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Sentimental/Romanesque
aristee : La maison qui appelle son enfant
 Publié le 05/08/07  -  1 commentaire  -  41237 caractères  -  12 lectures    Autres textes du même auteur

Seule au monde, elle vient d'apprendre qui est son père. Elle va le voir, mais il ne veut pas la reconnaître. Il la chasse. Elle erre dans la campagne, quand elle se trouve devant une maison qui semble l'appeler...


La maison qui appelle son enfant


S’il avait su...


En attendant, il sue… sang et eau, sous le soleil de juillet qui en est à son zénith.


Avec Charles, c’est toujours la même chose. C’est toujours la même chose, il le sait bien, Pierre. Alors, pourquoi, toujours, toujours, se fait-il avoir ?


Il faut dire qu’avec ses beaux yeux bleus, contenant toute la gentillesse, toute la franchise du monde, Charles pouvait obtenir n’importe quoi de n’importe qui. Mais lui, Pierre qui le connaissait depuis qu’ils étaient au monde, ne devrait pas se laisser faire. Ils étaient cousins germains et avaient 15 jours de différence. Cela faisait 20 ans que Charles manipulait Pierre, en toute… inconscience.


Hier soir, il lui avait téléphoné pour lui dire : Viens vite, J’ai un truc sensas. Et il était allé chez Charles.


- Tu sais mon Pierrot, on vient de me proposer une affaire fumante où nous avons beaucoup à gagner tous les deux.

- Oh, tes affaires fumantes, je les connais. Et si je suis dans le coup, je vais me faire rouler. C’est certain...

- Non, écoute. Tu connais Monsieur Vidal ?

- Oui et alors ?

- Tu as confiance en lui ?

- En lui ? Oui bien sûr !


Il faut vous dire que Monsieur Vidal, un vieil ami de leurs pères (le père de Charles et celui de Pierre étaient frères jumeaux) est pharmacien et maire d’un petit village. Il est considéré comme le Sage du canton que l’on va voir dès qu’il y a un problème quelconque, qu’il s’agisse de problèmes entre voisins mais également de problèmes purement familiaux.


S’il y avait un homme en qui on pouvait avoir confiance, c’était MONSIEUR Vidal.


- Bon, alors qu’est-ce qu’il t’a dit Monsieur Vidal ?

- Il m’a dit :


«Tu connais "La Mansarde" ?

- Bien sûr !

- Hé bien, j’ai une affaire intéressante pour toi et ton cousin. Tu sais que « La Mansarde «est une maison complètement isolée et qui n’a pas été habitée depuis de très nombreuses années. Le jardin est à nettoyer, la maison doit avoir besoin de petites réparations et surtout d’être nettoyée aussi. La propriétaire offre à deux hommes qui voudraient faire le travail, une somme de 1200 euros chacun. J’ai pensé ; puisque Pierre et toi, vous êtes en vacances, que ce serait formidable pour vous de vous faire de l’argent de poche. Qu’en penses-tu. ? »


- Tu penses, mon Pierrot, si j’ai tout de suite dit oui. Tu te rends compte ? 1200 euros chacun, pour arracher 3 brins d’herbe et passer un coup de balai dans la maison.


Pierre avait bien essayé de dire qu’il vaudrait mieux avant de donner une réponse définitive, aller voir sur place l’importance des travaux, mais Charles avec ses grands yeux bleus rieurs lui avait dit.


- Mais enfin, on ne risque rien ! 1200 euros chacun, tu te rends compte ! Et puis d’abord, c’est fait, j’ai donné notre accord définitif. Tu commences demain.

- Comment ça, JE commence demain ?

- Oui, moi, il faut que j’aille absolument à Grignan pour aller faire visiter le château de Madame de Sévigné à des parisiens. C’est une corvée, mais je ne peux pas y couper.

- Bon. Hé bien nous commencerons ensemble après demain.

- C’est à dire que non. Il faut commencer tout de suite. J’ai promis que tout serait fini le 24 Juillet, jour d’arrivée des propriétaires.

- Mais cela ne nous laisse que 18 jours

- C’est bien pour cela qu’il faut commencer tout de suite

- Tu as un sacré culot


Mais bien sûr, Pierre était venu dès 7 heures à La Mansarde. Monsieur Vidal lui avait donné la clé du portail et le trousseau des clés de maison.


Dès le portail franchi, Pierre avait su que le seul travail dans le « jardin » (en fait un terrain de 5000 mètres carrés) allait les occuper de nombreux jours. D’énormes touffes de buissons rendaient impénétrable le parc, le tennis était en piteux état, avec son grillage effondré en plusieurs endroits, le sol en ciment était craquelé et dans les interstices des herbes avaient poussé, aggravant les fissures. Quant au jardin qui fut sans doute d’agrément, il était envahi par une foule d’herbes variées.


Pierre faillit repartir, refermer le portail et aller rendre la clé à Monsieur Vidal... Mais il eut la curiosité d’aller voir si la maison était dans un état aussi déplorable.


La porte d’entrée s’ouvrit facilement et Pierre entra dans le monde des araignées. Il ressortit pour aller chercher un bâton et à l’aide de ce dernier, il se fraya un chemin à travers les toiles d’araignée. L’électricité, curieusement, n’avait pas été coupée et il suffit qu’il ouvre le compteur pour avoir de la lumière. Pierre trouva le compteur d’eau qui, une fois ouvert, révéla de nombreuses fuites tant dans la cuisine que dans les deux salles d’eau.


Les réparations étaient considérables dans le domaine de la plomberie. Par bonheur, la maison était saine et les murs et tapisseries ne semblaient ne pas avoir trop souffert de cette longue inoccupation.


