plan puisse se réaliser, il y avait un dernier renseignement qui m’était nécessaire. Il me fallait connaître le nom de la banque et le numéro du compte personnel de Jean. J’attendais l’occasion. Je n’étais pas pressé. Je ressentais même dans cette attente une jouissance par avance du bon coup que j’allais lui jouer.


Quelques jours plus tard, la chance me favorisait. Je discutais avec Jean. Il était devant son bureau, et son chéquier, dont il venait de se servir pour régler devant moi la note d’électricité de sa villa, était à portée de ma main.


- Mais dis donc, il y a de chouettes photos sur ton carnet de chèques, tu permets ?


Je pris son carnet et le feuilletais, m’extasiant sur la beauté des diverses photos. En fait, je mémorisai le numéro de son compte. Désormais j’étais prêt.


Le lendemain, utilisant les polices vierges que m’avait données Roxane, j’établis un contrat à mon nom pour la Mercedes. Je m’octroyai le maximum de garanties, puis je passai à la phase délicate de l’imitation de la signature de Jean. J’étais, je l’avoue, assez satisfait de mon travail. Je peux dire même, très satisfait. Les signatures sur mon vrai contrat et mon faux étaient identiques.


Je fis ensuite un chèque du montant de la prime pour ma Mercedes, l’endossai en imitant encore la signature de Jean, et notai, au dos du chèque le numéro du compte de Jean auquel il était destiné.


Après avoir envoyé mon chèque à la banque de Jean, je décidai d’attendre cinq jours. Pendant ces cinq jours, je courais un risque. Jean pouvait s’apercevoir qu’il avait été crédité d’une somme qui ne lui était pas due, mais je jugeai que le risque n’était pas grand qu’il s’en aperçoive, et encore moins qu’il réagisse tout de suite.


Le cinquième jour, je pris la Mercedes et me rendis à Orange. En repérant le long d’un trottoir plusieurs voitures d’une assez grande classe, je donnai un brusque coup de volant, et j’eus le bonheur d’endommager 6 voitures…


Bien entendu attroupement, excuses de ma part, je donnai ma carte de visite aux propriétaires lésés en notant chaque fois l’adresse de mon assureur, puis, à pied (ma pauvre Mercedes ne pouvait plus rouler) je me rendis à l’agence de Jean. Il était là.


- J’ai une mauvaise nouvelle. Je viens d’avoir un sale accident avec ma Mercedes.

- Tu as une Mercedes ? Mais elle n’est pas assurée chez moi.

- J’espère que tu plaisantes. Ce n’est pourtant pas le jour ! Bien sûr, je suis assuré chez toi. Voilà mon attestation d’assurances… tiens, j’ai même mon contrat.


Jean, un peu affolé, appela Roxane :


- Nous assurons une Mercedes pour Pierre ?

- Je ne crois pas Monsieur, je vais voir.


Pendant que Roxane faisait ses recherches, Jean et moi n’avons pas échangé un mot. Il sentait certainement qu’il y avait quelque chose d’anormal. Il n’était pas tranquille. C’était le début de ma vengeance. Lorsqu’elle revint pour dire qu’il n’y avait aucun contrat à mon nom pour une Mercedes, je fis mine d’entrer dans une violente colère.


- Alors tu es comme les autres. Tu as bien encaissé ma prime et maintenant que j’ai un sinistre, tu ne veux pas payer. Mais je ne me laisserai pas faire.

- Mais enfin Pierre, non seulement il n’y a pas de contrat, mais je n’ai encaissé aucune prime. Vous avez bien vérifié Roxane ?

- Oui, Monsieur. Il n’y a aucune prime.

- Ah bon ! Il n’y a aucune prime, et pourtant tu l’as encaissé mon chèque. J’en suis débité.

- Mais c’est une histoire de fou ! Je n’ai encaissé aucun chèque de toi.


Je me levai alors, feignant une grande fureur.


- Cela ne se passera pas comme ça ! Tu auras de mes nouvelles.


Je pus avoir très rapidement la preuve que mon chèque avait été encaissé et versé sur le compte personnel de Jean.


Je fis aussitôt une lettre circonstanciée au Siège de la Compagnie de Jean, suggérant que leur Agent établissait des contrats et mettait le montant des primes sur son compte personnel.


Un Inspecteur vint faire une enquête. Là, je dois dire que j’ai eu de la chance. Le siège de l’Inspecteur était fait, avant même son arrivée à l’agence. En effet trois ans plus tôt, il avait dû régler un sinistre dont il était certain, sans pouvoir le prouver qu’il s’agissait d’un faux sinistre. Avec le dossier en béton que je lui apportais, il n’hésita pas une seconde. Son enquête brève, sa conclusion sans appel.


