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Sentimental/Romanesque
Asrya : Hulla
 Publié le 13/03/23  -  10 commentaires  -  8830 caractères  -  81 lectures    Autres textes du même auteur

Quand l’une des étapes de la vie, la dernière, atteint l’innocence d’un enfant. Le temps d’une soirée, la sagesse est naïveté.


Hulla


– Pourquoi elle est plus là Hulla ?


Croisée entre un beagle et un cavalier king Charles, Hulla avait pris davantage du beagle, bien que sa truffe fût plus allongée, ses yeux plus doux et sa mâchoire plus arrondie. Elle avait dix ans à peu près, je n’avais pas vraiment pris le temps de regarder son carnet de santé.

Elle avait vécu chez nous pendant deux mois. Ma mère devait se faire hospitaliser pendant plusieurs semaines, il fallait quelqu’un pour la garder. Cela ne nous dérangeait pas. Pas plus que cela en tout cas. Il fallait la sortir plusieurs fois par jour, ramasser ses différents revers – vomissements, déjections, urines –, la nourrir, la cajoler, multiplier les coups de balai, rien de bien méchant.

Olivia, notre fille, avait eu des difficultés à s’acclimater à sa présence ; entre jalousie omniprésente et désir de partager une noble intimité. Leur relation s’était tissée, délicatement.

De temps en temps, elle allait s’asseoir à côté de son coussin, la regardait, tendait une main molle sur ses poils qu’elle s’évertuait à déplacer dans un sens, puis dans l’autre. Un ensemble de mouvements peu assumés qui paraissaient plus déplaisants qu’agréables. Hulla ne disait rien, jamais, elle se laissait faire.

Lorsque nous la laissions seule dans l’appartement, que nous rentrions, elle se dépêchait de venir à notre rencontre, sollicitant caresses et marques d’affection. Notre fille restait en retrait. Elle aurait préféré que la chienne s’abstienne, qu’elle reste dans son coin et que nous puissions rentrer à notre aise. Elle ne voulait pas vraiment partager son espace de vie.

Ces derniers mois, Hulla avait des difficultés à s’alimenter. Pour l’aider, ma mère ajoutait de l’eau dans ses croquettes pour les ramollir. Nous avions essayé mais… elle ne mangeait pas davantage. Olivia avait pris l’initiative, un soir, de les lui tendre, une par une. Hulla ne s’était pas fait prier. La gamelle s’était vidée ainsi, croquette après croquette ; depuis, c’était devenu une attraction.

Avant que notre fille s’endorme, lecture habituelle, la chienne nous rejoignait et s’allongeait sur ce grand coussin molletonné que nous avions acheté comme assise pour l’un de nos bancs – il avait finalement atterri dans sa chambre, juste à côté du lit, au cas où notre fille n’en tombe. À partir de cette première lecture du coucher, chaque fois que Hulla rentrait dans sa chambre, Olivia se jetait sur le matelas, afin de l’empêcher de s’y installer ; une manière d’affirmer son territoire.

À l’heure de nos sorties quotidiennes, notre fille se pressait pour nous demander de la sortir avec nous. De temps en temps, nous acceptions. Lorsque nous n’avions pas le temps, qu’il était tard, ou qu’il était bien trop tôt, elle se mettait à pleurer chaudement, par frustration.

Leur relation s’était tissée, indéniablement.


Mais, voilà. Ce jour-là, Hulla était partie.

Mon beau-père était venu la récupérer dans la journée, il avait le visage triste.


– Pourquoi elle est partie Hulla ?


Ma fille avait deux ans et demi. Elle parlait, beaucoup. Depuis quelques semaines, elle entamait son âge du « pourquoi ». Étrangement, ça ne m’agaçait pas encore.

Elle avait commencé à me poser des questions sur le chemin du retour de la nounou.


– Elle est à la maison Hulla ?

– Non.

– Pourquoi elle est pas à la maison ?

– Parce qu’elle est partie.


Je n’entendais pas très bien, les voitures criaient le long de l’avenue, la poussette effritait le trottoir et j’avais un air de chanson bien calé dans ma tête. Il faisait froid, j’avais hâte de rentrer.

En arrivant à l’appartement, j’avais enlevé mon manteau, mon écharpe, mes chaussures ; ma fille m’avait imité. Je m’étais rendu dans la cuisine pour préparer le repas du soir, j’avais sorti les ingrédients, la planche à découper, l’économe et : « Papa, j’ai envie de faire pipi », je l’avais accompagnée sur les toilettes.

