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Sentimental/Romanesque
dodo : Journal d'une déchéance
 Publié le 15/12/08  -  3 commentaires  -  24227 caractères  -  44 lectures    Autres textes du même auteur

Il n'existe rien de plus beau au monde que l'amour, rien de plus pur, ni de plus noble. Mais les plus belles histoires ont parfois une fin, fin souvent synonyme de souffrance, de mal-être... Voilà le sujet de "Journal d'une déchéance" : la fin, racontée telle qu'elle est vécue.


Journal d'une déchéance


On dit souvent que coucher ce que l’on ressent sur le papier peut aider, d’une certaine façon, à surmonter certaines épreuves que la vie nous inflige. Un genre de thérapie en quelque sorte. Je ne sais pas si cela m’a aidé, je ne sais pas si le fait de ne pas l’avoir fait aurait rendu les choses pires qu’elles ne l’ont été, mais je tiens à vous faire partager mon expérience.


***


Tout a commencé le 25 juillet 2008, à 17 h 41 pour être exact. L’heure à laquelle ma vie s’est arrêtée. Une sensation de chaleur, de mal-être a d’abord envahi mon corps. Je pouvais la sentir dans chacun de mes membres. Puis elle s’est rapidement muée en une sorte de petite boule de douleur, un nœud de souffrance qui ne vous quitte jamais vraiment, et qui vient se loger dans la poitrine, juste à côté du cœur.


Scientifique dans l’âme, je m’étais toujours demandé comment le cœur permettait d’éprouver « physiquement » des sentiments, et comment le concept des sentiments, qui sont quelque chose d’assez mental par définition, pouvait être lié à un simple organe. Aujourd’hui je ne sais toujours pas comment c’est possible, et je pense que la matrice des sentiments humains gardera ses secrets encore longtemps, mais pour l’avoir expérimenté je peux vous dire que la souffrance est bien réelle.

En amour, la perte de l’être aimé est souvent associée à l’effondrement de notre univers personnel. Si on peut trouver assez imagé de dire que « le monde s’écroule autour de nous », les effets, eux, s’y apparentent : perte des repères, sensation de vide, souffrance causée par le fait même d’exister… Comment les générations d’hommes au cœur brisé qui m’ont précédé ont-elles pu survivre ? Comment reconstruire ce monde à la seule vue duquel on a juste envie de baisser les bras et de disparaître ?


C’est peut-être lâche de ma part, mais j’ai choisi de disparaître.


***


J’avais un job du genre tranquille, du genre qui vous prédestinait à vivre le « rêve français » : horaires pas trop contraignants qui vous permettaient d’avoir une vie de famille, situation stable grâce à laquelle il était aisé d’obtenir un prêt pour acheter un charmant pavillon en lotissement… bref, ma vie était toute tracée, claire, nette et sans surprises ; j’allais très vite conduire un monospace à l’arrière duquel je ferais monter mon labrador, coqueluche des enfants que je n’allais pas tarder à avoir. Je m’identifiais déjà à cet idéal dont on nous nourrit à travers la publicité et les médias.


Étant étudiant et encore bercé de rêves, j’étais fier de clamer haut et fort que le « système » n’aurait pas raison de moi, que je refusais ce bonheur préfabriqué et la pseudo perfection de cette vie rangée. Je me rends compte aujourd’hui que le monde du travail a rapidement eu raison de mes idéaux. Au début, j’éprouvais une certaine sensation de liberté, j’avais enfin l’argent qui me manquait tant quand j’étais étudiant pour réaliser mes rêves et envies ; puis très vite sont arrivées les responsabilités, on réalise que la vie n’est pas donnée, qu’on vit dans un monde réglé et ordonné qui n’a que faire de vos rêves. Le piège s’était refermé sur moi, j’étais devenu un « actif », un pion parmi tant d’autres.