Pierre reprit sa bicyclette et alla à la mairie voir Monsieur Vidal pour lui faire un compte rendu de l’état des lieux.


- Bien, mon garçon. Je vais transmettre ces renseignements aux propriétaires. Je vais prendre sur moi de convoquer un plombier pour ne pas perdre de temps. Ton cousin et toi, occupez-vous des nettoyages dehors et dans la maison. Ne touchez pas au tennis. Les propriétaires se débrouilleront plus tard. Va, et ne perds pas de temps.


C’est ainsi que sous un soleil implacable, Pierre, torse nu, maniait la débroussailleuse depuis plus de 3 heures.


Il avait prévu de manger sur place. Dès son arrivée, il avait repéré un endroit charmant. Un petit ruisseau traversait la propriété. Autour d’un immense chêne le ruisseau faisait une boucle et il y avait mis sa bouteille de coca cola à rafraîchir.


Son repas achevé, il fut bien difficile à Pierre de sortir de l’ombre bienfaisante du grand chêne pour se replonger dans la fournaise et faucher à petits pas, les buissons avec sa débroussailleuse. De temps en temps, il s’arrêtait pour s’éponger et en profitait pour hurler « Ah le salaud !!! » en pensant à Charles. Cela lui faisait du bien.


Le soir, bien qu’épuisé, il eut la force d’aller voir son cousin pour lui dire ce qu’il pensait de son heureuse initiative d’avoir accepté un tel travail… et de le laisser le faire seul.


- Mais j’irai avec toi demain, ne t’en fais pas. À nous deux, tu verras, ça ira vite.


Il faut avouer que le lendemain, la température était plus supportable, et que les deux cousins avancèrent bien le travail.



Ils travaillèrent tous les jours, y compris le dimanche, et après 10 jours d’un travail harassant, les 5000 mètres carré de terrain étaient correctement nettoyés, à l’exception du tennis qui paraissait d’autant plus, dans un état désastreux, que les alentours étaient propres.


Ils prirent une journée de repos avant d’attaquer la maison.


Pour se rendre compte de tous les travaux qui restaient, ils firent le tour de la maison.


Le plombier avec son ouvrier avait bien avancé leur travail de réparation des conduites et le chauffe-eau avait été changé. Les deux cousins décidèrent donc de commencer par la petite dépendance à une vingtaine de mètres de la maison. Cette dépendance avait été aménagée par les propriétaires comme une petite unité de logement avec une chambre, une salle de séjour, une salle d’eau et une cuisine.


Ils venaient de pénétrer dans cette dépendance lorsqu’ils entendirent des gémissements.


Figés sur le pas de porte, Pierre et Charles hésitèrent deux ou trois secondes, puis Pierre dit :


- Cela vient de là. Et il désignait la porte à droite et au fond de l’entrée.

- Attends ! dit Charles qui puérilement se saisit comme arme, d’un vieux grand parapluie, à côté de la porte d’entrée.


Ils se dirigèrent vers la porte de la pièce d’où les gémissements continuaient à se faire entendre.


Pierre, sur ses gardes, ouvrit lentement la porte et d’un coup d’œil embrassa la scène.


C’était une chambre qui contrairement à la maison principale, était relativement propre. Et sur le lit, une femme à plat ventre, la tête dans son bras replié, gémissait faiblement.


Charles appela.


- Madame ?


Les gémissements cessèrent, puis les cousins virent une tête se lever lentement. Un visage mouillé de pleurs et en partie caché par de longs cheveux blonds apparut. Le regard était vide et lorsque Charles, bêtement demanda :


- Ça va ?


La tête retomba sur le lit. Pierre et Charles se regardèrent, puis vinrent vers le lit pour redresser la femme qui, inerte, se laissa mettre en position assise.


- Vous êtes blessée ? demanda Pierre qui aussitôt se rendit compte que sa question était, elle aussi, idiote : Une tache de sang s’étendait sur le couvre lit.


La femme était sans doute très jeune et avait recommencé à gémir.


- Madame, Madame, dites-nous où vous êtes blessée. Nous sommes là, vous êtes sauvée.


Pour la première fois l’inconnue eut dans le regard un éclair de lucidité.


- Jambe murmura-t-elle, et les deux cousins virent en effet que le mollet droit était couvert de sang.

- Cherche dans l’armoire s’il y a des serviettes. Moi je vais chercher de l’eau dit Pierre, en revenant dans l’entrée pour chercher la salle d’eau...


Fort heureusement, les plombiers avaient branché l’eau et, après l’avoir laissée couler un moment, il remplit une cuvette. En fouillant dans une petite armoire à pharmacie, il trouva du coton hydrophile, des bandes de gaze et une petite bouteille d’alcool à 90°.


Il revint rapidement dans la chambre avec tout son nécessaire. Charles, moins heureux que lui, continuait à fouiller mais n’avait trouvé que des vêtements.


- J’ai ce qu’il faut. Viens !


Doucement avec du coton mouillé, Pierre nettoya la plaie. Elle semblait assez profonde et s’étendait sur une bonne dizaine de centimètres.


- Il faut que je désinfecte la plaie, Madame, je vais être obligé de vous faire mal.


L’inconnue semblait avoir pleinement repris conscience et de la tête elle fit oui.


Lorsque Pierre posa sur la plaie, un coton imbibé d’alcool à 90°, elle hurla de douleur, ce qui prouvait qu’elle reprenait un peu de force. Pierre continua à nettoyer la plaie qui ne semblait pas s’être infectée. Il demanda à Charles d’aller chercher une nouvelle cuvette d’eau propre et de ramener si possible des serviettes et un gant de toilette pour passer sur le visage de la jeune femme.


