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Science-fiction
Corentin : Convergences
 Publié le 10/07/07  -  3 commentaires  -  128961 caractères  -  30 lectures    Autres textes du même auteur

Alexandre Proyas, génial mathématicien croate exilé en France, est un jour contacté par une certaine Caroline Sanchez pour étudier un étrange objet retrouvé dans le désert mexicain sur ce qui semble être le site d’un crash. L’étude de l’objet, dans le sous-sol d’un petit immeuble parisien, tourne à l’enquête métaphysique la plus pure : OVNI ou débris de satellite ?


Convergences


À une vitesse vertigineuse, l’objet sphérique de la taille d’un ballon de football dérivant dans l’espace commence à pénétrer les couches de l’atmosphère terrestre. Très vite, à cause des frottements, il est porté au rouge puis à l’orangé avant de virer au blanc. Sa vitesse ralentit lentement, après avoir chuté jusqu’à une quinzaine de kilomètres d’altitude, il file déjà à travers les nuages malmenés qu’il laisse lacérés derrière lui. Il file au-dessus de l’agglomération de Los Sontos, petite ville mexicaine perdue aux abords de la frontière américaine. À plusieurs centaines de kilomètres heures, il s’apprête à percuter les dunes lorsque brusquement, il gonfle et voit son volume devenir gigantesque, de la taille d’un camion. L’objet percute un affleurement rocheux en se déformant considérablement, faisant un bruit étrange de fluide visqueux giclant, s’étalant comme de la mousse sur plusieurs dizaines de mètres avant de s’arrêter contre un gros rocher rougeâtre.



Angel avait vu un étrange objet étincelant passer au-dessus de lui à toute vitesse alors qu’il sirotait seul sa tequila devant sa caravane miteuse échouée sur un ancien parking abandonné. L’objet émettait un sifflement intense, semblable à celui d’un jet de vapeur. Intrigué, Angel hésita longuement avant de prendre son pick-up défoncé et de suivre la direction de l’objet lumineux entraperçu un instant plus tôt. Il n’avait pas l’air très haut et, s’il n’était pas le simple fruit de son imagination dopée aux vapeurs d’alcool, il ne s’était sans doute pas écrasé très loin. Il devrait assez facilement le retrouver. Il avait déjà entendu des histoires d’OVNI, mais il n’en avait jamais vu de lui-même. Était-ce ça, un OVNI ? Un truc lumineux fonçant s’écraser dans le désert ? L’objet était en tout cas assez imposant, de la taille d’une petite maison. Angel suivait la piste imaginaire qu’il s’était tracée, et à la lueur de ses phares poussifs, scrutait intensément l’obscurité du regard, à la recherche d’un impact fumant. Le pick-up cahotait sur la terre aride et dure comme de la roche, parfois traversée par une dune de sable nonchalante. Cela faisait maintenant près d’une heure qu’Angel fonçait à travers le désert, sans succès. Il n’avait aperçu ni impact proche, ni lueur lointaine signe d’un crash enflammé. L’objet ne devait pas exister, ou tout au moins il l’avait sûrement manqué. S’il s’était réellement abîmé sur terre, il l’avait probablement fait quelque part derrière lui. Il avait dû dépasser le site du crash. Peu convaincu, Angel fit demi-tour, fatigué. Ce n’est qu’au bout d’une bonne dizaine de minutes qu’il fut sorti de sa torpeur par une silhouette blanchâtre à quelques dizaines de mètres devant lui. Il ralentit, puis, s’estimant assez proche, s’arrêta. Angel mit pied à terre et fit quelques pas vers l’étrange amas finalement plus grisâtre que blanc. Il vit un étrange bloc d’une sorte de mousse polystyrène, encastré dans un lourd rocher. Le bloc semblait avoir longuement traîné sur la roche, laissant derrière lui une étrange coulée de mousse. Angel crut même un instant que c’était de la mousse à raser. Mais elle semblait fumer, très légèrement. Il prit un caillou et le lança sur le plus gros bloc de mousse déformée contre le rocher. Le caillou sembla s’y enfoncer mais fut stoppé en surface et resta ainsi, à moitié enfoncé. Intrigué, Angel s’approcha et toucha le caillou. Il ne bougeait pas. Il semblait maintenant prisonnier de cette coulée de mousse. Angel réitéra l’expérience et, de nouveau, la mousse apparut malléable à l’impact puis sembla se solidifier instantanément. Le tout continuait de fumer discrètement. Hésitant, il effleura la mousse d’un doigt. Dure. Comme du polystyrène. Il n’éprouvait aucune brûlure, aucune douleur au contact de la substance encore tiède et fumante de l’impact.

Angel était au téléphone avec un de ses amis de la brigade de police du coin. Le ton était monté d’un cran.


- Mais puisque je te dis que quelque chose est tombé du ciel, près de chez moi ! Un truc super bizarre !! Tu dois venir voir ça !!

- Tu me gonfles avec tes histoires ! J’entends bien à ta voix que tu as bu !! Et puis, si c’est pas un avion, c’est quoi ?!

- Euh, je sais pas, moi !! Un truc de l’armée américaine ? J’en sais rien, moi ! C’est bizarre, on dirait du polystyrène… et ça fume !! Tu dois venir voir ça !!

- Bon… Puisque tu insistes… Mais c’est bien paske c’est toi… J’arrive dans quelques minutes ! J’espère pour toi que tu te fous pas de moi, sinon…



Alex Proyas était en congrès à Genève. Un important rassemblement de scientifiques venus faire le point, huit mois après la mise en service du LHC - le Large Hadron Collider - le plus puissant accélérateur de particules au monde. Il s’agissait de faire le point sur les récentes découvertes en physique des particules, notamment concernant le boson de Higgs. Cette particule élémentaire, traquée depuis des années sans succès, devait être immédiatement révélée avec le LHC, beaucoup plus puissant que ses prédécesseurs. Il n’en était rien. La cavale n’était finalement pas prête de prendre fin. Tout le monde au congrès, ou presque, ne parlait que de ça. Alex avait préféré se retirer dans un coin à peu près tranquille. Il savait bien l’importance que cette découverte en devenir pouvait avoir. Mais à ses yeux, tous ces physiciens étaient névrosés, obsédés comme des flics courant après un tueur en série perpétrant les plus odieux crimes jamais recensés. Le boson de Higgs en question n’était pourtant qu’une particule fictive, en tout cas pour le moment, issue du pouvoir de prédiction des mathématiques. Elle était de la plus grande importance, la clé de voûte de l’édifice sur lequel toute la physique moderne était bâtie. C’est un des Graal de la physique. Si cette particule n’existe pas, tout est faux. Absolument tout. Nous ne serions alors qu’en possession d’un modèle extrêmement limité de notre réalité. On serait tous à côté de la plaque. Tous. Le boson de Higgs doit exister. Qu’il ne s’agisse pour l’instant que d’une prédiction mathématique ne doit pas effrayer. L’antimatière a été découverte dans les équations bien avant d’être observée. Les mathématiques sont d’une puissance inouïe sur le monde. Prédictions, explications, démonstrations, modélisations. Alex Proyas était tout autant obsédé par cette quête du boson de Higgs que tous ces physiciens mais il n’osait pas l’admettre. Il s’était peu à peu enfermé dans sa quête de compréhension de l’essence du monde par les mathématiques. Proyas avait même acquis l’intime conviction que l’origine du monde ne pouvait être que purement mathématique et ses travaux laissaient planer le doute dans les esprits de nombreux physiciens. Sa théorie ne laissait personne indifférent, tant ses démonstrations semblaient implacables. Mais le monde scientifique est ainsi fait que, sans confirmation expérimentale, sa théorie sur la Physique n’en restait que mathématique et n’était alors pas démontrée. Mais pour Proyas les mathématiques étaient tout. Sa théorie ne serait probablement jamais vérifiée expérimentalement. Proyas s’en fichait. Il savait qu’il avait raison. Il allait laisser ce congrès là où il en était. Il allait rentrer continuer ses travaux chez lui. En espérant que, demain, il se lèverait et apprendrait qu’on a enfin eu ce maudit boson.


Aucune de ces considérations physico-mathématiques n’atteignait le grand public. Proyas le savait. Et le déplorait. Si les gens, pensait-il, regardaient un peu plus les étoiles et se demandaient d’où venait le monde, pourquoi y avait-il quelque chose au lieu de rien, pourquoi l’être était-il jailli du néant, le monde serait privé de bon nombre de conflits. Proyas était froid et cynique, mais profondément pacifiste et écologiste. Les origines du monde le hantaient. Et il se sentait seul au monde à traquer cette vérité, fuyant les autres scientifiques. Il était terriblement asocial et se morfondait, seul, devant ses équations qui le laissaient chancelant devant l’abîme des origines du monde, évanescentes, insaisissables, impalpables. Beaucoup de très grands scientifiques étaient devenus fous, sombrant dans la folie la plus pure. Un jour, on trouverait. Lui, ou un autre. Et le monde entier, ces six milliards d’hommes mis devant l’évidence - forcément vertigineuse -, se regarderaient tous comme des frères, perdus au milieu d’un monde, immensément grand certes, mais tous des frères devenant soucieux de la paix et de leur fragile et unique environnement. C’était son désir le plus fou, il serait libéré de se peurs et de ses hantises et pourrait enfin être en paix avec ce monde qu’il voyait courir à sa perte, autodétruisant ses ressources et se déchirant en intolérance sous ses yeux. Mais ce que Proyas craignait plus que tout étaient les misérables capacités humaines, rendant notre intelligence sans doute bien en deçà des exigences de la réalité et des défis conceptuels de notre monde.



John Berry considérait avec une grande attention l’étrange spectacle qui lui était donné de voir, sous le soleil implacable du désert mexicain. Il suait à grosses gouttes et il avait atrocement soif. Il demanda de l’eau et but une longue gorgée qui lui fit un bien fou. John Berry était inspecteur à la DGAC de Los Angeles, la Direction Générale de l’Aviation Civile. Il avait été contacté par les autorités mexicaines pour un cas de crash inexpliqué. Aucune machine ne manquait à l’appel dans cette zone hier soir, et l’objet tombé du ciel était plus petit que n’importe quel avion. De plus, les autorités mexicaines n’étaient pas connues pour leur grand sérieux, c’est pourquoi John était venu seul. On lui avait vaguement parlé d’un OVNI, mais John ne croyait pas à ces histoires et il n’était là sur ordre de ses supérieurs que pour faire semblant de s’intéresser aux problèmes de leurs voisins mexicains. Mais à mesure qu’il observait silencieusement l’objet et sa traînée sur les rochers, il dut se rendre à l’évidence. Il y avait effectivement eu un crash ici. Un drôle de crash. La taille de la traînée, les giclures sur plusieurs centaines de mètres, parfaitement dans le sens supposé de l’impact, ne laissaient pas de doutes. Il n’y avait pas eu de machination. Ce truc était vraiment tombé du ciel. Mais il n’avait pas la moindre idée de ce que cela pouvait bien être. Rien ici ne lui faisait penser même à un quelconque OVNI. Cette espèce de mousse l’intriguait énormément. Il se tourna vers les policiers et l’homme en civil qui avait découvert le crash.


- Jamais vu ça. Ce dont je suis sûr, c’est qu’il ne peut s’agir d’une quelconque partie d’un avion de ligne ou même d’un avion de chasse.

- Mais alors ? C’est un OVNI, n’est-ce pas ? s’enquit l’un des policiers.

- Ecoutez, c’est étrange, je dois le reconnaître. Mais il ne faut pas s’emballer. Il va falloir que je fasse venir une équipe. Surtout, pas de panique. Et ne touchez à rien.

- Si ça ne provient pas d’un avion, c’est quoi ?

- Je n’ai pas dit que ça ne provenait pas d’un avion, en tout cas ça ne provient pas de sa structure. Cet objet peut très bien venir d’une cargaison aérienne.

- Une cargaison ? Larguée ici ? Mais pourquoi ? Et puis ça allait bien trop vite pour être un avion ! Je l’ai vu passer au-dessus de moi ! C’est un OVNI !

- Même si cet objet est tombé depuis l’espace, ce dont je doute fort, c’est sans doute un satellite conçu de main humaine. Et puis, on ne s’en rend pas compte, mais un avion de ligne va vite, très vite : environ 1000 km/h. Vous n’êtes pas habitué à ces vitesses. Si cela provient d’un avion de chasse, il a pu être largué à quelques 2500 km/h. Non, vraiment, vous ne savez pas ce que c’est.



Le lendemain, une équipe de mesure et d’analyse était sur le site. Prétextant un éventuel risque de contamination en s’appuyant sur l’origine inconnue de l’objet, Berry avait aussi fait venir une équipe de décontamination qui s’était acquittée de toutes les mesures de radioactivité après avoir établi une enceinte de confinement autour du principal bloc accidenté et après avoir soigneusement retiré toutes les autres projections. Aucune radiation n’avait été détectée mais l’équipe restait sur les lieux. En tout, c’était pas moins de 30 personnes qui s’activaient sur les lieux du crash. Angel rôdait aux alentours de la tente aseptisée, persuadé qu’il s’agissait là d’un OVNI et que ces hommes en combinaisons étaient venus en effacer toutes les traces. Il avait déjà ramassé en secret, la nuit dernière, une grande quantité de la traînée de mousse et avait plusieurs fois essayé de s’introduire à l’intérieur du laboratoire installé ici, mais il en avait été écarté. On lui avait dit que s’il continuait à entraver la bonne marche de l’enquête, il serait reconduit chez lui manu militari.



Dans le laboratoire d’analyse installé sous la tente aseptisée, Berry faisait les cent pas.


- Vous avez scanné l’intérieur ? demanda Berry. C’est juste de la mousse ?

- C’est bizarre. Nous ne voyons rien sur nos écrans. Pas même la mousse. D’après nos capteurs, il n’y a rien ici.

- Rien ? Comment ça, rien ? s’enquit Berry, décontenancé.

- Nos appareils sont sûrement détraqués ou pas assez sensibles, mais, de notre point de vue, il n’y a rien ici. Rien d’autre que ces rochers. C’est très bizarre.

- Mais vous la voyez, cette putain de mousse ?! s’emporta John.

- Oui, oui, nous la voyons tout autant que vous. Et, croyez-moi, je suis bien le premier surpris par nos mesures.

- Creusez-moi tout ça. Taillez dans cette putain de mousse et voyez ce qu’il s’y trouve, ordonna Berry, à la fois inquiet et terriblement excité. Il n’avait jamais vu un truc pareil. De la mousse fantôme ?


Un homme en combinaison étanche réfrigérée s’approcha du gros bloc encastré dans le rocher et entreprit de le découper. Lentement, et sans énervement ni projection de matière pour éviter tout début de contamination, malgré le confinement de la zone, il enleva des blocs de mousse. Il taillait soigneusement vers le centre du bloc, lorsqu’il rencontra avec son instrument de coupe quelque chose de dur.


- Il y a quelque chose, là, dit l’homme d’une voix mécanique à travers son micro.

- Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? bondit Berry.


L’homme ne répondit pas. Il dégagea en quelques instants une étrange sphère de la taille d’un ballon de football qu’il brandit à deux mains devant toute l’équipe stupéfiée.


- Je ne sais pas ce que c’est, mais c’est lourd. Très lourd, dit l’homme.


Il la posa délicatement sur une des tables de mesures. Très vite, un socle fut constitué. Tout le monde fixait la sphère, médusé. Elle était d’un jaune orangé faisant irrémédiablement penser à de l’or. La surface était étincelante et étrangement variable.


- C’est de l’or ? demanda Berry.

- Je ne sais pas, enchaîna Rodrigue, le responsable décontamination. C’est lourd, et ça en a l’air. Ça collerait. Mais regardez. La surface. Elle ondule, on dirait. Vous voyez ces formes géométriques ? Elles bougent…


John Berry restait là, le regard fixé sur la sphère. Oui. Ça bougeait. Il pouvait maintenant nettement voir des spirales en train de s’enrouler lentement sur la surface.


- On dirait des nuages. Je veux dire, comme un cyclone, des masses nuageuses en train de s’enrouler sur elles-mêmes, dit Berry, hypnotisé.

- Oui, ça y ressemble, dit un autre homme. C’est vraiment bizarre. Mais je jurerai que cette sphère est parfaite, sans le moindre défaut de planéité. Je ne crois pas que ce soit des motifs en relief.