Je suppose que l’amour, le fait d’avoir quelqu’un à ses côtés, rend supportable ou masque cette réalité, car à partir du moment où il a quitté ma vie, cette dernière est devenue du jour au lendemain un purgatoire. Mon boulot qui m’avait jusque-là contenté m’est soudain apparu sous un jour des plus haïssables, et le crédit que je venais de signer devenait le pire boulet qu’un homme ait jamais eu à porter. Je me sentais soudain comme prisonnier malgré moi d’une vie qui n’était pas (plus) la mienne, et j’avais beau chercher autour de moi je ne trouvais aucune porte de sortie. J’étais un condamné.


***


Je n’avais pas pris le temps de passer chez moi pour prendre des affaires, ce qui a quelque peu étonné l’hôtesse chargée de l’enregistrement de mon vol long-courrier. Je ne connaissais pas ma destination, et je m’étais forcé à ignorer les panneaux d’affichage. Je ne voulais pas savoir en fait, seul m’importait le fait de partir, loin, et surtout maintenant. Vêtu seulement d’un jean et d’une chemise, je fuyais ma vie et partais en cavale.

Alors que je marchais en direction de la porte d’embarquement, la boule nichée près de mon cœur se faisait plus présente, et la douleur plus intense. Mon esprit jusque-là occupé à préparer ma fuite prenait la liberté de vagabonder et faisait défiler images, souvenirs ou encore sensations que j’avais d’elle. Elle occupait maintenant tout mon esprit, m’obnubilait, et à l’intérieur je me tordais de douleur.


Le début de l’embarquement interrompit heureusement mon calvaire, et je pris place à bord de l’avion pour un voyage qui allait marquer un tournant dans ma vie.


***


Notre rupture s’est révélée être relativement conforme au stéréotype le plus courant : ce n’était pas ma faute et il fallait qu’on reste amis. Ces paroles semblaient sorties tout droit d’un mélodrame télévisé. Comme ma vie, ma relation semblait se conformer aux normes les plus communes.


Quoi qu’on vous dise, tôt ou tard le sentiment de culpabilité fait son apparition. Il paraît qu’on voit sa vie défiler devant ses yeux juste avant de mourir ; moi j’ai pu voir défiler dans mon esprit l’intégralité des erreurs que j’avais commises, des impairs, de mes moments d’humeur, des manques d’attention… Je ne pouvais pas l’arrêter, tout comme je ne pouvais plus revenir en arrière. Je ne pouvais plus que regretter, impuissant et désespéré.


Quant à l’amitié, quoi de plus douloureux que d’être rétrogradé au rang d’ami par l’être qu’on chérit le plus au monde, avec qui on a tant partagé. De se dire que tous ces moments de bonheur passés ne se reproduiront plus, que désormais il faut continuer le chemin seul. C’était au-dessus de mes forces. J’étais une plaie ouverte rien qu’en pensant à elle, être son ami m’anéantirait. C’était une question de survie.


Je l’ai donc laissée là, sans dire un mot, en état de choc, et je suis sorti du café où elle m’avait donné rendez-vous.


***


Ce voyage fut pour moi comme une descente aux enfers. Incapable de fermer l’œil, tenu éveillé par la douleur qui semblait ne jamais vouloir me quitter, j’avais l’impression que le temps s’était arrêté. Je voulais lui parler. C’était comme un besoin vital, une nécessité pour laquelle j’étais prêt à donner ma vie. Je voulais lui dire à quel point je l’aimais, je voulais lui dire tout ce que j’étais prêt à faire pour qu’elle revienne. Les choses étaient tellement claires pour moi maintenant : j’étais prêt à tout donner, à faire l’impossible, à lui offrir ma vie. Car ma vie sans elle n’avait plus aucun sens. Sans elle je n’étais qu’une coquille vide, sans but, sans rien…


Du fait de ce sentiment d’impuissance qui montait en moi, de l’impossibilité que j’avais de combler ce besoin qui se faisait de plus en plus pressant, la cabine de l’avion prenait peu à peu des allures de prison. J’étais prisonnier à 3500 m d’altitude, et je voulais mourir.


