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Science-fiction
colibam : Trop beau pour être vrai
 Publié le 01/05/09  -  13 commentaires  -  19119 caractères  -  150 lectures    Autres textes du même auteur

C'est beau, la Provence, un soir de juillet.
Les fragrances du figuier, la stridulation des grillons, la fraîcheur salutaire du rosé qui coule lentement, un petit air de musique qui flotte dans l'air saturé de parfums enivrants...
Mais quand le disque se raye, c'est tout un univers qui s'écroule. Pour toujours.


Trop beau pour être vrai


Village de Castelbosc, un soir paisible de juillet.


Tandis que les grillons stridulent dans les champs de lavande, quelques chèvres se tiennent immobiles, attendant la prochaine aube pour se remettre en marche.


Un peu plus haut sur la colline, Auguste tire à lui son drap léger dans un profond soupir de satisfaction. Ses paupières se ferment en même temps que la lumière s'amenuise sur quelques notes de piano.


- Bonne nuit, monsieur Auguste. Je vous souhaite de trouver dans vos rêves ce que vous chérissez le plus au monde.

- Le monde. Mmh... Merci Pandulle. Bonne nuit à toi aussi.


Pendant que la lumière s'efface lentement, le ciel pur de juillet se crible d'étoiles que l'on pourrait effleurer des mains tant elles semblent proches. Une légère brise marine se lève et s'attarde paresseusement dans la nuit solitaire et figée. Les heures passent, dans une indifférence paisible.


Dans le silence sucré de la bastide endormie, un cliquetis discret se fait entendre. Aussitôt, un large panneau coulisse sur une musique feutrée, dévoilant un paysage d'une beauté aveuglante.


- Dimanche 12 août. Il est 8 h, le soleil vous offre ses 23 degrés.


Deux paupières aux rides profondes s'illuminent d'un bleu céleste. Tiré de son sommeil sans rêves, Auguste s'étire longuement avant de se redresser.


- Bonjour Pandulle. C'est une belle journée qui se prépare, on dirait.

- Oui, monsieur Auguste, encore une belle journée en perspective. Le petit déjeuner vous attend.

- Ah, voilà qui me fait plaisir. J'ai l'estomac aussi creux que le tronc d'un figuier.


Dans la cuisine aux tons mimosa et amande, Marmiton s'affaire à dresser la lourde table en chêne tandis qu'apparaît son maître, un sourire gourmand aux lèvres.


- Bien le bonjour, Marmiton ! J'espère que tu t'es surpassé, j'ai l'estomac dans les talons.

- Fougace aux lardons, œufs de caille, picodon affiné, jambon braisé, confiture d'arbousier, tuiles aux amandes, caf...

- Ça va, ça va, tu vas encore finir par me rassasier avant que j'aie commencé à goûter à tous ces trésors.


Une heure et quelques miettes plus tard, le ventre rebondi, Auguste prend congé de son talentueux cuisinier. Il se dandine jusqu'à la salle de bain où l'attend Oclaire pour une toilette parfumée. Puis, vêtu d'un large pantalon en toile, d'une chemise à carreaux et de son fidèle chapeau de paille, Auguste, fier comme un bar-tabac comme ils disaient au village, adresse sur le seuil de la maison son plus beau sourire à Dame Nature.


- Très chère beauté, vous vous êtes affublée de vos plus beaux atours ce matin.


Sur le plateau parfumé de lavandes, une brume légère nimbe les champs cloutés de grosses pierres. Auguste s'avance sur la large terrasse qui domine la vallée. Une grosse libellule descend d'un tilleul et frôle sa généreuse moustache. Ceinturant l'harmonieuse bastide, un cirque de falaises grises aux sommets inaccessibles encadre jalousement cette contrée sereine.


En contrebas, le ruban argenté de la rivière glisse avec nonchalance vers la mer. C'est là, dans le creux paresseux d'un méandre, que se blottit le village de Castelbosc, dont la cloche solitaire ose à peine troubler ce décor pastoral envahi par le chant des cigales.


Dans ce petit coin préservé, la vie coule des heures paisibles. Auguste le sait bien, lui qui a connu le pire. Mais cela fait longtemps. Derrière son regard myosotis frangé de mélancolie, il se souvient des heures heureuses. Un vent léger fait frissonner le voile fin d'un rideau tout proche, dispersant le parfum particulier des matins chauds de l'été.


