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Humour/Détente
Blacksad : Le dragon qui se sentait seul
 Publié le 07/09/12  -  15 commentaires  -  22083 caractères  -  162 lectures    Autres textes du même auteur

Un conte pour (grands) enfants avec des dragons, des chevaliers et des donzelles éplorées. Mais pas forcément dans leurs rôles habituels…


Le dragon qui se sentait seul


Il y a longtemps, bien longtemps, vivait un dragon.


C'était à une époque où les riches seigneurs ne travaillaient jamais, se bardaient de fer et d'acier et passaient leurs journées à se battre devant de grands châteaux de bois et de pierre alors que les serfs suaient sang et eau et vivaient dans de misérables chaumières. Un peu comme maintenant, vous avez raison… sauf que les riches sont devenus moins courageux.


Vous devez probablement imaginer les dragons comme des bêtes énormes, qui sentent mauvais et qui crachent du feu… mais ça n'a pas grand-chose à voir. En fait, les dragons ne sont que de gros lézards : c'est-à-dire des petits dinosaures qui avaient échappé à la grande extinction, comme le sont leurs cousins, les crocodiles et les varans par exemple.


Les dragons sont donc rarement plus grands qu'une vache et ils marchent sur leurs quatre pattes ou sur deux suivant leur envie. Bien sûr, les ailes et les flammes sont à ranger au rayon du folklore. D'ailleurs, l'image des dragons géants et terrifiants que nous avons tous en tête trouve son origine dans les descriptions des guerriers sans pitié qui les pourchassaient sans relâche et exagéraient sans cesse leurs exploits pour mieux s'en vanter.


Le dragon dont il est question dans notre histoire était un vieil animal mais ça ne veut rien dire pour un dragon car ils peuvent vivre très très longtemps. Bien plus que nous. Ce dragon était particulièrement intelligent et vivait dans une caverne confortable et bien aménagée, raisonnablement loin des humains.

Les humains. Parlons-en. Au fil du temps, leurs villages s'étaient agrandis et multipliés tant et si bien que le dragon était de moins en moins tranquille.


Oh, il avait bien dévoré quelques voyageurs et terrorisé quelques villageois… suffisamment pour tenir les intrus à distance respectable. Jusqu'au jour où il avait attaqué un convoi et ramené un vieil homme dans sa caverne pour le déguster tranquillement. Le vieil homme n'avait pas hurlé de terreur comme les autres humains, il n'avait d'ailleurs pas peur de mourir et il n'avait même pas eu peur du dragon.


Ce vieil homme lui avait parlé. Calmement, paisiblement. Le son de sa voix était apaisant. Et le dragon l'avait écouté. Il l'avait nourri et puis l'avait gardé avec lui. Peu à peu il avait compris et même appris la langue des hommes. Bon, c'est vrai qu'il avait un mauvais accent et qu'il roulait certaines consonnes un peu plus que nécessaire mais on le comprenait très bien.

Et puis un beau jour, le vieil homme lui avait montré un livre. Et après de longues journées d'efforts, le dragon avait finalement appris à lire. C'était formidable. Il découvrait de nouveaux univers insoupçonnés, des mondes lointains et des pays imaginaires.


Mais arriva le moment où le vieil homme mourut de sa belle mort (mais peut-on jamais dire cela d'une mort ?) et le dragon fut très triste. Il l'enterra sous un grand arbre et depuis ce jour il cessa de dévorer les humains. Bien sûr, de temps en temps, il continuait à les effrayer, pour les garder éloignés de sa caverne ou pour se procurer des livres, mais il ne tuait plus. D'ailleurs il ne tuait plus du tout. Il avait arrêté de chasser et se nourrissait de baies, de fruits et des animaux morts qu'il trouvait. Au début, ce ne fut pas facile mais finalement, il ne s'en portait pas plus mal.

Mais tout ça s'était déroulé longtemps avant que ne débute notre histoire et le dragon, malgré les livres, se sentait de plus en plus seul…


À l'époque de notre histoire, les chevaliers (comme s'appelaient eux-mêmes les hommes enfermés dans des plaques de métal et montés sur des animaux sans honneur) recherchaient la gloire plus que tout.

Or, tuer un dragon était un acte considéré comme très glorieux. Pour sa part, le dragon ne comprenait pas comment tuer un être vivant quel qu'il soit pouvait être glorieux mais c'était ainsi chez les humains.