Un quart d’heure plus tard, Pierre avait fait un pansement, et Charles avait passé un gant de toilette mouillé sur la figure de l’inconnue.


Incontestablement, elle était beaucoup plus calme et Charles lui dit de s’allonger et de se reposer.


- Moi je m’appelle Charles, lui c’est mon cousin Pierre. Comment vous appelez-vous ?

- Brigitte.

- Bon. Hé bien Brigitte, vous êtes sauvée, il faudrait que vous vous reposiez.


Puis s’adressant à Pierre, il ajouta :


- Nous allons prévenir monsieur Vidal.


Brigitte s’exclama alors :


- Non, non, non, pas monsieur Vidal !!

- Mais enfin, pourquoi ?

- Non, non, non, pas monsieur Vidal !!

- Vous connaissez donc monsieur Vidal ?


Elle fit oui de la tête et répéta :


- Pas monsieur Vidal.

- Bon, bon, d’accord. Vous voulez qu’on prévienne quelqu’un d’autre ?


Là encore, Brigitte fit non de la tête et fermant les yeux, elle murmura :


- Demain, je dirai…


Pierre et Charles discutèrent un moment pour savoir s’ils devaient faire leur devoir en prévenant les autorités et un médecin, ou si sans inconvénient majeur, ils pouvaient attendre le lendemain que Brigitte puisse s’expliquer. Ils décidèrent d’attendre pour le moment


Sur la table de nuit ils mirent un verre d’eau et Pierre qui était allé chercher du fromage et des fruits qui avaient été prévus pour leur repas, mit également ces quelques aliments à portée de main de la blessée.


Ensuite, il fallut bien reprendre leur travail de nettoyage. Le plombier et son aide avaient terminé le leur et ils étaient repartis. Les deux cousins commencèrent par nettoyer la salle de bain de la grande maison et branchèrent le chauffe-eau. Ainsi, si Brigitte voulait prendre un bain ou une douche, elle pourrait le faire dans la grande maison. Ils travaillèrent d’arrache pied jusqu’à 18 heures, et bien entendu, avant de repartir, ils allèrent voir Brigitte.


Elle était réveillée, mais semblait très lasse. Le verre d’eau était vide et elle avait mangé un fruit.


- Bon, Brigitte, nous voyons que vous allez mieux. Il faut que vous vous reposiez c’est tout. Nous vous laissons la clé de la grande maison. Si vous voulez aller prendre une douche, nous avons branché l’eau chaude. Ne faites pas d’imprudence. Nous serons là demain matin de bonne heure. Nous ne parlerons de vous à personne, soyez tranquille. Dormez bien. Demain vous nous raconterez et nous déciderons ensemble de ce que nous devons faire.


Elle eut son premier sourire en disant « merci » puis s’endormit presque aussitôt.



Le lendemain, à 6 heures et demie, Pierre et Charles arrivaient à la Mansarde. Ils avaient chacun une musette remplie de nourritures diverses. Il était certain que Brigitte ne risquait pas de mourir de faim.


Ils allèrent immédiatement au petit pavillon. Il n’y avait personne.


Un peu inquiets, ils allèrent dans la grande maison. La porte était ouverte et ils entendirent couler l’eau de la douche, ce qui les rassura immédiatement.


À travers la porte de la salle de bain, Pierre cria.


- Bonjour, Brigitte, nous sommes arrivés. Comment allez-vous ?

- Mieux merci, à tout à l’heure !


Les deux cousins se remirent à leurs travaux de nettoyage. Ils finissaient la quatrième et dernière chambre, lorsqu’ils virent arriver Brigitte.


Elle avait trouvé un peignoir de bain blanc, dont la ceinture serrée, faisait ressortir sa taille fine. C’est d’ailleurs à ce moment-là que Pierre et Charles se rendirent compte de la beauté de leur petite blessée. Ses traits fins, ses longs cheveux blonds encore mouillés descendaient bien au-dessous des épaules. Elle était admirablement proportionnée et les deux cousins se sentirent gênés devant tant de beauté. Jusqu’à cet instant, elle avait été une blessée, en large état d’infériorité vis-à-vis d’eux et là, ce sont eux qui se sentaient intimidés devant elle.


Pourtant, elle n’était pas encore dans une forme olympique. Elle marchait lentement et souffrait manifestement de sa blessure.


- Brigitte, retournez dans votre chambre. Nous allons voir où en est votre blessure et nous parlerons un peu.


Docilement, elle se dirigea vers le petit pavillon où les deux cousins vinrent la rejoindre quelques minutes plus tard.


Pierre défit le pansement qui avait été mouillé par la douche. La plaie n’était pas vilaine du tout et l’infirmier improvisé qui avait apporté le nécessaire, mit sur la plaie du mercurochrome, une compresse de gaze, puis une large bande Velpeau.


- Bon, de ce côté-là, je crois qu’il n’y a pas de risque. Maintenant voulez-vous nous expliquer ce qui vous est arrivé ?

- Je veux bien. Je m’appelle Brigitte Martin. J’habite à Grillon dans le canton de Valréas, dans le Vaucluse.

- Nous connaissons, interrompit Charles. Les deux dernières années nous sommes allés à la fête votive de Grillon qui se déroule le premier dimanche de septembre.

- On s’en fout, l’interrompit à son tour Pierre. Laisse-la parler !


Elle reprit


- Quand je dis que j’habite à Grillon, je devrais dire «j’habitais » car j’en suis partie.

Je vivais avec ma nourrice... Ma nourrice est morte et nous l’avons enterrée Lundi matin.


Incorrigible bavard, Charles l’interrompit à nouveau.