Aujourd'hui, le village est déserté. Tous sont partis, à part Auguste et son vieil ami Philomène qu'il descend rejoindre.


Entre les coteaux damés de vignes à l'abandon, le clocher apparaît, veillant sur un village sans paroles. À l'entrée de ce dernier, quelques lauriers en fleurs s'étouffent au soleil tandis que des bouquets de roses trémières crépissent les murs des vieilles bâtisses.


Auguste s'enfonce dans l'ombre et la fraîcheur des ruelles, où le temps semble suspendu. Au coin d'une rue, un chien à la démarche hésitante et au regard fatigué le croise. Auguste débouche enfin sur la place de l'église où l'attend son ami. Les deux compères se saluent avant d'aller se rafraîchir la bouche à l'eau de la fontaine.


- Ah, peuchère, c'est un régal cette eau.

- Eh ouais, même sans pastis, elle a du goût.

- Dis-moi Auguste, t'es au courant ?

- Eh fada, ça fait longtemps que je m'éclaire plus à la bougie, môa monsieur.

- Je te parle pas de ça, idiot. Le bateau, tu l'as pas vu ?

- Tu crois sans doute que j'ai que ça à faire, surveiller tout ce qui flotte ?

- Mais, c'est que des bateaux, Auguste, il en passe pas tous les jours ici. Ni même tous les mois d'ailleurs. Et celui-là môssieur, je t'apprendrai qu'il s'est même arrêté sur l'île. Tu vas peut-être me prendre pour un fou mais je crois bien que des gens sont descendus.

- Et d'où veux-tu qu'ils viennent, ces gens ? De la lune peut-être ?

- Eh, si tu ne me crois pas, tu n'as qu'à descendre avec moi jusqu'à la plage et tu verras que je n'ai pas déjeuné au pastis ce matin.

- Oh, ça va hein. C'est pas ça que je voulais te dire mais tu sais très bien qu'on n’a vu personne venir ici depuis... Tiens, je ne sais même plus combien de temps d'ailleurs.

- Bien sûr que tu le sais. Seulement, tu veux me faire croire que tu n'y penses pas. Mais moi, je le vois bien qu'il y a encore des averses qui passent dans ton regard. Depuis que la petite est partie, tout a changé. Je me demande même parfois à quoi on sert maintenant.

- Et... ce bateau, si on allait le voir.


Au moment où les deux compères débouchent sur la petite plage, une bouffée iodée leur gonfle les poumons de ravissement. Un peu à l'écart, à l'abri des rochers, quelques bateaux à l'abandon chantent leur désespoir en faisant s'entrechoquer leurs mâts inutiles. Derrière la frange crémeuse de l'océan, le sable coquillier bruisse du pas tranquille des deux hommes. Auguste s'arrête soudain pour scruter la ligne d'horizon qui brille au loin.


- Et alors, ce bateau, il est où ?

- Tout là-bas, dans la brume.

- Évidemment...

- Arrête Auguste, je te dis que je l'ai vu ; je l'ai pas rêvé quand même ?

- Alors on va tranquillement attendre que le brouillard se lève.

- Je vais faire mieux que ça. Je vais y aller moi-même le voir.

- C'est ça. Et moi, pendant ce temps, je vais parler aux coquillages. À ton âge, Philomène, tu sais que ce n'est pas bien raisonnable. Qui ira te chercher si tu as un problème ?

- T'occupes Auguste. L'eau est bonne et je suis en pleine forme. Tout est là mon ami, le souffle.

- Le souffle ? T'as déjà du mal à servir le pastis, al...

- Tss, tss, observe le jeune homme que je suis et essaie de prendre de la graine.


Tandis que Philomène pénètre dans l'eau, Auguste s'allonge dans le sable chaud. Les yeux juste voilés, il repense à Élise et son regard d'océan

.

Elle était arrivée dans sa vie un peu par effraction. C'est sa mère qui la lui avait amenée un matin. Rongée par la maladie, cette femme qui vivait seule avec sa fille était l'une des dernières habitantes de Castelbosc. Les rares personnes encore en vie étant toutes âgées ou malades, elle avait souhaité confier à Auguste le seul enfant du village.

