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Réalisme/Historique
cherbiacuespe : Léopold, ou le héraut condamné
 Publié le 10/09/23  -  5 commentaires  -  13800 caractères  -  49 lectures    Autres textes du même auteur

Il arrive parfois que l’on juge des gens de manière trop brutale. Il arrive parfois que l’on se trompe trop aisément. Il arrive trop fréquemment que l’on ignore de regarder d’en bas ce que l’on a toujours regardé d’en haut.


Léopold, ou le héraut condamné


J’ai un arrière-grand-père indigne ! Un traître ! Un lâche ! Un moins que rien ! Ce sont les mots de ma famille quand il arrive parfois que, assez rarement, son nom s’incruste par un mauvais hasard dans une conversation. Léopold le méprisable, c’est ainsi qu’ils réagissent tous à son évocation. De quelle affaire fut-il donc coupable pour obtenir ce brevet d’infamie ? L’arrière-grand-pépé, alors qu’il était engagé dans les tranchées de la Grande Guerre, commit le crime inexcusable de plaider la grève des soldats dès 1915. Bien entendu, il le fit sans grande prudence, sûr que son engagement serait couronné de succès. Il n’en fut rien, et il se trouva bien vite emprisonné au chef d’inculpation de mutinerie. Il s’en sortit de justesse ! Nous n’en étions pas encore aux sulfureuses insurrections conséquences du Chemin des Dames. Mon instinct me dit qu’il eut dû remercier sa bonne étoile de n’être que renvoyé en première ligne sur le front.


Puis il disparut, tout simplement. On le rangea bien plus tard dans l’ignoble colonne des déserteurs probables, eu égard à un dossier chargé de ses nombreuses désobéissances. Malgré le veto de la grande muette, cela se sut. Inévitablement, la famille, qui comptait d’autres engagés plus convaincus, plus disciplinés, tout simplement plus héroïques, évacua Léopold, autant que faire se put, ainsi que le souvenir même de cette existence gênante. Qu’était-il advenu, au juste, de l’arrière-grand-père ? Personne ne cherchera à le savoir. Sans doute une des nombreuses victimes de cette guerre meurtrière.


Il se trouve pourtant que Léopold fut marié. Une institutrice prénommée Rosine. Cette Rosine, une fois la guerre passée, écrivit un long journal décrivant sa vie avec Léopold. Or, par la faute d’un hasard scabreux, ce journal tomba sous mon regard étonné. Il était sagement rangé dans un petit coffre en bois laqué, précieusement, clandestinement camouflé dans le grenier de la maison familiale. Personne ne le remarqua jusqu’à ce que mes yeux en découvrent l’existence. J’étais seul et le feuilletais, amusé par cette écriture à la plume, appliquée, patiente, réfléchie. Car ce qui était écrit était tout autre chose que la description d’un lâche, une démonstration de trahison. Léopold était un bien autre homme que ce troufion refusant le combat.


Le journal de Rosine commençait curieusement par une leçon d’histoire.


« Rome rejeta ses rois. Pour les remplacer, ses citoyens inventèrent un modèle de gouvernance insolite. La Res Publicae. Pourtant, qualifier de république la Rome qui se débarrassa de ses monarques, doit être considéré comme une aberration civique.


Les patriciens, familles les plus anciennes de la ville, s’emparèrent du pouvoir politique, religieux, militaire, judiciaire. Entre leurs mains, ils concentrèrent toutes les latitudes, les privilèges qui autorisaient leur domination sur le reste de la population, la plèbe. Entre autres problèmes, c’est un système de subordination abominable par la dette qu’ils prescrivirent seuls. Sans cesse en guerre, les plus pauvres furent dans l’obligation d’emprunter pour faire vivre leur famille, puisque chaque printemps voyait les plus solides, les plus jeunes, mobilisés dans l’armée. Pour tout citoyen libre, la mobilisation était de nature obligatoire. Ainsi, si l’emprunteur ne pouvait régler sa dette, le prêteur était libre de confisquer les biens, de réduire l’endetté à l’esclavage et de le vendre. Il était chimérique d’en appeler à la loi, celle-ci n’étant pas écrite et, quoi qu’il en soit, les magistrats étant eux-mêmes des patriciens. Il ne pouvait être question pour eux de s’en prendre à leurs semblables ; bon sang ne saurait mentir ! Ce ne fut pas la naissance d’une république au sens où nous l’entendons, mais l’avènement d’une oligarchie violente, sauvage. La plèbe se rebella, une sécession qui se déroula en deux temps.


