Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Policier/Noir/Thriller
Maumab : L'Inconnu de l'Herbe Folle ?
 Publié le 14/12/08  -  4 commentaires  -  23462 caractères  -  34 lectures    Autres textes du même auteur

Qui était donc l'inconnu dont on vient de découvrir le cadavre momifié dans le Bois de l'Herbe folle, commune de Charlevaux ? D'où venait-il ? Que faisait-il à Charlevaux ? Qu'est devenu le gros portefeuille gonflé de billets de banque que certains témoins ont vu entre ses mains ? L'enquête suit son cours.


L'Inconnu de l'Herbe Folle ?


Ce jour-là, sur les onze heures du matin, Antonin Deshureaux fut tout étonné de voir le Sébastien Lomond cavaler sur la route comme s’il avait le feu au derrière. Il le héla :


- Oh ! Sébastien ? Qu’est-ce qui t’arrive ?

- Bonjour monsieur Deshureaux ! Ah ! Si vous saviez !

- Si je savais quoi ? En voilà une tête ! Aurais-tu fait quelque mauvaise rencontre dans le Bois de l’Herbe Folle en coupant tes fagots ?

- Justement, vous ne croyez pas si bien dire, j’ai rencontré un mort !

- Un mort ? Est-ce que tu deviendrais fou par hasard ?

- Oh ! Que nenni ! Je ne suis pas fou, monsieur Deshureaux ! Ce client-là, il est mort et bien mort et c’est pas d’hier !

- Assieds-toi ! Respire un bon coup et raconte.

- Deux minutes, monsieur Deshureaux, pas plus de deux minutes et je file. Il faut que je téléphone aux gendarmes. Moi ce cadavre-là, je souhaite m’en débarrasser et le refiler au plus vite à la maréchaussée.

- Tu peux le faire tout de suite, depuis la maison. Viens. Le téléphone est sur mon bureau.


Les deux hommes se rendent dans le bureau d’Antonin. Ils croisent madame Deshureaux qui les regarde d’un air interrogateur.


- Allô ! La gendarmerie ? Ici, c’est Sébastien Lomond de Charlevaux. Voilà. Ce matin, tandis que je façonnais mon bois de mine dans ma coupe du Bois de l’Herbe Folle, j’ai découvert un cadavre.

- …

- Non ! Je n’ai touché à rien. J’étais trop tourneboulé, pensez donc, un mort ! Et un vieux mort, par-dessus le marché ! À première vue, je dirais bien qu’il a passé l’hiver dans la forêt sous la neige. On dirait une momie des pharaons. Oui, je vous attends, je suis au Pâquis, vous savez, à la sortie de Charlevaux sur la route de Maupertuis, quand on arrive de par chez vous. Je suis chez monsieur Deshureaux, je vous conduirai sur les lieux.

- …

- Ce que j’ai constaté ? Le cadavre était un peu masqué par les buissons. Il y a une petite valise à côté de lui. Non, je n’y ai pas touché. Il m’a paru âgé d’une soixantaine d’années mais c’est finalement assez difficile de juger. Il est vêtu d’un chandail très épais mais d’un costume plutôt léger. Il m’a semblé aussi qu’il portait des griffures, peut-être des traces de morsure. Une bête sauvage sans doute, quelque renard ou chat haret. Ou alors les corbeaux. Entendu, je ne bouge pas.


Sébastien raccroche le téléphone. Il n’y a plus qu’à attendre l’arrivée du chef de brigade et de ses hommes.


- Veux-tu trinquer ? C’est bientôt l’heure où les habitués prennent l’apéritif. Que dirais-tu d’un doigt de porto ? Ça te remontera.

- Ma foi, monsieur Deshureaux, c’est pas de refus. Voyez-vous cette affaire-là, ça me tourne les sangs ! Se retrouver comme ça tout à trac devant une momie, on a beau dire, ça vous ébranle un homme !