- On n’en sait rien, coupa Rodrigue. Des variations infimes de quelques microns ne sont pas visibles à l’œil nu, et puis on n’a pas de matériel de mesure pour ça…

- Que faisons-nous ici ? demanda soudain Michael, de la DGAC. Je veux dire, je sais pas pour vous, Berry, mais moi, je crois que je n’ai rien à voir avec tout ça. Ça n’est pas du ressort de la DGAC. Franchement, je crois qu’il faudrait contacter l’Armée, ou le Gouvernement. Au reste américain ou mexicain, je n’en sais rien. Mais je suis sûr d’une chose : ça ne vient pas d’un avion. Karl vient de refaire un scan. Ça ne donne rien. La spectrographie n’a rien donné non plus. Que le scan plante, ok. Mais jamais une spectrographie n’a donné de résultat nul. Ce truc n’existe pas, John.


Personne ne dit mot. Berry réfléchissait à toute vitesse. Il reprit la parole, pour ressouder l’équipe.


- On n’en sait rien. Ça peut provenir d’une cargaison aérienne. Perdue ou larguée, je n’en sais rien. Mais il n’y a pas d’autres possibilités.

- Si. C’est un OVNI.


L’affirmation de Rodrigue résonna alors dans l’esprit de tous, presque comme une évidence. Une terrible évidence. Alors chacun sentit monter en lui les germes de la peur viscérale de l’extra-terrestre.



Alex Proyas fut brusquement tiré de son sommeil par le téléphone.


- Ici Proyas… C’est à quel sujet ? marmonna-t-il.

- Bonjour, je me présente : Caroline Sanchez, chercheur en biologie, Paris XII. J’ai quelque chose qui peut vous intéresser.

- Savez-vous, mademoiselle, que je suis mathématicien ? dit-il avec une pointe de dédain mal réveillé.


Encore une erreur. Les sciences de la vie le passionnaient, mais ce n’était pas son domaine de recherche.


- Je le sais. Je connais bien vos travaux, disons… atypiques. Je pense que ça vous intéresserait.


La curiosité de Proyas fut piquée au vif.


- Atypique, maugréa-t-il.

- Oui, vous savez… Cette espèce de pessimisme chronique… Votre passion pour les origines du monde… Votre façon de douter de vous même et de vous en remettre à autre chose. D’attendre une espèce de super événement.

- Ah ?! Et… ? C’est arrivé ? Ce… « super » événement ?

- Je le crois, oui.

- Qu’est-ce que c’est ?

- Je ne sais pas. Mais nous avons besoin de quelqu’un de votre trempe.

-… Vous ne… savez pas ? Mais alors de quoi parlez-vous ? dit-il, passablement irrité.

- C’est… étrange.

- J’en suis fort aise. Mais encore ?

- Vous devriez vraiment venir voir ça de vous-même.

- De quoi s’agit-il, à la fin ?

- Franchement ?

- Franchement.

- Je n’en ai pas la moindre idée.



Une heure après, Proyas était dans le TGV, fonçant vers Paris. Cette Caroline Sanchez avait su éveiller sa curiosité sans trop en dire. De quoi pouvait-il bien s’agir ? Un « super » événement… dans la biologie ? Avait-on découvert une nouvelle forme de vie ? Un nouveau nucléotide ? La vie extra-terrestre ? Expliquait-on enfin l’omniprésence du nombre d’or depuis les germes de blé jusque dans les tréfonds de l’hélice d’ADN ? Il fallait qu’il sache. Alors il avait sauté dans ce train.



Caroline l’attendait sur le quai avec une pancarte. Elle n’avait jamais vu Proyas, mais elle avait lu toutes ses publications et s’était fait de lui une idée bien précise. Petit, empâté par le manque d’exercice, cheveux blanchis par son angoisse existentielle.

Proyas cherchait. Cette Caroline devait avoir une pancarte. Une jeune femme, probablement, à en juger par la voix. Peut-être même une jeune demoiselle. Parcourant la foule du regard, il vit une jolie femme en tailleur blanc tenir une pancarte sur laquelle était nonchalamment inscrit « Proyas ». Une jolie femme, se dit-il immédiatement.

Caroline fut extrêmement surprise de voir cet homme lui tendre la main. Elle ne l’avait même pas vu venir, occupée à scruter la foule à la recherche de son petit vieux. Mais ce Proyas-là était tout autre. Grand, dans le mètre quatre-vingt-cinq, tout de noir vêtu, bien bâti, cheveux noir mat, yeux sombres, lunettes cerclées d’un acier étincelant, visage tendu faussement chaleureux. Tout chez ce Proyas était sombre et rude, mais il émanait de lui une grande prestance. Cet homme a dû souffrir plus que je ne le pensais, se dit-elle.


- Eh bien ? Où va-t-on ? demanda Proyas, quelque peu crispé.

- Euh, oui ! Excusez-moi, c’est que…

- Vous ne m’imaginiez pas comme ça. C’est rien, vous verrez, on s’y fait. Pardonnez par avance mon pessimisme permanent.

- Bien, bien. Allons-y. Suivez-moi.

- Où va-t-on ? insista Proyas.

- Paris centre. Un petit immeuble discret. Nous sommes installés au sous-sol. Nous fuyons les journalistes.

- C’est si important ? De quoi s’agit-il réellement ?

- Je vous l’ai déjà dit, je n’en sais rien.

- Vous avez forcément une idée, sinon vous ne prendriez pas la peine d’écarter les journalistes, continua Proyas en courant à moitié derrière cette Caroline manifestement très pressée.


Caroline s’arrêta net et se retourna vivement, adressant à Proyas un regard pénétrant.


- C’est une sphère.

- Une sphère, répéta Proyas après quelques instants, dubitatif.

- Une sphère, oui. On l’a trouvée dans le désert mexicain, sur ce qui semble être le site d’un crash ayant eu lieu il y a une semaine. Par un heureux concours de circonstances mexicano-mexicaines, nous avons pu récupérer l’objet au nez et à la barbe des américains. Nous les avons sur le dos, et ça ne va probablement pas tarder à barder. Nous devons nous dépêcher.

- Mais… pourquoi ne pas coopérer, travailler avec eux ?

- Parce que eux veulent faire cavalier seul. Il n’en est pas question. Il faut se dépêcher.

- Bien, conclut Proyas, focalisant son esprit sur l’image d’une sphère.

- Au fait… Vous n’avez que ça ? fit Caroline, fixant des yeux l’attaché-case de Proyas.

-…Oui, pourquoi ?

- Ça va être juste.

- Juste ?

- Parce qu’on en a pour un sacré bout de temps.


Ils arrivèrent en bas d’un petit immeuble quelconque au centre de Paris. Des journalistes se ruèrent à leur rencontre, Proyas en compta une bonne douzaine.


- Madame Sanchez ! Madame Sanchez ! Quand allez-vous enfin dire la vérité sur ce qu’il se passe ici ? Est-il vrai que le congrès américain et la NASA font fait pression sur ce qui est entreposé ici ?

- Pas de commentaires, fit Caroline en s’engouffrant dans le hall de l’immeuble gardé par deux imposants videurs.

- Et vous, monsieur, qui êtes-vous ? C’est bien vous, le mathématicien surdoué… Proyas ?

- Pas de commentaires, fit Proyas, aussi durement qu’il puisse le faire.


La journaliste fut renvoyée dans ses vingt-deux.


Proyas suivait Caroline vers l’ascenseur. Il la vit appuyer sur le bouton –10.


- Dixième sous-sol ? Ça fait profond, non ? Quel genre de sphère est-ce ?

- Plus c’est profond, plus on pourra rattraper un de ces fouille-merdes s’il arrive à entrer.

- Je vois. Allez-vous enfin me dire de quoi il s’agit ? Vous parliez d’un crash… Et ces journalistes à la con… Ne me dites pas qu’il s’agit d’un crash d’OVNI ?

- Dans quelques instants, vous pourrez vous faire votre propre opinion sur la… sphère.


L’ascenseur ralentit brusquement puis les portes s’ouvrirent. Scotché, Proyas vit alors passer juste devant lui deux hommes en combinaisons NRBC tout droit sorties des films catastrophes sur le virus Ebola. Les deux hommes poussaient un lourd chariot de matériel électronique de mesure. Eberlué, Proyas crut y reconnaître des éléments de spectromètre.


- C’est quoi ce cirque ? Y a-t-il risque de contamination ?

- Nous n’en savons rien. Nous faisons tout pour éviter ce genre de problèmes. Venez. Je vais vous la montrer.


Ils traversèrent un long couloir vide. Les hommes en combinaison avaient disparu. Proyas remarqua un étrange revêtement sur les murs, fait de plaques de plastique bleu recouvertes de capitonnage brillant faisant penser à du papier aluminium vaguement froissé.


- Qu’y a-t-il sur les murs ? demanda-t-il.

- Ecrans d’eau. Ce plastique que vous voyez, ce sont les parois des réservoirs. Le capitonnage ne sert qu’à faire tenir l’ensemble, répondit Sanchez, pleine d’assurance.

- Des éléments de spectromètre, puis ces écrans d’eau… Vous avez des problèmes de perturbation de vos mesures ? demanda Proyas.

-…Exactement, fit-elle, étonnée qu’il ait déjà deviné. Nous tentons d’analyser la composition de la sphère mais les appareils semblent perturbés. Ces écrans d’eau enrichie en bore filtrent une grande partie des radiations cosmiques naturelles. Nous espérons ainsi pouvoir affiner nos mesures.


Ils arrivèrent au bout du couloir et Sanchez dut se plier à un contrôle rétinien pour que la lourde porte daigne s’ouvrir. Proyas trouvait tout cela décidément très high-tech. Trop high-tech. Puis il franchit la porte.


Proyas resta sidéré. Il pénétrait en effet dans ce qui semblait être un simple appartement. Un salon, avec un coin-cuisine à l’américaine. Un petit couloir. Quelques portes. Sans doute des chambres. C’était dément. Tout ce buzz, le crash d’un prétendu OVNI, la NASA sur la brèche, cet immeuble quasi-désaffecté, ces journalistes entassés, ces hommes en combinaison NRBC, ces murs capitonnés, ces écrans d’eau borée. Et cet appartement, consternant de simplicité, qui contrastait si violemment par son kitsch et sa suprême banalité avec tout ce qui avait précédé. Proyas était littéralement soufflé.


- Voilà. Vous y êtes. Bienvenue chez nous, fit Sanchez, souriante.

- Pardon ? laissa échapper Proyas, démantibulé.

- Je comprends votre surprise. Mais il vous faut bien comprendre que l’étude de la sphère risque de prendre un certain temps, c’est pourquoi nous devons nous mettre à l’aise. Vous verrez, nous sommes très bien ici. Mais suivez-moi, je vais vous la montrer.


« Logique », se dit Proyas, avec une moue plus ou moins convaincue.


Caroline et Proyas traversèrent l’appartement silencieux puis arrivèrent dans une large pièce pleine de moniteurs, de caméras et de haut-parleurs. Proyas vit rapidement où Caroline voulait en venir. Il y avait au fond un mur vitré comme l’on en voit dans les films policiers. Mais ici, point de suspects. Juste une table, des caméras vidéos, un tas d’instruments et de câblage, et… la sphère. À peine plus grande qu’un ballon de football, la sphère était posée sur un socle apparemment métallique et focalisait l’attention de tous aux alentours. La sphère luisait d’un étrange reflet jaune orangé.


- La pièce est bien évidemment blindée. Murs en béton armé recouvert de plomb de deux mètres d’épaisseur. La vitre que vous voyez, c’est du verre armé lui aussi plombé. Vous êtes ici en sécurité. Enfin, espérons-le. Mais regardez plutôt ce moniteur, vous y verrez la sphère en gros plan, dit Caroline.


Proyas se tourna vers un écran plasma au centre de la salle. La sphère y apparaissait nettement, et Proyas y vit de nouveaux détails. La surface était incroyablement réfléchissante et mouvante. Il put distinguer des spirales en formation en train de se mouvoir lentement sur la surface.


- Ça bouge ? fit-il, décontenancé.

- Oui. Nous ne savons pas comment. À vrai dire, nous ne savons pas grand-chose de cette… chose, justement.

- Et vous pensez que je pourrai vous aider ?

- Je le pense. J’ai été parachutée experte biologiste. Pour le moment, à moins que la sphère entière ne soit une nouvelle forme de vie, je ne vois pas trop ce que je peux faire, dit-elle avec un sourire désabusé.

- J’imagine que vous analysez l’atmosphère de cette pièce.

- Évidemment. Nous n’avons rien trouvé.

- Car vous ne savez pas quoi chercher.

- Je vois que vous connaissez le problème. On ne trouve que ce que l’on cherche. Et nous ne savons pas quoi chercher. Alors, de là à le trouver…


Proyas réfléchissait. Ils étaient en face de quelque chose qui, manifestement, défiait leur imagination. Les américains faisaient le pressing. Il fallait gérer l’affaire de la manière la plus intelligente que possible.


- Qui d’autre y a-t-il ici ? Je suis le mathématicien de l’équipe, mais où sont les autres ?

- Vous avez raison. Nous sommes une équipe. J’ai été catapultée chef sur cette affaire. Il m’a fallu constituer quelque chose de solide. Mais je ne voulais pas trop éparpiller le sujet, encore moins rameuter des centaines de personnes. J’ai été choisie pour une raison évidente : cette sphère est manifestement d’origine extra-terrestre. On compte sur mes connaissances en exobiologie. Je vous ai choisi pour jouer les mathématiciens, certes. Mais aussi pour jouer le rôle du physicien. Je suis persuadée de vos compétences dans les deux domaines, et comme je vous l’ai dit je ne voulais surtout pas rameuter tout le monde. La dernière personne de l’équipe, c’est David. David Esparanza. Agrégé de philosophie. Il nous fallait bien ça.


Ainsi le mot était lâché. Cette sphère était un objet tombé de l’espace. Mais Proyas avait des doutes. Pouvait-il réellement s’agir d’un objet conçu par des extra-terrestres ? Il était pris d’un immense vertige. Si c’était le cas, cette sphère pouvait contenir toutes sortes de choses. Et changer le monde à jamais.


- Et… où est ce David ?

- Ici même, dit un homme en entrant brusquement dans la pièce. Veuillez m’excuser, reprit-il, j’ai écouté votre conversation. Je tenais vraiment à vous voir découvrir la sphère, monsieur Proyas. Et vous m’avez sidéré par votre calme.

- En fait, je suis à genou, fit Proyas d’un air ravagé. C’est tout simplement extraordinaire. Mais… Je n’ai, au fond, aucune certitude.

- C’est très vraisemblablement un OVNI, vous pouvez me croire. Aucun appareil, avion ou satellite, ne manque à l’appel. Et les américains en sont aussi convaincus. Alors, vous êtes des nôtres ?

- Bien sûr, fit Proyas, comme s’il avait le choix.


Comment, en effet, pouvait-il refuser ? Cette sphère recelait peut-être toutes les réponses aux mystères de l’univers. Ou peut-être rien du tout. Mais c’était indéniablement excitant.

Le problème était de taille. De nouveaux concepts allaient sûrement surgir de l’étude de cette sphère.


- Qu’attendez-vous de cette sphère ? demanda Proyas, en jetant un regard à David.

- Eh bien… J’en attends sans doute autant que vous. Je sais que votre quête en mathématiques en en physique n’est pas du tout différente de la mienne. Mes attentes sont les mêmes que les vôtres. Seule mon approche est différente. Je cherche une réponse aux problèmes métaphysiques que se pose notre espèce depuis des milliers d’années.

- Pourquoi l’être plutôt que le néant ? D’où venons-nous ? Y a-t-il une vie après la mort ? Qu’est-ce seulement que la Vie ? À quoi s’apparente une société extra-terrestre, au niveau politique, économique, social ? Les religions, tout ça… approuva Caroline. Oui, poursuivit-elle, monsieur Proyas. Vous n’avez pas le monopole du malaise vertigineux de la connaissance du Tout. Nos approches doivent se conjuguer. Nous devons percer les mystères de cette sphère.

- Très bien, fit Proyas. Que savons-nous au juste de la sphère ?

- Elle est tombée depuis l’espace dans le désert mexicain. C’est un ouvrier dans une station-service qui l’a vue passer au-dessus de sa caravane en pleine nuit, commença Caroline.

- Puis il a découvert le… crash. Mais il n’a jamais vu la sphère, car elle était prisonnière d’un bloc de mousse aux propriétés étonnantes. Un système d’atterrissage selon toute vraisemblance. Ce n’est donc pas un accident. Cette sphère était destinée à se poser quelque part, sur un astre solide. S’est-elle perdue ? A-t-elle été lancée à l’aveuglette ? Nous n’en savons rien, poursuivit Esparanza.

- Une mousse aux propriétés étonnantes, dites-vous ? souligna Proyas. C’est à dire ?

- C’est un airbag, en fait, répondit Sanchez. Elle enveloppait la sphère. Nous l’avons étudiée. Elle amortit les chocs par déformation visqueuse puis se solidifie. Elle absorbe toute l’énergie cinétique et préserve ainsi, intact, son contenu. Il y en avait partout, à des centaines de mètres de la sphère. Ça a giclé de partout. Très efficace. Nous entreposons tout ça à l’étage du dessous.