La première débuta avec la déclaration de guerre des Volsques, en 495 av. J.-C. Bien décidés à en finir avec Rome, ils marchaient sur elle. Pour les Romains, la mobilisation était donc une question de survie. La plèbe endettée, mécontente du sort que lui réservait la classe dirigeante, refusa de défendre la cité et s’enchaîna, symbole de l’esclavage, sur le Forum. D’autres citoyens, conscients que le sort des endettés pouvait devenir le leur dans un avenir proche, les rejoignirent.


Le péril était grand et, malgré la posture rigide d’Apius Claudius, l’un des deux consuls, son homologue, Servillius Publius, obtint une trêve, promettant que le problème des dettes serait examiné par le sénat. Les promesses n’engagent que ceux qui les croient ; Apius Claudius, sitôt les Volsques vaincus, fit emprisonner les plébéiens endettés, sans réaction de la part de Servillius.


Une trahison à l’origine de la deuxième sécession. En 494 av. J.-C., les Volsques, décidément hostiles, alliés aux Sabins et aux Éques, revinrent à la charge. De nouveau, la plèbe mécontente refusa de se soumettre à la mobilisation. Apius Claudius, fidèle à son naturel inflexible, exigea du sénat l’application sans réserve de la règle. Mais la situation était beaucoup plus critique que l’année précédente. Le sénat nomma un dictateur qui avait la confiance des rebelles pour conduire la guerre. Marius Valerius Volusus mena l’armée à la victoire, rentra en triomphateur à Rome et tenta dès lors de convaincre le sénat d’améliorer les conditions des endettés. En vain, une fois de plus.


Cependant, les ennemis menaçaient toujours et les soldats restèrent mobilisés. Une erreur du sénat ! Les endettés profitèrent de la situation pour quitter Rome et se regrouper dans une autre cité, éloignée, laissant la ville et les patriciens, majoritaires, sans défense. Tout était à refaire, tout était à renégocier, ce dont profita enfin la plèbe pour obtenir la création des tribuns de la plèbe, détenteurs de grands pouvoirs, et la promesse de lois écrites et consultables par tous. »


À la fin de ce prélude, le récit de Rosine se mua en verbiage obscur. Il était, entre autres, question du nombre. Je me perdis un peu dans ce fil qui me parut farfelu. Je persistai cependant dans cette lecture. La Rome antique ressuscitait par l’exposé de deux nouvelles sécessions, l’une aux alentours de 450 av. J.-C., la dernière en 287 av. J.-C. Je ne comprenais toujours pas les intentions contenues au sein de ces faits historiques. Rosine avait-elle perdu le sens des réalités pour consacrer du temps à ces vieilleries ? Entre chaque chapitre, ses élucubrations au sujet du « nombre » reprenaient de plus belle. Je regardais la date et cette partie se terminait fin 1920, pour reprendre un an plus tard. Cette fois, Rosine changeait d’époque pour se consacrer à la Grande Guerre, à Léopold, aux événements qu’elle vécut lors de cette trouble période. J’allais tomber de haut…


« Qu’elle a bien de l’orgueil, cette famille qui a calomnié mon Léopold. Les années sont passées et pas un pour venir ici, recueillir le témoignage de la seule personne qui comprit son geste. Bien sûr, il est facile aujourd’hui de le juger coupable et de le condamner. Le voisinage, toujours prompt à énoncer ce qui est juste ou ne l’est pas, sans doute appréciera son déshonneur. Coupable de quoi, au juste ?