- Allez ! Remets-toi ! À ta santé Sébastien !

- À la vôtre !

- Et maintenant raconte.

- Oh ! Y a rien à raconter. Vous savez tout. Je sciais mon bois de mine à la tronçonneuse et tout d’un coup mon attention est attirée par un concert de croassements. Les corbeaux, j’aime pas ces bêtes-là, ça porte malheur. Mais c’est qu’ils étaient entêtés. Alors je m’dis comme ça : « Qu’est-ce qui peut bien les attirer dans ce coin-là ? » Et je me décide à y aller voir de plus près. Nom de Zeus ! Voilà que ma vue est attirée par une masse sombre à une quinzaine de mètres de moi, dans les buissons. « Qu’est-ce que c’est que ça, que je m’dis comme ça ? On dirait un corps d’homme. » Et de fait ! Il était là, le malheureux, tout blanc jaunâtre, raide comme mon bois de mine, dans son gros chandail, sa tiote veste et son tiot pantalon. Je l’ai regardé et ça m’a levé le cœur. À côté, y avait une tiote valise et puis, je crois bien, des tubes comme qui dirait des tubes de comprimés d’aspirine. J’ai pris mes jambes à mon cou depuis ma coupe et me v’là. Même que j’ai laissé ma tronçonneuse sur place. Croyez-moi, ça vous en fiche un coup un truc pareil !

- Oh ! Je veux bien te croire. C’est ton premier mort ?

- Ben oui, justement. J’avais jamais voulu en voir. Il est vrai qu’aucun de mes proches n’a encore quitté ce monde. Qu’est-ce, vous croyez qu’ils vont faire les gendarmes. Je ne vais pas avoir d’ennuis au moins ?

- Oh ! Des ennuis, certainement pas. Ils vont recueillir ton témoignage et te feront signer une déposition et tu devras sans doute aller en mairie pour l’acte de décès puisque c’est toi qui as découvert le cadavre. Ce ne sont pas des ennuis, ça, simplement des formalités administratives. Et puis il y aura une descente du parquet mais il m’étonnerait que tu aies autre chose à faire que répéter ce que tu m’as dit concernant les circonstances de ta découverte.

- C’est quoi le parquet ?

- Le parquet, mon gars, c’est l’ensemble des magistrats qui ont pour mission la défense de la société contre les criminels. Dans le cas présent, il y a un mort. Qui est-il ? D’où vient-il ? De quoi est-il mort ? Dans quelles circonstances ? Y a-t-il eu assassinat ? On va rechercher sur le corps des traces de coups, on va autopsier le cadavre pour découvrir d’éventuelles traces de poison. Autrement dit, le parquet va essayer de faire la lumière sur ce mort mystérieux. J’imagine que tu ne le connais pas ?

- Non, bien sûr. Les traits de son visage sont assez bien conservés. Je suis sûr que si quelqu’un du village l’a rencontré, il pourra le reconnaître. Il faudrait distribuer sa photo parmi les habitants.

- Sois tranquille, le nécessaire sera fait durant l’enquête judiciaire.

- Une voiture vient de s’arrêter devant votre porte. C’est sûrement les gendarmes.


En effet deux gendarmes se présentent bientôt. Ils saluent militairement. L’adjudant-chef Girardot qui commande la brigade cantonale interroge :


- Alors Sébastien, raconte-nous ça. Et puis tu nous guideras sur les lieux. J’ai déjà prévenu le parquet de la découverte d’un cadavre sur le territoire de la commune de Charlevaux. Ils feront une descente dans la journée. Nous sommes priés de ne toucher ni au cadavre ni à son environnement. Mais nous pouvons prendre des photos et les diffuser parmi la population.

- Qui va guider le procureur ?

- Monsieur Deshureaux, je n’ai pas eu d’autre choix que de donner vos coordonnées au parquet mais ils iront sans doute chez le maire.