Heureusement pour les dragons en général, et pour celui de notre histoire en particulier, les chevaliers avaient tellement embelli leurs exploits au fil du temps que même les hommes les plus inconscients y réfléchissaient à deux fois avant de s'aventurer dans la tanière d'un de ces monstres réputés quasi-invincibles, hauts de six mètres et crachant des flammes. En plus, comme les chevaliers passaient déjà un temps considérable à se tuer entre eux, ça leur laissait finalement assez peu de loisir pour aller embêter les dragons.


Mais il n'y avait pas que les chevaliers qui s'intéressaient aux dragons à cette époque… En effet, une légende, née on ne sait où, voulait que les dragons enlèvent des jeunes vierges et pas forcément pour les dévorer… À vrai dire, cette légende prétendait que les dragons leurs faisaient subir les derniers outrages et qu'en plus d'être fort bien pourvus par la nature, ils étaient des étalons infatigables et particulièrement imaginatifs.


Bien sûr, la plupart des jouvencelles s'évanouissaient à la simple idée d'être touchées par de tels monstres. Mais certaines, plus aventureuses, plus curieuses ou peut-être plus frustrées que les autres, n'hésitaient pas à peupler parfois leurs rêves de ces créatures à écailles très entreprenantes.


En fin de compte, il arriva que certaines d'entre elles aillent à la rencontre des dragons… elles n'étaient pas toutes vierges bien sûr, mais quelle importance ? Les légendes ne sont que des légendes, tout n'est pas à prendre au pied de la lettre.


Et si la plupart, effrayées par des dragons qui passaient une bonne partie de leur temps à faire peur aux humains pour avoir la paix, repartaient chez elles et se contentaient alors du Gontran ou du Godffroy que leur père voulait bien leur octroyer, certaines allaient jusqu'à pénétrer dans les cavernes menaçantes des monstres farouches et (du moins l'espéraient-elles) lubriques.


Arriva ce qui devait arriver : si quelques-unes d'entre elles furent dévorées sans autre formalité, d'autres furent juste "déflorées" par des dragons curieux et effectivement lubriques. Et il s'en trouva certaines pour rentrer chez elles et raconter leur histoire avec un air ravi… Où commença la légende, où commença la vérité, toujours est-il que le tout s'entretenait et s'auto-alimentait.


Notre dragon n'échappa pas à la mode et il commença à voir des donzelles (pas forcément toutes très jeunes d'ailleurs !) rôder autour de son antre. Il eut beau parsemer les environs d'ossements blanchis, pousser des cris terribles et même allumer des feux dans sa caverne (le vieil homme lui avait montré comment faire) pour lui donner une teinte rougeoyante particulièrement inquiétante, rien n'y faisait…


Les donzelles se rapprochaient de jour en jour et puis finalement, certaines finirent par l'aborder. Tremblantes, elles s'offraient à lui impudiquement… mais quelle ne fut pas leur surprise quand elles ne furent ni déchiquetées, ni violées sauvagement mais que le dragon les rhabilla doucement en leur demandant d'aller quérir un beau jeune homme qui serait plus en mesure de les aider que lui.


Lorsque la gent féminine de la région s'aperçut que le dragon était non seulement d'une taille tout à fait raisonnable (mais néanmoins prometteuse pour ce qui les intéressait) et surtout qu'il était inoffensif, galant et de plus, doué de parole, ce fut un véritable défilé.


N'ayant plus le goût de la violence, le dragon, pour avoir la paix encore une fois, finit par céder aux plus insistantes. Ce n'était pas désagréable mais il y prenait bien moins de plaisir que les donzelles qui repartaient chez elles le pas chancelant et le sourire aux lèvres. Notre dragon aurait évidemment préféré de petites dragonnes aux écailles vertes et luisantes, mais à cette époque, sa race commençait déjà à s'éteindre et les dragonnes se faisaient rares. Et puis il avait l'impression ainsi d'être utile, de faire un peu de bien, de se faire pardonner en partie ces humains qu'il avait dévorés dans le passé. Parfois même il discutait avec certaines de ses visiteuses les plus intéressantes. Il papotait, s'instruisait, nouait des relations.


Évidemment, bien loin de lui apporter la paix qu'il recherchait en acceptant ces rapports "contre nature", cela lui apporta la notoriété. Et s'il y a quelque chose à éviter pour un dragon dans un monde régi par les humains, c'est bien la notoriété.