J’avais ensuite repris mon activité. Ma fille était à côté de moi, sur sa « tour d’apprentissage », elle nettoyait les légumes, puis me les passait.


– Elle est où Hulla ?


Ma femme n’était pas encore arrivée. J’avais l’espoir de voir notre Seat Arona se dessiner dans l’avenue, ralentir, tourner vers la gauche et se garer sur le parking. Il fallait s’y résigner, j’allais devoir lui expliquer, seul. Comment… on explique ça ? Quels sont les bons mots ?

Ils ne sont déjà pas simples à sortir pour un adulte, alors, pour un enfant ?


– Elle est rentrée à Courdemanges.

– Pourquoi elle est rentrée à Courdemanges ?


Les mains dans l’essoreuse à salade, elle était concentrée sur sa carotte, avide de bien faire. J’essayai de gagner du temps, de noyer le poisson. Ses bouclettes tombaient le long de son cou, ses généreuses joues la couvaient dans un état d’innocence perpétuel, ses yeux étaient loin des miens.

Je regardai par la fenêtre.

Les véhicules circulaient lentement, le crépuscule commençait à éclairer les logements, les adolescents retournaient chez eux la tête vissée sur leur Smartphone, un joggeur passait en tenue fluo. La vie.


– Parce que c’est là-bas qu’elle habite Hulla, à Courdemanges.

– Chez Médith ?

– Oui, chez Médith.


J’avais posé mon couteau sur le plan de travail, incapable de poursuivre la moindre action, trop préoccupé à réfléchir, anticiper, chercher la meilleure manière de lui annoncer. Est-ce qu’elle comprendrait ? Comment réagirait-elle ? Et moi ?


– Elle est où Médith ?

– Elle n’est plus là doudouille.


Il y a de ces moments qu’on attend, qu’on redoute, qu’on évite ; d’autres qu’on attend, qu’on redoute et qu’on invite.


– Pourquoi elle est plus là ?

– Parce qu’elle est morte.


Ce n’était pas un mot que nous avions souvent employé. Peut-être à quelques reprises, en parlant des moucherons pris dans les toiles d’araignée du salon, en parlant des lombrics séchés sur le balcon, des quelques plantes que nous avions dû jeter. Mais de mémoire, il n’avait jamais été question de l’expliquer.

Elle n’avait pas répondu tout de suite.

Ses doigts continuaient de frotter la racine orangée, l’eau ondulait paresseusement dans le récipient.


– Ça veut dire quoi ?

– Ça veut dire qu’on ne pourra plus la voir, à part en photos.

– Pourquoi ?

– Au bout d’un certain temps, les gens meurent. On dit qu’ils sont morts. On ne peut plus les voir, on ne peut plus leur parler, on ne peut plus les toucher. On peut seulement penser à eux.


Ma mère était décédée la veille. Elle avait été en réanimation pendant près de deux mois, dans un état critique que les médecins avaient souhaité maintenir avec un infime espoir de survie. Ils étaient finalement revenus sur leur position, ne pouvant rien faire de plus. Le matin, je m’étais rendu à son chevet, elle avait le sourire. L’après-midi, les machines qui la maintenaient en vie s’étaient arrêtées. Cela avait été rapide.


Je l’observai. Elle ne réagissait pas. Je me demandai ce qu’il se passait dans sa tête.

Je m’étais baissé, j’avais posé mes avant-bras sur le plan de travail, mes mains étaient jointes, je sentis un étrange sentiment en moi. Je pensai à ma mère, à ma fille, à leur relation ; leurs sourires, leurs paroles, leurs échanges. Elles étaient belles.

J’avais eu le temps d’étudier la manière de l’annoncer, de préparer, de simuler mentalement ce qui se passerait ; d’envisager les différents scénarios, d’en admettre les failles, les issues, choisir.


Peu importe les images de la pensée, la réalité ne peut être parfaitement imaginée.