Sébastien recommence le récit de sa macabre découverte…


- Allez, en voiture Sébastien. Tu nous conteras ça en cours de route.


*


Les jours qui suivent les langues vont bon train.


La découverte d’un cadavre sur le territoire de la commune de Charlevaux n’est pas coutume. De mémoire d’habitant, ça ne s’est jamais vu. Dès lors, dans les chaumières comme on dit, à l’unique café du village tenu par le Robert Laboureau et partout où deux personnes se rencontrent on ne parle que du mort.


- Le parquet est venu, vous savez !

- C’est normal et sait-on ce qu’il va se passer maintenant ?

- Il paraît que des photos du mort vont être diffusées parmi la population.

- Les gendarmes étaient encore à la mairie tout à l’heure. Notre pauvre maire est bien embêté avec cette affaire-là et ça ne fait sans doute que commencer.

- Sûr que c’est sur lui que tout va retomber.

- Sur lui et sur monsieur Gaillard, notre instituteur, secrétaire de mairie qui va devoir rédiger l’acte de décès et faire toutes les paperasses.

- Justement je l’ai rencontré hier soir l’instituteur. Il m’a dit que le parquet avait fait sa descente et allait envoyer un médecin légiste pour l’autopsie qui se fera ici, à Charlevaux.

- Je me demande bien pourquoi le corps n’est pas transporté à l’institut médico-légal ! À Charlevaux, où vont-ils faire ça ? s’interroge l’un.


Et l’autre veut en savoir davantage. Qui a dit quoi ? Quand ? Où ? Comment ? Avec qui ?


*


Pendant ce temps, le maire interroge à droite, à gauche.


- Bonjour, monsieur Deshureaux ! Je viens vous parler de l’affaire.

- Asseyez-vous donc. Je vous écoute.

- C’est à vous m’a-t-on dit, que Sébastien a d’abord conté sa mésaventure. N’avez-vous rien remarqué dans son comportement ?

- Comment l’entendez-vous, monsieur le maire ?

- Ne vous méprenez pas, monsieur Deshureaux. Je n’insinue rien. Je cherche à rassembler auprès des uns et des autres des éléments, des témoignages, des impressions. Nous n’aurons jamais la clé de l’énigme si nous omettons le moindre détail.

- Sébastien n’avait qu’une hâte, prévenir les gendarmes comme pour se délivrer du poids de sa découverte. Je suis également certain que n’ayant jamais vu de mort auparavant, il n’a pas été saisi de curiosité et qu’il est resté à distance du cadavre sans toucher à rien. Pour moi, le rôle de Sébastien s’arrête là. Il est en quelque sorte « l’inventeur » du cadavre, au sens où celui qui découvre un trésor en est appelé juridiquement l’inventeur. Avez-vous rencontré le parquet ?

- Oui. Un jeune substitut arrogant et brusque qui s’est adressé à moi comme si j’avais quelque crime sur la conscience. Tenez, je vais sans doute vous apprendre quelque chose.

- Quoi donc, monsieur Henrionnet ?

- Figurez-vous que ce petit substitut soudain me toise et me dit sèchement : « Où est le cercueil ? » Moi je le regarde, parfaitement ahuri, pensez donc. Il m’apprend alors que la commune doit disposer d’un cercueil pour y mettre tout corps non identifié découvert sur son territoire, tout cadavre d’indigent incapable d’assumer les frais de ses obsèques.

- Effectivement vous m’apprenez quelque chose.

- Et ce n’est pas tout. Le voilà qui m’engueule, je dis bien qui m’engueule. À croire que je suis un maire qui ne connaît rien de la loi, un maire indigne de sa fonction. Il m’invite à me mettre en rapport avec les pompes funèbres et à commander le cercueil communal toute affaire cessante, ce que je viens de faire… toute affaire cessante. Et ce n’est pas tout.

- Quoi donc encore ?