***


La Destinée. C’était la première fois qu’elle faisait irruption dans ma vie. Je n’y ai jamais cru à vrai dire. Pour moi chaque homme est maître de sa destinée, et la provoque par ses actes et ses choix. Je n’ai jamais cru possible que notre existence soit écrite quelque part ; de nature rationnelle, cela entrait en conflit avec toutes mes convictions et croyances.


« Je crois en la destinée, si nous sommes faits l’un pour l’autre nous nous retrouverons, quel que soit ce que je fasse maintenant. » C’est ce qu’elle m’avait dit. Elle avait déjà rencontré quelqu’un en vérité, ça faisait déjà une semaine. Et moi, anéanti, qu’est-ce que j’étais censé faire ? Passer ma vie à attendre que la « Destinée » veuille bien m’accorder une seconde chance ? Je ne pouvais pas, je ne pouvais pas fonder mon existence et mon avenir sur une base aussi incertaine, et en laquelle je ne croyais pas. Cela me détruirait.


J’ai bien tenté de lui faire entendre que je n’y croyais pas, que tout cela relevait du non-sens. Si elle voyait un futur dans notre relation, pourquoi ce futur ne pourrait-il pas commencer maintenant ? Pourquoi baser sa vie sur une croyance de conte de fées quand nous avons le pouvoir de la contrôler ? Je ne comprenais pas ; et j’en venais à douter : y croyait-elle vraiment ou s’agissait-il d’une de ces formules bateaux et hypocrites censées rendre les ruptures moins difficiles ?


***


Juneau. Je m’étais enfin décidé à jeter un coup d’œil sur l’écran de la cabine. Nous étions arrivés à destination : Juneau. Je n’avais aucune idée du pays dans lequel j’étais, et, honnêtement, cela n’avait aucune importance pour moi. Ma priorité était d’abord de satisfaire ce besoin qui m’a rongé de l’intérieur pendant les quinze heures que durait le vol : lui parler, entendre sa voix, vider mon sac… Intérieurement je ressemblais à ce que devait être Verdun après la bataille : un champ de ruines à l’odeur de mort.


C’est surprenant comme l’importance que l’on accorde aux choses peut changer après la « perte » d’un être cher. Manger, dormir, accomplir toutes ces petites choses du quotidien sans lesquelles habituellement on serait perdus… tout cela est occulté par la pensée d’une seule personne, au point que même le déclenchement d’un événement grave comme, par exemple, une troisième guerre mondiale, ne pourrait rien y changer. On vit intensément comme on se dit qu’on aurait toujours dû le faire, en orbite autour de l’être aimé. Mais comme souvent, la prise de conscience intervient trop tard…

Je pensais avoir enduré le pire, mais les minutes qui ont précédé mon passage à la douane m’ont semblé interminables. C’est peut-être ça l’enfer : souffrir éternellement à la vue d’une vie privée de sens, étouffé par le regret et l’impuissance. Puis vint mon tour. Une simple formalité. J’avais fait faire mon passeport il y a deux mois, en prévision d’un voyage aux States qui aurait dû se terminer sur une demande en mariage. Le mariage… Est-ce que j’y croyais encore ?


Une fois les formalités administratives terminées, je partais en quête d’un téléphone comme si ma vie en dépendait. Je finis par trouver une rangée de cabines à l’autre bout du terminal. J’achetais une carte téléphonique mondiale dans une boutique proche et je me retrouvais finalement le combiné à la main, composant fébrilement son numéro. Ça sonnait. Trois sonneries déjà. Elle ne répondra pas. Six sonneries. C’est sans espoir…


- Allo ? fit une voix ensommeillée.


Je n’avais pas pensé au décalage horaire, j’avais dû la réveiller. Mais qu’à cela ne tienne, ce que j’avais à lui dire ne pouvait plus attendre.


- C’est moi.


