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Sentimental/Romanesque
Colchique : Monsieur Charles [Sélection GL]
 Publié le 25/09/14  -  10 commentaires  -  5400 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

Histoire naturelle et véridique.


Monsieur Charles [Sélection GL]


Tout le monde, dans le quartier, connaissait Monsieur Charles et Madame Allain.

En réalité, il s'agissait de Sir Charles Gerrart of Barnett, mais ceux qui l'avaient su l'avaient oublié. Quant à Madame Allain, elle se disait, en souriant, sa gouvernante. Un jour quelqu'un avait dit : "Sa servante-maîtresse". Et tout le monde avait ri, sans moquerie, ni méchanceté.

Ils habitaient depuis dix-huit ans une ravissante petite maison de pêcheurs qui avait résisté à l'urbanisation, et se trouvait maintenant coincée entre deux immeubles, mais avait conservé une vue imprenable sur la grande place et sur les remparts de la vieille ville, de l'autre côté du chenal d'accès au port.

Par n'importe quel temps, en n'importe quelle saison, Monsieur Charles sortait de chez lui trois fois par jour, en compagnie de Madame Allain.

Le matin, vers huit heures, il faisait le tour de la place de son allure irrégulière, tantôt pressée, tantôt traînante, vérifiait de près si les arbustes au feuillage persistant se portaient bien, si les bancs de la promenade étaient bien à leur place, s'arrêtant quelques instants au bord du chenal pour observer le sens de la marée ou quelque goéland en quête d'une provende. Madame Allain arpentait à pas lents, les mains dans les poches, l'aire sablée des jeux d'enfants. Le plus souvent en jogging et baskets, les cheveux, gris et blond mêlés, roulés en catogan bas sur la nuque, noué de mousseline pastel, rose, jaune ou bleue. Elle avait conservé une silhouette de jeune femme, déliée et d'une naturelle élégance. Lorsqu'il pleuvait, elle endossait un grand manteau de plastique transparent et un chapeau assorti. Aux matins de grand froid, bien rares en ce pays maritime, elle portait une longue veste en mouton retourné. D'autres promeneurs passaient, surtout l'été. Madame Allain échangeait quelques mots avec certains d'entre eux. Monsieur Charles se contentait généralement de saluer aimablement, plus rarement faisait quelques pas avec l'un ou l'autre.

La promenade durait quelques minutes, jamais plus d'un quart d'heure, et tous deux rentraient d'un commun accord, sans avoir besoin de se concerter.

La seconde fois, c'était vers quatorze heures. Monsieur Charles était semblable à lui-même, apparemment gai, primesautier pourrait-on dire, mais avec un peu de retenue. Il est vrai que son âge respectable avait assagi la vivacité de son tempérament. Madame Allain avait fait toilette. Souliers confortables, mais élégants, manteau ou tailleur de bonne coupe, léger maquillage, chignon travaillé. Cette fois, ils traversaient la place d'un pas décidé, tantôt vers le sud et la promenade de bord de mer, tantôt vers le nord, pour prendre le bateau du passeur et aller dans la vieille ville faire le tour des remparts, à l'abri du vent. Ils rentraient une heure plus tard. Deux fois par semaine, ils sortaient en voiture et s'en allaient faire des courses. Madame Allain conduisait avec des gants de cuir, comme les pilotes professionnels. Monsieur Charles était manifestement content de cette escapade qui les menait souvent, après les courses, jusqu'à un petit bois à l'extérieur de la ville où il pouvait assouvir sa passion pour les arbres.

Leur troisième sortie quotidienne avait lieu vers vingt-deux heures trente, après l'émission télévisée de la première partie de soirée. Madame Allain avait alors mis un jogging ou même, les soirs d'été, une jolie robe d'intérieur. Ses cheveux mi-longs étaient libres sur ses épaules. Dans la lumière blonde et indulgente des lampadaires de la place et des spots des remparts, doublée de leurs reflets tremblants dans l'eau vivante du chenal, elle redevenait la ravissante et séduisante jeune femme dont quelques messieurs de la ville se souvenaient avec un battement de cœur, et leurs épouses avec un soupçon d'inquiétude.