- Nous sommes jeudi, donc il s’est écoulé deux jours entre l’enterrement de votre nourrice et le moment où nous vous avons trouvée.

- Mais enfin, laisse-la parler, tonna Pierre !

- Aussitôt après l’enterrement, je suis revenue à la maison, puis subitement, j’ai décidé que je devais partir. Je me retrouvais seule au monde et juste avant de mourir, ma nourrice m’avait parlé. J’ai toujours su que je n’étais pas sa fille, mais elle n’avait rien voulu me dire sur ma naissance. Peu avant de mourir, elle me parla :


« Ma chérie, un jour un monsieur est venu ici. Il avait un bébé de quelques jours dans les bras. Il m’a demandé si je pouvais le prendre en nourrice pendant un an. Il m’offrait une somme assez importante pour les frais et j’ai accepté. C’était toi.

Je m’étais bien entendu très attachée à toi et lorsque l’année s’est écoulée, j’avais peur chaque jour qu’il vienne te reprendre. J’avais fait une petite enquête et je savais qui il était. Mais il n’est jamais venu. Je n’ai jamais voulu t’en parler car je craignais que tu partes avec ce monsieur qui est ton père.

Maintenant, tu vas te retrouver seule. Il faut que tu ailles le voir. Tu es la fille de monsieur Vidal qui, actuellement, est le maire de Talgnan. »


À ce moment-là les deux cousins crièrent ensemble : Monsieur Vidal ?


- Oui. Monsieur Vidal est mon père.

- Mais ce n’est pas possible que monsieur Vidal ait pu vous abandonner.

- C’est pourtant vrai. À ce moment de son récit, ma nourrice eut une faiblesse et elle murmura quelque chose que je n’ai pas pu bien comprendre. C’était quelque chose comme ardoise, armoise ou armoire, je ne sais pas. Peu après elle est tombée dans le coma et ne s’est plus réveillée. En revenant de l’enterrement, donc, j’ai décidé de partir. J’ai fermé la porte de la maison, j’ai mis la clé de la porte, comme d’habitude sous le pot de géranium à côté de la porte, et je suis partie. Je voulais voir mon père, puisque c’est tout ce qui me restait au monde.

J’ai marché, marché, marché jusqu’à Talgnan. Puisque, par ma nourrice, j’ai su qu’il était maire, je suis allée à la Mairie. La secrétaire m’a fait entrer dans son bureau.


« - De quoi s’agit-il ? me demanda-t-il.

- Je suis votre fille !

- Quoi ?

- Je suis votre fille !

- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ?

- Je suis votre fille. Vous m’aviez mise en nourrice chez madame Bonnet, à Grillon, normalement pour un an. Elle ne vous a jamais revu. Ma nourrice est morte. Nous l’avons enterrée ce matin et avant de mourir, elle m’a tout dit.

- Tout dit quoi ? Elle n’avait plus toute sa tête et elle vous a raconté n’importe quoi. Maintenant Mademoiselle, j’ai du travail. Je vais vous demander de me laisser.

- Ma nourrice avait toute sa tête quand elle m’a raconté que vous étiez venu avec moi qui n’avais que quelques jours. Vous avez payé ma pension pour un an. Vous deviez revenir au bout d’un an, vous n’êtes pas revenu. Tout cela est vrai.

- Écoutez, Mademoiselle, je suis marié, j’ai des enfants, j’ai une position sociale importante, et n’oubliez pas que je suis maire. Si vous continuez à dire des sornettes, et surtout si vous en parlez, si vous colportez ces bêtises, je vous fais enfermer dans un asile d’aliénées. C’est compris ? Je regrette, je ne peux rien pour vous. Partez !

- Mais enfin, vous êtes mon père !!!

- Avez-vous une preuve ? Une seule petite preuve ? Non bien sûr, alors déguerpissez. Et me prenant par le bras, il me fit sortir, et dit à sa secrétaire : « Si cette femme se présente à nouveau, ne la recevez pas. »


J’étais complètement anéantie. J’étais sûre que mon père accepterait de m’aider. Et puis… Alors j’ai marché, marché… Je me suis retrouvée devant une maison isolée qui semblait vide. Cette maison m’attirait. J’avais l’impression de la connaître. Et puis, j’étais épuisée et ma seule pensée était de me reposer. J’ai escaladé le portail et c’est en voulant redescendre que ma robe s’est accrochée à une pique de la grille. Cela m’a projetée sur une autre pique qui m’est entrée dans la jambe. Je suis tombée sur le sol. En clopinant j’ai essayé de voir si je pouvais entrer dans la maison. Impossible. J’ai vu alors le petit pavillon, et par derrière, il y avait un volet mal fermé. Je suis arrivée à l’ouvrir, puis avec un caillou, j’ai cassé la vitre de la fenêtre, près de la poignée, j’ai ouvert la fenêtre et suis tombée sur le lit, épuisée, souffrant beaucoup et je crois que très vite je me suis évanouie. Je ne sais pas depuis combien de temps j’étais là quand vous êtes arrivés.

- Je vous l’ai dit, rappela Charles. Vous êtes arrivée ici le lundi soir et nous vous avons trouvée le mercredi matin. Mais ce que vous nous dites au sujet de monsieur Vidal est à peine croyable. C’est un homme dont la réputation est irréprochable…

- Je vous ai dit la vérité.

- Nous vous croyons, nous vous croyons, dit Pierre. Vous n’auriez pas pu inventer tout ça. Mais le fait qu’il soit le maire d’ici ne va pas faciliter les choses.