Dans cette phase de composition, je m’étais renvoyé tous ces dessins, ces peintures de l’esprit qui me ramenaient à un passé que j’avais choyé. Ma mère, sur le parvis de la mairie, qui essayait de lui apprendre à faire du vélo ; le caractère entêté de notre fille, qui ne faisait pas le moindre effort, se laissant vainement pousser. Les bonnets, les tours de cou, les pulls, tous ces vêtements qu’elle avait confectionnés pour que l’on emporte une partie d’elle chez nous, pour qu’Olivia porte une trace de son existence. Les rires, les gâteaux, les bonbons, les petits plats, les jouets, les jeux, les fleurs, le potager, les pommes, les chatouilles, les baisers ; cette opulence de joie qu’elles avaient partagée, à laquelle je n’avais pas suffisamment aspiré, à laquelle je n’avais pas souvent participé, à laquelle j’avais sûrement eu droit pendant l’enfance, que mes souvenirs avaient disloquée.

Dans ces songes qui m’avaient fait quitter la Terre pendant quelques instants, je ne voyais que ce que j’avais toujours recherché : ma mère, comblée.

De mon point de vue, je n’avais pas souvent réussi. Olivia, si.


– Papa, tu coupes les carottes papa ?


Elle me tendit le bras, me passa la carotte qu’elle avait fini de nettoyer ; je la pris, la posai sur la planche en bois, et, dans le rond de ses yeux bruns, commençai à la couper ; les larmes séchées.


 
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   plumette   
24/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Une lecture fluide sur un sujet universel et intimiste, que je suppose autobiographique.

je trouve assez réaliste les détours empruntés pour parler de la mort de la grand-mère, mais il me semble qu'il y a deux textes en un: un qui raconte la relation d'Olivia et d'Hulla, ce lent apprivoisement réussi, et puis un autre qui raconte une "première fois". peut-être que ce qui m'a gênée, c'est que si la première partie ( avec Hulla) fait une grande place à la petite, la seconde remet au centre le narrateur qui nous explique un peu trop sa démarche "d'annonce".
le texte est écrit avec soin, le sujet me touche, et pourtant je ne sors pas émue de ma lecture car le "je" du narrateur a pris un peu trop de place dans la seconde partie.

même si l'auteur a voulu être fidèle à une réalité vécue ( peut-être...) j'aurais aimé que le texte se termine avec une réaction d'Olivia, une réaction qui surprenne.

   Donaldo75   
28/2/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Je ne suis pas fan de cette nouvelle ; je me souviens en avoir récemment lue une sur un sujet proche et elle développait de l’émotion, amenait de l’impact à la lecture. Ce n’est pas le cas ici. Déjà, la narration est un peu molle, avec des renvois à ce que faisaient les parents à l’instant « t-1 » ou autre, sans que ces mentions n’apportent au récit. Et puis les dialogues frôlent assez souvent l’indigence. En fait, je n’ai pas l’impression de lire un écrit à visée littéraire mais une rédaction certes soignée mais une rédaction quand même à usage interne, des tiers racontant une histoire à leurs proches. Si je reviens à la narration – je pars un peu dans tous les sens parce que j’écris ce commentaire en relisant des passages de ce texte et autant dire que l’unité narrative n’est pas évidente – je la trouve particulièrement pénible à certains endroits parce qu’elle coupe un élan qui aurait pu se déployer si le style était d’une toute autre ampleur. Au final, c’est sage, posé, convenable, correct, propre sur soi mais pas raconté tel le conteur assis sur son cul le soir au centre du village. Je ne suis pas un fan des nouvelles dont le récit se déroule mollement, coupé par des dialogues sans force, sur un sujet qui aurait pu éclater la page et la rendre émotionnelle. Pas d’émotion, juste des considérations d’adultes émerveillés par leur enfant et ne sachant pas leur expliquer simplement ce qu’est la mort. Je sais ce que c’est pour l’avoir vécu avec des enfants de cet âge et la mort de leur animal de compagnie. Je compatis. Ce n’est pas chose aisée. De là à le transcrire dans cette nouvelle, il y a un écart que le style, le mode narratif, la manière de raconter, ne comblent pas mais au contraire creuse. Maintenant, c’est difficile d’expliquer à des adultes comment c’est difficile d’expliquer la mort à un enfant. La boucle est bouclée en quelque sorte.