Bientôt, la toute puissante Église eut vent de ces agissements. Elle en informa les chevaliers du royaume, et tout occupés qu'ils étaient à guerroyer sans cesse, ils accoururent. L'affaire était grave.


À aucun moment ne fut évoquée la possibilité que ces actes soient issus de la volonté des jouvencelles. D'ailleurs leur volonté ne comptait pas. Et même si certains songèrent à cette possibilité, aucun n'en fit mention, c'eût été trop humiliant.


Les premiers chevaliers qui allèrent à la rencontre du dragon furent ceux dont la dame ou la fille était restée trop longtemps absente du logis. Ils se rendirent compte par eux-mêmes et revinrent ensuite vers leurs pairs avec les récits habituels et fantaisistes : un monstre particulièrement effrayant et lubrique enlevait les jeunes filles, les violait puis souvent les dévorait.


Bien sûr, le dragon ne dévorait personne. En réalité, ce furent souvent les maris ou les pères, trop humiliés de voir leurs femmes ou leurs filles consentantes et heureuses, qui les tuèrent dans un accès de rage incontrôlée qu'ils imputaient ensuite sans difficulté au monstre forcément sanguinaire.


Ainsi, la réputation du dragon grandissait sans cesse chez les femmes et chez les hommes. Pas pour les mêmes raisons, mais c'en était définitivement fini de sa tranquillité.


Alors l'Église invoqua saint Michel et saint Gabriel. Dieu lui-même exigeait la mort du monstre, le pape l'avait affirmé. De nouveaux chevaliers "montèrent au dragon", mais cette fois pour le tuer. Pour l'exterminer.


Nombre d'entre eux ne faisaient cependant que séjourner dans les bois autour de la tanière du dragon et revenaient chez eux avec quelques blessures feintes, se contentant par leurs récits d'une gloriole passagère qui ne faisait que renforcer la réputation terrifiante du dragon.


Mais bientôt arrivèrent les héros avides de gloire, les amants véritablement humiliés et fous de rage et aussi tous les aventuriers cupides, sans autre objectif que les récompenses promises par l'Église pour l'éradication du démon.

Le dragon fut alors bien obligé de combattre. Pas par plaisir mais simplement pour préserver sa vie. Il n'avait pas l'impression d'avoir fait du mal, mis à part ces quelques humains et autres animaux qu'il avait occis dans sa jeunesse, alors il ne comprenait pas pourquoi subitement l'humanité lançait sur lui ces guerriers métalliques hérissés de piques.


Le dragon n'aimait peut-être pas tuer mais il savait le faire. Et il le faisait bien. Sa peau faite de solides écailles imbriquées résistait aux lances et aux épées, seul son ventre pouvait être transpercé. Encore fallait-il pouvoir s'en approcher suffisamment. Car ses griffes acérées au bout de ses pattes musculeuses étaient véritablement redoutables. Et je ne parle pas de sa mâchoire qui vous arrachait une jambe avec le sourire. Mais sa queue puissante qui balayait hommes et chevaux à l'improviste restait son arme favorite et imparable.


Il commença par blesser ces hommes venus le détruire, mais devant l'acharnement de certains, il fut obligé d'en tuer. Et parfois même leurs chevaux faisaient partie des victimes. Il n'aimait pas ça.


Et plus il en tuait, plus il en venait, car sa renommée grossissait parmi un monde guerrier qui n'admirait que la force et rêvait uniquement de gloire destructrice et de victoires sanglantes.


Le dragon devait rester constamment aux aguets, il ne dormait plus. Cette situation lui pesait et il n'aimait pas se battre. Il n'avait plus le cœur à rendre service aux donzelles ni à papoter. Si les chevaliers ne le tuaient pas, le dragon finirait par dépérir d'usure et de lassitude.


Un beau jour, alors que le dragon commençait sérieusement à envisager de s'exiler, ou même pire, un chevalier à pied (un pédalier ?) se présenta devant l'entrée de sa caverne. Il n'essaya pas de s'y introduire en cachette comme les autres afin de mieux le surprendre pour l'étriper pendant son sommeil. Il se tenait simplement sur le seuil et il appelait le dragon à pleins poumons.


Le dragon sortit d'un air las et fit sa parade d'intimidation habituelle, roulant des yeux, battant les airs de ses griffes et de sa queue et poussant des hurlements abominables. Parfois ça suffisait. Le pédalier, appelons-le ainsi, ne broncha pas mais ne fit pas mine non plus de lever son épée. Il avança vers le dragon et leva son heaume.