En cette fin de journée, Monsieur Charles était fatigué. Madame Allain devait l'inciter à faire un peu plus que quelques pas. Côte à côte, ils traversaient l'aire de jeux, s'aventuraient sur le grand parking, désert à cette heure, longeaient le quai et revenaient lentement par le square, où Monsieur Charles disait bonsoir à ses bosquets bien-aimés…

L'hiver dernier fut anormalement rude. Il y eut même plusieurs matins, et même toute une journée de janvier, où les grandes dalles de pierre de la promenade furent impraticables, couvertes de verglas. Heureusement, le gravier du square permettait quelques pas et Monsieur Charles ne s'en priva pas, comme revigoré par ce froid sec et le soleil d'hiver.

Mais début mars, d'un seul coup, on ne vit plus Monsieur Charles et Madame Allain. Le quartier fut assez prompt à s'en inquiéter.

On apprit que Monsieur Charles était mort d'un coup. Crise cardiaque, avait dit le vétérinaire. À plus de dix-huit ans, c'est un bel effort de longévité pour un Cavalier King Charles.

Ce soir, vers vingt-trois heures, Madame Allain est apparue dans le square qu'elle ne fréquentait plus depuis plus de deux mois. Elle tenait en laisse un tout petit chien frisé, blanc, vif, remuant, jappant, sautant. Visiblement, elle n'a pas osé le libérer et l'a mené, elle-même, faire le tour des arbustes du square. Auparavant, comme d'habitude, elle a pris, au distributeur, un sac de plastique sanitaire que la ville met à disposition.

Bientôt, le quartier, rassuré, regardera passer, trois fois par jour, Madame Allain et Mademoiselle Gypsy, bichon maltais.


 
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   Anonyme   
19/8/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↑
"Monsieur Charles était manifestement content de cette escapade qui les menait souvent, après les courses, jusqu'à un petit bois à l'extérieur de la ville où il pouvait assouvir sa passion pour les arbres." : c'est là que j'ai compris que Monsieur Charles était un chien.

D'ordinaire, je râle un peu sur ce que j'estime des artifices pour embobiner le lecteur, mais ici je trouve la chose fort bien menée et, en fait, révélatrice de quelque chose de plus profond que l'anecdote : pour moi, le texte parle de solitude, tout simplement, du besoin de compagnie. Nul doute selon moi que, aux yeux de Madame Allain, Monsieur Charles ait valu un mari... En tout cas, les portraits ainsi dressés, humain et canin, m'ont paru très convaincants.
Je trouverais presque dommage, du point de vue de l'intrigue, que Monsieur Charles ait été si vite remplacé, mais pourquoi pas. En revanche, j'ai ressenti comme franchement lourdes les précisions sur Mademoiselle Gypsy ; comme lectrice, j'aurais bien vu le texte s'arrêter à "vif"... Bien sûr, c'est vous l'auteur, c'est vous qui voyez.

   Anonyme   
26/8/2014
 a aimé ce texte 
Bien
Ah oui, bien joué, je me suis fait avoir en beauté ! Pas un moment je n'ai flairé l'entourloupe. Je commençais à me dire que cette histoire était d'une banalité désespérante quand la fin m'a surpris et forcé à tout relire. À l'éclairage de cette révélation, le texte a pris une autre dimension et j'ai pu apprécier la "passion pour les arbres" de Mr Charles.
La précision des détails me surprend aussi - lieux, horaires, habillements - et me fait croire, ma parole, que vous les avez espionné aux jumelles puisque que vous dites que c'est une histoire naturelle et véridique !

   Asrya   
4/11/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Une histoire bien écrite, gentillette.
J'ai lu sans réfléchir, et c'est avec joie que la chute m'a surpris.
C'est bien pensé, c'est concis, sans "chichi".

Que dire de plus si ce n'est merci pour ce récit cocasse.
J'espère que les aventures de Mademoiselle Gypsy dureront aussi longtemps. (18 ans pour un King Charles, c'est pas mal ! Pour un bichon maltais, c'est jouable !)

Merci,
Au plaisir de vous lire à nouveau.

   in-flight   
25/9/2014
 a aimé ce texte 
Bien
"qu'elle ne fréquentait plus depuis plus de deux mois." --> La répétition de "plus" n'est pas du meilleur effet.