   Malitorne   
13/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
n'aime pas
Qu’est-ce qu’il se passe avec les chiens en ce moment ? Deuxième auteur qui y va de sa petite larme, s’apitoie sur ces pauvres bêtes, bien braves au demeurant mais dont le sort m’importe peu comparé à un pays meurtri par les bombes aux portes de l’Europe. On préfère pleurer sur les clebs que sur les Ukrainiens, soit. Ça n’a rien à voir vous me direz mais je ne peux m’empêcher de faire un rapprochement. Tout est échelle de valeurs...
Le texte en lui-même, correctement écrit, reste ennuyeux et d'un faible intérêt, même avec la juxtaposition de deux récits. Je suis surpris Asrya du décalage entre vos commentaires intelligents, approfondis, et ce texte qui m’apparaît indigent. Tudieu, vous êtes capable de mieux !

   Dugenou   
13/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour Asrya,

Pour parler franchement, deux choses me gènent à la lecture de ce texte, l'une relevant de ma responsabilité et non de la votre : le refus de mes propres parents de m'expliquer la mort. Ça parasite l'éventuelle appréciation que j'aurai été susceptible de faire sur le fond de votre nouvelle, désolé.

L'autre chose étant l'aspect 'compte rendu' de la narration, plus relaté que raconté.

"sur le chemin du retour de la nounou." J'ai buté sur cette phrase, j'ai cru que c'était la nounou qui était de retour.

   hersen   
13/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Le premier mot qui me vient en fin de nouvelle est : symbiose.
Car la mort de Hulla ou de la mère du narrateur génère exactement la même émotion.
et c'est ce que l'enfant comprend, et elle passe une carotte à son papa.
Car le chien que l'on a dans la famille accompagné jusqu'à sa fin, peut-être aurait-on aimé le faire pour la mère. Ou en tout cas, ne pas l'avoir fait restera comme un rocher lourd dans le coeur.

C'est un texte que je trouve très sensible, mais c'est aussi, et c'est ce point qui pour moi me fait aimer le texte, c'est que peu importe qui meurt, s'il laisse un vide, alors il avait une importance.

C'est un thème récurrent peut-être, car la nouvelle sera toujours un sujet nouveau pour un enfant de deux ans. ou de trois, ou de quatre, tout dépend de l'âge auquel il y est confronté pour la première fois.
j'ai aimé lire dans le texte qu'on ne pourra plus la voir, sauf en photo. une photo aux traits figés, aux traits éternels, et qui pourtant ramène tant de souvenirs vivants... jusqu'à ce que le temps, ayant trop passé, ne se rappelle du portrait de son vivant.

merci pour la lecture;

   gino   
13/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonsoi Asrya.

Voilà un texte tout en sensibilité devant une question aussi simple ; comment expliquer la mort.
Ce que ni la philosophie ni la religion n'aont jamais pu répondre.
Dans cette petite scène de la vie de tous les jours, avec de minuscules détails évoquant la complicité et les liens dans une famille.
vous avez posé la question avec iune grande délicatesse.
L'écriture est à l'image de l'idée.
bravo et merci.

   papipoete   
14/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
bonjour Asrya
" pourquoi, elle est plus là Hulla ? dis papa ?
- parce qu'elle est partie et ne reviendra pas
- pourquoi elle reviendra pas ?
- parce que Médith est partie
- où elle est partie Médith... "
NB un peu comme partant en vacances " c'est quand qu'on arrive ? dis papa, c'est bientôt qu'on arrive...? "
répondre à certaines questions d'un petit enfant, peut relever du casse-tête ! Présentement, le petit chien gardé un moment, adoré par Olivia vient à périr, et la mamie chérie mourir...
Beaucoup de choses à expliquer en même temps, sans trouver les mots et éviter le drame d'un chagrin sans fin !
Finalement notre papa y parvient ( au moins pour un moment ) et l'on sourit devant cette histoire, que tout possesseur de chien, et d'enfant... doit affronter un jour ou l'autre !
Les récits avec pour héros, un chien... n'ont plus l'heur de plaire dans ces colonnes, et j'en suis contrit ( je ne suis pas gaga, mais possédant un chien Cavalier King Charles de surcroit, je comprends fort bien la tendresse de l'auteur )
Quand ma mie arriva chez moi, après 4 ans de solitude, me redonnant sourire et bonheur, elle arriva nantie de 3 filles et d'un chien... et cela dure ainsi depuis 1989, les filles envolées mais avec depuis 5 compagnons à poils ( un nouveau après chaque mort... )
Moi, j'ai bien aimé ce texte et souri aux questions de la petite... et les réactions du papa

   Disciplus   
15/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Asyra,
Je reste dubitatif... Une rédaction scolaire de niveau moyen versus des critiques habituellement incisives et percutantes. Sommes-nous en présence du même auteur?
Certes, aucune faute orthographique ou de syntaxe mais une narration banale, des dialogues insipides, des lieux communs. Je suis déçu, le sujet méritait mieux.
Disparition d'un être cher, vaste sujet. Établir un parallèle chien/mère- grand mère pour parler de la mort à un jeune enfant, pourquoi pas... Bien qu'un enfant de deux ans et demi ne comprenne pas le concept. Vous parlez de la relation enfant/chien plus que de celle grand-mère/enfant. Peu de sentiment, de sensation, de complicité. Dommage, dommage.