J’eus beaucoup de mal à réprimer un « chérie ». Elle ne l’était plus désormais, mais le mot tant usité auparavant tentait de forcer le passage, accentuant la douleur que je ressentais. Une voix d’homme se fit entendre dans le téléphone, provoquant chez moi comme une décharge électrique.


- Tu es chez lui ? demandai-je avec le stupide espoir d’une réponse négative.

- Oui.


C’était comme si quelqu’un avait pris mon cœur et le transperçait d’un millier d’aiguilles.


- Je peux te parler ?


Un instant s’écoula, je sentais qu’elle hésitait. Après tout pourquoi se dérangerait-elle en pleine nuit ? Je n’étais plus qu’une pathétique relique de son passé après tout.


- Oui.


Un mince espoir me gagna. Elle voulait encore me parler, je pouvais peut-être la reconquérir.


Notre conversation dura une demi-heure. Je me mis littéralement à nu devant elle, vulnérable comme jamais je ne l’avais été auparavant. Et je lui ai tout dit, mes erreurs, mes regrets, ce que j’avais réalisé, ce que j’étais prêt à lui donner : ma vie. Et plus je lui parlais, mieux je me sentais, comme libéré d’un poids. Je voyais clair dans mon existence, je savais pourquoi je voulais vivre, et avec qui.


Elle m’a écouté, attentivement. Puis elle rendit son verdict :


- Je ne peux pas. Je ne peux pas retourner avec toi maintenant. J’ai quelqu’un d’autre dans ma vie.


Je n’entendis pas la suite. Le combiné me glissa des mains, j’étais comme pétrifié.

Je suis resté un certain temps dans un état proche de la catatonie, incapable de penser, irradié par une vague de douleur que je prenais de plein fouet. Puis mes jambes furent les premières à reprendre vie, et je me retrouvais peu de temps après à l’extérieur.


***


Elle était unique. Et jamais plus je ne pourrais vivre heureux car je ne pourrais jamais retrouver quelqu’un comme elle.

Telles furent les premières pensées qui m’assaillirent lorsque je repris conscience après le coup de téléphone. C’était comme si mon existence avait touché à sa fin. À quoi bon vivre si on sait que le bonheur nous est à présent inaccessible ? Sa personnalité, son caractère, son charme, la façon qu’elle avait de me regarder… tous ces petits riens, tout ce qui faisait qu’elle était elle… Morts et enterrés. À jamais. Et je ne m’en remettrai pas. C’était au-dessus de mes forces.


Une « légende » populaire laisse à croire que, tous autant que nous sommes, avons un sosie dans le monde. Si je n’étais pas aussi certain qu’il ne s’agit que d’un mythe irréaliste, je consacrerais le reste de mon existence à rechercher le sien. Et encore, à quoi bon ? Il ne s’agirait que d’une copie physique, qui ne sera jamais en mesure d’égaler l’original…


Et maintenant ? Que faire de ma vie ? Que me reste-t-il dans mon existence ? Rien. Rien du tout. Le néant.


***


J’étais en Alaska. Seul, vide, et sans but. Je ne ressentais plus rien, ni faim, ni soif, ni sommeil. Rien à part cette douleur lancinante qui semblait ne jamais vouloir me quitter.

Sans vraiment réfléchir à l'endroit où j'allais, je me mis à marcher, m'éloignant peu à peu de l'aéroport. Je ne saurais dire quelle distance j’avais parcourue, et j’avais complètement perdu la notion du temps, mais je finis par me retrouver au milieu de ce qui devait être le centre-ville de Juneau. Je continuais à marcher, me perdant dans le dédale des rues de cette ville que je ne connaissais pas, quand me prit l'envie subite d'écrire.


J'ai toujours eu un côté littéraire assez développé, j'aimais écrire à vrai dire. Plus jeune j'ai même participé à quelques concours de nouvelles (sans grand succès pour être honnête). Puis, sans vraiment savoir pourquoi, j'ai tout arrêté. Est-ce que j'avais perdu la flamme ? Est-ce que je cédais à la procrastination me disant que j'aurais toujours le temps d'écrire plus tard ? Je ne sais pas vraiment. Et mes études scientifiques, ma vie étudiante animée, m'ont fourni autant d'excuses pour m'éloigner de la plume... Dire que je nourrissais le rêve secret d'être un jour un écrivain reconnu... Avais-je fait les bons choix ?