- Bien… Et la sphère en elle-même ? fit Proyas.

- Vous l’avez vue. Très précisément 30 cm de diamètre, 20 kg environ. Une sorte de métal parcouru de motifs changeants apparemment sans relief. Elle est d’une planéité absolue, pour autant que nous pouvons en juger.

- 30 cm de diamètre exactement ? demanda Proyas, en alerte.

- Autant que nous pouvons le mesurer. Notre précision est nanométrique, fit Esparanza. Je vois que cela vous trouble autant que moi.


Proyas était, en effet, très intrigué par cette mesure. Comment croire que cette sphère d’origine apparemment extra-terrestre puisse avoir une dimension aussi précise dans le système métrique terrestre ? La probabilité était sans doute plus qu’infime. Mais cela restait une probabilité.


- Étrange, en effet. Mais probable, fit Proyas.


Alex Proyas était un mathématicien et, en tant que tel, était convaincu par la démonstration. Qu’une affirmation mathématique aille à l’encontre de ses plus profondes convictions et il l’acceptait sans sourciller. C’était sa force, croire de manière rationnelle, savoir se rattacher à l’évidence mathématique, à l’évidence la plus solide de tout le monde scientifique. Et dans le cas présent, pour aussi improbable que cela puisse paraître, cette mesure était probable. Cela lui suffirait. Pour le moment.


- Je vois… fit Sanchez.

- Autre chose ? demanda Proyas.

- Oui… fit David, peu sûr de lui.

- En fait, poursuivit Sanchez, nous pensions avoir des problèmes de mesure, mais… Nous avons changé plusieurs fois tous nos équipements et effectué des centaines de mesures.

- Et ? s’enquit Proyas.

- Cette sphère semble n’être qu’une illusion, lâcha Esparanza.

- Comment cela ? fit Proyas, stoïque.

- Aucune signature spectrométrique.


Un spectromètre était un appareil capable de donner la composition chimique de tout élément visible, en se basant sur les informations électromagnétiques parvenant de lui sous forme de lumière, visible ou invisible. La lumière est une onde électromagnétique et la signature de l’élément chimique qui l’a produite est caractéristique. Il est impossible de se tromper. On est capable de donner avec certitude la composition de nuages stellaires à des millions d’années lumières de la Terre pour peu qu’un télescope puisse les observer.


- Vous en êtes sûr ? demanda Proyas, peu convaincu.

- Nous continuons de tenter de capter la composition chimique. Nous ne comprenons pas, dit Esparanza.

- Pourtant nous la voyons. Et à moins d’une hallucination collective, cette sphère est bien là, massive de surcroît, asséna Proyas.

- Oui, admit Sanchez.

- Cette sphère est alors forcément constituée d’un nouvel élément chimique inconnu. En fait, si le spectromètre ne renvoie pas de réponse claire, c’est simplement parce que, par comparaison avec sa banque de données, il ne trouve rien. Mais il doit forcément mesurer quelque chose.

- Oui, fit Esparanza en tendant une feuille à Proyas qui la saisit lentement. Ce graphe, poursuivit Esparanza, n’a apparemment aucune signification physique. Il est illisible alors qu’il devrait être net.


Proyas entreprit de comprendre le graphe qu’il avait sous les yeux. Les longueurs d’onde ne correspondaient à rien de connu, et se trouvaient bien au-delà des éléments chimiques recensés. Surtout, tout était confus, mélangé, comme si des éléments se changeaient sans cesse en d’autres.


- C’est donc bien ça. De nouveaux éléments chimiques en transmutation permanente. Ça commence bien, dirait-on, fit Proyas, satisfait. Autre chose ?

- Vous le prenez comme ça ? Est-ce acceptable ? s’étonna Sanchez.

- C’est acceptable, oui, dans le cas bien sûr où ce graphe soit fiable et que ce ne soit pas un simple bug. Mais vous avez dit que vous avez tout vérifié.

- Oui, fit Esparanza.

- Donc c’est fiable. Écoutez, cette sphère est un défi conceptuel à tout point de vue. Il ne faut pas être étonné d’être étonné. Il faut interpréter. Comprendre. Compléter nos théories en admettant qu’elles soient faillibles ou incomplètes. Ce que je vois sur ce relevé, ce sont de nouveaux éléments chimiques instables car se changeant sans cesse en d’autres éléments. Aucune radioactivité décelée ?

- Aucune. Mais si vous dites qu’il s’agit là de nouveaux éléments, impossible de savoir quel est leur comportement radioactif… En ont-ils seulement un ? remarqua Sanchez.

- Peut-être émettent-ils de nouvelles particules, toutes aussi inconnues, approuva Proyas.

- Nous avons mis des détecteurs en place. Neutron, électron, positon, noyau d’hélium, ces particules radioactives auraient été détectées. D’autres, moins évidentes, comme le proton, seraient aussi détectées. Donc, s’il y a émission de particules, nous sommes incapables de les détecter.

- Il faudrait des années pour étudier cette sphère, fit Esparanza, fatigué.

- Autre chose, fit Sanchez pour relancer la discussion. La température de la sphère reste toujours légèrement au-dessus de la température ambiante. Depuis une semaine. Cette sphère renferme de l’énergie.

- Intéressant, admit Proyas. Mais pourquoi ? Quelle peut-être la fonction de cette sphère ? Ce sera très dur à déterminer.

- Pour peu qu’il y en ait une, enchaîna Esparanza. Je veux dire, peut-être n’a-t-elle aucune fonction par elle-même. S’il s’agit d’un débris d’une machine hautement complexe conçue par une technologie extra-terrestre, je pense être à peu près sûr que nous n’en comprendrons jamais la fonction. Un martien comprendrait-il la fonction d’un éclat de tuyère tombé d’une sonde spatiale ? C’est peut-être une étude perdue d’avance.

- Mais si c’était un message ? essaya Proyas. Si des extra-terrestres nous envoyaient un message ? Cette sphère est peut-être une bouteille à la mer…

- Je vous trouve bien optimiste, remarqua Sanchez. Je vous voyais bien plus noir.

- J’essaie juste de progresser. Bien sûr, il est plus que probable que cette sphère résiste à toute analyse. Mais si nous avons une chance de la comprendre, il faut partir de l’hypothèse que c’est possible.

- Un message… Admettons que ce soit un message, et non pas une machine ou un débris de machine dont l’usage nous serait totalement incompréhensible… Imaginons. Nous, humains, avons envoyé via le message d’Arecibo notre position dans l’univers tel que nous le connaissons, ainsi que les images d’un homme, d’atomes, et d’un brin d’ADN. Même moi, humain, en voyant le grossier graphisme 2D monochrome sur ordinateur, j’ai eu du mal à le comprendre, alors… Et puis, s’ils nous ont envoyé de la musique, comme nous l’avons fait avec Voyager ? Sans une même culture musicale, c’est voué à l’échec. Nous n’y entendrions qu’un bruit de parasite sans même voir dans sa séquence une quelconque origine intelligente. Pire que tout : ce message est-il seulement décodable par nos sens ? Peut-être ces êtres communiquent-ils par odeurs, ou que sais-je encore ? Quelque chose dont nous n’avons sans doute même pas conscience.

- Je comprends votre point de vue, mais il nous faut essayer, fit Proyas. C’est vrai que le message d’Arecibo est le plus incompréhensible que nous ayons pu envoyer. Mais peut-être ces êtres sont-ils plus intelligents que nous, j’en suis même persuadé. Leur capacité de compréhension de l’Univers doit être bien plus grande que la nôtre. C’est pourquoi j’ose espérer qu’ils auront trouvé un moyen plus aisé de communiquer. Il faut essayer, David. D’autre part… Regardez !


Proyas faisait lentement tourner la sphère à l’aide d’un joystick commandant un robot manipulateur. Il avait scruté la surface mouvante pendant de longues minutes depuis leur arrivée. Et quelque chose l’intriguait.


- Où ? Je ne vois rien, Proyas, fit Sanchez, dubitative.

- Si, regardez mieux, fit Proyas. Là. Les tourbillons semblent naître ici, sur cette zone plus foncée. Et j’ai remarqué la même chose, diamétralement opposée. Les pôles de la sphère. Il y a quelque chose. Il faut voir ce que c’est.

- Ok. Je vois. Allons-y, fit Sanchez. Température, intensité lumineuse, planéité, texture.

- Et la résistance mécanique ? essaya Esparanza.

- Nous en avons déjà parlé, David, répliqua Sanchez. Je ne crois pas que ce soit une bonne idée. Si cette chose renferme un quelconque germe ou quoi que ce soit d’autre, je ne veux pas le relâcher. Nous sommes encore en vie, c’est un bon début. Tâchons de le rester.

- Attitude sensée. De plus, si c’est effectivement un message, je ne voudrais pas risquer de pulvériser ni même de rayer ce vinyle cosmique hors de prix, fit Proyas, amusé. Je pense qu’on pourrait peut-être aussi tester les champs.

- Les champs ? demanda Esparanza.

- Les champs gravitationnel et électromagnétique, indiqua Proyas. Ils peuvent être de très bons indicateurs. Sur Terre, leurs variations sont à la base de nombre de phénomènes, comme les aurores boréales.

- C’est parti, approuva Sanchez.


Elle se dirigea vers un interphone et déclara :


- Demande analyses de température, d’émission lumineuse et d’état de surface sur les points indiqués.


Sur ce, Sanchez pianota sur son ordinateur et mit en surbrillance deux zones de la sphère modélisée en fil de fer sur son écran.


- Demande également analyse générale des champs gravitationnel et électromagnétique autour de la sphère, et plus particulièrement au niveau des deux zones indiquées, continua-t-elle.

- Alors c’est ainsi que cela fonctionne ? Nous discutons, enfermés dans cette pièce, et vous communiquez vos demandes d’analyse via interphone ? demanda Proyas, dubitatif.

- Oui. En ne prenant pas part aux problèmes de pratique, nous ne sommes pas dérangés, fit-elle. Le Ministre de la Recherche approuve mes directives. C’est atypique, mais je préfère procéder ainsi.

- Bien, c’est vous le chef, admit Proyas. Mais c’est trop simple. Nous risquons fort de passer à côté d’importantes informations. La radioactivité a été découverte par accident sur le terrain.

- Nous ferons ainsi pour le moment. Qu’espérez-vous découvrir ? trancha Sanchez.

- Eh bien… Nous n’avons plus qu’à attendre les résultats, fit Proyas, absorbé par la vision des techniciens en combinaisons NRBC.


Derrière le miroir sans teint, on pouvait en effet voir une demi-douzaine de techniciens lourdement habillés en train d’installer les appareils pour les mesures demandées. Une voix métallique retentit dans la salle de surveillance :


- Vérification état de surface.


Sanchez pianota sur son clavier et une image en fil de fer de la sphère apparut. Très vite, le fil de fer fut recouvert d’une texture pleine orange ocre très proche du véritable aspect. Un cercle vert clignotant délimita la zone étudiée et la caméra effectua un zoom surpuissant. Proyas jeta un œil aux techniciens en train de prendre des centaines de milliers de points de mesure sur la sphère à l’aide d’un appareil lourdement fixé au sol permettant une précision nanométrique. L’écran affichait « calcul en cours », puis une durée : « modélisation terminée dans 20 secondes ». Quelques instants plus tard, un zoom encore plus fort révéla l’état de surface de la zone considérée. Cette sphère semblait parfaite, sur la base des 897 562 points de mesures nanométriques prises sur à peine 5 cm².


- Eh bien, nous voilà fixés. Cette sphère est juste parfaite, fit Esparanza.

- Pour autant que nous puissions en juger, oui, admit Proyas. Mais rien ne dit qu’elle soit parfaite. Car, excusez-moi, mais seuls les objets mathématiques peuvent l’être.

- Mais n’êtes-vous pas partisan d’une origine mathématique du monde ? releva Sanchez.

- Si, en effet, mais pas du tout dans un tel contexte. Ceci n’a rien à voir. Nous y reviendrons si nécessaire, répondit Proyas.

- Contrôle du champ électromagnétique, fit le haut-parleur.


Sur l’écran, des lignes de champs apparurent en rouge, tout autour de la sphère, joignant les deux zones étudiées. Proyas remarqua que le champ n’était pas très intense et apparemment variable dans le temps.


- Merveilleux. Très intéressant, fit Proyas.


Il se leva et se dirigea vers l’interphone.


- Demande relevé des potentiels électriques des pôles, continua Proyas.

- Faites comme chez vous, surtout, lui lança Sanchez, amusée.

- Mesure des potentiels engagée, fit la voix métallique. Potentiels variables apparemment binaires, continua la voix.


Sanchez pianota sur son clavier et le relevé des potentiels apparut.


- Ils varient effectivement dans le temps. Et de manière binaire. Je crois que nous tenons notre message. Reste à savoir le lire, fit Proyas, pensif.

- Une sorte de morse, en effet, approuva Esparanza.

- Oui. C’est tout à fait remarquable. D’une logique implacable. Nous parlions des difficultés probables de capter un quelconque message. Ces êtres ont donc encodé leur envoi de la façon la plus logique qui soit pour un peuple un minimum avancé : l’interaction électrique, l’une des quatre forces régissant l’univers, avec la gravitation et les forces nucléaires faible et forte. Ces interactions se ressentent partout. Pas possible d’y échapper et donc de passer à côté. Celle qu’ils ont utilisée est, de plus, la plus simple à mettre en œuvre. Elle ne peut passer inaperçue aux yeux d’une civilisation un minimum avancée. Admirable. Reste à déchiffrer tout cela, conclut Proyas.

- À supposer qu’il s’agisse bien d’un message et non pas d’une quelconque perturbation, glissa Sanchez.

- Non. C’est trop régulier, trop binaire. Regardez : le signal passe sans cesse d’une valeur très faible, quasiment nulle, à une valeur intense qui ne varie pas. C’est bien un code, affirma Proyas. On enregistre tout ?

- Bien sûr, fit Esparanza. Nous enregistrons les relevés et nous n’arrêterons pas avant de les avoir décodés.

- D’abord ces motifs changeants. Puis cette chaleur résiduelle à la surface de la sphère. Enfin, ce champ électrique variable. Ça ne fait aucun doute, cette sphère possède sa propre source d’énergie. Cela doit pouvoir nous aider, non ? fit Sanchez.

- Au niveau de son âge, vous voulez dire ? relança Esparanza. Oui ça peut avoir son importance.

-Pas forcément, trancha Proyas. Si les êtres à l’origine de cette sphère l’ont envoyée comme messager à l’aveuglette, ils n’ont sûrement pas pris le risque de la faire dériver des millions d’années et de voir ainsi son énergie s’épuiser. Donc si vous vouliez dater sa batterie ou je ne sais trop quoi d’autres, c’est foutu. D’autant plus qu’il n’est pas question d’ouvrir cette sphère.

- Mais d’où tire-t-elle son énergie, alors ? Si elle n’a pas rechargé une sorte de batterie à l’énergie solaire durant son périple ? demanda Sanchez. Vous pensez à une autre forme d’énergie ?

- Sûrement, fit Proyas. N’oubliez pas qu’ils sont sûrement bien plus avancés que nous. Peut-être une matière nucléaire à la durée de vie quasiment infinie… Mais je pencherais plutôt vers une autre solution. L’énergie cinétique. Je repense à cet airbag déployé par la sphère. Cela laisse penser qu’elle était destinée à se poser intacte sur un sol apparemment dur après une terrible chute. Elle devait donc sûrement traverser une atmosphère comme la nôtre, relativement dense, à pleine vitesse, provoquant un intense échauffement. C’est peut-être là l’idée : l’énergie cinétique de la sphère changée en échauffement thermique : elle activait tous ses systèmes en plongeant vers sa cible. Elle sortait de sa léthargie en s’approchant de son but. Et puis, même sans atmosphère, avec cet airbag somme toute sûrement pas parfait, une partie de l’énergie de l’impact pouvait sûrement être récupérée par la sphère. Cela peut nous laisser un certain temps avant son épuisement. Mais nous ne pouvons être sûrs de rien.

- Je vois que vous venez de résoudre élégamment le problème énergétique, fit Esparanza, impressionné. Même si cela n’est qu’une théorie. Au reste à développer : que peut bien contenir cette sphère pour posséder le comportement que vous décrivez ?

- En effet, ça reste à développer. De plus, il est possible que je me plante sur toute la ligne, admit Proyas. Mais attachons-nous au décodage de ce message.

- Un code binaire, c’est un bon départ, nous sommes d’accord. Astucieux car facilement lisible et immédiatement détectable pour une civilisation au fait de l’existence du champ électrique. Mais qu’en est-il du reste ? Si nous ne connaissions pas ce champ ? Et puis, même à partir de ce code binaire, tout est à faire, fit Sanchez.