Il y a longtemps, le village et la région bourdonnaient de vie et d'insouciance. Les marchés et les fêtes se succédaient toute l'année. Des générations entières avaient ainsi vécu dans le bonheur simple d'être ensemble, de partager des biens communs, de profiter de la splendeur de cette contrée préservée de la tourmente du monde.


Et puis, lentement, ce qui n'était d'abord que de simples murmures échangés timidement dans la chaleur moelleuse des draps se transforma en une vague rumeur qui enfla et se précisa avec le temps. Un mal sournois semblait frapper le village. Le nombre de naissances s'amenuisait d'année en année tandis que les habitants souffraient de symptômes variés qui se terminaient presque toujours par une issue fatale.


Alors que le mystérieux agent infectieux avait décimé la presque totalité de la population sans qu'aucun des remèdes testés n'ait pu en venir à bout, la mère d'Élise fut frappée à son tour.

Auguste ne sut jamais les raisons qui l'amenèrent à lui confier sa fille. De toute façon, à part Philomène, il était le seul capable d'assumer cette charge dans le temps. S'ils n'étaient pas happés à leur tour par la maladie, les derniers villageois, âgés pour la plupart, seraient en effet partis bien avant que la fillette n'atteigne l'âge adulte.


Du nombre considérable de personnes auprès desquelles Auguste avait servi durant toute son existence, c'est auprès d'Élise qu'il avait passé ses meilleures années. Elle avait fait irruption dans sa vie alors qu'elle n'était âgée que de huit ans et en était sortie brutalement cinq ans plus tard.


Il lui avait fallu du temps et beaucoup de douceur avant d'être capable de faire fleurir un sourire sur ses lèvres d'orpheline. Mais à partir du moment où il y était parvenu, tout avait été différent et radieux.


Élise se levait toujours tôt. Elle s'enfuyait dans les collines pour précéder l'aurore. Auguste entendait l'écho de ses pas de plume décroître dans le matin pâle. Elle le rejoignait plus tard, dans la lenteur suave du café chaud, pétillante comme une perle de rosée. Puis ils partaient tous les deux à vélo ou à pied, dans la paix secrète des collines. Chaque jour, ils inventaient un chemin et une histoire nouvelle.


Souvent, ils descendaient vers la mer en riant, s'allongeant sur le sable brûlant dans la cacophonie des mouettes. Élise s'étonnait à chaque fois de la présence de ces drôles d'oiseaux blancs qui désertaient la plage en même temps que les hommes.

« Elles habitent où les mouettes ? » avait-elle un jour demandé à Auguste. Ce dernier, un instant embarrassé, lui avait répondu qu'elles creusaient leur nid dans le ciel, qui est parcouru de l'âme des défunts. Une fois la nuit tombée, elles montaient tout là-haut éclairer la nuit de leur plumage étincelant.


- Et tu crois qu'elles pourraient m'emmener voir ma maman ?

- Mmh. Eh bien, il faudrait pour cela pouvoir les attraper et je n'ai jamais connu personne qui y soit arrivé. Le seul endroit où elles se posent, c'est tout en haut de ce gros tas de rochers. Personne ne peut y monter, c'est bien trop dangereux.


Le regard d'Élise s'était longuement attardé sur le tas de rochers que lui avait désigné Auguste. Ce dernier, par cette métaphore, avait souhaité préserver l'insouciance de la fillette. Et puis, comme il le rappelait souvent, savoir n'est pas nécessairement comprendre.


Le soir, sous la tonnelle envahie de parfums grenadine, Auguste et la fillette s'inventaient des histoires et des mondes colorés. Leurs solitudes se frôlaient dans le silence tragique des collines.

Un soir, tandis qu'ils s'époumonaient de rire, le visage d'Élise s'était soudain fermé. Elle s'était alors tourné vers lui et, s'agrippant à son bras, lui avait murmuré :


- Auguste, s'il te plaît, donne-moi quelque chose qui ne meure pas.


Son vieux compagnon aurait voulu lui dire quelque chose, lui expliquer pourquoi le temps s'amenuisait pour elle, pourquoi sa mère et tous ces gens n'étaient plus là. Mais il n'avait rien dit et la fillette avait continué à accrocher ses espérances tous les soirs sur ses volets, priant pour qu'une mouette les emporte tout là-haut.


Et puis, un matin de juin, tout fut fini. Auguste, surpris de ne pas voir Élise venir partager le petit déjeuner, pénétra dans sa chambre. La fenêtre était ouverte sur la tendre fraîcheur de l'aube. Il la chercha longtemps avant que les cris des mouettes retentissent.


