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Sentimental/Romanesque
Cyrill : Toute la vie
 Publié le 23/10/22  -  9 commentaires  -  7843 caractères  -  97 lectures    Autres textes du même auteur

À vue du nez, portée d’ouïe.


Toute la vie


C’est de l’eau de Cologne.

Cela dit, ça pourrait aussi bien être de la naphtaline, de la menthe ou de la violette. De ces arômes censés en couvrir d’autres. Les autres, les vrais. Ces humeurs émanant de la vieillerie. Fuites d’anus artificiels, haleines lourdes, odeurs rances venues d’un cuir de moins en moins chevelu. En définitive ils dégagent toujours – les uns aux autres mêlés – des relents de géronte. À s’approcher d’un peu trop près, à se frotter à ses compagnons d’antiquité, on devine fort bien les dégâts. Un chicot noirci de tabac, un dentier entartré, la sueur desséchée à force de rester coincée dans les replis de peau, autant de miasmes tenaces accumulés au fil des décennies. J’en sais quelque chose : je suis de ceux-là, dernier arrivé de cette cohorte de vieillards en bout de course et pâlissants, claudicant bien souvent, ou couinant sur les roues d’un fauteuil qui ne roule plus guère mais n’oublie pas en revanche d’empester le caoutchouc frotté. Sans compter ceux dont la tête, à force de dodeliner, s’est mélangé un tantinet les neurones pour finir par ne sentir que le creux. Moi je marche encore sur mes deux pattes et j’ai le cerveau qui répond toujours présent s’il n’est pas trop sollicité. Mais je n’y vois plus grand-chose. La faute à mes yeux fatigués de n’en avoir pas assez vu. Je m’estime toutefois assez chanceux, si je me compare. Alors je fais déambuler ma canne blanche au fil des couloirs de l’épade, dans le sillage d’une qui embaume une eau de Cologne un peu plus accorte que toutes les fragrances qu’elle tâche tant bien que mal de camoufler.

Je l’aime, si tant est qu’on soit encore en mesure d’apprécier ces marques de coquetterie lorsqu’on attaque en zigzaguant la dernière ligne droite.


Je ne suis même pas censé connaître sa voix. Cependant, l’autre soir aux médocs, dans le chuchotement tremblotant d’une file bien sage, je lui en ai attribué une bien rocailleuse, qui disait : merci pour les bonbecs, darling. Une sortie en tout point accordée à son fumet, ai-je alors pensé, convaincante et convenant tout à fait au genre de femme que j’aimerais aimer. Une gouaille un brin aguicheuse face au dadais distributeur. Pas froid aux yeux, la dame. J’étais plutôt loin de cette voix dans la queue. Alors comment l’ai-je distinguée des autres comme étant celle-à-l’eau-de-Cologne ? Comment en ai-je été à ce point persuadé, dans le tournis olfactif de toutes ces effluves, dans ce brouhaha de murmures entremêlés ? Ce fut une certitude, comme une foi soudaine et révélatrice, quasi divine. Le genre qui ne se commande ni ne se discute. Ce parler de vieille fumeuse, d’ex-rockeuse craignos, appartenait forcément à la nana ointe d’eau de Cologne des oreilles aux orteils. Ça collait parfaitement. Le tableau était éloquent, l’image plus que parfaite.

J’ai avalé mes pilules sans moufter – je n’ai pas ce don de la répartie qui m’a tellement ravi dans la bouche de ma future. Puis j’ai filé dans ma piaule à grands mouvements de canne pour rester seul avec cette vision de rêve. Depuis, le portrait s’étoffe. Le décor se met en place, j’en rajoute chaque jour un peu plus dans le spectacle qui a pour star mon étoile. Je l’envisage avec délectation me chanter un lascif : I can’t get no… Et moi de lui répondre, forçant un peu sur les graves : don’t worry, tu vas l’avoir ta satisfaction.

Je l’aime.


