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Réalisme/Historique
BGDE : Malika
 Publié le 08/05/08  -  6 commentaires  -  8628 caractères  -  11 lectures    Autres textes du même auteur

Une écolière pas du tout comme les autres.


Malika


Malika n’avait pas douze ans lorsque je l’accueillis dans sa nouvelle classe, ma nouvelle classe aussi, à l’école de Colomiers. C’était une première pour nous deux. Je n’avais jamais enseigné dans une telle école. À vrai dire, le changement m’enchantait. Il allait me débarrasser des pâteuses lourdeurs de la routine professionnelle. Dès mon arrivée, je compris que je relèverai, désormais, d’une instruction publique extraordinairement exotique. Je fus subjugué par la pigmentation arc-en-ciel du quartier sud de cette ville du sud de la France. Ça allait donner du sens et du piment à mon sacerdoce. Les nombreuses communautés de ce secteur scolaire avaient transformé le faubourg en un kaléidoscope démographique haut en couleur et quasi universel. Ceci explique que j’y ai acquis, à peine en quelques semaines, des connaissances ethnologiques méconnues sur certains particularismes des populations allochtones. J’ai très vite remarqué, par exemple, que les enfants d’origine magrébine faisaient montre d’une incontestable supériorité sur leurs camarades aux ascendances gauloises immaculées. Essentiellement quand il s’agit d’exprimer une émotion et de haranguer, de façon fort tapageuse, le voisinage grâce à une générosité orientale qui prédispose le braillard à l’excellence. Ces gamins disposent d’une infinité de mimiques qui font brimbaler bruyamment le corps tout entier dès que l’envie de communiquer surgit. Que ce soit de grands sentiments, des impressions subtiles ou de petits chagrins aigres-doux de rien du tout, dès qu’ils émergent, les affects explosent ; les gosiers éructent des mots qui n’ont plus rien à voir avec le langage des humains.


Sauf pour Malika. J’étais parti sur des a priori stupides. Les parents de la fillette étaient algériens. D’accord. Leurs origines n’avaient pas du tout provoqué, chez moi, la moindre arrière-pensée. Bien au contraire. Je le jure ! Mais j’ai mis du temps à comprendre l’enfant, plus précisément, à me faire une idée, trop souvent approximative d’ailleurs, sur son étrange et attachante personnalité. C’est que, contrairement à ses camarades, chez elle, tout était nuance, subtilité. Pas la moindre nervosité, ni la plus petite trace d’insatisfaction ; ni dans ses propos, ni dans son comportement. Pas même au fond des yeux, les jours où rien n’allait. J’avais cru, au premier abord, qu’il était simplement question de timidité. Puis, j’ai dû renoncer à cette désinvolte explication, réductrice car trop simpliste. J’ai pris conscience de ma méprise, notamment, aux moments où l’ambiance de la classe se tendait brutalement et dangereusement. En une petite phrase bien sentie, lâchée comme si de rien n’était, à ces instants scabreux, Malika ne craignait pas d’exprimer la réprobation que tout le groupe taisait et dont chaque élève m’accusait en silence quand je recourais à des démonstrations d’autorité excessives. En quelques mots sentencieux, toujours avec douceur d’ailleurs, dans un demi-sourire radieux, elle redonnait à l’ambiance de la classe son habitude de décontraction et de nonchalant labeur. C’était sa différence à cette gamine. Son génie. Une faculté innée pour simplifier, tout en douceur, la vie de tous les jours. Son charisme se manifestait, forcément, chaque fois que ses camarades renonçaient à l’effort lorsque, interloqués et muets, ils capitulaient à la suite d’un questionnement trop abrupt et bien téméraire de ma part. Et c’est par une délicate et constante vigilance que Malika est parvenue, peu à peu, à me guider, au bout du compte, à me corriger de mon idée fixe d’extorquer, plus que de raison, à des élèves rassasiés d’école, des performances scolaires impossibles. Elle a su, en fait, me servir d’indicateur, chaque fois que mes tentations de pédagogue se fourvoyaient dans des impasses téméraires et mouvementées. Elle est ainsi parvenue à me faire apprécier l’humilité professionnelle. Aux moments les plus périlleux, tandis que les autres élèves se réfugiaient dans une apparence de coma scolaire, elle arborait son sourire fétiche, son sourire des premiers matins de l’innocence, celui qui libérait dans ses yeux enfantins de malicieuses paillettes d’indulgence. Si je faisais mine de ne pas la comprendre, elle forçait à peine sa voix pour m’interpeller gentiment mais fermement. Elle dénonçait, alors, ce qu’elle appelait une question pas comme il faut. En revanche, dès que l’engourdissement des esprits et des corps s’était dissipé chez ses compagnons et qu’avec entrain ils revenaient à eux plus frétillards que jamais, Malika faisait montre d’un désintéressement total de tout ce qui pouvait se passer autour d’elle. Sauf pour le calcul mental.