Son visage n'était pas spécialement beau, mais ça le dragon n'en savait rien puisque ses standards de beauté étaient ceux d'un dragon. Cependant, l'homme était souriant. Le dragon n'avait jamais vu un homme sourire devant lui, excepté le vieillard qui lui avait appris tant de choses si longtemps auparavant. Ce sourire lui fit chaud au cœur. Alors le dragon arrêta son cinéma de guerrier et fit signe au pédalier d'entrer. Peut-être n'était-ce qu'une ruse… mais le dragon ne s'en souciait plus.

L'homme ne s'étonna pas qu'un monstre l'invite à le suivre dans son antre… et il continua à sourire. Il ne s'étonna pas non plus lorsque le dragon se mit à parler.


Le pédalier lui raconta pourquoi il était là : c'était un guerrier qui n'aimait pas tuer, alors on se moquait de lui. Il avait donc décidé de venir voir le dragon pour mourir sous ses coups et en finir avec les moqueries.

En chemin, il avait parlé avec les villageois car c'était un guerrier qui n'hésitait pas à discuter avec les gens. Même avec les pauvres, ce qui n'avait rien d'habituel pour l'élite. Les villageois – enfin, surtout les villageoises – lui avaient parlé du dragon, de ce qu'il était vraiment. Alors le pédalier, qui était curieux de connaître ce dragon poli et savant avait décidé de le rencontrer, mais pas pour mourir, pour lui parler.


Ils discutèrent tranquillement. Le dragon raconta sa vie (ce fut très long car les dragons vivent très vieux) et le pédalier fit de même (ce fut tout aussi long car il avait beaucoup appris et voyagé).

Après une très longue conversation, dans le silence paisible de la nuit, le pédalier avoua également qu'on se moquait de lui car il aimait les hommes plutôt que les femmes. Mais il trouvait rarement d'hommes dignes d'être aimés. Et un peu gêné, il reconnut que les échos des performances du dragon n'étaient pas pour rien dans son désir de le rencontrer. Le dragon eut un sourire, il avait l'habitude.


Pour la première fois depuis longtemps, le dragon put réellement dormir car le pédalier monta la garde toute la nuit devant l'entrée de la caverne. Au bout de quelques jours, ils avaient pris goût à vivre ensemble…


Un matin, le pédalier retourna au village et affirma haut et fort qu'il tuerait le dragon sans coup férir le lendemain et qu'il invitait tout le monde à venir contempler le spectacle. En effet, il prétendait que saint Michel lui-même, en échange de la dépouille de la bête lui offrirait la victoire.


Le lendemain, autour de la caverne, la foule se pressait effectivement nombreuse mais en restant à distance respectable.

Eut lieu alors un combat épique. On en parlerait pendant longtemps à la lueur des flambées hivernales à travers tout le pays. Ceux qui y étaient en conserveraient le souvenir toute leur vie durant, en parleraient à leurs enfants. Et ceux qui n'y étaient pas imagineraient les détails que n'avaient pas vus ceux qui y étaient.


La foule poussait des "Ah !" et des "Oh !" à chaque fois que le pédalier était en difficulté. Les villageois l'encourageaient de tout leur cœur, se signaient et priaient tous les saints qu'ils connaissaient et même les autres. Les villageoises le soutenaient du bout des lèvres, car il le fallait bien, mais elles frémissaient intérieurement à chaque fois que le dragon esquivait un coup meurtrier.

Soudain, alors que le pédalier avait été projeté au sol dans une position désespérée, le dragon se précipita sur lui pour l'achever. Un grand silence se fit dans la foule. Chacun retenait son souffle… Le dénouement fatal était certain.


Mais au dernier moment, comme la gueule du dragon était toute proche de lui, le pédalier releva sa lance brisée en bloquant la hampe contre le sol et le dragon dans son élan vint littéralement s'embrocher dessus dans un hurlement effroyable.

Le dragon recula, la lance plantée dans son flanc sanglant. Il vacilla, tourna une ou deux fois sur lui-même, poussa quelques grognement terribles puis s'écroula sur le dos sans plus bouger.

Alors que la foule peinait encore à croire à la victoire de ce petit chevalier sans cheval, il se releva péniblement et dit d'une voix forte à l'assemblée : "Saint Michel lui-même m'a donné la victoire comme il l'avait promis. Gloire à son nom et à celui du Dieu Tout-Puissant !" La foule se signa.