- Voyons, dit Charles, le problème le plus important est de savoir s’il y a une preuve de ce que nous dit Brigitte. En effet, seule une preuve pourrait confondre monsieur Vidal. Or, nous avons un délai très court pour trouver cette preuve. Cinq jours exactement. Il me semble que Brigitte peut rester ici sans inconvénient jusqu’à l’arrivée des propriétaires. Or ces propriétaires arrivent d’Australie dans cinq jours, mais après…

- Tu as raison, reprit Pierre, il faut que nous y voyions plus clair dans cinq jours. Brigitte, pouvez-vous vous rappeler les derniers mots exacts de votre nourrice ?

- Je vous l’ai dit. Après m’avoir raconté toute l’histoire, avec ses dernières forces elle m’a murmuré un mot que je n’ai pas bien compris. Il y avait les sons « a »et« oi ». Armoise ? Ardoise ? Armoire ?... Ah ! Attendez, attendez… En même temps qu’elle prononçait ce mot, elle a difficilement levé la main… du côté de l’armoire… Oui, c’est ça ! J’en suis sûre. C’est armoire qu’elle a dit.

- Ah ! Nous avançons, dit Pierre. Voilà du concret. Puis se tournant vers Charles : Écoute mon vieux, demain à midi, nous aurons terminé le salon. Il n’y aura plus que quelques petites bricoles à faire. Je te propose de partir à Grillon, au milieu de l’après-midi. Brigitte va nous faire un plan pour nous indiquer où se trouve la maison, nous entrerons facilement puisque la clé se trouve sous le pot de géranium et nous allons fouiller cette armoire de fond en comble. D’accord ?

- Entièrement d’accord. Il faudra, Brigitte, que vous ne commettiez aucune imprudence, personne ne doit savoir qu’il y a quelqu’un dans cette maison. Il faut tout prévoir. Si par hasard, monsieur Vidal venait pour voir le résultat de notre travail, il viendrait en voiture. Vous l’entendriez donc. Vous passeriez alors par la fenêtre pour aller vous cacher dans le petit bois derrière. O.K.

- Je ferai ce que vous me dites. Merci pour tout ce que vous faites pour moi. Sans vous…

- Ne nous remerciez pas. Votre histoire nous intrigue beaucoup et nous voulons en avoir le fin mot…

- Et c’est un vrai plaisir pour nous de pouvoir vous aider, ajouta Pierre.


Le lendemain après-midi, après avoir pédalé durant quinze kilomètres sous un soleil écrasant, Charles et Pierre arrivèrent devant la maison de Brigitte. Grâce au plan établi par cette dernière ils avaient trouvé leur chemin sans difficulté.


La clé se trouvait bien sous le pot de géranium et ils entrèrent.


- Nous allons procéder méthodiquement, proposa Pierre. Nous allons enlever les piles de linge et les poser sur le lit. Quand l’armoire sera vide, nous regarderons minutieusement s’il n’y a pas de cachette dans l’armoire elle-même, et si nous ne trouvons rien, pile par pile, nous regarderons toutes les pièces de linge une par une. O.K.

- O.K. Allons y.


Malgré leur examen attentif de l’armoire, ils ne trouvèrent aucune cache secrète et commencèrent à regarder chaque pièce de linge. C’est Charles qui tomba sur un vieux portefeuille en cuir râpé. À l’intérieur il y avait deux lettres, qu’ils lurent aussitôt.


La première portait la date du 17 Avril.


Madame,

Cela fait un mois que je vous ai amené la petite Brigitte. J’espère bien pouvoir la reprendre à l’échéance de un an, comme je vous l’avais indiqué. Soignez-la bien.

S’il y avait un problème important, vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante :

Alain Vidal, Place de la Bourgade à Talgnan.

Meilleurs sentiments, A. Vidal.


La seconde lettre était datée du 22 Mai.


Madame,

J’ai pratiquement la certitude de pouvoir récupérer ma fille, avant le délai dont je vous avais parlé. Mais je tiens à vous rassurer. Même si vous n’aurez gardé Brigitte que 9 ou 10 mois, vous garderez la totalité de la somme que je vous avais remise.

Soignez-la bien. À bientôt j’espère. A. Vidal


- Alors là, dit Pierre, il n’y a plus aucun doute. Dans la première lettre, monsieur Vidal parlait de « la petite Brigitte », on pouvait encore penser qu’il n’était pas forcément le père, mais dans la deuxième lettre il parle bien de « ma fille ». Je ne comprends pas comment un homme comme monsieur Vidal a pu agir ainsi, quand Brigitte est venue le voir.

- Je ne le comprends pas plus que toi, mais il est certain que Brigitte ne nous a pas raconté d’histoire. Qu’allons-nous faire ?

- Commençons par retourner à Talgnan. Il faut aller dire à Brigitte que nous avons maintenant la preuve qu’elle est la fille de monsieur Vidal. Et puis nous réfléchirons.


En apprenant l’existence des deux lettres, Brigitte leur dit :


- Je ne vois pas très clair dans mes sentiments. D’un côté, je suis heureuse d’avoir retrouvé mon père, et d’autre part, j’ai honte d’avoir un père qui a pu être aussi inhumain avec moi.

- Nous comprenons parfaitement vos sentiments. Nous qui pensions bien connaître monsieur Vidal, nous avons du mal à penser qu’il a pu agir de la sorte avec vous. Peut-être y a-t-il une explication ? Je crois qu’en premier lieu, il faut que nous fassions des photocopies des deux lettres. Je mettrai les originaux dans une cachette que Charles connaîtra. Puis il me semble que la meilleure solution est d’aller voir monsieur Vidal pour lui demander qu’il s’explique.

- Entièrement d’accord avec toi, dit Charles. Et vous Brigitte ?