- Il prétendait faire pratiquer l’autopsie en mairie. Pourquoi pas sur le tapis de la table du conseil ? Alors là c’est moi qui ai haussé la voix. Que l’on transporte donc le cadavre au lieu habituel des autopsies mais si cette formalité doit s’accomplir à Charlevaux, aucun corps ne pénétrera dans la mairie. Qu’on utilise le vieux baraquement de l’ancienne salle des fêtes ! Ah ! Nous n’avons sans doute pas fini de parler de cette affaire.

- C’est aussi mon humble avis. Vous partez ? Attendez, je vous raccompagne.


*


Quelques jours ont passé. Les photos ont circulé. Au café Laboureau, à l’heure de l’apéritif et même à toute heure, les langues se délient.


- Oh ! Je suis sûr de ce que je dis, déclare le cafetier Laboureau. Je l’ai parfaitement reconnu. C’est le type qui a régalé tous ceux qui étaient au café et qui réclamait toujours une femme inconnue qu’il appelait Denise. C’était le 27 janvier dernier. J’ai vérifié dans mon agenda. Le légionnaire est resté le dernier avec lui, assez tard d’ailleurs. Ils sont sortis ensemble.

- J’avais remarqué que le légionnaire bavardait volontiers avec notre homme.

- Ils se connaissaient donc ?

- Oh ! Je ne pense pas mais le légionnaire ne crache pas sur la boisson de temps en temps et les gens de l’Est s’alcoolisent assez souvent. D’ailleurs vous savez bien qu’on dit « saoul comme un Polonais ». Alors qui se ressemble s’assemble. Et justement notre homme avait un fort accent étranger et parlait très difficilement le français.

- Quel genre d’accent ?

- Ce qui est sûr, c’est que ce n’était pas une langue habituelle pour nous. On peut exclure l’anglais et l’allemand. Et aussi l’arabe.

- Et l’italien, ajoute aussitôt le Gino Angelotti en souriant, ça, j’en suis sûr.

- Rien de tout ça. Moi je pencherais plutôt pour une langue slave, du russe ou du polonais. Il roulait les r et il y avait souvent du chtch dans son parler.


Assis dans son coin habituel, le père Gachassin, un vieil habitué qui vient chaque jour lire le journal en sirotant un petit noir, s’est brusquement levé et s’approche, tout courbé sur le bâton noueux qui lui sert de canne.


- Tu parles d’un Russe ou d’un Polonais qui réclamait toujours Denise ? J’en ai connu une, moi, de Denise. Je te cause là d’avant et de pendant la guerre. Elle demeurait rue de la Soyère, dans la maison qu’habitent aujourd’hui les Lequeux. C’était un sacré numéro, cette Denise. Les hommes venaient la voir. Il y en avait toujours un à attendre à la porte que le précédent s’en aille.

- La rue Saint-Denis à Charlevaux ! s’esclaffe le Marius Détriquet.


Le Marius a appartenu longtemps à la brigade des mœurs de la capitale quand il était Montmartrois. Il connaît donc bien les hauts lieux de la prostitution parisienne.


- En 1942 ou 1943, reprend le vieux Gachassin, trois ou quatre gars de l’Est de l’Europe sont arrivés un beau jour au village. Je crois qu’il s’agissait de prisonniers russes. Vous savez comment faisaient les Allemands. Pour casser les mentalités, ils déportaient les populations. Loin de ses racines, un homme ne vaut plus tripette. L’un de ces hommes-là a tout de suite été attiré par la Denise. Il a même fini par s’installer à demeure et ça a duré quelques mois. Ces gars de l’Est avaient été envoyés là en commando et travaillaient dans la forêt. Quand ils ont eu fini leur boulot les Allemands sont venus les rechercher et les ont emmenés Dieu sait où.

- Ton histoire colle assez bien avec notre mort. On peut imaginer qu’il soit revenu à Charlevaux longtemps après, aiguillonné par le souvenir, pour tenter de retrouver sa Denise. Mais après, père Gachassin ?