En arrivant sur la plage une demi-heure plus tard, il aperçut Élise qui gisait inerte, au pied des rochers, une poignée de plumes blanches à la main. Une goutte de sang cheminait sur sa joue, pâle comme une source. Auguste se laissa choir, envahi d'un trouble qu'il ne connaissait pas. Il lui bégaya des mots d'adieu, le visage bariolé de tristesse et d'angoisse. Un vide immense saisit tout son être et, à partir de cet instant douloureux, il s'enfonça lentement dans le silence des jours où elle ne viendrait plus.


Philomène n'en peut plus. Voilà maintenant une heure qu'il lutte désespérément contre un courant contraire qui l'empêche d'atteindre le banc de brume. Incertain quant aux forces qu'il lui reste pour regagner la plage, il décide de tenter le tout pour le tout.

Le courant n'agit peut-être qu'en surface. Il suffirait alors de nager au fond sur quelques dizaines de mètres tout au plus pour émerger de l'autre côté.

En quelques mouvements, Philomène atteint le fond de l'océan. La vision qui l'attend ici manque de le faire suffoquer. Le sable a en effet laissé la place à une forêt de câbles et de tuyaux multicolores. Philomène perçoit nettement le bourdonnement régulier de l'infernale machine. La technologie mise au service des derniers hommes.


Il se souvient des histoires étranges que racontaient les premiers habitants de Castelbosc, il y a si longtemps. Des histoires de sécheresse, de famines, d'épidémies et de guerres. En quelques décennies, la planète s'était révoltée, beaucoup plus rapidement que les hommes, imbus de suffisance et de certitudes, ne l'avaient prévu.


La mécanique sensible s'était emballée, obligeant les hommes à poser la question de leur survie bien plus tôt que les scénarios les plus noirs ne l'avaient prévu.


Tandis que plusieurs parties du monde étaient déjà perdues, les hommes employèrent tous les moyens et les savoirs dont ils disposaient. Dans un formidable élan commun, ils oublièrent toutes les querelles qui les animaient depuis des millénaires et décidèrent de bâtir un nouveau monde, sur les ruines de celui qu'ils avaient fait s'effondrer avec tant d'efficacité.


L'homme n'ayant pas encore acquis toute la technologie lui permettant d'essaimer la proche banlieue de la Terre, c'est l'idée des dômes qui s'imposa, même si elle n'emporta pas toutes les adhésions. En quelques années, plusieurs milliers d'entre eux furent bâtis sous terre ou sous les océans, dans une zone miraculeusement préservée des effets dévastateurs de l'emballement climatique.


Pour chaque dôme, on choisit de recréer l'une des multiples merveilles naturelles dont recelait la Terre. C'est ainsi que pour le dôme dans lequel Auguste avait vu le jour, on choisit de façonner un petit coin tranquille de la Provence du vingtième siècle. Un village aux normes de cette époque fut construit. On le borda de collines carrelées de vignes auxquelles on ajouta un bout d'océan. Tout ceci pour un millier d'habitants environ que l'on enferma pour une éternité heureuse. Chaque dôme était prévu pour fonctionner en autonomie complète, des sphères annexes synthétisant les éléments nécessaires à la subsistance des hommes et les acheminant par un réseau complexe et autogéré.


Afin de préserver les générations à venir, il fut décidé à l'unanimité qu'aucun de ceux qui avaient vécu le cataclysme ne devrait révéler quoi que ce soit sur le passé de l'humanité ou le fonctionnement des dômes à leurs descendants. La première génération qui naquit dans les dômes fut ainsi abreuvée d'histoires angéliques plus belles les unes que les autres. Et quand arriva le moment où les derniers hommes qui savaient décédèrent, ils purent partir avec la conscience presque apaisée du devoir accompli.


Plusieurs générations vécurent ainsi dans la quiétude et l'insouciante abondance que leur avaient léguées les Anciens. Mais, ce qui est humain étant périssable, la vaste zone dans laquelle on avait construit ces dômes fut à son tour touchée et les éléments dont les Cités avaient besoin pour subsister subirent des altérations qui affectèrent toute la chaîne de production jusqu'aux hommes. Ces derniers, sans le savoir, ingurgitèrent des doses massives d'aliments hautement irradiés et les effets physiologiques ne tardèrent pas à transformer les dômes en cités fantômes. Aucun organe n'ayant été prévu par les Anciens pour contrôler ou diriger cet ensemble, personne n'était en mesure d'expliquer ce qui se passait. Sans doute était-ce mieux ainsi.