- Sanchez, nous connaissons ce champ, c’est un fait et une chance, fit Esparanza. Sans doute est-ce même une condition minimale à la compréhension ce qui suit. Un peuple ne connaissant pas le champ électrique n’aurait peut-être rien à tirer de leur message, si, bien sûr, c’en est bien un, continua Esparanza avec un sourire amusé pour Proyas.

- Nous avons déjà dit que ce message était notre hypothèse de départ, fit Proyas, en réponse à Esparanza. Ensuite, là où vous êtes sûrement dans le vrai, c’est lorsque vous parlez de condition minimale de compréhension. Parce que je ne voudrais surtout pas paraître pessimiste, mais vous connaissez mes positions : je doute grandement des capacités intellectuelles de notre espèce. Et puis, c’est comme si balancions une télévision à un martien. Sans électricité, sans câblage adapté, sans émission radiodiffusée, il ne pourrait rien en tirer. Il faut espérer que nous ayons le minimum requis. Et puis, au fond, pourquoi serions-nous forcément capables de comprendre le monde ? Plus inquiétant : si c’est bien un message, que peut-il bien dire ? Serons-nous seulement capables de le comprendre en plus de le lire ou de le voir ?

- Bonne question, releva Esparanza. Imaginons que nous nous retrouvions comme un gamin de 5 ans devant un problème de maths style Polytechnique ? Notre capacité intellectuelle serait sans doute problématique… Il y a sans doute encore pire : de quoi va bien causer ce message ? C’est fondamental : si l’on discute politique avec les martiens, on ne comprendra absolument rien. Que ce message soit universellement compréhensible est notre seule chance, mais existe-t-il un sujet réellement universel ? Les faits directement et universellement observables sont sûrement notre meilleure chance…

- Effectivement… Mais pour en revenir au problème de la capacité intellectuelle, il me semble en effet dangereusement crucial. Un exemple très simple : un chien est bien moins clairvoyant que nous sur la nature du monde, et nous ne sommes finalement qu’un cran au-dessus. Et il y a quelques millions d’années nous n’en étions pas là. Peut-être, effectivement, que l’intelligence sur notre planète n’en est encore qu’à un stade très limité. Trop limité ?

- C’est une question de point de vue, fit Esparanza. Même chez l’homme, l’intelligence, à supposer qu’on puisse la quantifier, est éminemment variable. Ensuite, un homme comprend-il réellement mieux le monde qu’un chien ? Qu’entend-on au fait par comprendre ? Ce n’est certes pas notre sujet, mais peut-être n’y a t-il rien à comprendre ? C’est une éventualité.

- Merci de nous remonter le moral, David, fit Proyas.

- Et c’est vous qui dites ça, vous le pessimiste chronique ? fit Sanchez, stupéfaite.

- Bon. Oublions cela, fit Proyas pour passer à autre chose. Vous disiez que même en partant de ce code binaire, tout restait à faire ?

-Bien sûr, fit Esparanza. Est-ce, là encore, une sensibilité à décoder ? Je veux dire, est-ce du Mozart martien encodé ? Au-delà du sujet abordé, d’un point de vue purement technique, est-ce une phrase, un dessin, un film, ou que sais-je encore ? Si c’est un dessin, est-il en 2 ou 3D, voire en 4 ou pourquoi pas 9 ? Après tout, la physique n’est pas loin d’imaginer de tels mondes à 9 dimensions, n’est-ce pas ?

- Effectivement. Mais il s’agit plus de procédés calculatoires qui, même s’ils ont une signification physique, nous dépassent. Les physiciens se plient aux équations et abdiquent devant de telles vues improbables de l’esprit. Ils l’admettent sans pouvoir le comprendre - en tout cas sans pouvoir se le représenter. Dès lors, s’il s’agit là d’un dessin en 11 dimensions nous sommes dans une impasse, admit Proyas. Mais continuez.

- Je continue, fit Esparanza. Maintenant, repartons de notre dessin. Ce signal binaire, que nous continuons d’enregistrer, est-ce un dessin ou un dessin animé ? Devons-nous y chercher une seule image ou plusieurs ? S’il s’agit bien d’une animation, comment les différencier ?

- Je suppose que vous avez des logiciels de décodage ? demanda Proyas.

- Bien sûr, fit Sanchez.

- Dans ce cas, poursuivit Proyas, ces logiciels sauront immédiatement repérer une redondance de tout ou partie du signal. Une transition entre deux images peut sans doute se remarquer par une pause temporelle du signal. Un signal continûment nul, par exemple, pendant un temps donné.

- Par exemple, oui, fit Esparanza. Et si tel est le cas, nous aurions là une information cruciale sur le temps propre de ces êtres. Supposez qu’ils soient, non pas immortels, mais dotés d’une durée de vie du milliard d’années : s’ils voulaient marquer une pause saisissable à leur échelle, nous pourrions bien nous retrouver avec un blanc de 10 ou 100 ans. Fâcheux. Si nous décodons leur dessin animé encodé avec des pauses de l’ordre de la dizaine de secondes, nous aurions déjà affaire à des êtres plus « humains ». Déjà, le seul fait que nous ayons distingué le caractère binaire variable de ce signal est une bonne chose. Les fluctuations auraient en effet pu être beaucoup plus rapides, ou atrocement lentes, au point d’être indécelables. Je crois donc que nous avons une chance.

- Le problème est ardu, en effet. Espérons qu’ils ne vivent pas trop longtemps, fit Sanchez, amusée. Quoique ce serait biologiquement très intéressant. Hélas, de ce point de vue, pas grand-chose à l’horizon.

- Il nous faudra attendre pour juger, fit Proyas.

- 2 heures du matin. Il est tard et je suis fatiguée, fit Sanchez. Je crois que je vais vous laisser. À demain, messieurs.

- Bien, à demain, Sanchez, fit Esparanza. Nous restons entre hommes, conclut-il d’un sourire fatigué.


Sanchez était partie se coucher. Les deux hommes restèrent un long moment à scruter le signal binaire.


- Et si c’était un programme ? essaya Proyas.

- Peu probable, fit Esparanza. C’est l’actuel problème du stockage informatique : faire en sorte que de vieilles données restent lisibles par les programmes futurs, et ce sans même se soucier de l’altération des données. Un vieux programme a peu de chance de fonctionner sur un nouveau. Donc, il faut créer des bases de données auto-extractables, c'est-à-dire des données contenant leur propre outil de lecture. Nous n’en sommes pas capables. Peut-être ces êtres le sont-ils, mais alors il y a peu de chance que nous comprenions leur système.

- On en revient toujours au même problème : il nous faut supposer que ce message en soit bien un et qu’il soit intelligible. Cela relève presque de la foi, fit Proyas.

- En effet. Pour en revenir à cette idée de programme, il faut d’abord noter deux choses. Si c’est bien un programme, alors le fait qu’il soit en binaire est sans doute une autre démonstration des soucis de ces êtres d’être compris, car il y a fort à parier que leur équivalent informatique ne soit pas binaire mais bien plus élaboré, avec non pas une base 2 mais peut-être bien plus grande. Peut-être comptent-ils avec une base 96 000 ? Comment savoir ? En tout cas, nous avons du binaire. Si ce signal s’arrête, nous pourrons toujours l’essayer tel quel. En espérant qu’il s’agisse là d’un programme basé sur la séquentialité, autrement nos machines ne sauraient même pas le lire.

- Essayons plus simple. Reprenons notre idée des dessins. Cherchons une image, fit Proyas.

- En 2D ?

- Oui, ça paraît plus intuitif. Après tout, on peut faire de la 3D avec de la 2D : la télé n’est au fond rien d’autre que cela, de la 3D mise à plat. Et ça ne nous gêne pas plus que ça. On verra.

Esparanza s’exécuta. Proyas le vit pianoter à toute vitesse sur le clavier. Alex Proyas se sentait bien. Sanchez était adorable, sa manière de diriger les opérations était atypique mais intéressante. David Esparanza était agréable à vivre et éminemment intéressant, très au fait du contexte scientifique tout en apportant des pistes. Un agrégé de philosophie. C’était une belle idée. Et ils tenaient une piste. Les images. Allaient-ils en trouver ?

- Voyons ça, fit Esparanza. Très intéressant. Regardez : il y a des alternances, des pauses dans le signal. De deux types : certaines durent 3 secondes environ, et les autres, 7. Ça peut être capital. Je suis sûr qu’il y a séquentialité.

- Fantastique, fit Proyas, absorbé. Mais alors, s’il y a séquentialité, on a sans doute manqué le début.

- Je ne pense pas. Réfléchissez. C’est tout simplement trop important pour le destinataire. Espérons donc qu’ils auront su comment éviter ce désagrément. Peut-être en faisant en sorte que le signal ne commence qu’avec le début des mesures du champ.

- Ça peut effectivement se détecter. Espérons. Mais ça commence à faire beaucoup d’hypothèses, fit Proyas.

- Hypothèses qui commencent à se vérifier, regardez les pauses. On les attendait, on les a. Je pense donc qu’on peut continuer à procéder ainsi sans se retrouver à la fin avec une masse tellement lourde d’hypothèses que nous pourrions voir tout et n’importe quoi dans cette sphère. Maintenant, comment voir ces images en supposée 2D ?

- Si ce sont bien des images, ce n’est pas de la supposée 2D. C’est de la 2D, asséna Proyas.

- Comment cela ? Je ne vous suis pas.

- Réfléchissez à votre tour. Un signal. Une pause. Un autre signal. Encore une pause. Ça nous fait deux images dans notre hypothèse. Mais deux images comment ? En une seule et unique dimension, car en une seule et unique séquence ou signal par image. En 2D, il faut une seconde pause, pour un « retour à la ligne » définissant la hauteur de l’image. Hors, nous avons ici deux types de pauses. Celle de 3 secondes indique les retours à la ligne, celle de 7 secondes les changements d’image. C’est limpide. Tenez, on a même les dimensions de l’image avec le nombre de signaux binaires : 3000 sur 3000. Un carré. Intéressant.

- Bien vu, fit Esparanza, impressionné. Les maths sont en vous.

- C’est du simple bon sens. Si je vous avais laissé continuer seul, vous vous seriez forcément confronté à ce problème de retour à la ligne pour la 2D, fit Proyas. Mais peut-être nous plantons-nous sévèrement. Supposez que ces créatures ait une vision non pas plane comme la nôtre mais courbe ou en forme de spirale. Nos supposés retours à la ligne ne rendraient rien de bien. Nous sommes toujours scotchés à nos hypothèses, fit Proyas. C’est bien fragile.

- Mais si nous visualisons quelque chose que nous comprenons, c’est que nous avions raison. Nous aurons alors validé nos hypothèses.

- Nous n’en sommes pas encore là. Nous sommes partis d’une image. Est-ce seulement une image et pas un message écrit ou censé être entendu ? Ou censé même être pensé ? Peut-être ces êtres écrivent-ils directement en pensée.

- Attention, pente glissante, Proyas. C’est moi le philosophe, fit Esparanza, tout sourire, malgré le poids de la fatigue en cette heure tardive.

- Lancez le processus d’affichage. Voyons ce que nous avons.


Esparanza entra rapidement les ordres de décodage dans la machine. Proyas resta stupéfait devant sa rapidité d’action et sa connaissance du logiciel. Il connaissait de nombreux philosophes, rencontrés durant des séminaires. Le contact avait toujours été bon et souvent fructueux, et ce, de manière bilatérale. Mais Proyas leur reprochait toujours leur côté super low-tech. Et voilà qu’Esparanza balayait tout ça.


- On y est. Les images vont se succéder en diaporama sur tout l’écran configuré en 3000 sur 3000. On peut accélérer, faire pause, revenir en arrière. C’est parti. Première image. Pause.

L’écran n’affichait rien que du blanc.

- Rien. Il n’y a rien, fit Esparanza.

- Si. Regardez bien. Les contours de l’écran sont noircis. L’image est délimitée. C’est cadré, nota Proyas. Continuez.

- Les images défilent. Une toutes les 3 secondes. Nous devrions peut-être appeler Sanchez, non ?


Les images cadrant le vide se succédaient.


- Attendons de voir si ça vaut vraiment le coup, jugea Proyas. Mais allez plus vite. On n’en est plus à une hypothèse près, alors puisque ces êtres semblent avoir un temps propre proche du nôtre, allons-y pour du 10 images par seconde.

- OK, fit Esparanza.


Toujours rien. Puis des points noirs apparurent. Les deux hommes se regardèrent, fébriles. Les points grossirent. L’image semblait se cadrer sur l’un des points qui grossissait toujours. Les autres points étaient à peine sortis du champ que le point central s’affina pour devenir plus nuancé, fait de noir et de gris. Puis, au fur et à mesure de ce qui semblait de plus en plus être un zoom, cet amas se disloqua en d’autres points grossiers qui s’affinèrent à leur tour. La caméra se concentra sur l’un deux, d’abord régulier, puis franchement plus singulier, presque circulaire. Alors, des nuances de gris apparurent, comme si c’était un disque partiellement transparent. L’image continuait de s’affiner. La masse de points s’était muée en une étrange forme géométrique, comme un disque dont s’échappaient des pointes depuis les zones grisâtres. L’image continuait d’évoluer, les pointes se courbaient délicatement.


- Pause, demanda Proyas. Allons chercher Sanchez. Ça devient intéressant.


Quelques instants plus tard, Sanchez était devant l’écran, au courant et impressionnée de la démarche de ses collègues.


- Relancez l’animation, fit-elle.


C’était reparti. Les pointes s’affinaient et continuaient de se courber. Des défauts apparurent, brisant la symétrie de l’image.


- Vraiment étrange. On dirait des fractales, non ? Une sorte d’invariance d’échelle… Je me demande si notre programme de décodage n’est pas totalement à côté de la plaque, soupira Esparanza.

- Il est au contraire totalement au point, lâcha alors Proyas.

- Vous êtes sérieux ? demanda Esparanza, médusé.

- On ne peut plus sérieux, fit Proyas.

- Eh bien ? Que voyez-vous sur cet écran ? insista Sanchez.

- Une galaxie, dit-il lentement.


Esparanza et Sanchez se regardèrent, stupéfaits. Le zoom continuait. Les bras de la supposée galaxie n’étaient plus noir mat mais devenaient transparents. Bientôt, un seul bras restait visible à l’écran, puis des amas apparurent.


- Les systèmes solaires ? tenta Sanchez.

- Oui, on dirait, approuva Esparanza.

- Attendez, on dirait que l’angle évolue. L’image se ratatine, fit Sanchez.

- Oui, changement de perspective. Joli, fit Proyas.


La caméra virtuelle semblait voler au-dessus des systèmes solaires, frôlant des planètes autour desquelles orbitaient des satellites. On voyait parfois des systèmes à plusieurs soleils.


- Fantastique, souffla Proyas.


Sanchez avait l’impression de regarder un jeu vidéo en noir et blanc mal animé. Mais elle ne pouvait s’empêcher de frissonner et d’être prise de vertiges en se disant qu’il s’agissait d’une vidéo virtuelle d’origine extra-terrestre.

La vidéo continuait. La caméra fonça au centre d’un système, se mit en orbite autour d’un soleil unique, puis s’éloigna et s’approcha des planètes, virevoltant autour d’elles, découvrant une planète à anneaux, des satellites naturels et des astéroïdes.


- Attendez ! souffla Sanchez.

- Ça ne va pas ? fit Proyas

- Ce système… C’est le nôtre, étouffa Sanchez.


Proyas, qui tentait péniblement depuis ces dernières minutes de garder son calme, fut instantanément tétanisé. Tout comme Esparanza. Oui. Maintenant que Sanchez l’avait dit, oui, ils reconnaissaient tous deux leur propre système solaire. Et ils crurent s’évanouir en voyant apparaître la Lune puis la Terre, dévoilant nonchalamment ses continents tout en détail. Plus aucun doute possible. Proyas n’en croyait pas ses yeux. Puis la caméra s’écrasa. Au Mexique.


- Incroyable, lâcha Esparanza en mettant le film sur pause. Les implications sont colossales.

- En effet, confirma Sanchez. La sphère n’est pas arrivée ici par hasard. Elle nous était clairement destinée. Et si l’on ne sait pas vraiment d’où elle vient, c’est déjà très clairement de très loin. Ils savent où nous sommes. Mieux, ils savent plus simplement que nous sommes. Nous, nous ne savions rien d’eux. C’est à peine si nous savons maintenant qu’ils existent. Comment nous ont-ils découverts ?

- D’après ce que j’ai vu, la sphère vient de trop loin pour que nos émissions radios aient pu les atteindre. C’est beaucoup trop loin. Ou alors nous devons tout remettre en cause, fit Proyas, décontenancé.

- Tout remettre en cause ? À quel niveau ? demanda Sanchez.