   Louis   
23/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Comment parler de la mort à un enfant ? Avec quels mots ?
Car il faut en parler. Le langage, même maladroit, est préférable au silence, au tabou, au ‘secret’, au non-dit.
Et puis, il faut bien répondre aux questions des enfants.
Questions si difficiles à l’âge des interrogations métaphysiques, « l’âge du ‘pourquoi ?’ », que l’enfant est capable de poser, mais dont il est si peu apte à entendre les réponses. Et les adultes si peu en mesure de produire les explications attendues et de les formuler, surtout quand il s’agit de la mort, ‘objet’ à la fois impensable et indicible, et dont il faut pourtant parler.
L’enfant interroge l’adulte, parce qu’il présuppose un savoir détenu par lui, et une toute puissance, or la mort se trouve au-delà de la limite de ce que l’on peut savoir, et par-delà les bornes de notre pouvoir.
Pourquoi des précautions de langage ?
Il s’agit de ménager l’enfant, de ne pas provoquer en lui de traumatismes, d’éviter les angoisses naissantes. L’enfant doit être protégé.

La nouvelle traite ce sujet avec délicatesse et simplicité.

Elle met en place deux événements concomitants.
Le discours sur l’un sera le modèle de l’autre, constituera pour l’autre comme un ‘paradigme’.

Le premier événement est la disparition du chien Hulla.

Il s’agit de montrer en premier lieu que la perte de l’animal est celle d’un être cher, susceptible d’être vécue douloureusement ; que la disparition de Hulla est celle d’un être choyé, pour lequel il y a attachement affectif.
La première partie du texte retrace donc la genèse de ce lien entre l’enfant et le chien, malgré les fluctuations affectives de la petite fille, en proie à la jalousie : « Leur relation s’était tissée, indéniablement »

Il faut alors répondre à la question de l’enfant : pourquoi elle n’est plus là Hulla ?
L’interrogation porte sur une absence.
Celle-ci est expliquée par un « départ » : « Elle est partie »

Elle n’est plus là, « partie », et si elle n’est plus là, elle est ailleurs. Toujours vivante mais ailleurs, en un autre lieu. Son absence se trouve ainsi expliquée par un déplacement, par une distance séparatrice. L’absence se trouve ainsi relativisée : ce n’est pas une absence absolue, le chien vit toujours, mais ailleurs.

« Elle est partie » et « Partir, c’est mourir un peu » : écrivait le poète Edmond Haraucourt, dans Le Rondel de l’adieu.
« Être parti » : périphrase de la mort ; circonlocution d’une absence.
Partir : un déplacement. Au déplacement des êtres répond un déplacement des mots.
D’un être décédé, ne dit-on pas : « il est parti », « il nous a quitté », il est « en voyage » ?
Le discours du « départ », moins traumatisant, moins abrupt, devra constituer le modèle de cet autre discours, celui sur la mort ; mieux encore : il constitue le discours auquel devra s’assimiler et se fondre celui sur la mort.

« Partir », pourtant, ce n’est pas une explication suffisante pour l’enfant, qui interroge encore : Pourquoi ? Où ?
Voix insistante de l’enfant devant l’adulte sans voix.

Elle est partie « là où elle habite, chez Médith. »
Mais Médith elle-même est « partie »
Et l’on se trouve confronté au deuxième événement : le décès de la grand-mère, Médith.