Plongé dans ces tristes souvenirs, Philomène ressent soudain une vive secousse dans son organisme, suivie d'une étrange sensation, comme si quelque chose venait subitement de se casser en lui. Il s'empresse alors de remonter à la surface et décide de revenir vers la plage. Quelques minutes plus tard, impuissant et résigné, il sent son corps s'alourdir et couler lentement.


Tandis que les premières lueurs du soir allongent leurs ombres lugubres sur la plage, Auguste comprend que jamais plus il ne reverra son ami, happé par la mer.

Il est désormais seul, l'ultime sentinelle pour veiller sur cet immense palais des illusions. Il se lève lentement, happé par l'amer et se dirige vers le village au décor fané. Quelques grillons électriques entament leur symphonie nocturne dans l'herbe synthétique. La fontaine de la place se met automatiquement en marche sur son passage, indifférente au drame qui se joue.


Auguste quitte une dernière fois Castelbosc et emprunte le chemin empierré qui monte jusqu'à chez lui, l'esprit plein d'amertume. Sa décision est prise. Il n'a pas l'intention de se fondre dans la patience des pierres, dans ce monde virtuel hanté par le souvenir des hommes.


Il dépasse sa bastide sans même lui jeter un regard et se dirige vers les hautes falaises qui ceinturent ce royaume des solitudes.


Durant sa pénible escalade, il repense à cette vie remplie de médiocres besognes, à ce chemin parcouru sans se soucier de l'autre réalité, à l'extérieur.

Parvenu à mi-falaise et incapable d'aller plus haut, Auguste se retourne sur le monde qu'il s'apprête à quitter. Le crépuscule étend ses draps soyeux, couvrant toute la vallée d'un bleuissement de cendres. Un silence minéral règne dans l'éternité immobile qui l'entoure.


Une curieuse vision lui traverse l'esprit pour cette fin de partie macabre. La main d'un dieu géant se saisit du dôme et le retourne brusquement, faisant tomber l'hiver éternel dans cette boule de verre.

Auguste contemple une dernière fois Castelbosc, témoin venu du fond des temps tapi dans un recoin ensommeillé de l'histoire. Il pense que cette ruine de la modernité doit doucement réjouir l'Éternité.


À cet instant, une phrase d'Antonio Porchia qu'il a lue un jour, lui ravive la mémoire, en guise de chant funèbre :

« Quand le superficiel me fatigue, il me fatigue tant que pour me reposer, j'ai besoin d'un abîme. »


Alors, sans le moindre doute ni la moindre inquiétude, Auguste fait un pas dans le vide.

Marcher sur un nuage, oublier la lourdeur de mon existence. Marcher sur un nuage, oublier...


Tandis qu'au pied de la falaise, le corps disloqué d'Auguste achève de crépiter dans un désordre de fils, de cartes et de puces, plus bas, dans la bastide, la lumière s'amenuise sur quelques notes de piano.


- Bonne nuit, monsieur Auguste. Je vous souhaite de trouver dans vos rêves ce que vous chérissez le plus au monde.


 
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   Selenim   
1/5/2009
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai retrouvé avec plaisir le style de l'auteur, subtile amalgame d'académisme et d'envolées métaphoriques.

L'intrigue, une pincée de Dark city, une lichette de Truman Show, a le mérite de dévoiler la capacité de l'auteur à écrire de la science fiction.

Égoïstement, je dirai que cette écriture n'est pas adaptée à ce style littéraire car je savoure avec plus de gourmandise les récits réalistes ou sentimentaux de l'auteur.

C'est bien construit, c'est bien écrit, c'est bien.

Selenim.

   FIACRE   
2/5/2009
La chute est intéressante enfin sorties d'Epinal provençale !

   Menvussa   
2/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
"Quelques chèvres se tiennent immobiles, attendant la prochaine aube pour se remettre en marche. " Une fois la lecture de cette nouvelle terminée, cette phrase prend une toute autre dimension.