- Moi, je m’en remets entièrement à vous. C’est vous qui m’avez sauvée et je crois qu’en effet seul monsieur Vidal (j’ai du mal à dire « mon père ») sait exactement tout ce qui s’est passé.


Les deux cousins restèrent une bonne heure encore avec Brigitte qui leur raconta quelle avait été sa vie.


Elle avait fait ses études primaires à Grillon, ses études secondaires à Valréas. Après son Bac, elle s’était inscrite à la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence, mais la santé de sa nourrice étant précaire, elle n’avait pas voulu la quitter et s’était inscrite depuis trois mois à des cours de droit par correspondance.


Il fut entendu que Pierre et Charles, après avoir fait des photocopies des lettres, iraient non pas à la mairie, mais au domicile de monsieur Vidal.


Ce qu’ils firent le lendemain matin vers 9 heures.


Monsieur Vidal les accueillit très gentiment.


- Je suis allé voir votre travail à La Mansarde. C’est bien les enfants. Venez dans mon bureau je vais vous régler.

- Oh, pour le règlement, ce n’est pas très pressé. Mais nous voudrions vous parler.

- Vous me parlerez après. Les bons comptes font les bons amis.


À l’énoncé de ce vieil adage, Charles et Pierre se regardèrent et ne purent s’empêcher de sourire. Après tout, il valait mieux qu’ils soient payés avant d’avoir abordé le problème qui les amenait ici.


Les deux chèques faits et empochés, toujours souriant, monsieur Vidal questionna :


- Bon. Alors maintenant, quel est votre problème ?


C’est Pierre qui s’était institué le porte-parole.


- À vrai dire, ce n’est pas nous qui avons vraiment un problème.

- Ah bon ? Et qui ça ?

- Lorsque nous sommes venus dans le petit pavillon pour y faire le ménage, nous avons trouvé, gisant sur le lit, une jeune fille blessée.

- Une jeune fille blessée ?

- Oui. Une jeune fille blessée. Votre fille !


En un instant, monsieur Vidal devint d’une pâleur mortelle, courba la tête et resta quelques secondes, effondré. Puis semblant reprendre du poil de la bête, il essaya de nier.


- Vous avez dû rencontrer cette fille qui prétend que je suis son père. Mais c’est une folle et si elle continue à dire des bêtises, je la ferai enfermer.

- Mais enfin, monsieur Vidal, vous ne pouvez nier que Brigitte Martin soit votre fille. Nous avons des preuves.

- Quelles preuves ? Il ne peut y avoir aucune preuve !!

- Oh mais si !! Tenez, voilà vos lettres… Enfin il s’agit de photocopie, il serait inutile de les détruire.


Parcourant rapidement les deux lettres, monsieur Vidal abandonna la lutte.


- Je ne savais pas que ces lettres existaient encore… Il y a eu un effroyable concours de circonstances… Et Jane qui va arriver…

- Vous savez, monsieur Vidal, nous vous estimions beaucoup. S’il y a des explications nous aimerions les connaître.


Monsieur Vidal se leva pour refermer la deuxième porte de son bureau qui était restée ouverte, puis comme s’excuser :


- Vous le savez, je suis marié. Je vais tout vous dire. Il y a 19 ans, un couple d’australiens, avec leur fille, est venu acheter La Mansarde. Monsieur et Madame Darney avaient une fille, Jane. Peu après leur arrivée, j’ai eu l’occasion de faire la connaissance de Jane. J’étais bien entendu célibataire à l’époque, et nous avons eu une liaison. Nous nous aimions profondément et nous voulions nous marier, mais les parents Darney, s’y sont opposés. Ils étaient très fortunés, Je n’avais rien. Jane, n’osa pas dire à ses parents qu’elle était enceinte. Nous avons décidé de rendre la chose cachée aussi longtemps que possible. Jane a dit à ses parents qu’elle m’aimait et que puisqu’elle ne pouvait pas se marier avec moi, elle préférait partir et visiter la France jusqu’à leur départ pour l’Australie. Ce retour devait avoir lieu en février et Jane devait accoucher début janvier.


Nous avons mis au point le plan suivant : Il faut dire, que nous n’avions pas de problème d’argent. Les parents de Jane tenaient à sa disposition des sommes importantes. J’ai trouvé à proximité de Nice une petite villa à louer, ainsi qu’une dame, qui occupait les fonctions de bonne – gouvernante - chauffeur et dame de compagnie. Chaque semaine, Jane m’envoyait une lettre contenant une lettre pour ses parents. Jane me disait : Je suis à Lyon, ou à Clermont-Ferrand etc. et moi, le week-end suivant, j’allais dans la ville en question pour poster la lettre de Jane. Notre système a parfaitement marché. Les parents Darney ne se sont jamais douté de quoi que ce soit. Après l’accouchement, je suis allé chercher Jane et le bébé, une petite fille. Jane avait accouché sous X et notre fille s’est appelée Brigitte Martin. Mon intention était bien sûr de tout régulariser lorsque les parents seraient prévenus. Devant le fait accompli, et en présence d’un joli bébé, ils ne pourraient guère s’opposer plus longtemps à notre mariage. Et ce d’autant plus que mes études de pharmacie se poursuivaient et que mon parrain s’offrait pour me prêter, le moment venu, l’argent nécessaire à l’achat d’un officine. Mais Jane avait une peur affreuse de ses parents. Elle n’a pas voulu parler du bébé, et s’est opposée à ce que je le fasse moi-même. Elle m’a dit qu’il lui fallait un peu de temps et que ce serait plus facile pour elle, quand ils seraient en Australie.