- Après ? Je me souviens que dans l’année qui a suivi la Denise a mis au monde une petite fille, une jolie petite fille ma foi ! Je ne vous en dirai pas plus. Vu la tournure des événements j’en ai pas le droit. D’ailleurs c’est sans importance. Dans tout ce que je vous raconte il n’y a que matière à suppositions. La Denise est morte vers la fin des années soixante-dix. Elle n’était pas encore très âgée. Sa fille était déjà mariée depuis quelques années et avait une situation stable.

- Donc cette fille de la Denise qui pourrait être la fille du Russe doit avoir à l’heure actuelle dans les soixante-cinq ans. Voilà qui limite le champ du possible.

- Vous divaguez mes amis, s’exclame soudain Guy Laboureau. Un peu de bon sens, tout de même ! Voilà que vous faites de notre mort le père putatif d’une femme de soixante-cinq ans. Autrement dit notre cadavre serait celui d’un homme de près de quatre-vingt-dix ans. Je le revois bien, moi, ce fameux soir d’octobre dernier où il payait à boire à tout le monde. Il est parti le dernier, avec le légionnaire. Il faisait nuit depuis longtemps. Cet homme-là a tout au plus la soixantaine.

- Mais alors, il pourrait être le fils du copain russe de la Denise. Son père lui aurait raconté ses amours avec la petite Française et lui aurait confié une mission de recherche…

- Rechercher une vieillarde nonagénaire ! Tu parles d’une mission !

- Oh ! Tout ça c’est manière de causer. Quand on ne sait pas les choses, on les imagine, on les invente.

- Il est probable que les gendarmes vont chercher à retrouver tous ceux d’entre nous qui étaient là ce fameux soir et qui ont consommé avec l’inconnu.

- En tout cas moi, je n’irai pas crier sur les toits que j’y étais. Quand les gendarmes et les juges commencent à vous tirer les vers du nez, on ne sait jamais quand ça s’arrêtera.


*


Le secrétaire de mairie se présente chez monsieur Deshureaux :


- Bonjour, monsieur l’inspecteur.

- Bonjour, monsieur l’instituteur. Il faudra bien qu’un jour nous finissions par nous appeler autrement que par le rappel ridicule de nos fonctions respectives, présentes ou passées. N’est-ce pas, monsieur Gaillard ?

- Mais certainement, monsieur Deshureaux.

- Alors ces paperasses ?

- On tient le bon bout. J’ai rédigé l’acte de décès, du moins le projet. C’est pour cela que je viens vous voir. J’ai besoin de conseils car c’est bien la première fois que je dois rédiger l’acte de décès d’un inconnu, mort à une date inconnue.

- C’est évidemment à Sébastien Lomond de faire la déclaration puisque c’est lui qui a découvert le cadavre. Je pense que le texte de l’acte doit mentionner le lieu, la date et l’heure de la découverte du corps sans vie et préciser qu’il s’agit d’une personne de sexe masculin, âgée d’environ X années, dépourvue de toute pièce d’identité et dont le décès de l’avis du médecin légiste remonterait à telle époque. C’est le médecin légiste qui doit vous fournir ses approximations.

- Eh bien ! Je vous remercie. Ce que vous me dites correspond bien à ce que je pensais. En matière d’état civil je me méfie toujours.

- Et vous avez raison car en cas d’erreur, seule une décision de justice peut faire rectifier l’acte. Est-ce que vous avez le permis d’inhumer ?

- Oui, le médecin légiste l’a délivré.

- On sait quelque chose de l’autopsie ?

- Peu de chose à cause du secret professionnel et du secret de l’instruction mais comme précisément l’autopsie a révélé peu de choses, lesdits secrets ne pèsent pas lourd. Il n’y a ni trace de coups ni de blessures. Le contenu des viscères pourrait donner des indications bien que le décès remonte à trois mois.