- Au niveau de la transmission d’informations. Apparemment ils sont si loin que même visuellement, au sens de la vitesse de la lumière, ils n’auraient pu voir la Terre qu’à l’aube de son existence. Pourtant nous venons bien de voir la Terre telle qu’elle est aujourd’hui. Donc l’information de notre existence s’est propagée autrement. Et je ne vois pas comment.

- Attendez, calma Esparanza. Nous avons vu la Terre telle qu’elle est aujourd’hui. Clairement. Et nous avons vu la caméra plonger vers le Mexique, comme l’a très précisément fait la sphère. Mais peut-être que la première partie de la vidéo n’est pas le cheminement exact de la sphère. Souvenez-vous. Au début, rien. Puis, sous un angle de vue franchement artificiel, des amas de galaxies, puis des galaxies, puis une galaxie. Toutes, vues perpendiculairement à leur axe de rotation. C’est trop didacticiel. C’est probablement purement ludique. Pour que nous comprenions bien. Cette vidéo est purement virtuelle après tout. Ce n’est pas la réalité. Peut-être cette sphère vient-elle de bien moins loin que vous ne le pensez.

- Puissiez-vous avoir raison, souffla Proyas. Toujours est-il que nous n’avons pas la moindre idée d’où elle vient. Alors qu’eux ont une image assez précise de notre planète. Ça ne vous inquiète pas ?

- Je suis terrifié. Mais je ne saurai dire pourquoi. En fait, c’est cette vidéo, la vue de la Terre, tout ça. C’est si soudain. Vertigineux, fit Esparanza.

- Tâchons de dormir, trancha Sanchez. Nous verrons tout ça demain. Bonne nuit, messieurs.

- Oui. Je vais me coucher aussi, enchaîna Esparanza.

- Moi aussi, conclut Proyas.


Sanchez et Esparanza se levèrent puis quittèrent la pièce. Proyas resta seul, scotché. Ça semblait presque trop facile. Ils n’avaient pas fait fausse route un seul instant. Message codé en une succession d’images 2D animées. Trop facile. Et, puis, cette image de la Terre. Cette idée qu’ils les observaient le rendait fou. Il regardait l’écran, les yeux dans le vague. Puis un vague clignotement le ramena à lui. Le symbole « pause » clignotait en rouge sur l’écran. La vidéo. David l’avait arrêtée. Et, médusés par ce qu’ils venaient de voir, ils n’avaient pas réalisé que le film n’était pas terminé. Fébrile, Proyas se mit devant l’écran et, d’un clic, appuya sur « play ».


Ce qu’il vit dépassait l’entendement. Il ne pouvait y avoir aucun doute. C’était bien la silhouette d’un homme qui était apparue sur l’écran. Puis, en un magistral zoom, la caméra révéla un étrange nuage clignotant, puis un minuscule point grandissant. Bientôt ce point apparut constitué d’une sphère, elle-même faite de trois sphères. Pause. C’était les particules élémentaires. Ce nuage clignotant, c’était les électrons et leurs probabilités de présence en orbite autour du noyau atomique, fait de trois protons et neutrons, eux-mêmes constitués de trois quarks. Jusqu’ici, Proyas avait compris. Le modèle standard de la physique moderne n’était apparemment pas encore pris en défaut. Mais Proyas sentait bien quelque chose venir. Play. Encore un zoom, faisant apparaître cinq nouvelles sphères. De nouvelles particules élémentaires. Cela commençait. Puis encore un zoom. Proyas tremblait. Une des sphères symbolisant une de ces nouvelles particules apparut en gros plan, puis se mit à clignoter, avant de disparaître pour laisser sa place à une corde vibrante. Pause. C’était donc ça. La théorie des cordes était donc vraie. Play. Drôle de nuit qui suivit. Proyas devint ainsi le premier humain au contact de la véritable nature du monde. Beaucoup de choses suivirent sur la vidéo. Trop de choses pour un seul homme.


Proyas ronflait bruyamment, avachi devant l’écran en veille. Sanchez s’approcha lentement. Elle vit que Proyas s’était endormi sur une feuille de papier griffonné. Elle le retira délicatement de dessous son visage. Elle put alors lire :


Instanton gravitationnel primordial singulier unique de taille zéro… Information primordiale ?


Caroline fit signe à David de s’approcher. Elle lui tendit la feuille. Il la lut à haute voix, puis fit clairement comprendre qu’il n’y comprenait rien :

- Instanton quoi ? fit-il, peu convaincu.

- C’est la clé. La sphère m’a tout révélé, fit alors Proyas, réveillé.

- Comment cela ? demanda Esparanza.

- Hier soir. Lorsque vous êtes partis vous coucher, je suis resté. Et j’ai vu que le film n’était pas terminé…

- Nom de… Mais oui ! souffla Sanchez. Nous n’avons pas regardé la suite !

- Donc vous n’avez encore rien vu. C’est… incroyable. Mais je ne suis pas sûr que vous y comprendrez grand-chose, fit Proyas. C’est parti.

- Attendez, attendez. C’est si… incroyable que ça ? Quelles sont les implications ? demanda Sanchez, qui n’osait pas regarder.

- C’est parti. Allez, lâcha Proyas.


L’écran afficha les premières images du film. Sanchez et Esparanza regardèrent sans un mot. Ils virent la silhouette humaine et ne purent alors réprimer un frisson. Ils virent apparaître de drôles de sphères qu’ils identifièrent comme des atomes, puis encore d’autres sphères. Ils perdirent rapidement le fil du film. Lorsque les sphères se changèrent en cordes, Esparanza soupira. Puis autre chose. La caméra effectua brutalement un vertigineux zoom arrière pour embrasser de nouveau les galaxies qui se mirent à tournoyer de plus en plus lentement, avant de converger pour ne plus former que d’énormes amas de matières.


- On remonte le temps, fit simplement Proyas.


Les amas se rapprochèrent tous de plus en plus vite pour n’en former plus qu’un qui se rétracta et se mit à clignoter étrangement. Un semblant de pause, puis un zoom surpuissant sur l’unique point restant. Sanchez crût distinguer comme une vertigineuse descente le long d’un cône spiralé, puis des particules se mirent à danser à l’écran, s’agglutinant en une étrange masse ondulante se déformant sans cesse comme un liquide parcouru d’étranges et violentes ondulations. Puis l’agitation commença à se calmer et de nouvelles particules apparurent, de plus en plus calmes. Un semblant d’ordre commençait à émerger. Les particules commençaient à s’aligner en une étrange spirale étirée. La caméra dévalait l’étrange escalier de plus en plus vite puis se mit à ralentir avant d’arriver, presque à l’arrêt, sur une unique particule sphérique clignotante, devenant tantôt une sphère, tantôt un point. Puis il ne resta plus qu’un point. Puis plus rien. Alors l’écran se mit à afficher à la suite des 0 et des 1 puis d’étranges symboles, en lignes, à toute vitesse, dont l’écran fut bientôt couvert. Les lignes continuaient de défiler à une vitesse vertigineuse. L’écran devient blanc tressautant, puis blanc uniforme.


- Fin, asséna Proyas.

- C’était quoi, tout ça ? fit simplement Sanchez, médusée.

- Un cours de physique magistral, répondit Proyas du tac au tac. Ce que vous venez de voir à l’écran n’est autre que l’histoire de l’univers depuis son origine jusqu’à nos jours et, plus fort encore : la nature même du monde ainsi que l’ultime vérité.

- Rien que ça, soupira Esparanza. Mais pourriez-vous être plus clair ?

- Je vais essayer. Ces lignes de code que vous venez de voir défiler ne sont autres que le code cosmologique. La formule ultime régissant l’univers. L’origine du monde. On est au bout : mathématiques, physique, métaphysique, philosophie. Tout est là. Tout.

- Mais pourquoi un cours de… Physique ? Est-ce ça, le message extra-terrestre ? Un cours de physique ? fit Sanchez, stupéfaite.

- Eh bien, fit Esparanza, disons que, la physique étant universelle, c’est une approche satisfaisante. Réfléchissez. Nous en avons déjà parlé. Vous, de quoi tenteriez-vous de parler ? Moi femme, moi amie de vous, vous amis ? C’est puéril et stupide, en plus d’être sûrement incompréhensible. Tandis qu’une représentation visuelle du monde physique, c’est universel. Je trouve ça cohérent. On l’a déjà dit : les faits scientifiques sont notre seule chance de nous comprendre, ou presque. En fait, ce cours de physique, je le trouve terriblement logique. Mieux : c’est une magistrale preuve de bon sens. La science fondamentale, quoi de mieux pour communiquer ? De par sa nature universelle, il s’agit sûrement du meilleur vecteur de communication qui soit : tout être est soumis aux lois de la physique, chacun la ressent, elle n’est qu’une. La musique, la politique, le social ? Illusoire !! Aucune chance que l’on se comprenne ! La biologie ? Idem, et vous le savez sûrement mieux que moi, Sanchez : ne comprenant toujours pas ce qu’est la Vie, comment elle est apparue et, plus difficile encore, ses différentes formes possibles, pas besoin d’espérer communiquer ainsi.

- Je ne peux que vous donner raison, admit Sanchez.

- Exactement, enchaîna Proyas. La Physique est sûrement le meilleur moyen de communiquer, peut-être pas le seul, mais le plus efficace, assurément.

- Espérons tout de même qu’on en saura plus, et que l’on ne parlera pas Big Bang en permanence… Mais êtes-vous vraiment sûr de vous, Proyas ? La vidéo me semble confuse, fit Esparanza.

- Il est vrai que je ne fais qu’interpréter ce que j’ai vu. Mais ce que j’ai vu est exactement ce à quoi je m’attendais. Il n’y a pas une seule image qui ne s’inscrivait pas dans ce que j’anticipais. Tout ce que j’ai toujours su sans jamais pouvoir en être sûr. Et, manifestement, ces êtres l’ont aussi compris. Qu’ils l’aient démontré ou non m’importe assez peu finalement. Le seul fait qu’ils aient conceptualisé la même chose que moi suffit à me convaincre de la véracité de mes travaux. Mais eux sont allés bien plus loin. Ils ont vu et compris ce que j’entrapercevais à peine.

- Quels travaux, au juste ? Vous avez écrit des centaines d’articles, fit Sanchez.

- Ma théorie sur l’origine du monde, dit Proyas. Tout ce que vous venez de voir converge en une seule et unique théorie unifiée du monde. Ça converge.

- Bon… Reprenons le film, si vous voulez bien, fit Sanchez. L’être humain. C’est dingue. Ils nous voient ?

- Absolument, fit Proyas.

- Mais pourquoi ne savons-nous rien d’eux ? Où sont-ils ? s’énerva presque Esparanza.

- Regardez la sphère, fit simplement Proyas.

- Hein ? fit Sanchez.


Ils se tournèrent tous trois vers la sphère.


- Nom de dieu, souffla Esparanza. Que s’est-il passé, Proyas ?


La sphère avait bougé. Elle n’était plus bien calée dans son socle, mais semblait s’être empalée sur l’un des appareils de mesure qui la traversait désormais de part en part.


- La nature reprend simplement ses droits. Cette sphère n’est pas de ce monde, fit laconiquement Proyas.

- Ce qui veut dire ? tenta Esparanza.

- Cette sphère n’est pas faite de matière ordinaire, vous le savez déjà. Elle est en fait constituée de ce que nous appelons les WIMPs, pour weakly interacting massive particles. Des particules élémentaires massives interagissant peu ou pas avec notre monde fait de particules… ordinaires, si j’ose dire. Mais peut-être qu’une petite remise à niveau en physique des particules serait nécessaire ?

- Je le crois, oui, admit Sanchez.

- Très bien, fit Proyas, tout sourire. Les wimps, donc. Il s’agit de particules issues de notre esprit « matheux » pour contrecarrer une réalité qui nous échappe. Une dure réalité. L’Univers a une masse, que nous pouvons très précisément mesurer grâce aux effets gravitationnels dans l’Univers. Manque de pot, ce que nous voyons n’égale même pas 5% de cette masse. En d’autres termes : l’Univers tel que nous le connaissons, fait d’étoiles et de galaxies, n’est qu’une infime partie d’une réalité qui nous échappe : celle d’un monde bien plus grand encore que celui que nous font miroiter les étoiles. Le problème est de taille : toute notre compréhension physique du monde est basée sur l’étude de particules qui composent à peine 5% du total. Nous ne savons rien, ou presque, du reste. Il y a l’antimatière que vous connaissez, bien sûr, mais sa masse totale est infime. Nous avons donc imaginé un univers constitué majoritairement de wimps, ces particules massives constituant les 95% manquant, mais qui nous sont invisibles - car faiblement interactives. En d’autres termes : des particules lourdes mais qui nous traversent sans même daigner penser à nous. La matière noire est un autre de ses petits noms. Cette sphère est faite de cette matière noire et reste donc instable : elle a bien failli disparaître et repartir dériver dans son monde. Simplement, je ne sais pas comment, mais « ils » ont réussi à la stabiliser dans notre monde. Elle a déjà traversé un appareil de mesure. Mais elle semble vouloir… disons, « s’accrocher » à notre monde. Le temps de délivrer son message.

- Attendez, cette histoire de matière noire, fit Esparanza… La matière noire n’est là dans vos équations, au fond, que pour justifier la masse manquante ?

- Avant que j’aie pu voir cette sphère, ça n’était qu’un élément mathématique, oui. Mais maintenant, je sais que c’est réel, fit Proyas.

- Mais… N’y a-t-il pas d’autres explications à la masse manquante ? insista Esparanza. D’autres explications… qui ne colleraient pas avec la sphère ?

- Vous êtes tenace, fit Proyas. Mais, oui, il y a effectivement d’autres équations expliquant plus ou moins bien la masse manquante… Mais elles sont très imparfaites, et n’ont aucune preuve tangible à offrir, tandis que les wimps et cette sphère… Mais tout de même, détaillons. Une théorie baptisée MOND propose de changer une des lois de Newton…

- Changer les lois de Newton ? releva Sanchez. Mais je croyais que les équations d’Einstein les avaient déjà remplacées depuis longtemps, non ?

- Pas tout à fait, précisa Proyas. La gravitation de Newton a effectivement cédé sa place à la gravitation d’Einstein, mais l’un des principes fondamentaux de la Physique appartient toujours à Newton, avec sa deuxième loi stipulant que F = ma : la somme des forces exercées sur un objet est toujours égale au produit de sa masse et de son accélération. On voit ici apparaître la masse… Voilà en effet comment est mesurée cette fameuse masse manquante : avec des mesures d’accélération ! Ce que propose la théorie MOND est d’écrire (il griffonna sur un papier) :


F = ma²


Ce serait uniquement valable aux grandes échelles cosmiques, ou, plus précisément :


F = ma(1+a/a0)


Ici, a0 serait une constante physique fondamentale si grande que, jusqu’aux échelles usuelles où les accélérations (a) restent très modestes, on ne mesurerait que F = ma, tant le terme en exposant serait alors très proche de 1. C’est assurément une belle théorie et ce, pour plusieurs raisons : elle découle tout autant de l’expérimentation que celle de Newton, fait des prédictions d’une grande justesse par rapport au problème de la masse manquante, et, au fond, cette histoire de terme mathématique devenant négligeable à une certaine échelle est tout à fait semblable à la correction apportée par Einstein à la gravité de Newton... Il y aussi la théorie selon laquelle la gravitation se diluerait dans d’autres dimensions, ce qui aurait immanquablement un effet sur la force de gravitation et démonterait tous nos calculs de masse. Sauf que nous avons la sphère, et le film. Il n’y a pas de doute possible, vraiment.

- Mais alors comment expliquez-vous que cette matière interagisse brutalement avec notre monde ? fit Esparanza.

- Les propriétés des wimps nous sont inconnues. Peut-être ces extra-terrestres sont-ils capables d’en faire des agrégats stables, une forme cristalline peut-être, capable d’interagir avec notre monde. Que sais-je ? C’est confus, je l’admets volontiers, confessa Proyas.

- Bon, admettons. Au fond, qu’apporte cette vidéo de si sensationnel ? demanda Sanchez.

- Elle affirme que l’origine du monde est mathématique, fit simplement Proyas.

- Vous voulez dire que les mathématiques sont les moteurs du monde ? avança Esparanza.

- Précisément. La principale thèse actuelle est que les mathématiques ne sont qu’un moyen pour la physique de modéliser la réalité. Dans cette optique, les modèles mathématico physiques ne sont que des calques pouvant prédire les évènements pour peu que l’on ait assez d’éléments. Mais ils ne sont pas la réalité selon cette thèse qui indique, au fond, que les mathématiques ont été inventées par l’Homme et non pas seulement découvertes par lui, continua Proyas.