J’avais trouvé une nourrice, Madame Bonnet, à laquelle j’avais versé une pension pour un an. Mais j’étais bien certain que je pourrais reprendre ma fille plus tôt. De retour en Australie, Jane me disait toujours qu’elle allait parler à ses parents. Mais les jours s’écoulaient… J’ai fini par lui fixer une date limite ; pour qu’elle parle à ses parents, qu’elle revienne en France et que nous reprenions notre enfant. Elle m’a donné son accord, et c’est là, que tout heureux, j’ai écrit la seconde lettre à Madame Bonnet. Et puis la date que j’avais fixée est passée. Malgré mes lettres pressantes, Jane ne disait toujours rien à ses parents. Puis ses lettres s’espacèrent. J’étais fou de douleur. Je ne voulais plus entendre parler de la mère ni de la fille. Trois ans plus tard, je me suis marié avec une pharmacienne. Depuis huit ans, je suis le maire de Talgnan. Voilà. Vous savez tout.


Je ne suis pas fier de moi. C’est certain. C’est Brigitte qui a payé pour la lâcheté de sa mère. Pour la première fois depuis de nombreuses années, j’ai reçu une lettre de Jane. Elle s’était mariée avec un riche éleveur. Il y a quelques mois, lors d’un voyage d’affaires, Monsieur et Madame Darney ainsi que leur gendre ont trouvé la mort dans un accident d’avion. Jane me disait son intention de venir se fixer en France, et me demandait de faire remettre en état « La Mansarde ». J’ai accepté et vous ai confié ce travail.

- Alors, si je comprends bien, Brigitte, après avoir été chassée par son père, est allée sans le savoir se réfugier chez sa mère ?

- Le fait est que c’est assez extraordinaire, renchérit Charles. Et maintenant ? Quelles sont vos intentions, monsieur Vidal ?

- Je n’en sais rien, je ne sais plus. Il faut que je trouve la meilleure solution pour tous !

- Compte tenu de vos erreurs, il me semble, monsieur Vidal, que c’est en premier lieu l’intérêt de Brigitte qu’il faut considérer. Vous avez une énorme dette envers elle.

- C’est vrai, c’est vrai. Je ne le nie pas. Mais il y a aussi ma femme, ma réputation ; il faut que je réfléchisse.

- Réfléchissez vite et bien. Mon cousin et moi voulons bien nous occuper de Brigitte pour l’instant. Mais dans 48 heures, il faudra que vous preniez une décision et une décision qui reçoive notre approbation. N’oubliez pas que nous avons des lettres prouvant votre paternité.

- S’il vous plaît… 48 heures c’est trop court… Il faudrait que vous attendiez l’arrivée de Jane. C’est avec elle que nous prendrons une bonne solution.

- Qu’en penses-tu, Charles ? Nous pouvons lui accorder cinq jours ?

- Cinq Jours, oui. Mais pas un de plus. Nous n’hésiterions pas monsieur Vidal à dévoiler votre paternité.

- Merci, merci. Dans cinq jours nous aurons trouvé la bonne solution… euh surtout pour Brigitte.


Pierre et Charles allèrent à « La Mansarde » pour tenir Brigitte au courant de la conversation qu’ils venaient d’avoir avec monsieur Vidal.


Ils furent un peu surpris de la réaction, ou plutôt de l’absence de réaction de Brigitte. Pierre crut même qu’elle n’avait pas écouté la relation qu’ils venaient de faire.


- Brigitte, vous semblez absente. Avez-vous suivi ce que nous venons de vous dire au sujet de notre entrevue avec votre père ?

- Oui. Merci.


Et ce fut tout son commentaire.


Aussi Charles crut bon d’ajouter :


- Nous avons donné notre accord pour attendre cinq jours. Lorsque Jane, votre mère, sera là, elle sera mise au courant par monsieur Vidal et des décisions seront prises. Nous veillerons, Pierre et moi, à ce que la solution retenue soit conforme à votre intérêt.

- Merci, se contenta encore de répondre Brigitte.


En quittant La Mansarde, Pierre et Charles discutèrent longuement sur l’attitude, comme absente de Brigitte, mais ils ne purent trouver d’explication.


Jane devait arriver avec sa fille à l’aérodrome de Marignane, et monsieur Vidal alla la chercher. Il ne pouvait évidemment parler du problème posé par Brigitte devant Elisabeth, la fille de Jane.


Il décida donc de mettre par écrit toute l’histoire de Brigitte. Les deux lettres envoyées à la nourrice et retrouvées. La venue chez lui de Brigitte après le décès de la nourrice, la façon (qu’il regrettait maintenant) dont il avait éconduit Brigitte, le hasard extraordinaire qui a conduit leur fille, chassée par son père à se réfugier chez sa mère, sans le savoir, enfin l’intervention des deux jeunes gens, Pierre et Charles qui semblaient s’être institués les chevaliers servants de Brigitte. Il insista sur la nécessité de prendre une décision rapidement, et plus exactement sous 24 heures.


Cet écrit, il le remit à Jane, dès qu’elle descendit d’avion. Elle eut donc tout le temps de le lire, de le relire, durant le trajet entre Marignane et Talgnan.


Lorsqu’ils arrivèrent à » La Mansarde », Jane envoya Elisabeth prendre une douche et Jane et monsieur Vidal purent enfin parler librement.


- Je ne te cache pas qu’il m’est arrivé souvent de penser à notre fille Brigitte. Mais je dois aussi t’avouer que dans mon esprit, elle n’avait pas sa place dans mon univers, entre Elisabeth, mon mari et mes parents qui ont toujours ignoré l’existence de notre fille. Ici, je vais commencer une vie nouvelle. Je ne vois pas de graves inconvénients à ce que je mette au courant Elisabeth de l’existence de sa grande sœur, et je suis prête soit à la reconnaître, soit à l’adopter selon les facilités des démarches et les avantages de chaque solution.