C’était sa hantise, à Malika, le calcul mental. J’ai mis beaucoup de temps à le découvrir tant l’adresse à masquer son désarroi intérieur était trompeur. J’ai deviné, plus que compris, le terrible combat qu’elle pouvait mener à chaque exercice. J’avais même mis au point une méthode inédite, un piètre truc m’avait reproché l’arrogante conseillère pédagogique, la propre fille de la directrice de l’école. Mère et fille, toutes deux célibataires résignées, n’avaient de cesse de débiner les deux instituteurs de l’école. Pour moi, mon truc était une époustouflante trouvaille. Un gadget digne de figurer sur tous les manuels pédagogiques dignes de ce nom. Avec mon habile stratagème à moi, Malika découvrit, peu à peu, le plaisir tranquille de faire du calcul mental. Qui plus est, le reste de la classe participait activement, joyeusement et de surcroît sagement, ce qui n’était pas une piètre performance. J’exigeais de Malika qu’elle ne donne pas la réponse exacte. Elle devait seulement proposer un nombre se rapprochant le plus près possible du bon résultat. En revanche, j’exhortais ses congénères à écrire la réponse exacte, en gros et en rouge, sur leur cahier de brouillon dès que Malika s’était elle-même prononcée sur la question. Progressivement, Malika prit confiance en elle, suffisamment, si bien que je pus inverser les rôles. Et c’était à elle qu’il incombait d’annoncer la bonne réponse à toute la classe. J’étais devenu presque totalement satisfait. Pas intégralement quand même. Je ne parvenais pas à obtenir qu’elle cesse de compter sur ses doigts. Certes, à force de ponctuer sa gymnastique cérébrale d’assouplissements digitaux, les phalanges acquirent une agilité presque phénoménale, mais j’en vins à craindre que leur progrès ne se fasse au détriment de ceux des neurones.


Je me mis donc en quête de perfectionner ma combine jusqu’au jour où le père de Malika vint me voir, un soir d’hiver, juste avant la fermeture de l’école. Un colosse. Je me mis de suite sur la défensive. Je fus très étonné. À l’inverse des autres parents pour le moins ronchons, il venait faire part de sa satisfaction, avec des mots maladroits et rugueux, disloqués par une fierté encombrante à laquelle il n’était pas du tout habitué. Ce papa-là était bien content des performances de sa progéniture. Les compliments étaient assez rares, pour que je me rappelle l’évènement très précisément. Il m’a fallu plusieurs minutes pour comprendre que son enthousiasme était dû aux progrès scolaires de sa fille et notamment à ses prouesses en calcul mental. Il tint d’ailleurs, à tout prix, sur-le-champ, à faire une démonstration, certainement pas pour me convaincre mais probablement pour revivre une fois de plus l’orgueil parental qui étreint le géniteur dès qu’un spécimen de la couvée conquiert ses premiers lauriers d’écolier.


- Malika, écoute-moi ! Tiens-toi droite ! Voyons ! Réponds au maître ! Tout de suite : combien ça me fait 8x8 plus 6x7 ?