- Et vous affirmez le contraire, fit Esparanza. Pour vous, les mathématiques sont la réalité ? Selon vous, l’Homme n’a pas inventé les mathématiques mais les a simplement, disons, mises à jour depuis leur existence profonde… ?

- Elles sont derrière la réalité. Elles la sous-tendent, l’orientent, l’animent. Ça, oui, fit Proyas.

- Mais d’où vient cette idée, fondamentalement ? reprit Esparanza.

- Cette idée vient tout d’abord d’étranges évènements. Par exemple, l’existence de l’antimatière était connue bien avant sa première observation expérimentale, en tant que solution négative d’une équation d’énergie atomique. A priori, c’était absurde : l’énergie est une grandeur scalaire forcément positive. Pourtant, l’expérience l’a montré : elle peut être négative. C’est l’antimatière, fit Proyas.

- En d’autres termes, fit Sanchez : un modèle mathématique semblait avoir précédé la réalité ? C’est idiot, on aurait très bien pu découvrir l’antimatière avant, non ?

- Effectivement. Mais, non, ce n’est pas ça, répondit Proyas. Ce qu’il y a, c’est que les modèles sont alors apparus comme bien plus fiables qu’avant, et la réalité nous a tout de suite semblé plus bizarre. Depuis toujours, nous écartions les solutions mathématiques apparemment insensées pour la réalité. Par exemple, une solution négative pour une durée était écartée comme un pur non-sens. Et des durées négatives, il y en a un paquet qui apparaît dans les équations. Mais cet épisode a montré que la nature même pouvait être insensée au point, en fait, d’accepter des solutions qui nous semblaient auparavant purement mathématiques et donc absurdes. Ça nous a mis la puce à l’oreille : une telle ressemblance n’était peut-être pas du tout fortuite. Réalité et mathématiques étaient peut-être plus intimement liées qu’on ne le pensait. Il y a beaucoup d’exemples de ce type en physique, notamment en physique des particules. Les mathématiques n’étaient finalement peut-être pas qu’un simple modèle du monde… mais peut-être bien son essence.

- C’est votre point de départ ? fit Esparanza.

- Non, répondit Proyas. Ça n’est que la base de l’interrogation. Mais, d’un point de vue formel, le point de départ de mes démonstrations est tout autre, il est même tout à fait dû au hasard… Que savez-vous du problème de la grande unification ?


Esparanza considérait la sphère. La voir empalée sur cet instrument de mesure lui rappelait à chaque instant la dure réalité de cette discussion apparemment si folle.


- La grande unification ? fit Sanchez. L’unification de la relativité générale d’Einstein aux équations du monde quantique ?

- C’est bien ça, confirma Proyas. Esparanza, ça vous dit quoi ?

- Je connais bien le sujet. Le problème est, au fond : comment le monde qui n’est évidemment qu’un, au moins notre monde ordinaire - oublions ces wimps - peut-il être décrit par deux modèles ? Deux modèles totalement incompatibles qui plus est : l’un dit que la pomme tombe comme nous l’avons toujours su, l’autre dit - et à raison ! - que, en fait, la pomme tombe de manière discontinue, quantique. Enfin, nous parlons là d’une pomme aux dimensions subatomiques.

- C’est cela, en effet. En gros tout du moins, conclut Proyas.

- Je n’ai jamais bien compris le terme quantique, tenta Sanchez. Que signifie « chute quantique » au juste ?

- Quantique caractérise ce qui est quantifié, répondit Proyas. La physique quantique porte ce nom car elle décrit des phénomènes très différents de ceux apparemment observés, mais son application se restreint au monde subatomique - même s’il ne s’agit en fait aucunement d’une restriction. En gros, et pour faire simple, à cette échelle, une particule ne peut se déplacer de manière continue entre deux points : elle ne peut pas occuper toutes les positions intermédiaires mais devra se déplacer par sauts. Elle va disparaître d’un endroit pour réapparaître instantanément ailleurs. C’est un peu comme lorsque vous montez une échelle : vous ne pouvez pas vous trouver entre deux barreaux, vous êtes astreints à vous accrocher à l’un deux. C’est cela, la quantification : une particule ne peut occuper que des positions ou avoir des énergies bien précises, et pas une infinité.

- C’est donc cela, la mécanique quantique ? fit Sanchez.

- Pas seulement, enchaîna Proyas, car le nom est trompeur. La mécanique quantique n’est pas que quantique, elle est aussi, et peut-être surtout, statistique, ondulatoire, duale et indéterminée. Premièrement, parce qu’il est parfois hors de question d’étudier séparément chaque particule - ce serait bien trop compliqué -, on s’attache à comprendre le comportement moyen d’un groupe de particules. Ensuite, il y a le vertigineux principe d’incertitude d’Heisenberg qui stipule la non-séparabilité des caractéristiques quantiques. Cela paraît compliqué, mais c’est en fait très simple. Un exemple : lorsque l’on s’attache à connaître très précisément la position d’une particule subatomique, comme l’électron, on perd peu à peu toute information crédible sur sa vitesse, et inversement. En gros : il existe une quantité d’information « position + vitesse » qui reste constante, si on augmente notre connaissance sur l’une, on perd forcément de l’information sur l’autre. Ainsi, vitesse et position sont non-séparables d’un point de vue de l’information qu’on peut en tirer… Pour visualiser ceci, imaginez un athlète en saut à ski. Si l’on veut le prendre en photo, deux phénomènes apparaissent, antagonistes et non-séparables. Si vous voulez avoir parfaitement les contours de la silhouette de l’athlète pour qu’il soit bien net, vous devez suivre au plus près son mouvement pour prendre la photo qui, une fois développée, vous montrera un athlète parfaitement net et défini, mais découpé sur un fond complètement flou, mélange indéfinissable de spectateurs, de flashs et de décors. L’inverse est aussi vrai : si les spectateurs sont clairement identifiables sur la photo, l’athlète est nécessairement flou. Ainsi, netteté des contours de l’athlète et de l’arrière-plan sont non-séparables. Il s’agit ici d’un simple exemple qui ne découle pas de la physique quantique mais qui aide à la compréhension. Il est évident qu’avec un très bon matériel photo, vous aurez sûrement un ratio des deux nettetés bien meilleur et qui ira en s’affinant sans rester constant, jusqu’à une photo presque parfaite. Mais le concept est là.

- Je croyais pourtant que cette idée était un faux ami et qu’il ne fallait en fait surtout pas chercher à expliquer la physique quantique qui resterait incompréhensible à l’homme. Elle est, c’est tout, remarqua Esparanza.

- Je ne suis pas de cet avis : bien qu’affreusement complexe, la mécanique quantique est compréhensible, répondit Proyas. Cette idée d’incompréhension vient, entre autre, de Richard Feynman qui, recevant le Nobel pour ses travaux en physique quantique, déclara : « personne ne comprend la théorie des quantas… en tout cas sûrement pas moi ». Amusant, en effet, mais pas nécessairement à prendre au pied de la lettre. Mes équations sont claires.

- Pourtant vous êtes le premier à douter des capacités humaines, non ? répliqua Sanchez.

- Il ne faut pas confondre, se défendit Proyas. J’ai peur que nous ne puissions jamais comprendre certains phénomènes, mais ce que sous-tendent Esparanza et Feynman est autre : il s’agit de l’impossible compréhension. Ça n’a rien à voir : si je doute de nos capacités à comprendre, je ne doute aucunement de la compréhensibilité du monde. C’est très différent et pas du tout incompatible.

- Bien, accepta Sanchez. Reprenez. Vos travaux : d’où démarrent-ils, donc ?

- Justement de ce que l’on vient de commenter, de l’inacceptable clivage entre relativité générale décrivant a priori parfaitement le monde macroscopique, et de la physique quantique décrivant parfaitement le monde microscopique. On ne peut pas tolérer ce clivage. Comment accepter, en effet, qu’il puisse y avoir deux réalités, deux mondes en un totalement différents, car, on l’a vu, entre une chute quantique et une chute normale, il y a un monde. Comment accepter que les atomes qui me constituent n’obéissent pas aux mêmes lois physiques que moi qui les englobe tous ? Surtout que la césure n’est pas claire : lorsque nous tentons de construire de petits agrégats d’atomes pour voir jusqu’où va la mécanique quantique et quand cède-t-elle sa place à la relativité générale, la limite n’est pas claire du tout.

- Étrange, en effet, fit Sanchez. Je vais sûrement dire des bêtises, mais pourquoi ne pas imaginer qu’en fait les deux modèles ne sont qu’un, simplement qu’une variable prend le dessus sur une autre à un point bien précis ? C’est exactement ce que nous faisons en dynamique des populations : pour de faibles populations, nous utilisons un certain modèle, qui cesse d’être valable à partir d’un certain nombre d’individus. L’analogie me semble parfaite. Et notre modèle de population étendue diffère finalement très peu dans son écriture mathématique, même s’il donne de tout autres résultats.

- Je comprends bien, fit Proyas. C’est aussi ce que nous tentons parce que nous refusons qu’il y ait deux modèles : nous tentons de n’en faire qu’un. Mais attention. L’analogie avec la dynamique des populations est facile, mais fausse. Car les variations de comportement sont bien trop importantes. Il y a trop de différences encore bien plus troublantes qui apparaissent. Mais fondamentalement, nous faisons la même chose : nous cherchons le point de rupture entre les deux modèles en espérant pouvoir ensuite en assurer la continuité. Mais c’est bien plus ardu. Enfin bref. Tout en gardant à l’idée que nous ne modélisions de toute façon qu’à peine 5% de l’Univers, mais ne désespérant pas trouver, d’un coup, les 95% d’équations restantes - soyons optimistes -, je travaillais comme beaucoup d’autres à tenter de recoller les deux modèles ennemis. Et il faut bien comprendre que ces modèles sont incroyablement ardus, comprenant un nombre effarant d’équations et d’éléments de description. Il s’agit souvent d’intuition : si les deux modèles semblent clairement incompatibles, il semble tout à fait clair que certains éléments de description doivent forcément être les mêmes. Mon idée part de là : il y a tellement de choix a priori arbitraires – mais finalement très clairs – que je ne désespérais pas de mettre en cause l’un d’eux et de parvenir ainsi à l’unification. Mais par où commencer ? Tout le monde procède ainsi. Il me fallait faire un choix audacieux, prendre le risque de démonter quelque chose de tellement ancré qu’on n’y pensait même plus. Je me suis donc attaqué à la métrique d’espace-temps, un élément de description jugé comme étant l’un des plus fiables et des plus cohérents – et donc invariant.

- Métrique d’espace-temps ? fit Esparanza. Si je me souviens bien, c’est de la topologie ? Le modèle mathématique donnant la distance d’espace et de temps entre deux points de l’Univers ? Vous l’avez estimée comme variable d’un modèle à l’autre ? Audacieux, en effet.

- Oui, audacieux, car vraiment personne n’avait remis en cause la constance de la métrique. Mais devant la réalité du monde quantique, je me suis dit qu’il y avait un coup à tenter. Lorsque, en 2002, des physiciens russes et français ont démontré qu’à l’échelle subatomique le temps n’existait tout simplement pas, une idée m’est venue : la métrique d’espace-temps devait immanquablement varier.

- Attendez, attendez, fit Sanchez. Le temps n’existe pas ? Vous êtes sérieux ? fit Sanchez, étonnée

- Oui, fit Esparanza. Enfin, à l’échelle subatomique seulement. Mais c’est ambigu. Pour démontrer que le temps n’existe pas, il faut d’abord savoir ce qu’est le temps, et c’est là que réside la difficulté. Et, si je ne m’abuse, c’est clairement là que cette expérience est critiquable, en plus de la prise en compte des équations d’Einstein à l’aveuglette.

- Toute démonstration doit s’appuyer sur des faits supposés, et ce n’est pas vous qui allez me contredire, fit Proyas. Gödel l’a démontré : toute vérité n’est pas forcément démontrable. Pire : LA vérité ultime est indémontrable.

- En effet, admit Esparanza. Je vois à la tête de notre amie Sanchez qu’il est nécessaire de développer quelque peu. Gödel était mathématicien. Il a brisé à tout jamais l’espoir d’un monde ou d’une théorie parfaitement cohérente et démontrable. Comment ? Tout simplement en traduisant en langage des mathématiques de la Logique le célèbre paradoxe du menteur, Gödel a démontré que toute théorie, tout ensemble, tout recueil d’hypothèses et de théorèmes contient toujours au moins une propriété ou théorème indémontrable. Mais, Proyas, on peut toujours s’appuyer sur des thèses plus ou moins solides.

- Et quoi de plus solide que la relativité générale d’Einstein ? lança Proyas.

- Einstein n’est plus crédible à cette échelle, lâcha Sanchez.


Proyas et Esparanza marquèrent un temps d’arrêt.


- Bien vu, admit Proyas. La relativité d’Einstein cesse effectivement d’être valable à cette échelle, mais cette expérience est spéciale, et l’on peut sérieusement s’appuyer sur ces équations relativistes.

- Reprenez, le temps n’existe pas ? fit Sanchez.

- Allez y, Esparanza, vous semblez avoir pigé le truc, fit Proyas, désabusé.

- Bien, fit Esparanza. Tout d’abord, hypothèse : le temps est assimilable à la relation de causalité : toute cause doit nécessairement précéder son effet dans le temps. Ensuite, une constatation expérimentale : lorsque l’on émet simultanément deux particules de lumières – des photons – vers un miroir, les particules ont toujours deux possibilités : être réfléchies ou réfractées par le miroir. À notre échelle, vu le nombre de photons, les deux phénomènes apparaissent, mais pour une particule le choix est binaire. La chose troublante est que les deux photons émis simultanément vers deux miroirs différents, à une même distance du point d’émission, se comportent toujours de la même manière : ils se réfractent ou se réfléchissent par paires. Donc, deuxième hypothèse : les photons se communiquent entre eux l’attitude à adopter face au miroir. Maintenant, l’expérience a consisté à isoler les deux photons d’une même paire dans le temps. C’est cette isolation qui découle de la relativité d’Einstein. Car les équations indiquent que le temps est altéré par le mouvement. Pour faire simple, en propulsant les photons à travers des fibres optiques animées de mouvements différents, les photons se sont retrouvés isolés dans le temps. En d’autres termes : leurs champs de causalité se sont dissociés de sorte que le comportement d’un des deux photons ne pouvait induire le comportement de l’autre. Ce procédé permettait en fait que, pour chaque photon, le temps altéré - contracté ou dilaté - faisait en sorte qu’au moment de l’impact, pour chacun des deux photons, l’autre photon avait déjà percuté le miroir, donc le choix premier dictant le comportement du second devait avoir été fait. Il n’en était en fait rien et, pourtant, les photons ont continué de se comporter de la même manière : les photons communiquaient instantanément, voire, à rebrousse-temps : peu importe qu’ils n’en aient pas eu le temps, ils communiquaient.

- En effet, conclut Proyas, les photons ont communiqué en s’affranchissant du temps. Bien qu’aucun photon ne puisse être à l’origine du comportement de son binôme, tout se passait exactement comme si. Le temps n’existe donc pas pour un photon, et, en toute généralité, le temps n’existe pas à l’échelle subatomique. Et je tiens à souligner que l’isolation temporelle einsteinienne s’applique à tout système, quelle que soit sa dimension – donc les critiques pointant du doigt l’utilisation des formules d’Einstein là où elles cessent d’être valables sont balayées… Tout cela, bien sûr, à supposer qu’Einstein avait raison et que les photons n’ont pas inventé un moyen de communication via des dimensions parallèles. Je plaisante à peine : c’est à l’étude. Toujours est-il que je suis convaincu, à titre personnel, de la disparition du temps à l’échelle subatomique.

- Impressionnant, admit Sanchez. Et donc ?

- Le temps n’existant tout simplement pas, cette fameuse métrique d’espace-temps ne pouvait rester constante dans les conditions du Big Bang, où l’Univers était si petit qu’il était allègrement subatomique. En modélisant cette fluctuation de la métrique d’espace temps comme l’oscillation d’un groupe quantique SO(3,1) vers un groupe quantique SO(4), il apparaît que cette seule fluctuation, une fois réinjectée dans les équations, permet la fusion parfaite des deux modèles. Cela paraît simple, il n’en est en fait rien. La modélisation en groupe quantique est des plus difficiles, aussi bien du point de vue conceptuel que du point de vue du développement formel mathématique. Elle stipule en plus que la disparition du temps au profit d’une dimension d’espace supplémentaire ne peut avoir lieu qu’en un point précis de l’Univers.

- Attendez, espace supplémentaire ? fit Sanchez, larguée.