- Pour ma part, dit monsieur Vidal, je ne recommence pas une vie nouvelle. Je suis au contraire bien ancré dans ma vie actuelle. Officiellement je ne reconnaîtrai donc pas Brigitte, mais je l’aiderai au maximum de mes moyens. Les deux jeunes garçons sont dans le petit pavillon avec Brigitte. Veux-tu que nous allions les voir maintenant pour dire ce que nous avons décidé ?

- Je vais prévenir Elisabeth que nous nous absentons pour un moment. Je la connais : elle va prendre un bouquin et attendra gentiment notre retour.


La rencontre entre Brigitte et ses parents naturels, en présence de Pierre et Charles, se fit dans une atmosphère très curieuse. Gêne extrême chez monsieur Vidal, gentillesse forcée, artificielle chez Jane, et froideur glaciale chez Brigitte.


Après des bises sans chaleur des parents à leur fille, c’est Monsieur Vidal qui prit la parole


- Brigitte, nous te devons la vérité. Oui. Je suis ton père. Ne te hâte pas pour me juger sévèrement. Les choses n’étaient vraiment pas faciles. Peu à peu, je t’expliquerai tout ce qui s’est passé. Il faut que tu saches que je suis disposé à t’aider au maximum. Si tu as le moindre problème viens me voir. Maintenant je laisse Jane te dire ce qu’elle a à te dire.

- Brigitte, je suis ta mère. Il est extraordinaire qu’après… la discussion que tu as eue avec ton père, c’est ici que tu soies venue, chez ta mère. J’étais très jeune quand j’ai été enceinte de toi. Mes parents, avaient… une mentalité d’un autre temps, bref, tu as raison de penser que je n’ai pas su faire face à mes devoirs envers toi. Je suis veuve et j’ai une fille Elisabeth qui a 14 ans. Je suis disposée soit à te reconnaître soit à t’adopter, selon la solution qui sera préférable. Je veux réparer mes torts envers toi. Voilà ce que je voulais te dire.


Un grand silence succéda à ces paroles. Brigitte n’ouvrit pas la bouche. C’est monsieur Vidal qui intervint de nouveau :


- Je crois, Brigitte, que la proposition de ta mère mettra fin à tous tes ennuis. De plus, je le répète, je serai toujours là pour te donner un coup de main. J’ai beaucoup de relations. Une vie nouvelle va commencer pour toi.


Un nouveau silence succéda à ces propos.


- Mais enfin, dit Jane, pourquoi ce silence ? N’hésite pas ! Dis-nous ce que tu penses.


Après un nouveau silence, Brigitte parla enfin.


- Ce que je pense ne regarde que moi. En revanche je vous fais part de mes décisions. Après ma naissance, chacun de vous a mené sa vie propre sans s’occuper des deux autres. Je ferai de même. Je me plais bien dans ce petit pavillon. Je veux en devenir locataire…

- Mais, Brigitte, tu peux habiter là aussi longtemps que tu le voudras. Il ne sera évidemment pas question de loyer.

- Madame, je veux payer un loyer, et un loyer juste qui sera fixé par un agent immobilier.

- Ne m’appelle pas Madame, cela me fait mal. Je suis ta maman.

- Pendant 18 ans je n’ai pas pu dire « Maman ». Cela m’a fait mal aussi.

- Écoute, dit monsieur Vidal, tu as beaucoup d’orgueil, c’est bien. Mais accepte au moins que je te donne un petit pécule pour démarrer dans ta nouvelle vie.

- Je n’ai pas besoin de votre pécule. Ma nourrice m’avait ouvert un Livret d’Épargne. Je me débrouillerai avec ça.


Puis se tournant vers Charles et Pierre elle ajouta : vous devez me trouver bien insensible, mais…


Pierre répondit :


- Non seulement nous vous comprenons, mais nous vous félicitons pour votre dignité. Rester vos amis sera pour nous un honneur.

- Merci encore pour tout ce que vous avez fait pour moi. Maintenant, madame, monsieur et mes amis, j’ai des comptes à faire, des dispositions à prendre, si vous vouliez bien me laisser…


Les cousins partirent vers le village, les parents vinrent dans la maison principale pour continuer leur conversation.


Ces faits, que je viens de relater remontent à quatre ans. Si j’ai adopté la forme d’un narrateur extérieur à l’action, je dois vous dire, qu’en fait, j’étais un témoin privilégié. Et même un peu plus : j’ai été acteur. Je suis Pierre.


La paternité de monsieur Vidal n’a pas été divulguée. Il a été élu conseiller général aux dernières élections.


Jane est considérée comme une étrangère, un peu bizarre. Très lunatique, un jour elle dit bonjour à tout le monde et le lendemain, elle ne semble voir personne. La petite Elisabeth est devenue une assez jolie fille, mais c’est une pimbêche qui n’a pas su se faire d’amis et qui commence toutes ses phrases par « Chez nous, en Australie ». Cela ne la rend pas sympathique.


Et Brigitte me demandez-vous ?


Nous nous sommes mariés il y a un an. Nous avons une petite Roxane de deux mois, ravissante... et qui ne pourra pas dire qu’elle a une maman peu attentionnée…


Nous sommes parfaitement heureux. Les gens heureux n'ont pas d'histoire. Aussi vais-je m’arrêter là.



 
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   Manonce   
23/12/2007
J'ai bien aimé l'ambiance de ce texte.


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