Puis il leur déclara : "La dépouille du démon est consacrée à l'Archange comme il l'avait exigé. Personne ne doit y toucher par la suite, mais que trois notables viennent néanmoins avec moi constater la mort du monstre."

Alors le curé, le maire et l'apothicaire se détachèrent de la foule et s'approchèrent de la bête terrassée.


Le curé resta à bonne distance, se contentant de psalmodier en latin et d'asperger la dépouille d'eau bénite. Si le démon était encore en vie, ça l'aurait forcément brûlé. Comme il n'y eut pas de réaction, le curé déclara que le démon avait été définitivement vaincu par le pouvoir de la foi et s'en retourna avec l'air de celui qui a toujours été persuadé de la victoire divine finale.


Le maire, plus hardi et ne croyant qu'aux choses concrètes, monta sur le ventre de la bête et sauta plusieurs fois dessus à pieds joints. Comme il n'y eut aucune réaction non plus, il fut convaincu à son tour, donna une grande tape dans le dos du pédalier et il s'éloigna en proclamant à la cantonade que l'affaire était réglée.


L'apothicaire, plus méfiant et représentant la science, ausculta la bête mais n'eut pas le courage de toucher le sang de dragon qu'on disait mortel et corrosif. Il plaqua son oreille sur la poitrine du dragon pour vérifier s'il y avait des battements de cœur (mais il ne savait pas que les dragons en ont deux et qu'ils peuvent en outre suspendre leurs battements à volonté) puis lui aussi convaincu, il s'en retourna vers la foule confirmer la bonne nouvelle. Le monstre était mort. C'en était fini.


Le pédalier se saisit de sa dague et s'approcha de la gueule béante du dragon. Il en arracha trois grandes dents qu'il offrit aux trois notables. C'étaient des présents prestigieux qui feraient d'importants trophées et reliques et qui confirmaient aux yeux de tous la fin du monstre.


La foule en liesse (surtout sa composante masculine à vrai dire) retourna au village faire la fête. On ouvrit les tonneaux de bière et on sortit la charcutaille. La fête dura longtemps. Les hommes burent pour se féliciter de la fin de cette menace, et de la victoire du héros qui représentait l'humanité triomphante. Et les femmes burent pour oublier la disparition de l'objet de leurs sorties secrètes, et pour certaines de leur ami.

De son côté, le pédalier fit rapidement soigner ses blessures qui étaient légères mais refusa de se joindre aux libations pour rester prier auprès de la dépouille, se recueillir et remercier saint Michel.


À la faveur de la nuit, le dragon se releva, s'étira, retira le bout de la lance coincé sous son aisselle et essuya le jus de framboises et d'airelles qui le recouvrait. Tout s'était passé comme prévu. Il ramassa ses livres et ses quelques souvenirs (dont la boîte qui contenait ses dents de lait, qui avaient été si utiles dans leur plan) puis, après avoir allumé un grand feu devant la grotte, il partit vers le nord. Le pédalier l'accompagnait.

Ce dernier avait laissé une lettre au curé pour l'informer qu'après cette victoire divine, il devait brûler le corps et en disperser les cendres selon la volonté de saint Michel et qu'ensuite il se retirerait dans un monastère lointain. Cela ajouta la sainteté à son héroïsme et soulagea les notables et seigneurs locaux qui ne voulaient pas d'un héros trop célèbre et trop encombrant sur leurs terres… On tomba d'accord sur le fait qu'on célébrerait une messe en son honneur chaque année.


Le dragon et son ami marchèrent longtemps puis trouvèrent une nouvelle contrée où ils aménagèrent une grotte douillette. Ils passaient leurs journées à se promener, à lire et à discuter. À jouer aux échecs aussi. Ils dormaient ensemble, et allaient même un peu au-delà de temps en temps. Pour faire plaisir au pédalier. Et puis parce qu'il n'y avait presque plus de dragonnes aussi. Mais c'était surtout par profonde tendresse l'un envers l'autre.


Lorsqu'un chevalier avait connaissance de l'existence d'un dragon et venait pour le tuer, le pédalier sortait à sa rencontre et lui disait : "Trop tard messire, je viens de l'occire." Il l'emmenait ensuite dans la caverne, le dragon prenant grand soin de se cacher et pour convaincre le chevalier, le pédalier lui montrait les dents (de lait…) du dragon qu'il avait soi-disant arrachées à la gueule du monstre. Le chevalier repartait alors déçu et nos deux amis demeuraient en paix et reprenaient leur vie heureuse.