Plus vrai que nature ce brave Auguste, il se couvre pour dormir, il fait honneur à son petit déjeuner. Il parle avec une poésie toute provençale. Il se lave et se parfume.

Philomène est-il de même nature qu’Auguste, si oui, ils sont terriblement humains à se bercer ainsi d’illusions, jusqu’à ce bateau imaginaire.

Il y a peut-être quelques petites incohérences, quoique ce n’est pas évident.

Il n’en demeure pas moins que ceci est une bien belle histoire, écrite d’une très jolie plume, avec beaucoup de poésie.

   Anonyme   
3/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
A part la phrase "À cet instant, une phrase d'Antonio Porchia qu'il a lue un jour, lui ravive la mémoire, en guise de chant funèbre " qui m'a un peu gênée, l'entièreté du texte est vraiment superbe.
Il y a une délicatesse et une douceur dans l'écriture qui m'a beaucoup plu.

   Jedediah   
12/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Un beau texte, c'est vrai, où dès le début on se doute que quelque chose ne tourne pas rond.
La nature exacte des deux derniers habitants du village m'a un peu échappé (un robot peut-il se noyer ou se suicider ?), mais leur sensibilité les rend attachant.

Bravo aussi pour cette vision - terrible - du futur, qui fait de cette nouvelle une histoire de science-fiction comme je les aime :-)
(et qui m'a rappelé la série de nouvelles d'un autre auteur en apprentissage sur le thème des "bulles", mais qui était lui davantage optimiste ^^ - je crois qu'il s'agissait de pounon)

   widjet   
16/6/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte qui commence comme un récit Pagnolesque (descriptions et dialogues) et qui prend un tout autre virage et s’achève dans quelque chose de plus vaporeux, abstrait, fantomatique presque qui enveloppe le lecteur. Un récit donc très surprenant, assez intemporel (va et vient entre présent et passé), un peu décousu aussi par moment (ce qui impacte légèrement le rythme), dont on achève la lecture l’esprit un peu cotonneux comme à la sortie d’un songe.

L’écriture est – il va sans dire – de grande qualité.

Colibam continue de nous surprendre ( !)

Moi, j’aime beaucoup ce que tu fais. Un peu plus de puissance émotionnelle (tes mots sont presque trop délicats qu’on aimerait les chahuter, les « abîmer » par moment) et tu obtiendras un résultat encore plus convainquant.

Widjet

PS : titre bof-bof en revanche.

   costic   
27/6/2009
Une vision très réaliste de l'avenir, servie par un style maitrisé, très doux.
On se laisse emporter très facilement dans ce monde un brin onirique. Je trouve le texte beau, simple, et presque parfumé.
J'aime beaucoup.

   leon   
29/6/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très beau, très bien écrit en général, j'ai adoré l'histoire du vieil Auguste !!!

Oui franchement ça se voit qu'il y a du plaisir à écrire : ça donne envie de découvrir le village et sa fontaine, la bastide...

Et puis, c'est une belle nouvelle de SF aussi, avec cette bulle à l'abandon.

   florilange   
2/7/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
De la SF pleine de poésie pagnolesque? Pourquoi pas, après tout.
Et pour des robots, ces 2 personnages sont bien sympathiques. Leur bulle est bien belle aussi, même s'ils s'y sentent très seuls. J'ai aimé du début à la fin, grâce au style qui coule comme de l'eau entre les doigts, on regrette que ce soit déjà fini.
Merci colibam, décidément tu écris de fort jolies choses,
Florilange.

   Anonyme   
18/4/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Je l'ai lue avé l'assent. Mais peuchère l'océan ! Pourtant Castelbosc n'est pas près de Marseille.
« il repense à Élise et son regard d'océan »... Et puis, Élise arrive et on passe de la pagnolade à la poésie. Franchement, l'Auguste, il est pas malin : parler de mouettes de cette façon à une gamine rêveuse !
« un petit coin tranquille de la Provence » : à partir de là je sais pourquoi l'Aude est en Provence et l'océan la baigne. Merci pour la leçon de géographie revisitée. Ils ont même réussi à garder le pastis. D'ailleurs je me suis demandé si l'auteur, pour écrire une histoire pareille... Mais trêve d'élucubrations.
Un peu facile : « happé par la mer », « happé par l'amer ».
« Quand le superficiel me fatigue, il me fatigue tant que pour me reposer, j'ai besoin d'un abîme. » : ça va, pas trop fatigué ! Merci pour le happy end.