Léopold ne fut jamais d’une grande éloquence. Il m’avait séduite par ses difficultés à exprimer ses idées, mais il était bon, foncièrement. Comme par féerie, Je devinais sans effort le bon chemin du labyrinthe de ses pensées. Léopold, dès les prémices de cette horreur guerrière qui allait suivre, en devina la nature parée d’opacité. En cela, il trouva chez Jean Jaurès ce qu’il ne pouvait, lui qui ne possédait pas la faconde, la rhétorique, l’exubérance, exprimer tout haut. Il m’expliquait, à sa manière maladroite, sa théorie du nombre. « Le nombre fait la force », me disait-il avec la fièvre d’un convaincu. « Et Jean – il nommait ainsi son pape de la paix – est notre Jésus à nous. Tu verras ! »


Léopold croyait dur comme fer que le peuple, pauvre du pouvoir des riches, était riche du pouvoir du nombre. Par le nombre qui faisait le peuple, celui-ci récolterait son butin. Comme la plèbe en son temps. Lui ne connaissait pas La Boétie, n’en avait jamais entendu parler. L’eût-il connu, il n’en aurait pas cru les mots. « Même Jean est d’accord avec moi. Le peuple fera la grève et là, qu’ils y aillent eux-mêmes, les marchands, faire leur guerre. » Mon fier, mon redoutable, mon adorable rêveur de Léopold qui me fit rire aux éclats. Ce n’était donc pas lui derrière Jaurès, mais Jaurès qui le suivait.


Et puis, ils ont tué Jaurès ! Léopold en fut presque détruit. J’eus peur que mon homme ne perde la raison. Peu de temps en vérité, car, dès qu’il apprit l’acte d’Union sacrée, il se révolta contre cette trahison des représentants du peuple, ceux dans le camp du grand homme. Mais il ne céda pas au dépit. Il m’expliqua avec sa ténacité sa conviction qu’il parlerait aux soldats, qu’il n’aurait de cesse de leur faire comprendre que, même forcé à la guerre, et lui ne se faisait pas d’illusion sur son proche avenir, ils pouvaient encore tout arrêter. J’essayais bien de calmer cette ardeur folle, mais comment faire comprendre au cheval fougueux qu’il ne doit pas galoper ?


Je sais, moi, que mon Léopold n’était ni un traître, ni un lâche. Je sais, moi, que ce traître et ce lâche a pour nom peuple, quelle que soit sa nation d’origine, poilus, syndicalistes, politicards. Lorsque je revois ces temps cruels, ce n’est qu’hier finalement, c’est comme un cauchemar, comme si l’Europe entière n’attendait que la mort de Jaurès pour, enfin libérée de ce Père de la paix, prendre les armes et se massacrer, émoustillés par l’odeur du sang. Non Léopold, si tu m’entends, le nombre n’est rien sans la conscience !


Je n’ai pas et n’aurai jamais d’admiration pour les poilus, encore moins pour ceux qui les commandaient, civils ou militaires, et d’un côté des tranchées comme de l’autre. Je les blâme tous de n’avoir pas su, pas voulu stopper cette boucherie alors qu’ils le pouvaient encore. Les traîtres, ce sont ceux qui soutenaient Jaurès en vie mais n’attendaient que son effacement pour le renier plus simplement, une fois en terre. Et grand bien à ceux qui me lisent ici et maintenant et me condamnent pour n’être point juste ou compatissante. Seul Dieu peut séparer le bon vin de l’ivraie ! »