L'histoire est sympathique mais je suis déçu par la chute: je pensais que Madame Allain serait elle aussi un chien, sorte d'alter ego canidé de Sir Charles. J'aurai trouvé ça plus mignon.
Du coup, ce texte est effectivement le récit d'une femme seule qui cherche à combler un vide affectif.

   Edgard   
25/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Colchique,
C’est finaudement torché, votre petite histoire... Bien sûr je tiquais un peu à cause du manque d’infos sur les sapes du pépé et sur l’étrange passion des arbres et buissons…mais non ! En tant que crétinus grandus, je suis allé jusqu’aux « dix-huit ans » ! Bien joué.
Je trouve votre texte bien écrit, agréable à lire.
(Elle n’aurait pas pu trouver un autre « mâle » genre Mâtin de Naples bien baveux? Comment va-t-elle s’accommoder d’une petite bête horrible et emmerdante ? )
Après tout ce ne sont pas mes affaires…
Merci pour ce moment sympa.

   fergas   
26/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Rajoutez-moi sur la liste de ceux qui n’ont pas vu venir la chute ! Les indices étaient pourtant là : la régularité des sorties, l’attrait pour les arbres, la différentiation des descriptions (vêtements pour l’une, rien pour l’autre)…

Colchique, vous nous menez joliment en bateau avec cette fine histoire (j’ai pensé au port de Saint-Malo en lisant).

Une phrase trop longue, qui mériterait d’être coupée en deux :

« Ils habitaient depuis dix-huit ans une ravissante petite maison de pêcheurs qui avait résisté à l'urbanisation, et se trouvait maintenant coincée entre deux immeubles, mais avait conservé une vue imprenable sur la grande place et sur les remparts de la vieille ville, de l'autre côté du chenal d'accès au port. »

Sinon, l’écriture est agréable, l’histoire intéressante et bien trouvée. En bref : elle m’a plu.

   Robot   
26/9/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Comme c'est agréable de lire un texte à la fois bien écrit et une histoire racontée de manière originale. La révélation m'a surpris comme beaucoup et c'est encore ce que j'ai le plus apprécié: être étonné.
En fait, vous nous aviez donné d'entrée un élément avec "Sir Charles Gerrart of Barnett" mais la subtilité du nom de pedigree m'a échappé.
Un bon moment de lecture.

   Anonyme   
26/9/2014
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Colchique,
J'ai bien ri quand j'ai vu que je me suis bien fais avoir. La fin est très réussie je ne m'attendais absolument pas à ça. (Je préfère dire "ça" pour garder le mystère étant donné que certains lecteurs lisent les comm' avant de commenter).
Honnêtement j'ai dû relire car j'avais fini par lire votre nouvelle en diagonale. Il est vrai que je me suis bien ennuyée car tout le long de ma lecture il ne se passait rien, juste des descriptions vestimentaires de Mme Allain. Il aurait été bien que la promenade soit plus colorée: description plus vivante de la nature et de la ville pour m'inviter aux sensations, des rencontres, l'illustration précise de leur complicité qui aurait accentué ce quiproquo...cela aurait donné plus de pep's à l'histoire. Bien sûr je ne demande pas de l'action mais plus de surprises.

   Soruf   
2/10/2014
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Salut ! Je m'aperçois que je vais répéter ce qui a déjà été dit, mais tant pis.
Moi aussi je me suis fait avoir. Heureusement, c'est ce qui fait tout le charme de l'histoire que l'on parcourt de nouveau : "suis-je bête !"
Après, les descriptions trop longues ou pointus des Madame Allain peuvent refroidir les lecteurs impatients. En même temps, on se dit bien qu'il va y avoir un hic, donc on continue, c'est là où le texte me parait efficace.
Sur la forme, quelques phrases gagneraient à être scindées il me semble.
Merci pour cette lecture.

   carbona   
12/9/2015
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Je suis déçue de cette chute, de ce revirement. J'appréciais franchement cette histoire et n'avait pas envie de la voir prendre une tournure surprise loufoque ou humoristique.

Bravo pour l'écriture qui m'a plongée avec délice dans le rythme des balades de Monsieur Charles, qui malheureusement a perdu tout son charme...

Merci pour cette lecture.


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