Pourtant je ne suis pas tout à fait son genre. Nos goûts sont différents, mais nous apprendrons à nous connaître et à partager nos passions. Mon kif à moi c’est plutôt la chanson à texte, française. Dans ma jeunesse, j’adorais Charles Trenet. Pris de nostalgie, je l’écoute en boucle sur les archives de l’INA depuis que la dame du ménage m’a gentiment montré comment, dans mon brouillard, utiliser la technologie informatique à mes fins d’auditeur dilettante. Ce n’est pas bien compliqué, voilà un bail que je ne change plus de rengaine. Je m’installe devant l’écran qui affiche la photo du chanteur, que je devine à défaut de le voir vraiment. Un vrai floutage de gueule, mais peu importe. Son image est gravée mieux que celle du 45 tours dans ma mémoire d’ex-voyant, tandis que « La folle complainte » se complaît à ne pas m’expliquer comment on peut se donner de la joie avec une passoire. Aucune idée. Ce n’est pourtant pas faute d’y avoir réfléchi, mais ce fut sans succès. Aujourd’hui je me plais à imaginer ma dulcinée munie d’une passoire, la remuant et l’agitant dans le sens de cette idée. Je pourrais lui confier que mes mains, même fripées et arthritiques, que ma canne blanche également, seraient susceptibles de faire largement mieux, s’agissant de joie. Ça ne sent rien du tout ces vidéos de l’INA. Voilà tout de même un sacré avantage. Je peux ainsi m’enivrer du bouquet d’onguents sur pantoufles passant quotidiennement devant ma porte ouverte, autrement plus gaillard, plus érotique, que ceux de ces fichus produits d’entretien qui empestent d’abondance, à un rythme régulier, tous les couloirs de l’établissement.

Non pas que j’aime l’eau de Cologne, mais j’aime la femme qui s’en badigeonne et s’évertue à rester odorante pour me plaire. Tout de même, je me demande bien pourquoi avoir choisi cette eau-là, qui non seulement nous vient de nos aïeux, mais aussi de Köln, quelque part en Allemagne. Les Allemands, je ne les porte pas dans mon cœur. Allez savoir pourquoi, je n’ai pas fait la guerre. Ils sont à présent nos frères européens, après tout. Mais je ne peux m’empêcher d’avoir envers eux une sorte de prévention, un truc indéfinissable en forme de casque à pointe. Pour cette raison, ma chérie qui se tartine sans compter d’eau alémanique, elle pourrait tout aussi bien me débecter. C’est tout le contraire, je l’aime comme un damné. Elle me fait penser, toute proportion gardée, à cette fameuse actrice, allemande au mauvais moment. En voilà une qui aurait pu vivre plus loin que son suicide, selon moi. Au moins le temps d’attraper le parler vaguement parigot, surtout crasseux, de ces femmes qui ont traîné, il fut une époque, jusqu’à ce que petit matin s’ensuive, dans certains cafés de la Rive gauche. Au moins le temps de venir ternir ses vieux jours à mes côtés, dans cet épade qui ne paie pas vraiment de mine.

Soyons réalistes, nous allons bientôt mourir. Dans ces conditions, autant aimer et faire tourner la gamberge jusqu’à en crever. Autant crever en amant comblé et blotti dans le cœur d’une chouette fiancée. Et bordel, il serait grand temps qu’elle le sache et s’en soucie. Nous ne sommes pas éternels, loin s’en faut.


Je me la représente volontiers, avec sa tête exhalant la mangue, l’essence de térébenthine ou autre, appuyée dans le creux de mon cou, et ce qu’il lui reste de cheveux me chatouillant les narines. Mon bras parcheminé enrobant ses épaules, et nous deux écoutant tendrement des vieux trucs ringards de l’INA. Pas dans ma piaule, si possible, qui n’est ni propre ni cosy. Du moins si j’en renifle bien les remugles fétides qui s’en dégagent dès que j’y entre. Certes, la sienne fleure à plein nez les effluves du relatif sent-bon dont elle s’enduit, mais c’est une chambrette toute féminine, remplie de bibelots inutiles et indispensables qu’il m’arrive, par inadvertance, de bousculer ou briser, et dont les murs sont tapissés jusqu’au plafond de posters. Les Rolling Stones, les Doors et tant d’autres. En plus petit, la photo en noir et blanc de Charles Trenet avec son chapeau versé sur l’arrière, son visage lunaire et ses yeux hallucinés.