- Et dans la valise ?

- On a retrouvé du linge de corps à moitié moisi, des lettres à peu près illisibles à cause de l’humidité et qui sont à l’examen mais dont on n’espère pas grand-chose et surtout des tubes de produits pharmaceutiques sans étiquette, vides et éparpillés. Disons qu’il y a présomption de suicide.

- L’inhumation ?

- Alors là, il y a un autre problème. Les frais en incombent à la commune. Je suis donc allé trouver Émile, le fossoyeur. Je vous mime notre dialogue :

- Bonjour, Émile.

- Bonjour, monsieur Gaillard.

- Quand pourrez-vous creuser la tombe ?

- Pas maintenant.

- Mais c’est urgent !

- M’en fous. Mon syndicat fait grève !

- Votre syndicat fait grève ? Vous êtes syndiqué ? Il y a un syndicat des fossoyeurs ? Première nouvelle, et à quelle centrale est-il affilié ? CGT, FO, CFDT ?

- À rien de tout ça. À ma centrale à moi, la centrale Émile Darsonval. J’en suis le président, le secrétaire, le trésorier et le membre unique et je me suis mis en grève. Du moins quand il s’agit de la commune de Charlevaux.

- Et pourquoi Charlevaux ? Il y a bien une raison à votre attitude ?

- Mais bien sûr qu’il y a une raison ! Et vous la connaissez, la raison ! Et le Guy Henrionnet, notre maire, la connaît la raison et tout le conseil municipal la connaît la raison ! J’ai suffisamment rabâché ce que je voulais mais tout le monde s’en fout, personne ne m’écoute, alors démerdez-vous avec votre macchabée !

- Ah ! J’y suis ! C’est votre petite baraque au fond du cimetière qui vous chagrine.

- Monsieur Gaillard, j’aurais une tiote baraque au fond du cimetière pour ranger mes outils, avouez que j’aurais moins de soucis. J’arriverais et tout serait sur place. Plus besoin de charger et de décharger ma camionnette. Dans les autres communes, les conseillers sont moins bouchés à l’émeri qu’ici, à Charlevaux. Partout ailleurs je l’ai ma petite baraque. Il suffit de peu de choses : quatre piliers de sapin, quelques planches, un bout de tôle, une porte et un cadenas et le tour est joué. Qu’on me fournisse les matériaux et je me la construis ma tiote baraque. Mais non, au conseil, rien que des entêtés, des butés comme trente-six mille bourriques. Alors maintenant, pas de baraque, pas de fossoyeur !


Deshureaux est pensif :


- Mais dites-moi, monsieur Gaillard, je ne comprends pas bien. Ce qu’il demande n’est pas insensé et ne ruinerait pas la commune, tout de même.

- C’est une affaire d’esthétique. Le maire et quelques conseillers municipaux forment une majorité hostile à cette baraque qui serait construite de bric et de broc et serait fort laide assurément. Tout est là.

- Alors, pour l’inhumation, comment allez-vous faire ?

- C’est le garde champêtre et appariteur, le maître Jacques communal qui creusera la tombe. Il doit d’ailleurs avoir commencé. Quant à la cérémonie, elle sera brève, vous vous en doutez. Un pauvre chien qu’on ne pourra même pas appeler Médor ou Rintintin, un pauvre chien anonyme qu’on portera en terre ! Ce que nous sommes, tout de même ! On arrive sur cette terre par le plus improbable des hasards et après, le destin tire les ficelles. Du diable si cet homme-là, peut-être venu des steppes, se doutait qu’il finirait sa vie dans le Bois de l’Herbe Folle, commune de Charlevaux, attiré par on ne sait quel motif. Allez, au revoir, monsieur l’inspecteur. À plus tard.