L’ordre intimé par le père tomba telle la lame de la guillotine. Tandis que l’homme bombait démesurément le torse, la fillette adopta une posture que je ne lui connaissais pas. Son corps se mit à pencher légèrement en arrière tandis qu’elle baissait ses yeux sombres. Les genoux tremblotèrent de façon saccadée. Elle se tendit, légèrement en oblique, un peu à gauche, un peu à droite, puis brutalement, tout son corps d’enfant se raidit dans un brusque haut-le-corps qui dura une seconde à peine. Le temps d’avouer par un rauque mea-culpa la réponse.


- Ça fait 106.


Et le plus époustouflant, c’est qu’elle répondit sans compter sur ses doigts.


Le lendemain, quand je lui ai demandé, Bon Dieu, comment avait-elle fait pour donner la réponse sans ses doigts ? Elle me répondit, en esquissant son sourire fétiche, son sourire des premiers matins de l’innocence, celui qui libérait dans ses yeux enfantins de malicieuses paillettes d’indulgence :


- C’est que j’ai compté avec les doigts de pied.



 
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   Anonyme   
8/5/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bien mené, la chute m'a fait sourire de plaisir, j'ai vu les petits doigts s'agiter !

Des bémols ? Beh oui, sinon ça serait pas moi là en commentaire ! "instruction", je déteste ce mot, on le retrouve dans "instruction" laïque, le caduque "instruction" civique, je déteste, on instruit pas, on éduque :)

J'ai aimé l'honnêté du maître qui livre l'apriori défendu mais latent au milieu d'un discours politiquement correct. J'ai aimé la fraîcheur du regard sur la classe, la sobriété du texte qui ne saoule pas, n'est pas prétentieux, gagne son 15 parce que la lecture fut plaisir.

   strega   
8/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Oui, plutôt réaliste comme texte, tant dans les attitudes des enfants que celles des adultes. Bon 'histoire en elle-même est assez simple mais le style la sert largement.

La chute est effectivement bonne, large sourire pour moi. :)

Sinon salamandre, le problème est bel et bien de confondre instruction et éducation. C'est peut-être même le coeur du problème.

Je regrette juste les paragraphes trop compacts qui sont pour moi un calvaire à lire.

   calouet   
11/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Je dois avouer, même si je suis persuadé que ce n'était pas le but de l'auteur, avoir été gêné par les a priori du narrateur sur certaines ethnies... Quoiqu'en dise un avis précédent, si je pense moi aussi qu'il s'agit de quelque chose de latent dans notre société, je n'aime pas le voir exprimé, pas plus dans un texte qu'ailleurs. Je sais, c'est sans doute un peu réac, mais tant pis, c'ests urtout honnête.

Sinon, c'est bien écrit, presque trop écrit parfois (genre "Il allait me débarrasser des pâteuses lourdeurs de la routine professionnelle" : pâteuses + lourdeurs + routine...)... J'ai été surpris par la chute, agréablement dois-je le préciser, mais aussi par la façon dont elle arrive. Toute la scène avec le papa de Malika est très bonne.

   widjet   
13/5/2008
 a aimé ce texte 
Pas ↑
Pas convaincu par cette histoire (qui a des allures de blague) guère passionnante et à l'écriture assez lourde, pesante.

Widjet

   BGDE   
14/5/2008
Je réponds bien amicalement à "widjet"
- quant à l'écriture lourde et pesante, c'est bien possible,
- quant à l'anecdote elle-même, elle est parfaitement authentique.

   Anonyme   
15/5/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Oui, très beau !! Je comprends parfaitement ce que tu décris, la spontanéité, l'instinct du comportement avec l'autre qu'à force de toujours trop "intellectualiser" tout et tout le temps nous avons peut-être tendance à perdre.. Eux, ils l'ont, les méditerranéens, les Africains du nord, que tu évoques dans ton histoire... Je pense à mes copines Abla, Samia, qui me donnent souvent envie de les prendre dans mes bras, sans doute plus que de raison... Bel hommage, bien senti, et bien transmis !! Donc pour moi, gagné !!


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