On est là tous les deux à partager nos passions, à fleureter, à causer de tout et de rien, et à deviser ensemble sur l’utilité d’une vieille passoire, si ce n’est celle d’égoutter la salade. Ça nous prendra bien toute la vie qu’il nous reste à vivre.


___________________________________________

Ce texte a été publié avec des mots protégés par PTS.


 
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   Anonyme   
25/9/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai apprécié la saveur très aigre-douce un peu de cette nouvelle, même si à mon goût le narrateur en fait un peu trop et que sa voix intérieure me donne l'impression de clamer dans un micro pour la galerie (c'est justement ce qu'elle fait, mais j'eusse préféré pouvoir m'immerger dans la fiction où cette voix, c'est la mienne ; là, impossible pour moi de sortir de ma peau de lectrice qui prend connaissance de l'extérieur des pensées d'un narrateur).
Je salue l'accent mis sur l'olfactif, d'une manière très convaincante me semble-t-il. Le développement musical, l'insistance sur Trenet, m'a moins intéressée, peut-être parce que le sens convoqué est plus courant en littérature.

Une nouvelle colorée, je trouve, des teintes franches de l'humour mais non dénuées d'une patine de tendresse. En résumé, un récit bien fichu, peut-être un peu long pour ce qu'il a à dire selon moi.

   Anonyme   
23/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

Voilà une nouvelle olfactive qui commence dans le glamour avec les fuites d’anus artificiels de vieillards. Les dents pourries et la vieille sueur font écho à cette déliquescence rapportée du mouroir. Je note une faute d’accord au passage (attribué au lieu d’attribuée) une autre de genre, effluve est masculin, et des manques de virgules çà et là (systématiquement une virgule avant « c’est ») mais ce ne sont que des détails. Pour l’histoire, ce cacochyme aux relents xénophobes est amoureux d’une mémé à eau de Cologne, faut être tordu parce qu’est-ce que ça schlingue ce truc ! (je m’insurge en passant sur le parler parigot soi-disant « crasseux » des cafés de la rive gauche d’une certaine époque, parce que c’est bien tout le contraire dans mon esprit) Donc, nos petits vieux vont se livrer à une dernière amourette en attendant le croque-mort. Une tranche de vie d’EHPAD assez interlope à laquelle j’ai trouvé quelques petits instants amusants à travers ma lecture mais le manque de fluidité globale de la nouvelle ne m’a emportée d’avantage. Également une touche de tendresse aurait peut-être été la bienvenue.

Merci pour cette lecture gratuite et le temps que vous avez passé dessus.

Anna en EL.

   Angieblue   
23/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un texte réaliste et cru qui ne donne vraiment pas envie de vieillir et encore moins dans un Ehpad.
Moi qui suis une idéaliste, ça m'a tourné et donné la nausée toutes ces odeurs de vieillesse.
C'est bien écrit, mais pour me captiver, il aurait peut-être fallu que ce soit plus caricatural. Là, c'est trop sage, l'attente de la mort à écouter des chansons de Trenet avec une dernière amoureuse. C'est trop résigné même si c'est tellement vrai qu'à cet âge-là, on ne peut que regarder vers le passé. J'aurais voulu plus d'émotion, de la colère, de la tristesse, de la révolte, de l'angoisse, et plus de poésie dans la description de la déchéance, du naufrage qu'est la vieillesse.
Je pense que le réalisme est un choix de l'auteur. Je salue quand même la scène un peu absurde avec la passoire qui est très symbolique et contient tout l'implicite que j'aurais aimé que le narrateur hurle comme quelqu'un qui serait enfermé vivant dans un cercueil et qui voudrait qu'on l'en délivre...

   JohanSchneider   
23/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Si la vieillesse est un naufrage, en voici un qui vous a des allures de Titanic de l'hospice, de Radeau de la Méduse du bassin à vider et du pilulier.