- Oui, le groupe SO(3,1) signifie en fait symétrie de 3 dimensions d’espace et d’une de temps. Le groupe SO(4) ne traite naturellement que d’une catégorie de dimension physique. La question est bien évidemment : est-ce de l’espace ou du temps ? Il est plus que probable que ce soit le temps qui devienne une quatrième dimension d’espace, plutôt que ce soit les trois dimensions d’espace qui deviennent trois dimensions de temps ! En effet, on l’a vu : le temps disparaît à cette échelle, et, de plus, on a toujours constaté qu’en physique, ce sont toujours les cas les plus simples qui s’avèrent les bons… ! Nous voilà donc avec du temps imaginaire pur : la quatrième dimension d’espace.

- Je ne vois pas le rapport avec une origine mathématique du monde, fit Esparanza, intrigué. Il est certes étonnant de voir le temps disparaître au profit d’une quatrième dimension de l’espace, mais où est le problème ? En dehors du caractère impensable de cet espace à 4 dimensions, je ne saisis pas bien.

- J’allais y venir, fit Proyas. Je vous l’ai dit : je suis tombé sur ce concept par hasard. Je cherchais l’unification, je l’ai trouvée. Ce n’est qu’en développant les équations qui en découlaient qu’il s’est avéré que cette unification impliquait nécessairement une origine mathématique du monde.

- Allez-y, fit Sanchez, je suis curieuse d’entendre cela.

- Bien, reprit Proyas. Je tiens juste à préciser quelque chose de tout à fait fondamental : toute ma théorie n’était alors qu’un modèle mathématique cohérent en lui-même, mais rien n’indiquait qu’il soit la correcte description du monde. Ce n’est que le visionnage de la vidéo qui m’a conforté dans ma thèse. Mais reprenons. Le développement des équations en SO(4) indique en fait que SO(4) ne se stabilise en tant que tel qu’à partir d’une dimension très précise de 10-43 mètre. Pour des portions d’univers plus grandes, on peut encore parler d’espace-temps, simplement le monde oscille alors entre (3,1) et (4) : le temps est alors complexe : il oscille aléatoirement entre temps réel et espace, soit entre temps réel et temps imaginaire. On parle alors de temps complexe, au sens mathématique du terme. Du point de vue du sens commun, il est supra-complexe, donc supra-difficile à cerner, fit Proyas en souriant. On se retrouve donc avec 3 phases distinctes : du super-espace à 4 dimensions à 10-43 mètre et moins, de l’espace-temps complexe juste au dessus de 10-43 mètre, et de l’espace-temps classique qui l’emporte très vite sur la transition en temps complexe. C’est l’apparition de cette distance critique de 10-43 mètre qui m’a guidé vers l’origine du monde.

- Je ne comprends pas bien, comment imaginer du temps… imaginaire, justement ? demanda Esparanza.

- Bonne question, fit Proyas, amusé. C’est en fait assez simple à concevoir. Nous allons d’abord étudier le concept d’imaginaire en nous penchant sur de l’espace imaginaire. Regardez ce stylo, sur la table : il ne bouge pas, pourtant vous pouvez bien vous imaginer qu’entre deux instants t et t+dt, il y a une différence. Elle est toute simple : la métrique de ce stylo a conservé ses 3 dimensions d’espace, mais sa dimension ou coordonnée de temps a varié : il existe une différence temporelle entre deux instants : une distance temporelle qui est de l’espace imaginaire.

- Si je comprends bien, le temps, c’est de l’espace imaginaire ? demanda Sanchez.

- Exactement, ou, à tout le moins, vous avez saisi le concept. Maintenant, le temps imaginaire. On a bien vu que l’espace imaginaire est en quelque sorte de l’espace fixe : le stylo n’a pas bougé entre t et t+dt. Le temps imaginaire est un peu pareil : il s’agit d’un temps figé. Comment le comprendre ? Imaginons que je jette ce stylo, toujours lui, à travers la pièce. Il va décrire une certaine trajectoire, variable dans le temps réel. Comment considérer ce problème comme une constante ? Tout simplement en considérant toute la trajectoire. Sur un graphique, il s’agit d’une courbe donnant des informations : pour chaque date, une position. Le temps imaginaire, c’est ce graphique : l’information totale concernant le stylo au cours du temps : son passé, son présent et son avenir rassemblés en une information constante, le graphe. Ainsi, le temps imaginaire pur, c’est de l’information. Un concept plus simple, si vous avez du mal à saisir, est un film sur DVD. Lorsque vous regardez le film, il est évident que l’intrigue prend place dans le temps, mais le disque contient bien, à lui seul et à chaque instant, la totalité du film : passé, présent et avenir s’y confondent. Et que contient le disque sinon des 0 et des 1, donc de l’information ? Voilà ce qu’est le temps imaginaire pur. Le temps complexe est le DVD en lecture : le temps réel s’écoule clairement dans le défilement d’images à l’écran, mais, en même temps, le disque contient toujours tout comme du temps imaginaire : voilà ce qu’est le temps complexe, mélange des temps réel et imaginaire. Cette notion d’information, liée à cette distance très particulière de 10-43 mètre, conduit inévitablement à l’origine mathématique du monde.

- Je crois saisir : 10-43 mètre, n’est-ce pas la taille du fameux mur de Planck ? demanda Esparanza.

- Très précisément. Mur de Planck et unification de la physique sont plus qu’intimement liés, fit Proyas.

- Le mur de Planck, demanda Sanchez ? Tout cela m’exaspère au plus haut point : tout ce que nous avons découvert, aussi fantastique puisse t-il être, n’en reste pas moins purement mathématico physique. À quoi je sers, moi ? Rien de tout cela ne m’implique.

- Vous êtes au contraire plus qu’utile, Sanchez, répondit Esparanza, tout sourire. Primo, de par votre quasi-absence de culture mathématico physique, vous nous aidez en nous entraînant à nos futures explications de vulgarisation.


Proyas pouffa de rire. Sanchez lui jeta un regard noir.


- Monsieur Alexandre Proyas, votre arrogance est insoutenable. Comprenez bien, s’énerva Sanchez, que ce ne sont que les circonstances, indépendantes de vous, qui vous propulsent maître à penser de la situation. Si un être vivant était sorti de cette sphère, vous feriez moins le malin en exobiologie.

- J’en suis tout à fait conscient, mademoiselle Sanchez. Ce que vous prenez pour de l’arrogance n’est que de l’exaltation. Et c’est la tournure de phrase de David qui m’a fait rire, rien d’autre. Pourtant, un bémol : il est tout à fait envisageable que, si être vivant il y a dans cette sphère, cet être soit une créature à cinq dimensions respirant de l’air et recrachant du cyanogène. Et en créature à 5 dimensions, je pense être plus calé que vous, poursuivit-il avec un sourire en coin. Allez, ne le prenez pas mal. Poursuivons.

- Très bien, fit Sanchez, quelque peu calmée. Poursuivons… Euh, je veux dire : vous poursuivez.

- Oui, le mur de Planck, donc. Il s’agit de l’actuelle limite de notre monde, décrit par la théorie du Big Bang, ce jaillissement primordial du temps et de l’espace. Pour autant que nous remontions le temps à l’aide de tous nos modèles, nous en restons toujours bloqués au même point, celui du Mur de Planck. Ce mur est une limite physique a priori indépassable, c’est celle de la taille de l’univers 10-46 seconde après le début de l’univers. Cette date est fondamentale : c’est jusqu’à cette date que nous parvenons à réécrire l’histoire de notre monde, mais ce n’est que jusqu’à cette date, car si ce 10-46 seconde est infime, très proche de zéro, ce n’est pas le zéro. Le mur de Planck nous sépare ainsi depuis toujours de l’origine du monde, car nos modèles ne sont jamais parvenus à le briser ni même à entrapercevoir ce qu’il y a de l’autre côté, car à cette distance infinitésimale, tous les modèles divergent et perdent toute validité. La physique relativiste voit sa description balayée par les violents effets quantiques, et la mécanique quantique, justement, se heurte à son tour aux derniers bastions relativistes. Aucun modèle ne tient le coup. Tous, sauf mon modèle unifié de physique quantique et relativiste. Mais je tiens à insister sur un point : mes travaux sont infimes. Si les développements mathématiques ont été difficiles, notamment en algèbre des groupes quantiques, je n’ai fait que faire varier ce que l’on prenait pour un invariant. Sans les travaux colossaux de tous mes prédécesseurs, comme Einstein, Planck, Feynman, Heisenberg et tant d’autres, jamais je n’aurais pu en arriver là. J’ai du bol. Je suis « juste » tombé sur le bon numéro. Mais reprenons. À cette date et instant fatidique de l’histoire de l’Univers, mon modèle primordial tient la route et permet de pulvériser le mur de Planck pour aller découvrir le secret de l’origine du monde en dévoilant ce qu’il existe au-delà du mur de Planck. Détaillons un peu ce qu’il se passe à l’instant de Planck d’après ce modèle primordial. On l’a vu, le temps fluctue, mais il faut bien comprendre que c’est en fait toute la métrique d’espace-temps qui fluctue. Lorsque les premiers effets complexes du temps commencent à apparaître, l’espace-temps commence à se distordre, d’abord faiblement, mais plus les fluctuations complexes du temps deviennent importantes, et plus l’espace-temps est secoué par de violentes torsions. Tellement violentes que l’on pourrait parler de tempête quantique : l’espace se tord effroyablement, le temps devient espace, s’arrête, repart dans l’autre sens avant de retrouver son cours réel. Ainsi, une portion d’espace-temps se contracte, se tord, se dilate, voit ses extrémités se confondre puis se croiser avant de ne même plus exister dans le même instant. C’est vertigineux. Imaginons un peu notre quotidien, comme une maison, dans cette tempête quantique : la salle de bain se tord, le lavabo traverse la baignoire qui se contracte jusqu’à la taille d’un grain de sable avant de se dilater jusqu’à la taille d’un gratte-ciel. La salle de bain percute la télévision du salon. Vous aviez rendez-vous ? Votre ami apparaît devant vous puis disparaît, à des années-lumière de vous, puis il apparaît avec trois siècles d’avance, avant d’arriver 1000 ans en retard, tout en se tordant à l’infini, se courbant et se recourbant. Le mur de Planck n’est pas un mur, mais un cap, le cap Horn de la Physique, une mer déchaînée et redoutable. Un océan d’écume… L’écume de Wheeler, célèbre physicien qui avait imaginé ces tornades quantiques. Mais ce qu’indiquent les équations, c’est qu’une fois le cap franchi, les effets complexes du temps l’emportent rapidement sur le temps réel et l’ordre le plus strict réapparaît dans un espace-temps devenu superespace 4D. On voit derrière le mur. Cet au-delà, cette origine, on l’appelle singularité. Pourquoi singularité ? Parce qu’en remontant jusqu’à l’origine des temps, on a vu celui-ci fluctuer pour devenir imaginaire. L’univers se réduit alors à du superespace et, en remontant toujours plus loin, ce superespace se contracte à l’infini et ne devient plus qu’un simple et unique point. Un point spécial, singulier. La singularité. Et là est la clé. Le modèle primordial est sans appel : cette singularité existe et n’est vraiment qu’un simple point. Ce point est infiniment petit, tellement qu’il n’a plus la moindre dimension : le superespace disparaît dans un unique point de taille nulle dont l’existence ne peut plus, dès lors, qu’être mathématique. Cette entité, à l’origine du temps et de l’espace, est donc un être purement mathématique, préexistant à tout. Je l’appelle instanton gravitationnel primordial singulier unique de taille zéro. Et le modèle est, là encore, sans appel, vertigineux : cet unique instanton, purement mathématique, contient toute l’information de l’univers en devenir. Il est l’essence de l’univers.

- Ainsi nous y sommes : vous affirmez qu’à l’origine du monde, on trouve un être mathématique contenant tout le devenir du monde ? demanda Sanchez.

- Exactement, fit Proyas.

- Et que dit cet être ? fit Esparanza.

- Je ne sais pas : tout est là, à l’écran. Les lignes du code cosmologique défilent à toute vitesse sur l’écran depuis tout à l’heure. Mais je ne sais pas lire ce code. Et je pense qu’eux non plus, car c’est vraiment peu probable. Et puis, regardez : ce code est constitué de symboles vraiment étranges. Si ces êtres ont réussi à encoder cette vidéo de manière à ce que l’on puisse la lire, je ne vois pas pourquoi ils auraient changé de système de codage. Je pense donc qu’il s’agit là d’une représentation du code, pour nous indiquer son existence mais aussi le fait qu’ils ne l’aient pas compris.

- C’est peut-être mieux comme ça, fit Sanchez. Je ne sais pas si nous serions prêts à en connaître le contenu. Mais quelque chose m’échappe. Cet être est mathématique, certes… Mais comment peut-il engendrer le monde ? Je ne saisis pas bien : les mathématiques, si elles sont le moteur du monde, sont partout, pourquoi alors le Big Bang n’a-t-il pas lieu sans discontinuer ?

- C’est en effet une bonne question, releva Proyas. Il y a en fait deux interrogations : comment les mathématiques peuvent-elles diriger le monde, et, ensuite, pourquoi le Big Bang n’a pas constamment lieu ? La deuxième question se résout facilement. Le code cosmologique existe certes à chaque instant, tout comme le dynamisme mathématique qui l’a décondensé, mais les conditions physiques du moment du Big Bang n’existent plus. Plus rigoureusement, les conditions non-physiques mais purement mathématiques n’existent plus : le monde est né. En fait, il faut s’imaginer que l’une des conditions d’apparition du monde était, justement, sa non-existence. Maintenant qu’il est, il ne peut plus ressurgir. Le mécanisme est fait ainsi. Maintenant, autre problème : comment un être mathématique peut-il engendrer le monde ? Il faut regarder le modèle et y chercher à partir de « quand » l’instanton cesse d’être de taille nulle pour générer le superespace 4D – qui n’est pas encore une véritable réalité physique. Il faut en fait regarder lorsque le temps cesse d’être imaginaire pur, puis complexe, pour n’être enfin que réel.

- Attendez, attendez, stoppa Sanchez. Je veux bien croire que votre modèle vous donne ces informations, mais à partir de variables seulement. Par exemple : à partir de quelle valeur de telle variable l’instanton devient superespace ? Mais rien ne dit quel est le moteur qui fait bouger cette variable…

- C’est crucial, en effet, admit Proyas, et j’allais y venir : qu’est-ce qui fait bouger la ou les variables ? Prenons n’importe quelle fonction, une très simple, au hasard, f(t) = t. f est la fonction, qui nous renvoie toujours la même image de t : t lui-même. Mais sur quoi agit f ? Sur le paramètre t. Mathématiquement, on peut définir le domaine de variation de t, par exemple simplement de moins l’infini à plus l’infini. Et le mathématicien admet que t prend effectivement toutes ces valeurs successives, mais, pour nous, il est crucial de vérifier que t prend effectivement ces valeurs, sans quoi le modèle sera statique et il ne se passera rien : le « quelque chose » ne pourra surgir du néant. Il existe des tas de modèles physiques qui évoluent sans ambiguïté possible : si l’on admet que t est le temps, celui-ci varie immanquablement – à notre échelle en tout cas ! – et il n’y a alors pas de problème. Mais, ici, il faut savoir. Tout d’abord, quelle est la variable ? Eh bien, il s’agit de l’information contenue dans l’instanton. Maintenant, pourquoi celle-ci varie-t-elle ? Il faut ici introduire une caractéristique fondamentale : le modèle mathématique décrivant la nature de l’instanton est très spécial. Il est en effet conçu à partir de l’algèbre des groupes quantiques, et cette algèbre possède une caractéristique remarquable, celle d’être dynamique. Par définition et par nécessité, les groupes quantiques sont dynamiques, sinon ils n’existeraient pas. Et ils ont déjà été utilisés avec succès pour d’autres modèles physiques aux applications plus que concrètes. On peut donc les considérer comme réellement dynamiques ; ils sont fiables. Ainsi la variable varie réellement : il existe bien quelque chose qui la pousse – et ce n’est ici pas une simple vue de l’esprit.

- Je ne comprends toujours pas, fit Esparanza. Les groupes quantiques ne sont clairement pas mon fort, j’en conviens volontiers, mais tout de même : comment cela fonctionne-t-il ?