Je trouvai sans trop de difficulté un distributeur et une petite supérette dans laquelle je pus me procurer un cahier et de quoi écrire. J'avais tout d'un coup la conviction profonde que coucher ma douleur sur le papier allait me permettre de l'emprisonner, et par là même de me libérer, comme si écrire était une forme d'exorcisme.


Un café à l’air tranquille m’accueillit ; calme et presque désert, l’endroit se révéla propice à l’écriture. J’entamai alors les premières lignes de ce journal.


***


Alors que je me plongeais dans la rédaction de ce récit, des souvenirs aléatoires me revenaient en mémoire, fragments éparts d’une vie commune à jamais perdue. Il est intéressant d’observer à quel point la mémoire peut se révéler curieusement sélective dans certains contextes, car seuls me revenaient les souvenirs des jours heureux, tous les moments de bonheur partagés à côté desquels les éventuels différends et disputes perdaient de leur substance, comme s’ils n’avaient jamais vraiment existé.


Ce matin-là restera à jamais gravé dans ma mémoire. Elle m’avait réveillé, tendrement, et lorsque j’ouvrais mes yeux la première chose que je vis fut son visage, à quelques centimètres du mien. Elle était belle à mourir.

Elle avait pour habitude de sourire, l’air faussement sceptique, lorsque je lui disais à quel point je la trouvais belle, comme si elle n’y croyait pas vraiment ; puis elle me disait que l’amour rendait aveugle, ce qui me faisait sourire à mon tour. Je l’aimais, et je l’aime encore, plus que tout au monde. Et à mes yeux, elle reflétait la perfection.


Je ne suis pas « du matin », j’étais même plutôt le contraire à vrai dire, mais elle réussit malgré tout à me tirer du lit. Il était cinq heures et le soleil n’était pas encore levé. Avec un baiser, elle me dit de m’habiller. L’esprit embrumé, je m’exécutais, sans trop savoir à quoi m’attendre. Sans un mot, elle m’enjoignit ensuite de la suivre à l’extérieur, où nous gagnâmes la voiture, garée non loin. Elle prit le volant, et démarra.


***


Ce fut le patron qui me mit à la porte. Absorbé par ma tâche, je m’étais totalement coupé du monde extérieur jusqu’à ce qu’il se rappelle à moi.

Je n’avais pas terminé, j’avais encore tant à écrire, une sorte de fièvre s’était emparée de moi. Par chance, mon chemin croisa celui d’un fast food, ouvert 24/24, et j’eus à nouveau un asile pour me permettre de continuer. Je ne sais pas si je me sentais mieux, mais l’écriture de ce journal me donnait un objectif, un but sur lequel me concentrer.


***


La plage était encore déserte à cette heure. Elle arrêta la voiture sur le parking en surplomb, duquel nous avions une vue imprenable sur la côte.

Nous descendîmes sur la plage, main dans la main, en silence. Une fois arrivés sur le sable nous avons retiré nos chaussures. Le sable était doux et froid sous nos pieds. Après avoir marché quelques instants, nous nous sommes assis, face à l’horizon, bercés par le bruit des vagues. J’étais heureux.


Il existe dans la vie des moments parfaits. Ils sont rares, mais lorsqu’ils se produisent, on sait inconsciemment que l’on est en présence de l’un d’entre eux. Ce moment était parfait. Nous étions blottis l’un contre l’autre lorsqu’un halo orange et jaune commença à apparaître. Le spectacle de la naissance du jour débutait, grandiose, et nous avions l’impression d’en être les uniques spectateurs.