La question énoncée par l’enfant de nouveau se réfère au lieu : «Elle est où Médith ? »
De nouveau l’interrogation est de type topologique.
L’enfant, comme le poète, ou l’inverse, privilégie la question du lieu, de l’espace et la supplante à celle du temps. On se souvient du refrain de Villon dans la Ballade des dames du temps jadis : « Mais où sont les neiges d’antan ? »

L’enfant présuppose que toute chose, tout être existant, se tient en un lieu. Être, c’est être quelque part. L’appréhension de l’espace semble plus aisée à l’enfant que celle du temps.
Il faut lui dire pourtant, prononcer ce mot, terrible pour le père, redouté par lui, parce qu’il croit que le mot sera terrible aussi pour l’enfant, parce que les propos sur le « départ » présentent des limites et ne suffiront pas ; parce qu’il faudra l’expliquer ; parce qu’il faudra introduire dans sa vision enfantine de la vie, toute positive, faite de choses qui sont là ou ailleurs, absentes seulement par translation spatiale, la négation, l’absence, un non-être là définitif en aucun endroit, en nul lieu.

Le mot « morte » est donc prononcé par le père, et il fallait qu’il le soit. Le seul « départ » n’est pas protecteur pour l’enfant. Si brusque, si soudain, sans un au revoir, sans une explication, il pouvait être interprété par la jeune fille comme un douloureux abandon.

Suit alors la révélation : « Au bout d’un certain temps, les gens meurent », révélation de l’inéluctable, de la finitude qui est le lot de chacun.
L’enfant ne peut que comprendre plus ou moins clairement qu’elle fait partie des « gens », et la révélation est donc celle de son être mortel. Vient un temps sans lieu, un temps dans lequel on n’est plus, en aucun lieu. Elle partage le destin commun : une vie finie, limitée, dans l’espace et dans le temps.

L’interrogation de l’enfant prend place dans le cours des activités quotidiennes, sans les interrompre. La vie ne demeure pas suspendue, en attente de la réponse à la question.
Alors que le père, lui, se trouve contraint de suspendre le cours des choses, dans l’attente d’une réponse, la réponse adéquate, à la question posée : « J’avais posé mon couteau sur le plan de travail, incapable de poursuivre la moindre action, trop préoccupé à réfléchir, anticiper, chercher la meilleure manière de lui annoncer ».

Il y a cette espèce d’homologie entre l’état de mort lui-même et l’interruption du cours de la vie quotidienne, dans l’absence d’action et de parole. Sidération de la mort qui nous laisse ‘en arrêt’.

La mort introduit une discontinuité. Mais l’enfant reste dans la continuité. N’interrompt pas le cours des activités et des choses. Le père a pris la précaution de dire ce qu’il est possible de faire : des gens morts « on peut penser à eux ».
Dans cette absence de rupture avec la vie quotidienne, se trouvent la 'chute' de la nouvelle, l’étonnement du père et du lecteur. La mort s’inscrit pour l’enfant dans le cours des choses. Elle ne marque pas un temps d’arrêt, pas même réflexif. « Papa, tu coupes les carottes papa ? »
Comme il se dit en Afrique, la vie s’écoule comme une conversation.

L’enfant, sans doute, ne réalise-t-il pas que l’on puisse mourir un jour ; ne réalise pas le caractère universel et inéluctable de la mort, et ne comprend pas la signification réelle de la perte et de ses conséquences, mais la parole bien trouvée a calmé ses interrogations, et la conversation de la vie peut se poursuivre, dans laquelle la mort se trouve intégrée, elle qui lui est indissociable.

   Catelena   
27/3/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
C'est une nouvelle empreinte d'une belle sensibilité.

Ce que je ressens très fort à la lecture, c'est la difficulté pour le narrateur, pris dans ses sentiments extrêmes, de retranscrire clairement ces moments si intenses, si bouleversants, où il faut répondre aux ''pourquoi'' des enfants. Ces enfants qui ont le chic pour poser simplement les questions qui nous confrontent à nos propres difficultés d'adulte devant notre singulière nature que l'on ne peut pas toujours escamoter, devant l'évidence de la mort et du mystère qui l'entoure.

C'est maladroitement écrit, car tout se mêle dès le départ : l'histoire de Hulla et celle de la Médith, mais c'est justement cette maladresse qui rend le récit touchant en plongeant le lecteur directement au cœur de l'émotion.

La deuxième partie, celle à partir de ''la tour d'apprentissage'', est de loin pour moi la plus aboutie. Les faits et gestes deviennent plus limpides. C'est à partir de là que je n'ai aucun mal à me glisser dans la peau de tous les protagonistes de cette histoire de tous les jours, et de revivre tour à tour les émotions de chacun d'eux.

Merci pour le partage, Asrya.


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