J’étais dubitatif et horrifié. L’histoire dans les écoles encensait depuis toujours la grandeur des poilus de 14, leur courage, leurs souffrances. On publiait leurs lettres décrivant leur univers fait d’agonie, de trépas et d’horreur. Héroïque était l’adjectif usuellement associé à celui de ces soldats. Bien sûr, Rosine en voulait probablement à la Terre entière d’avoir perdu son mari. Bien sûr, le sort réservé par la famille l’avait profondément blessée. Quelque chose me troublait, cependant, m’interrogeait. Taraudé par un doute inexplicable, je replongeai quelques jours plus tard dans l’histoire des débuts de la guerre, l’histoire de Jean Jaurès, que je ne connaissais finalement pas, et des turpitudes de ses contemporains, de cette période confuse. Je remarquais qu’à aucun moment, Rosine ne fit allusion aux révoltes du Chemin des Dames ni des autres, plus tardives. La révélation éclata au détour de deux morceaux de discours, l’un de l’éloge funèbre prononcé par Paul Deschanel, l’autre de René Viviani


« Ses adversaires sont atteints comme ses amis et s’inclinent avec tristesse devant notre tribune en deuil. Mais, que dis-je, y a-t-il encore des adversaires ? Non, il n’y a plus que des Français… » disait le premier. « De ses idées sort une pensée d’union… n’est-ce pas le plus digne hommage que nous puissions lui rendre ? » appuyait le second. Je restais sans voix, car, dans tout ce que je lus à son sujet, jamais le député Jaurès n’en appela à cette Union sacrée POUR FAIRE LA GUERRE ! Il n’aurait pas plus consenti qu’on lui rendît hommage pour envoyer de jeunes gens se faire tuer. Il ne voyait dans ce conflit qui se profilait qu’une catastrophe, un massacre inutile d’êtres humains. Des jeunes générations sacrifiées. Oui, j’étais atterré de constater que ce grand visionnaire, car cette vision d’horreur se déroula telle qu’il l’avait maintes fois décrite, avait autour de lui moins de soutiens qu’il ne l’imaginait. Comment croire qu’il y aurait adhéré ? Et, surtout, comment expliquer que les partis de l’internationale, les syndicats de toutes les nations plongèrent dans cette fange de délire sans sourciller, à l’opposé de leur plus grand orateur ?


J’appréhendais plus simplement le tourment momentané de Léopold, la rancœur de Rosine. Je comprenais mieux ce qu’elle considéra comme la trahison d’une parole donnée et sa référence admirative à la plèbe romaine qui sut dire non, malgré les dangers multiples, hors ou dans la Rome antique. Je comprenais enfin cette loi du nombre vainement défendue par Léopold. Il faut croire que, isolée, cette idée ne suffit pas. Comme l’exprimait si justement mon arrière-grand-mère, elle n’est rien sans conscience.


Oh ! Je n’étais pas moins admiratif et peiné ce jour-là plus que la veille par ces jeunes combattants et les barbaries qu’ils endurèrent. Mais je découvrais, par les mots de Rosine, que j’avais un arrière-grand-père qui, jusqu’au bout sans doute de sa propre vie, ne s’agenouilla jamais devant l’inéluctable. Oui, il lui fallut du courage, et plus encore à son épouse pour supporter l’injuste sort qu’on lui réserva et dont elle ne pouvait se faire l’écho.


Ce soir, je regarde mon visage dans le miroir de la salle de bain, en me brossant les dents. Et quelque chose encore érode ma morale !


— Et toi, m’interpellé-je, t’aurais fait quoi, si un type était venu te voir pour te convaincre de déposer ton arme ?


 
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   jeanphi   
10/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour,

Par une sorte de témoignage fictif, vous amenez le lecture à une réflexion sur la souveraineté des intérêts de l'État en confrontation avec la souveraineté du peuple. L'exergue est pleinement satisfait.
Vous traitez des libertés individuelles et de la démocratie participative dans son état le plus instable, en période de guerre.
L'idée de mettre l'Histoire en perspectives est plutôt bien réussie. En effet, la Rome antique et le gouvernement Viviani ne se correspondent pas vraiment sur une base formelle, et pourtant les motivations de l'arrière grand-mère écrivant dans la rage du silence, ainsi que la lecture du descendant en quête de rédemption pour son aïeul convainquent. Le sujet récurent du nombre est-il, comme le pense votre narrateur, par élucubrations, ou bien porte-il un symbole d'empathie.
On comprend ainsi chez Rosine une douleur rendue exponentielle par la culpabilisation.