Parfois, une donzelle venait tenter sa chance auprès du dragon. La légende, partiellement vraie il faut bien l'avouer, perdurait toujours. Alors, le pédalier et le dragon échangeaient devant elle un long baiser et ils s'exclamaient ensuite : "Pas de chance, on est gay !" La donzelle repartait à sont tour, tout aussi déçue.


Je ne sais pas si le dragon vit encore, car tout ceci s'est déroulé il y a bien longtemps. Et je ne sais pas s'il a survécu au chagrin quand le pédalier l'a quitté. Ah, comme la vieillesse emporte tôt les humains…


J'espère seulement que le dragon est malgré tout encore vivant quelque part et qu'il a finalement trouvé une dragonne. Ou quelqu'un, qui que ce soit.


 
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   Palimpseste   
30/8/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
ha ha ha ha !

J'adore l'histoire du dragon et du chevalier gays... C'est mignon :-)... rafrichissant tout plein et je viens de beaucoup rire.

Côté écriture, il y a les répétitions à traquer ("le vieil homme", par exemple) et beaucoup de phrase longues dont les coordinations pourraient sauter pour donner plus de rythme encore.

J'ai bien aimé le "pédalier" et tout l'amusement des mots qu'on sent. Je gage que l'auteur s'est beaucoup amusé à l'écriture. Qu'il en soit remercié !

   Anonyme   
30/8/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai lu cette histoire avec le sourire, je l'ai trouvée très mignonne, légère et alerte. Marrante, l'idée du "pédalier" ! Le ton est sympathique, tout s'enchaîne bien et je n'aurais certes pas voulu une autre fin. C'est agréable, de temps en temps, un texte amusant et gentil...

   matcauth   
5/9/2012
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
beaucoup de légèreté et de simplicité dans ce conte pour enfants, enfin presque.

L'écriture est simple mais tout de même agréable, l'histoire est dans la lignée des bonnes histoires merveilleuses.

Bref, tout ici respire la simplicité et le moment de détente le plus facile possible.

Pour moi, cela manquerait d'un peu d'intensité et d'émotions. L'écriture trop narrative, trop "rédactionnelle" n'est pas chargée des sentiments contrastés du preux chevalier, de la peine du dragon...

Manquent également quelques descriptions sur la scène, ces contrées lointaines et merveilleuses. On aimerait connaître davantage les paysages, les couleurs, les odeurs, tout ce qui permet de "plonger" davantage dans la lecture et dans ce monde.

Cela reste un beau travail d'imagination.

   Anonyme   
7/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Une histoire imaginative quoique sans surprises. Le rythme est un peu trop lent, le style un peu trop explicite et les trouvailles un peu trop rares. Il reste un divertissement agréable, quoique monotone. L'introduction avec le vieil homme n'était peut-être pas nécessaire, car elle annonce les amitiés du dragon avec son pédalier et réduit ainsi l'effet de surprise.

   Pepito   
7/9/2012
Forme : quelques couacs sans grandes importance:
« C'était à une époque » peut-être supprimer le "à" et transformer les "çà" en cela.
"…leurs rêves de ces créatures à écailles très entreprenantes." des écailles entreprenantes ;=)
et une ovation pour le superbe "… Et ceux qui n'y étaient pas imagineraient les détails que n'avaient pas vus ceux qui y étaient."

Fond : c'est tout mignon, sans prétention, cela se laisse grignoter sans façon et j'ai bien aimé les quelques critiques sociales disséminées de-ci de-là.

Voilà.

Pepito

   Pimpette   
7/9/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un vrai talent de conteur, c'est à dire le talent de prendre le lecteur par la main pour le conduire à travers une histoire inventée en cheminant à travers les épisodes drôles ou tristes nés de l'imagination du scribe...Ici, le projet est tout à fait réussi...

Les personnages sont attachants à commencer par le rôle titre: le Dragon lui-même! Mais les autres tiennent bien la route aussi!!!

Mais, surtout, le texte est plein de drôleries sympathiques et on ne s'ennuie pas une seconde et c'est le principal!

   brabant   
7/9/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Blacksad,


Beaucoup d'imagination ; c'est frais, léger ; ça ne se prend pas au sérieux, invente des mots, ne joue pas inutilement sur certains autres ( cf "dragonne") ; c'est hilarant.