   Pascal31   
23/3/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Même si je me doutais dès le départ que quelque chose ne tournait pas rond, surtout quand on voit dans quelle catégorie le texte est placé, l'histoire est suffisamment bien construite, et surtout bien écrite, pour m'avoir ensuite embarqué jusqu'à cette chute (dans tous les sens du terme!) "science-fictionesque" à souhait.
Un très bon récit que j'ai apprécié de lire et qui m'a fait passer un bon moment, merci !

   Anonyme   
23/3/2011
 a aimé ce texte 
Bien
L'idée est excellente, mais l'explication de la situation réelle est à mon avis mal amenée. C'est toujours le problème avec la science-fiction : comment faire saisir au lecteur l'univers où on le plonge sans être trop didactique, sans que cela fasse artificiel ? Là, je trouve que vous ne vous en tirez pas très bien : Philomène voit des tuyaux et là vous introduisez l'explication, adoptant brutalement le point de vue du narrateur omniscient alors que jusqu'à présent tout était montré du point de vue d'Auguste.
Sinon, le style est agréable, mais vous usez trop des adjectifs à mon goût. J'ai relevé deux phrases où chaque substantif est qualifié ; cela m'a frappé parce qu'elles sont assez longues. Du coup, je pense que cela alourdit l'écriture :
"Dans le silence sucré de la bastide endormie, un cliquetis discret se fait entendre. Aussitôt, un large panneau coulisse sur une musique feutrée, dévoilant un paysage d'une beauté aveuglante."
"Ceinturant l'harmonieuse bastide, un cirque de falaises grises aux sommets inaccessibles encadre jalousement cette contrée sereine."

Au total, le traitement affadit beaucoup l'idée de base, à mon avis. Mais la toute fin me plaît beaucoup !

Autres remarques :
"T'occupes Auguste" : si, comme je pense, il s'agit d'un impératif, il faut écrire "T'occupe"
"se crible d'étoiles que l'on pourrait effleurer des mains tant elles semblent proches" : je trouve la forme maladroite
"une bouffée iodée leur gonfle les poumons de ravissement" : là aussi
"une phrase d'Antonio Porchia qu'il a lue un jour, lui ravive la mémoire" : pourquoi la virgule ?

   Pepito   
29/5/2012
Bonjour Colibam, étant un P’tit nouveau j’arrive très en retard avec mon commentaire, mais voilà :

Certes, Pandulle et Marmiton rappellent les créations de JF Sébastien dans Blade Runner et l’idée du dôme n’est pas nouvelle. Quant au désespoir du dernier survivant, il a déjà été décrit dans La mort de la Terre, il y a plus d’un siècle.

Mais mélanger tous ces ingrédients avec Pagnol, là, c’est géant !

Je trouve l’écriture superbe, avec une palme à « Entre les coteaux damés de vignes … » ou j’ai immédiatement visualisé les carrés du jeu… alors que le verbe veut dire tout autre chose.

Aussi une écriture au service de l’humanité des personnages, me rappelant les Plus qu'humains de Th. Sturgeon. J’adore cette SF ou les malheurs d’un champignon bleu servent, en fait, à mettre en relief nos propres dilemmes. Alors le désespoir d’un droïde…

Quelques petits bémols :
- "une bouffée iodée leur gonfle les poumons de ravissement." > maladroit
- "Derrière la frange crémeuse de l'océan, le sable coquiller..." > pas plutôt "Devant..." ?
- On sent trop vite venir le sort d’Elise : "... en était sortie cinq ans plus tard." "tout fut fini"
- "tuyaux multicolores" > multicolores pour de vieux tuyaux enfouis sous la mer depuis des décennies ? Surtout le terme est joyeux, surprenant dans le contexte.
- "… jamais plus il ne reverra son ami, happé par la mer" > happé par la mer est peut-être en trop.
- "La main ... ,faisant tomber l’hiver eternel dans cette boule de verre" > « tomber dans » est ici inadapté. L’image est très belle, par ailleurs.
- "achève de crépiter " > joli terme, mais il manque peut-être la notion de chair pour un personnage qui commence la journée par bien déjeuner.
Je serais très heureux de lire une dernière version de cette nouvelle, si elle existe.
En attendant, merci pour ce texte.
Pepito


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