   Robot   
10/9/2023
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Quel beau sujet de réflexion !
J'ai vraiment apprécié le découpage de cette nouvelle. D'abord la réflexion familiale prompte à dénigrer l'ancêtre. Puis le journal de l'épouse dont on apprécie la culture qui nous est présenté non pas comme une leçon pédante mais comme un véritable argumentaire réfléchi et raisonné.
Un texte qui vaut pour des époques ultérieures telle que la guerre d'Algérie ou des appelés empêchaient les trains de quitter les gares pour rallier Marseille. Et ceux qui ayant refusé de porter les armes et parfois l'uniforme finirent dans les commandos disciplinaires les plus exposées pour cette raison.
Qu'aurions nous fait nous mêmes ? Bonne question !

   Malitorne   
12/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J’ai inévitablement pensé aux Sentiers de la gloire de Kubrick, film qui m’avait beaucoup ému. La rébellion des Poilus durant la grande boucherie attire la compassion. Tu as le mérite de faire revivre cet épisode douloureux, d’expliquer avec justesse les espoirs et déceptions des acteurs du moment ainsi que les incompréhensions familiales.
Cependant le traitement est trop lourd, à mon avis, ceux qui ne sont pas férus d’histoire trouveront indigeste le long passage sur Rome. En plus ici le style change, on devine que tu cites des sources, ça ressemble presque à du copié/collé.
En fait ce n’est pas une nouvelle que tu nous sers là mais un cours d’histoire à peine romancé. Ça reste instructif, éclairant, mais en aucun cas tu ne réponds aux critères d’une nouvelle en bonne et due forme. Tu n’es pas le seul, je constate souvent des écrits sur Oniris qui n’ont rien à voir avec ce genre.

   Louis   
19/9/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Cette nouvelle déroule le récit intéressant d’une enquête sur une histoire personnelle et familiale au croisement avec l’Histoire.
Pour point de départ : une tache, une infamie qui marque la famille du narrateur. Un arrière-grand-père serait un « traître » et un « lâche ».
Son nom n’est pas évoqué autrement dans le milieu familial que par ces jugements qui déshonorent l’aïeul, et le rangent dans la catégorie du « méprisable ».

Cet homme a été jugé avant d’être compris. Le narrateur, lui, veut d’abord comprendre. Il est en quête de cette compréhension, qui se fera de façon un peu fortuite, mais pas vraiment, le Journal qu’il découvre dans un grenier, lieu de l’oubli et du refoulé, nourrit une volonté de savoir préalable ; l’aurait-il seulement ouvert, sans elle ?

La nouvelle va prendre la forme d’une révélation, à la lecture de ce Journal, des actes et intentions véritables de Léopold, l’ancêtre méprisé.
Ce document écrit a été rédigé par Rosine, son épouse.
Elle fut la seule personne « qui comprit son geste », mais on ne l’a pas consultée, et son témoignage n’a pas été recueilli.

Qui était-il donc, cet aïeul, tant vilipendé ?
Quel a été exactement son comportement au cours de la Grande guerre ?

Les écrits de Rosine commencent par une référence en un long, trop long détour, à la Rome antique, celle qui a vu la naissance de la République.

Quel rapport entre la 1ère guerre mondiale, le comportement individuel de son mari dans cette guerre, et la Rome d’autrefois ?
Que veut-elle montrer par ce discours sur Rome ?
Comment peut-il permettre de comprendre le comportement individuel de son mari ?