Le trait est un peu gros et forcé par endroits et quelques petites tautologies étaient dispensables ("Soyons réalistes, nous allons bientôt mourir"/"Nous ne sommes pas éternels, loin s’en faut.") mais dans l'ensemble c'est de la belle ouvrage.

   Anonyme   
25/10/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ce qui se retient avant tout c'est que vous avez le don de créer une ambiance propre à chacune de vos nouvelles. Si ça c'est pas le talent !

Dans la voix du vieil homme la vieillesse en épade (mention particulière pour votre orthographe !) a le goût du rance. Ces relents de géronte, comme dit dans le premier paragraphe sans concession sur cette déchéance due à la déshumanisation des lieux.

Si on se perd un peu dans les détours de cette dernière histoire d'amour urgente à vivre, derrière le rideau déchirant d'un réalisme outrancier qui fait tellement mal à lire, on trouve une immense et poignante tendresse pleine d'impuissance rageuse.

Ne reste plus qu'à espérer que cette vision soit seulement une exagération dans la bouche du bonhomme plus que la réalité vraie des hospices !

   plumette   
25/10/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Cette nouvelle me rappelle les contraintes d'un récent défi!

Et je la trouve très bien écrite mais pas très ragoûtante. Est-ce une méthode conjuratoire qui vous fait explorer par l'écriture les odeurs des vieux corps en voie de décrépitude?

La lucidité du narrateur ne l'empêche pas d'avoir un grand appétit de vie qui passe par l'envie d'être amoureux. C'est touchant;

J'ai vraiment apprécié cette écriture qui nous plonge dans une ambiance à la fois olfactive et sonore.

   Cyrill   
28/10/2022

   Donaldo75   
29/10/2022
 a aimé ce texte 
Pas
Bonjour Cyrill,

J’ai lu dans ton fil de remerciement que tu n’étais pas très satisfait du résultat en ce qui concerne cette nouvelle ; mon impression de lecture va dans ce sens, je n’ai pas été emballé par ce que j’ai lu et c'est un euphémisme. Je ne sais pas ce qui m’a le moins emballé, si c’est le récit – mais au fait, il y a-t-il une histoire ici ? – ou la narration ou le bavardage auquel j’ai eu l’impression d'assister. Parce que ça cause, ça jacte, ça caquète mais ça n’avance pas.

Je cite : « Soyons réalistes, nous allons bientôt mourir. Dans ces conditions, autant aimer et faire tourner la gamberge jusqu’à en crever. »

C’est peut-être là le hic. La gamberge ou comment occuper ses neurones alors qu’ils pourraient tranquillement rester dans la simplicité ; hélas, ce n’est pas le cas et ça se ressent dans le texte qui part à mon avis dans tous les sens et se regarde presque lire.

   Tadiou   
12/11/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Cyrill. Je suis partagé entre la vision d'un narrateur en bout de course, à la canne blanche et celle d'un homme ayant assez d'énergie pour employer un langage "d'jeun"; entre quelqu'un à bout de forces et décrépit et quelqu'un qui a encore la vigueur de s'intéresser à une dame et de se sentir concerné par l'érotisme.

Cette contradiction me gêne car je ne peux alors pas me créer une image cohérente du narrateur. En revanche j'apprécie que ce vieux monsieur continue à se "battre" pour continuer à vivre le plus fortement possible, sans plaintes et sans pathos.

J'ai été gêné par les mots suivants (pour ne citer que quelques exemples), qui ne m'évoquent pas un langage de "vieillard" :
une gouaille un brin aguicheuse
kif
ex-rockeuse craignos
bouquet d'onguents sur pantoufles
floutage de gueule (jeu de mots d'un vieillard ????)
faire tourner la gamberge à en crever
etc....

A chaque fois cela m'a heurté et empêché d'être ému.

En revanche je trouve un brin de sincérité et de vérité dans la dernière phrase dans laquelle le narrateur envisage sereinement et lucidement la suite, dans un climat de complicité, peut-être de tendresse.

A vous relire avec intérêt.

Tadiou


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