***


On me secouait. J’ouvrais les yeux. Un peu désorienté, il me fallut quelques instants pour me souvenir de l’endroit où j’étais. Le fast food. J’avais un bras posé en travers de mon cahier, j’avais dû vouloir reposer mes yeux quelques instants et m’assoupir. Je fis signe au serveur que tout allait bien et il s’éloigna.


Je retraçais mentalement les événements de ces dernières vingt-quatre heures. Tout cela était tellement… irréel. Je veux dire, comment tout cela a-t-il pu m’arriver à moi ? Comment un changement aussi radical peut-il se produire dans une vie ? J’avais beau retourner ces questions dans tous les sens, l’endroit où j’étais ne pouvait pas mentir. Ce n’était pas un mauvais rêve, c’était en train de se dérouler, là, maintenant. Et j’en étais l’acteur principal.


Je me levai, emportai mon cahier, et sortis dans la rue qui commençait doucement à s’animer. Ça n’avait pas marché. La douleur était toujours plus présente que jamais. Le répit que m’avait apporté l’écriture n’a été que de courte durée, la souffrance revenait à l’assaut, plus violente que jamais. J’étais désemparé. Je ne savais plus quoi faire pour aller mieux. J’avais fui dans l’espoir de laisser ma peine derrière moi, mais ça n’avait servi à rien.


Il est de notoriété publique que le temps guérit les chagrins d’amour… Mais il n’a jamais été précisé quelle quantité était nécessaire. Des jours, des mois, des années ?


***


Alors que je marchais dans les rues de Juneau, à des milliers de kilomètres de la femme que j’aimais, je me rappelais avec exactitude de la première fois que la distance s’est interposée entre nous.

Je n’ai jamais autant aimé la technologie que lorsque j’ai découvert l’amour. Les opinions divergent quant aux bienfaits de l’Internet et des nouveaux moyens de communication, mais une histoire d’amour célèbre comme celle de Tristan et Yseult n’aurait peut-être pas eu de fin aussi tragique s’ils avaient existé.


Pour des raisons professionnelles, j’avais dû passer deux semaines au nord de l’Angleterre. Notre relation, encore jeune, n’avait débuté que huit mois auparavant, et c’était la première fois que nous allions être séparés aussi longtemps.

Par chance, un cybercafé jouxtait l’hôtel que ma compagnie avait réservé pour moi. J’y ai passé toutes mes soirées, mettant à profit chaque instant libre pour le consacrer à l’être aimé, remerciant secrètement l’inventeur de la vidéoconférence, qui me paraissait être alors la plus belle invention humaine. Nous discutions des heures durant, baignant dans cette sorte d’intimité particulière à ce type de communication, proches et loin à la fois.


***


Sans trop savoir pourquoi je me remis à marcher, errant au hasard. Mes pas m’amenèrent près d’une gare routière. Comme je l’avais fait à l’aéroport, je montai dans le premier bus, payai mon ticket, et partis m’asseoir dans le fond.


Il démarra dix minutes plus tard. Il y avait très peu de voyageurs, ce qui n’était pas pour me déplaire, je ne cherchais pas vraiment la compagnie, et je n’étais jamais vraiment seul… Elle était toujours là, sa présence était presque tangible. Je revivais des souvenirs, de façon aléatoire… puis mon esprit impitoyable la mettait en scène dans les mêmes situations, mais en compagnie de quelqu’un d’autre. Et je les voyais faire l’amour, je la voyais le regarder avec ce regard que je ne croyais réservé qu’à moi, je la voyais faisant des projets d’avenir avec lui… Et j’en pleurais, je ne pouvais plus contenir la douleur…


***


Quand j’ai franchi la porte de débarquement elle était là, m’attendant. Mon cœur se mit à accélérer. Deux semaines peuvent paraître une durée relativement courte, mais quand on s’aime, c'est une éternité.