Rosine procède par une analogie entre le refus par Léopold de la guerre et des combats, qui lui ont valu tant de calomnies, et d’autres refus historiques de se battre dans la Rome ancienne.
La plèbe romaine refusa, à plusieurs reprises, de prendre les armes contre les ennemis qui menaçaient Rome.
Rosine veut montrer que ce n’était ni par lâcheté ni par trahison.
Leurs actes, quoi qu’en aient pensé les patriciens, n’avaient rien de déshonorant, tout au contraire.

Les plébéiens refusèrent de se battre en situation d’injustice, et d’absence de liberté.
Le début de la république romaine s’avéra, en effet, une « aberration », puisque le pouvoir, la Cité n’a pas été la chose de tous, le bien commun, comme son nom ( res publica) pourtant l’indique, et que le pouvoir fut confisqué par une « oligarchie violente, sauvage », qui gouverna dans son intérêt et non dans celui de tous. Les Patriciens concentrèrent entre leurs mains tous les pouvoirs et exercèrent une domination sans partage sur la plèbe

Celle-ci n’accepta de se battre pour défendre l’État qu’à la condition que celui-ci soit authentiquement républicain.
Elle opposa un refus de mourir pour ses maîtres, quand la victoire commune serait leur défaite de groupe.
Le refus n’était donc pas un déshonneur, mais au contraire l’honneur des hommes libres, qui rejettent l’injustice et la subordination à une classe de privilégiés.
Son action aboutit à la nomination de « tribuns » qui lui permirent une participation au pouvoir et à la marche des affaires publiques dans la Cité.
S’il y eut trahison, ce n’était pas de la part de la plèbe, mais à plusieurs reprises, celle des promesses et engagements non tenus des consuls et représentants des patriciens.

La lutte plébéienne fut donc courageuse, vaillante, elle fut l’histoire d’une révolte, et de la constitution d’une république contre toute forme d’oligarchie ; l’histoire d’une revendication de justice et de liberté. Le refus du combat a fait progresser, grâce à leur action, l’idée républicaine et ses valeurs.

La démarche de Léopold allait dans ce sens, s’inscrivait dans ce courant de lutte historique pour la liberté et la justice. Mais il lui a manqué « le nombre », qui donne la puissance, après l’assassinat de Jaurès. Son combat fut solitaire. Mais il n’a pas trahi, Rosine situe la trahison chez ceux qui, « dans le camp du grand homme » de son vivant, l’ont « renié » en soutenant « l’Unité nationale » après sa mort.

Le narrateur découvre donc que Léopold fut un homme courageux, un esprit libre qui voulut s’opposer à la guerre, et aspirait à un monde plus juste et plus libre. Cet homme paya de sa vie une révolte qui ne réussit pas à devenir un mouvement collectif.
Le discours de la famille qui le déconsidère est conforme au discours dominant du pouvoir, qui a mené à cette guerre atroce, à cette « boucherie » que fut la première guerre mondiale.

La dernière question que le narrateur se pose devant « le miroir de la salle de bain » fait bien office, en effet, pour lui-même et pour chacun, de miroir dans la réponse donnée à cette interrogation : « qu’aurais-tu fait si un type était venu te voir pour déposer les armes ? », reflétant notre courage ou notre prudence, ou encore notre lâcheté. Bien qu’à ce reflet, devrait s’en ajouter un autre, celui de l’idéologie intégrée : celle des va-t-en-guerre ou celle qui prône la paix dans la liberté et la justice.

Merci cherbiacuespe pour ce texte intéressant, et courageux aussi.

   dowvid   
13/12/2023
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Intéressant,ces courtes bribes d'histoire. Surtout pour un Québécois qui ne connaît de Jaurès que la superbe chanson de Brel.
Et qui aime le Déserteur, tant de Vian que de Renaud.
Belle lecture. J'aime moins l'aspect du conte au passé. Les verbes au passé, je veux dire. Ça émet une certaine distance entre le lecteur et le texte à mon avis.
Mais bien sûr, c'est parfois nécessaire.
merci


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