J'ai beaucoup aimé ce Moyen Age ainsi revisité où les vantards font la légende mais où ce sont les philosophes qui la perpétuent.

Un dragon gay, je n'avais pas encore cela dans mon bréviaire ; en fait celui-ci est bi puisqu'il aime aussi les dragonnes... et, je crois, zoophile à sa manière puisqu'il s'accouple avec des femmes. Le monde à l'envers !


En avez-vous d'autres dans votre bestiaire ?

:D

   Anonyme   
8/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte sympathique et rigolo ! La forme est perfectible notamment en enlevant les répétitions très nombreuses, en rédigeant des dialogues plus que ces longs passages narratifs, par exemple.

Mais l'idée et le traitement de fond sont là, et bien là, et j'ai passé un bon moment de lecture.

merci.

   Charivari   
9/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour. C'est frais, c'est amusant, plein de trouvailles, bref j'ai bien aimé. J'ai tout de même trouvé ça un peu longuet, il manque peut-être un brin de truculence dans l'expression (bon, à l'oral ça doit passer beaucoup mieux), et peut-être un peu plus de dialogues...

   Tankipass   
9/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Très sympathique le coté conte folklorique pris à contre-pied, un peu à la shrek. Un peu d'action ou quelques blagues de plus apporteraient le rythme qui manque parfois.

   Elio   
11/9/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
La satyre sociale et les jeux de mots sont très réussis et donnent un texte très frais, qui se lis avec le sourire.
L'écriture est perfectible, un petit peu "par dessus la jambe", mais cela colle avec le ton du récit donc ce n'est pas trop dérangeant.

   Anonyme   
11/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Si ma femme me quitte, je veux un dragon comme le vôtre, beaucoup plus sympa que celui d'avant.

Je n'ai jamais beaucoup aimé les contes pour enfants, mais je me rends compte que c'était uniquement parce qu'ils n'étaient pas drôles. J'ai apprécié l'histoire (condition indispensable pour moi au-delà de 15000 caractères). Mêler absurde et morale est le meilleur moyen de faire passer celle-ci sans indigestion. La double trouvaille du pédalier en étant le summum.

Même si par instants elle m'a paru un tantinet longuette, je n'ai eu aucun mal à m'accrocher, tant l'humour est renouvelé quasiment à chaque phrase. L'humour est un avantage considérable en littérature : il permet de se répéter sans lasser.

Mais je me mets surtout à la place d'un enfant qui " écouterait " ce conte. Un bon récitant, qui vivrait le texte en modulant sa voix selon la gravité ou le délire des évènements, pourrait en faire une sorte de petit chef-d'oeuvre de la tolérance et de la mixité sociale.

A bas Perrault et Andersen. Et vive Blacksad.
Je peux vous envoyer mes gamins...? Ils commencent à poser des question embarrassantes...

Cordialement
Ludi

   Kerosene   
16/9/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour.

Voilà un vrai conte, fait comme il se doit, pour être dit à voix haute (ce que j'ai constaté quand il a fallu que j'en lise des passages à mon entourage, qui s'étonnait de m'entendre m'esclaffer devant mon écran et a eu envie de profiter de mon hilarité).
Il y a de vraies trouvailles dans cette jolie histoire pas trop morale, mais un peu quand même, comme l'excellent "pédalier" auquel il fallait vraiment penser, ou des formules comme "Un peu comme maintenant, vous avez raison… sauf que les riches sont devenus moins courageux," qui tombe vraiment juste.
J'aime bien aussi l'idée de la boîte à dents de lait, qui m'a fait sourire.
Bref, il y a peut-être quelques longueurs par endroits, quelques redites, mais qu'importe, ce qui est bon fait du bien, alors merci de m'avoir fait du bien.

   aldenor   
23/9/2012
 a aimé ce texte 
Bien
Un conte assez amusant, qui se lit facilement et ne manque pas d'imagination. Mais l'interet baisse progressivement. L'episode du chevalier gay est je crois beaucoup trop long ; ca fonctionnerait sans doute comme un denouement rapide. Et la conclusion est decevante, il manque cette fine petite pointe qui viendrait nous surprendre une derniere fois ou nous donner l'enseignement a tirer.

   MissNeko   
30/10/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quel conte original et attendrissant.
J ai lu votre texte avec un grand plaisir.
Merci pour ce partage.


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