Je lâchai mes valises ; elle se jeta dans mes bras et m’embrassa. Ses yeux étaient rouges, et j’avais moi-même quelques difficultés à ne pas céder à l’émotion. Je la serrai à la limite de l’étouffement pendant un instant que je ne voulais pas voir s’achever, puis nous partîmes chez moi rattraper ces deux semaines de frustration.


***


Le premier arrêt eut lieu au bout de deux heures. Je sortis du bus à la suite des autres passagers, plus mal que jamais. Nous étions sur le parking d’une station-service. Autour de nous, la forêt, que surplombaient des glaciers.

Je ne me sentais pas capable d’endurer plus longtemps l’enfer du voyage en bus. Sans vraiment accorder d’importance à ma destination, je m’enfonçai droit dans la forêt.


***


J’ai marché jusqu’à la fin de la journée. Je ne ressentais aucune fatigue. J’avais atteint le haut d’un promontoire rocheux, en bas duquel coulait un ruisseau, à quelque vingt mètres plus bas.


Je pris le temps de terminer mon « journal », que je pris soin de mettre à l’abri dans un renfoncement de roche une fois la tâche accomplie. Puis je m’approchai du bord. Le ciel était dégagé, et le soleil couchant faisait partie de ceux qu’on aimerait partager avec quelqu’un. Une larme me coula le long de la joue. Je fermai les yeux.



***



Ce cahier fut retrouvé trois semaines plus tard par des randonneurs. À la dernière page figuraient ces quelques lignes, précédées de l’intitulé suivant :


« La fin heureuse, celle dont on rêve tous, mais qui n’existe que dans les films hollywoodiens » :


On me secouait. J’ouvrais les yeux. Un peu désorienté, il me fallut quelques instants pour me souvenir de l’endroit où j’étais. Le fast food. J’avais un bras posé en travers de mon cahier, j’avais dû vouloir reposer mes yeux quelques instants et m’assoupir.

C’est alors que je la vis. Elle était là, juste en face de moi, et… et elle pleurait.


- Je me suis trompée… pardonne-moi… s'il te plaît, pardonne-moi…


 
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   Menvussa   
15/12/2008
 a aimé ce texte 
Un peu
Mythe Igé. Oui, je suis un peu mitigé. L'écriture est assez fluide mais j'ai rencontré des utilisations de temps qui m'ont un peu perturbé. Des discordances de temps.
Premier paragraphe j'ai cru qu'il s'agissait d'une histoire vécue, j'aime pas trop quand c'est du vécu trop frais, ça influence trop le lecteur. Puis j'ai vu qu'il n'en était rien et ça me semblait partir sur un ton qui me plaisait bien alors j'ai continué ma lecture. Chemin faisant j'ai trouvé que ça trainait un peu en longueur avec une alternance de paragraphes intéressants et d'autres moins. Et ça se termine par un suicide en différé en Alaska. Ça fait cher le suicide et puis il faut penser à la pollution, nom de nom.

c'est un peu frustrant cette fin, malgré la fausse happy end en filigrane.

Bref, je demeure mitigé.

   melonels   
15/12/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je me suis perdue un peu, au début je ne savais pas si j'avais à faire à un homme ou à une femme. Ensuite je me suis encore perdue entre son voyage en Angleterre et son voyage en Alaska. La fin m'a laissé perplexe, mais j'ai voulu lire ce texte jusqu'au bout parce qu'il est plaisant à lire. La souffrance de l'être quitté est très bien décrite sans être trop dans le pathos.
Belle écriture. Interessant.

   Anonyme   
16/12/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je suis un peu perplexe. L'écriture est très fluide, très aisée, mais elle me paraît prendre trop de recul avec les sentiments décrits, du coup j'ai eu du mal à entrer dans le texte.
Le voyage en Angleterre crée aussi une confusion. je pense qu'il était là pour établir une comparaison entre les moments de cette idylle début et fin mais c'est étrange.
Enfin je n'imagine pas l'Alaska (je n'y suis jamais allée mais j'ai des à priori) avec un Fast Food une supérette et un Café.
Le style sauve malgré tout beaucoup de choses.


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