Jean fut révoqué. Et comme j’avais déposé une plainte contre lui (la Compagnie avait essayé, en vain, de m’en dissuader, car sur le plan commercial, il n’est jamais bon de voir un ancien agent traduit devant les tribunaux) il fut condamné à une peine de prison avec sursis, une lourde amende et il dut payer tous les dégâts que j’avais occasionnés aux 6 véhicules... plus au mien, car j’avais bien entendu une assurance tous risques.


Le lendemain du verdict, Jean vint chez moi. Comme je me méfiais du bonhomme qui pouvait très bien avoir prévu d’enregistrer notre conversation, je m’en tins mordicus à ma thèse. C’est lui personnellement qui m’avait assuré. Je lui avais remis un chèque et son attitude était inqualifiable. Il finissait par se demander s’il ne devenait pas fou.


Révoqué par sa Compagnie, tenu de verser, outre une lourde amende, des dommages intérêts aux victimes, Jean a dû vendre sa villa. Par ailleurs, avec son casier judiciaire chargé, il resta longtemps au chômage. Il loge actuellement dans une petite pièce à Orange et possède le statut peu enviable d’Érémiste.


Je ne suis pas une brute, et durant toutes ces dernières semaines, je ne cache pas que je me suis posé des questions. Avais-je le droit de m’ériger en justicier ?


Mais, vingt ans sans mon fils. Vingt ans sans la femme que j’aimais et qui m’aimait…


Ce matin je suis allé au cimetière. Je suis resté une heure sur la tombe de Jeanne. Je lui ai tout raconté, et je sais qu’elle m’a approuvé, parce que, lorsque je suis sorti du cimetière, je me sentais heureux, soulagé.


Maintenant que je sens l’approbation de Jeanne, tout va bien. J’ai l’âme en paix. Je vais pouvoir m’occuper de mon fils. J’ai bien l’intention de lui faire oublier ces trop longues années où il n’a pas eu de père.



 
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   Lya   
6/7/2007
Une histoire toute simple... qui se termine en vengeance. J'adore.
Ce n'est pas forcément original, mais il est vraiment plaisant de suivre la vie de cet homme auquel on s'attache facilement. Je n'ai pas tout a fait compris l'histoire des assurance et tout ça ( non pas que ce soit mal expliqué.. mais j'ai pas chercher a fond toute les explications du pourquoi et du comment ^^)
L'écriture est simple, clair et la lecture glisse comme une plume sur du papier !

   monlokiana   
1/8/2011
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une fluidité dans l’écriture…Une simplicité dans les mots…
C’est un récit qui m’a tenu, même si je connaissais la tournure de certains événements (La mort de Jeanne par exemple)
D’autres tournures, je les ai trouvées pas trop crédibles : le fils qui rencontre son père après 20 ans d’absence, et par-dessus tout qui lui annonce la mort de sa mère. Je trouve le rapprochement père/fils trop mais trop rapide. Xavier ne se met pas en colère, son père lui raconte tout, il y croit aussitôt et saute dans ses bras. Un homme frappe à la porte, toc toc, je viens t’annoncer que ta mère est morte et que je suis ton père et oop, il y croit. Ce dialogue est mal amené et pas très convaincant.
Pas plus convainquant que Jeanne avec sa lettre et l’histoire de Jean. Personnellement, je ne crois pas qu’on puisse aimer et être aussi crédule. La première personne qui vient dire des choses sur l’être aimé et ooop on y croit, on fout tout en l’air, une vie gâchée, et une vengeance au nom de quoi ? Au nom d’une séparation mari/femme ou père/fils ? Au nom de la stupidité et de légèreté d’un amour qui se disait fort, puissant ? Et d’ailleurs, je la trouve trop molle cette vengeance. Moi je m’attendais à une balle dans la tête.
Toutefois, j’ai aimé sentir les émotions de Pierre, la profondeur de son caractère, sa personnalité et ses sentiments. On se l’imagine facilement. Je ne sais pas pourquoi Xavier est resté en dehors de la vengeance ? Pourquoi Pierre a lui seul s’est-il occupé de venger Jeanne ?
Bref, pour la suite de l’histoire, je n’ai pas trop bien compris l’histoire de l’assurance. C’était ennuyeux.
Bref, une histoire comme les autres (pas trop d’originalité, chose pas facile)


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