- Je ne peux rien vous dire d’autre, fit Proyas. Les groupes quantiques sont dynamiques, donc la variable information évolue. Vous avez le choix de me croire… ou pas. Mais essayons tout de même d’être plus convaincant. C’est un peu « olé-olé », voire complètement capillo-tracté. Ça n’a même pas grand-chose à voir avec ce qu’il se passe réellement… Mais essayons ! Représentez-vous le néant : mathématiquement, le zéro. Et vous allez voir qu’à partir de ce 0 je vais pouvoir construire l’infini. Que puis-je faire avec mon 0 ? A priori pas grand-chose. Il me reste toutefois les opérations élémentaires : addition, soustraction, multiplication, division, puissance. C’est en fait uniquement cette dernière qui m’intéresse : en effet, et c’est remarquable, si j’élève zéro à la puissance zéro, j’obtiens… 1 ! Et ce n’est pas une simple convention, mais véritablement une des bases des mathématiques classiques : 00 = 1. Avec ce nouvel élément surgi presque comme par magie, celui-ci m’ouvre les portes de l’infini. Maintenant, je peux utiliser l’addition. En faisant 1+1, j’obtiens 2, et ainsi de suite, jusqu’à l’infini. L’algèbre dynamique permet cela. Maintenant, si vous l’admettez, je peux vous décrire ce qu’il se passe, tout au moins dans ses grandes lignes. Au sein de l’instanton, la dynamique développe l’information contenue dans l’unique point. Rappelons que ce point est mathématique, que sa dimension est nulle, mais que cela ne l’empêche pas de contenir toute l’information de l’Univers en devenir. Et la dynamique des mathématiques pousse inexorablement cette information condensée à se libérer. Le modèle indique comment : selon 4 directions bien distinctes : les 4 dimensions du superespace ! La topologie de l’ensemble dynamique est claire : il s’agit d’une hypersphère. Comprendre : une sphère à 4 dimensions. Comment se la représenter ? Simplement comme un ballon de football dont l’enveloppe ne serait pas une surface courbe mais de l’espace courbe. En d’autres termes, imaginez un repère (O,x,y,z) de l’espace dont les axes seraient légèrement courbés : ils finiraient par s’articuler en une sphère à 4 dimensions : 3 dimensions d’espace enroulées autour d’une quatrième. Attention toutefois aux mauvaises interprétations : les trois axes de l’espace ne doivent pas être vus comme des droites dessinées se courbant dans un espace ailleurs : elles sont l’espace, qui est donc courbé par définition. L’information primordiale se décondense dans ces 4 directions, on voit donc apparaître cette fameuse sphère à quatre dimensions : notre superespace 4D ! Mais il existe un autre caractéristique capitale dans cette dynamique : la décondensation de l’information se fait en fait selon une fonction mathématique très spéciale : la fonction Delta de Dirac, qui est nulle partout, sauf en zéro où elle prend une valeur infinie. Bien que ce soit bien étrange, notre instanton se développe ainsi en une hypersphère 4D qui voit d’un coup ses dimensions devenir infinies : les trois directions d’espace courbes se rejoignent brutalement en fermant la sphère autour d’une quatrième dimension d’espace qui forme le rayon, infini lui aussi. Et les mathématiques topologiques sont sans appel : une sphère de rayon infini n’est plus une sphère, autrement dit : le rayon disparaît comme par magie. Pourtant il doit bien en rester quelque chose. C’est la fin de l’énigme : la quatrième dimension d’espace perd sa caractéristique espace en disparaissant et devient dès lors imaginaire : le temps réel est né. Et l’Univers avec.

- Magistral exposé, monsieur Proyas, fit Esparanza. Mais êtes-vous définitivement sûr de vous ?

- Je suis convaincu que telle est la nature de notre monde, oui, fit Proyas. J’en suis convaincu parce que c’est ce que j’ai toujours su depuis la découverte de mes équations, sans pouvoir réellement y croire, mais cette vidéo lève tous mes doutes. Que des êtres aussi avancés pour dominer la matière noire au point de créer une passerelle entre nos deux mondes aient développé les mêmes concepts que moi me flatte, bien sûr, mais surtout m’apporte la conviction que j’ai raison. Après, à vous de voir. Mais je peux vous repasser le film et le commenter : vous verrez que tout ce que je vous ai raconté y est. C’est bien sûr une question d’interprétation, mais je suis sûr que vous y verrez la même chose que moi : tout y est : particules, topologie, singularité, Big Bang, etc. « Même ce putain de boson de Higgs y est, sous forme ondulatoire », pensa Proyas.

- Je ne sais pas, fit Sanchez. Et ces cordes qui ont brutalement remplacé les atomes, au tout début ? Et cette chute tourbillonnante, était-ce réellement le Big Bang ? Ne serait-ce pas plutôt un trou noir ?

- Bien vu, admit Proyas. Les cordes, donc. C’est en fait un élément de description de la théorie dite des cordes, justement. C’est un des premiers pas vers l’unification. Vous avez vu les premières sphères, vous y avez sûrement reconnu des atomes, donc des particules élémentaires. Puis ces sphères se sont changées en d’autres sphères, puis encore d’autres. C’est étonnant de voir à quel point ces êtres de l’autre monde sont pédagogues. Ils nous ont montré les atomes tels que nous les imaginons jusqu’ici – sans doute parce que eux aussi les ont vu ainsi pendant un temps. La similarité des concepts est vraiment étonnante. Mais ce qu’ils nous ont montré, que nous savons aussi, c’est que ces atomes ne sont en fait pas du tout des particules élémentaires, car ils sont constitués d’autres particules encore plus petites, les quarks, pour faire simple. Nous en sommes là aujourd’hui. Eux vont plus loin : ils ont découvert que ces quarks sont eux aussi formé de sous-quarks. Puis ils nous montrent que ces sous-quarks ne sont pas des sphères, ni de véritables particules, mais des cordes unidimensionnelles. Des cordes vibrantes. Nous nous doutions bien que les quarks n’étaient pas forcément élémentaires, mais nous n’avons pas encore d’outils assez puissants – des accélérateurs de particules – pour éclater les quarks en leurs sous-constituants. Nous nous doutions également du concept des cordes, même si nous l’appliquions aux quarks et pas à l’échelle en dessous. Nous n’étions pourtant pas si loin du compte.

- Que sont ces cordes, au juste ? demanda Sanchez.

- Ça, je connais, fit Esparanza. Pour unifier les deux modèles, certains ont imaginé que les particules étaient en fait de nouvelles dimensions, minuscules au point d’être indétectables, et que leurs différentes vibrations dans notre espace-temps avaient pour effet ce que nous appelons les particules – qui n’en sont en fait pas.

- Et c’est vrai ? fit Sanchez. Alors, vos 4 dimensions, Proyas ? S’il y a tant de dimensions, votre démonstration ne tient plus ?

- Si, tout se tient, fit Proyas. Je vous ai juste épargné des concepts ultra abstraits pour l’esprit humain. Il suffit en fait de généraliser ce que je vous ai dit aux… 11 dimensions supplémentaires. Oui, nous vivons dans un monde à 15 dimensions, en fait. Simplement, les 11 autres sont si petites que nous ne pouvons les percevoir au niveau humain. Peut-être un jour aurons-nous des outils assez puissants.

- Mais, fit Esparanza, toutes ces dimensions… ne sont-elles pas candidates à l’explication de la disparition du temps ? Pourquoi ne pas imaginer qu’à cette échelle aussi petite où le temps semble disparaître, il ne se confine pas simplement dans ces dimensions minuscules ? Qu’il n’ait pas la « force » de s’étendre ?

- C’est une idée, fit Proyas. Une belle idée assurément. Mais la vidéo est formelle, ces dimensions supplémentaires sont purement spatiales. Sinon, en effet, on pourrait penser que le temps n’est aussi qu’une vibration de corde, et que lorsqu’un amas de cordes forment un corps macroscopique, le « temps vibré » résultant comme la somme de beaucoup d’autres cordes, ce temps devient trop « volumineux » pour se confiner dans ces micros dimensions qui nous sont inaccessibles. C’est vraiment un beau concept, il expliquerait clairement que des petites particules – cordes – voient leur temps propre rester invisible dans les dimensions cachées. Et aussi pourquoi le temps semble brusquement apparaître à plus grande échelle. Joli. Mais, non, la réalité n’est pas ainsi.

- Bien, admit Sanchez. Revenons à nos extra-terrestres. Si j’ai bien compris, il s’agit d’êtres extra-terrestres mais, en plus, ils vivent dans un extra-monde ?

- Oui, on peut le voir ainsi, fit Proyas. Ils sont bien dans notre Univers, mais dans une partie de notre Univers qui nous est inaccessible. Ils vivent dans un co-monde non-interactif. Ils sont faits de particules – ou cordes si vous préférez – élémentaires qui ne sont pas compatibles avec les nôtres. Il n’y a pas de contact, pas d’interaction possible.

- Pourtant cette sphère est bien réelle, souligna Esparanza.

- Oui, mais elle résulte d’une technologie bien à eux, fit Proyas. Avant que nous ne puissions créer un objet de notre matière stable dans leur monde, ça risque de prendre du temps.

- Ce n’est pas dit, fit Sanchez. Je comprends bien que nous ne pouvons nous baser sur l’étude physique de la sphère pour faire comme eux, car vu son instabilité, on la ferait probablement disparaître très vite.

- Effectivement. Etonnant d’ailleurs qu’elle soit encore là, fit Proyas en jetant un coup d’œil à la sphère qui avait encore glissé.

- Mais peut-être qu’il y a un mode d’emploi dans le message, continua Sanchez. Un mode d’emploi qui dit comment faire pour les contacter.

- Peut-être, admit Proyas, mais je n’en ai pas vu. Ce code incompréhensible continue inlassablement de défiler. Et peut-être la stabilité n’est-elle possible que de manière unilatérale : si eux le peuvent, peut-être nous est-il impossible à nous de stabiliser notre matière dans leur monde.

- Alors reprogrammons la sphère, fit simplement Esparanza. Puisque cette sphère est venue de chez eux jusqu’à nous, et qu’elle semble repartir là-bas… Reprogrammons-la.


Proyas resta figé un instant, puis dit :


- Effectivement, oui… Je n’y avais pas pensé. Quel con !


Sanchez lui fit un petit sourire.


- Monsieur Proyas, dit-elle, on ne peut pas penser à tout. Vous nous avez été jusqu’ici d’une aide formidable : décodage du message, transcription en vidéo, analyse de la vidéo. C’est déjà beaucoup !


Elle eut un petit rire.


- Je suis sûr que c’est ce qu’ils veulent, enchaîna Esparanza.

- Pourquoi ne nous ont-ils pas tout simplement montré une vidéo avec un humain près de la sphère, en train d’y injecter quelque chose ? Nous aurions tout de suite compris ! Car, là, nous risquons de perdre la sphère, déplora Sanchez.

- Peut-être comptaient-ils sur notre esprit d’initiative, je ne sais pas, répondit Esparanza. Ou peut-être est-ce à suivre, sur la vidéo ? Parce que, regardez, la sphère a encore glissé. Nous ne captons plus rien. Replaçons les capteurs. De toute façon, on peut penser que cette sphère n’est qu’un début. D’autres suivront sûrement.


Proyas pianota sur le clavier et, très vite, les capteurs se replacèrent aux pôles de la sphère pour y décoder l’information.


- Plus rien, fit-il. Autre chose : d’après les capteurs, la température de la sphère est retombée à exactement celle de l’air ambiant confiné. La sphère est déchargée. C’est le moment d’essayer.

- Comment faire ? demanda Sanchez.

- Nous ne savons rien du fonctionnement interne de cette sphère, fit Esparanza. Peut-être suffit-il d’y envoyer un champ électrique et que celui-ci sera enregistré ? Un peu comme une batterie, ça marche peut-être dans les deux sens ?

- Non, attendez, fit Proyas. Je crois qu’il y a en fait beaucoup plus simple. Ils savent très précisément à quoi ressemble la Terre. Et ils savent encore plus précisément à quoi nous ressemblons. Donc… Ils nous voient. Il nous suffit sans doute de faire n’importe quoi, ils nous comprendront – tout au moins ils nous verront.

- Effectivement… Vous voyez que vous n’êtes pas si stupide, fit Sanchez, amusée.


Proyas lui sourit. Puis il se leva brusquement, sauta sur la table principale et se mit à gesticuler comme un dément. Caroline et David eurent un mouvement de recul, puis ils se regardèrent un instant, avant d’éclater de rire. Ce qui ne fut pas sans stopper Proyas brutalement.


- Merci, fit simplement Proyas. Merci de me montrer aussi peu de considération et de respect. J’essaie juste d’attirer leur attention, ajouta-t-il avec un petit sourire. Je suis sûr qu’ils nous observent, mais nous entendent-ils pour autant ? On n’en sait rien ; en fait, rien n’est moins sûr. Il nous faut donc communiquer visuellement – c’est la seule chose qui soit fiable. On sait qu’ils nous voient, profitons-en. Et je ne parle pas de tenter un code couleur à la Rencontres du 3ème type ou autres, car peut-être ne voient-ils qu’en noir et blanc ou, pire, via un organe genre thermographe au rendu démentiel. Maintenant, veuillez, s’il vous plaît, vous joindre à moi.


Gros silence. Caroline considéra longuement David qui, lui, fixait intensément un Proyas acculé au comble du ridicule.


- Bien, fit David Esparanza, avec un sourire jusqu’aux oreilles. Vous avez peut-être raison.

- Pardon !? s’exclama Sanchez.

- Soyez logique, Caroline, supplia Proyas. Vous observez des rats en cage. Supposez qu’ils prennent conscience d’être observés et qu’ils veuillent vous communiquer quelque chose. Est-ce en continuant à glander comme si de rien n’était qu’ils vont attirer votre morne attention ? Non, je ne crois pas. Par contre, si votre rat se met à danser la lambada, là, oui, ça marchera. Vous le croirez peut-être atteint d’un rarissime syndrome de démence et de désorganisation totale des membres, mais, au moins, il aura su attirer votre attention. Alors, veuillez s’il vous plaît venir danser la lambada du rat avec moi.

- Bien, fit-elle, tout sourire. Après tout, c’est la sphère qui est filmée, pas nous. Je n’ai donc rien à craindre d’une éventuelle vidéo compromettante. Cela restera entre nous, n’est-ce pas ? fit-elle avec un clin d’œil.

- Bien sûr, ma chère. Et puis, nous faisons tout cela pour la Science, ajouta Esparanza avec un rictus.


Proyas tendit la main à Caroline afin de l’aider à monter sur la table. Esparanza se mit à pianoter sur le clavier d’ordinateur avant de sauter sur la table.


- Qu’avez-vous fait ? demanda Proyas, en prenant Caroline par la taille.


C’est alors que des enceintes de l’ordinateur se mirent à sortir des notes de musiques, d’abord faibles puis de plus en plus fortes.


- O-Zone !! Dragostea din tei !! Première communication directe avec des extra-terrestres !! Historique !! hurla Esparanza, mort de rire, pour couvrir le bruit de la musique.


L’écran montrait le clip en question, avec trois jeunes hommes en train de danser comme des cons sur l’aile d’un avion. Morts de rire, Alexandre Proyas, Caroline Sanchez et David Esparanza les imitèrent en beuglant et en sautant sur la table comme des déments. Ainsi eut lieu la première communication avec des extra-terrestres en direct live de l’Histoire. Et c’est alors que des dizaines de sphères apparurent en orbite autour de la Terre et se mirent à plonger… vers un petit immeuble Parisien.


 
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   Pat   
14/7/2007
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Le gros problème c'est toute la partie sur la physique quantique, qu'on a tendance à zapper. Dommage car l'intrigue est intéressante. Peut-être as-tu voulu te faire plaisir, mais il faudrait peut-être réserver ce style de "divagations" pour des publications spécialisées. Pour moi, ça fait trop hard science, pas trop littéraire.... ça gâche le reste...

   i-zimbra   
16/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
« un homme comprend-il réellement mieux le monde qu’un chien ? » Je ne crois pas non plus ; que mon commentaire de chien ne soit donc que le témoignage de ma lecture intégrale de ce texte.

Cette sphère semble plus amicale que le monolithe de 2001, mais je crains que les suivantes aient été envoyées pour faire taire O-zone.

« renvoyée dans ses vingt-deux »... La référence est pour le moins inattendue. Gödel s'est-il penché sur le rebond du ballon de rugby ? Celui-ci disparaît-il devant le n°2 pour réapparaître instantanément sous le pied du n°8 ? Les oreilles des deuxièmes lignes sont-elles des fractales ?

Je conseille ce texte à ceux sur qui le quark et le boson exercent leur champ de force évocatrice à l'ineffable parfum.

   David   
16/9/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour Corentin,

"C'est pas faux" et délirant à lire, j'ai mis du temps à comprendre que 10-43, c'est dix exposant moins 43, un zéro virgule quarante trois zéro et puis un un mètre ? enfin, vraiment pas loin quoi. J'ai pensé à quarante-deux, la réponse à "La vie, l'univers et le reste" de Douglas Adams. J'ai du progresser de un peu exposant moins beaucoup dans ma compréhension de ce truc dont tu parles dans le récit. La chasse au Bozon est d'actualité en plus.

Les échanges des personnages, notamment le philosophe qui traduit le mathématicien à l'exobiologiste m'ont donné un bon moment de lecture, ces "convergences" provoquent un genre de vertige, c'est drôle, bravo !


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