- Au revoir, monsieur Gaillard. Tenez-moi au courant de la tournure des événements. J’hésite à aller jusque chez Laboureau. Et pourtant, c’est dans des situations comme celle-là qu’on redécouvre la fonction sociale du bistrot, un lieu d’information, d’échange d’idées et de convivialité.


*


On a inhumé l’inconnu. Quelques âmes pieuses ont modestement fleuri le tumulus tombal. Nul sans doute ne réclamera le corps. Quelqu’un au monde, quelque proche du défunt, sait-il que l’homme est venu à Charlevaux ? Probablement personne.


Quelques jours encore ont passé. Les gendarmes enquêtent toujours et aussi un inspecteur de police judiciaire qui semble avoir une piste. Toujours est-il qu’on le voit souvent chez « le légionnaire ». Alors que le légionnaire est arrivé un beau jour au village, venant d’on ne sait où, sa femme est une fille naturelle née à Charlevaux. Sa mère l’aurait mise au monde sous l’occupation. Certains prétendent que le père pourrait être un soldat allemand d’occupation ou un prisonnier de guerre étranger.


Quel homme est-il ce légionnaire ? Sans conteste un baroudeur. Il peut avoir dans les soixante ans, porte un collier de barbe et son regard fixe et froid inspire d’emblée l’inquiétude. C’est un ancien parachutiste. Le 19 mai 1978, au Zaïre, il a pris part au saut des parachutistes de la Légion étrangère sur Kolvezi, une opération qui a permis de repousser les rebelles venus de l’Angola. Il suffit d’évoquer l’événement pour que le légionnaire reprenne dans les mêmes termes un récit cent fois ressassé et cent fois mimé selon une immuable gestuelle. Les habitués du café Laboureau en ont fait un jeu. C’est à celui qui réussira à brancher le légionnaire et à le faire sauter à nouveau sur Kolvezi.


Le légionnaire était bien chez Laboureau le fameux soir de janvier. Il avait même trinqué copieusement avec l’inconnu avant de sortir du café en sa compagnie. Bien des jours après, le légionnaire évoquait encore la soirée en s’extasiant. Selon lui l’homme payait toujours avec de gros billets tirés d’une liasse énorme confiée à un épais portefeuille. Or, ni sur l’inconnu ni dans sa valise on n’a retrouvé de portefeuille.


La rumeur prétend que le domicile du légionnaire a fait l’objet d’une perquisition. On ne sait rien de plus et rien n’est prouvé. Des semaines ont passé et puis quelques mois. Un beau matin, un énorme camion de déménagement s’est présenté au domicile du baroudeur et les Forts des Halles ont aussitôt commencé à démonter le mobilier et à charger le camion. En fin d’après-midi le déménagement était achevé. Au volant de sa voiture, le légionnaire flanqué de sa femme a suivi le camion, en route vers une destination inconnue…


*


- Bonjour, monsieur Deshureaux !

- Bonjour, monsieur Henrionnet. Alors l’affaire est close.

- Oui. Et le mystère reste entier. Qui était-il ? D’où venait-il ? Que voulait-il ? Le secret est dans la tombe.


Alors, soudain malicieux, Antonin demande :


- Mais, dites-moi, monsieur le maire, où est le nouveau cercueil ?



 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   xuanvincent   
14/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Je ne suis pas familière des ouvrages policiers et ai lu assez rapidement cette histoire. Curieusement, c'est peut-être voulu par l'auteur, elle m'a plutôt amusée. J'ai pensé un instant à "Qui a tué Harry" d'Alfred Hitckock, où un événement dramatique est traité de manière drôle.

   Anonyme   
14/12/2008
Dans le contexte, le langage particulièrement châtié des protagonistes est tout à fait irréel.
A l'exception de Monsieur Deshureaux, je ne vois vraiment pas lequel de ces sympathiques personnage peut s'exprimer ainsi de nos jours dans la vie courante.

   Menvussa   
10/2/2009
 a aimé ce texte 
Pas
Je suis déçu. J'ai lu avec plaisir, style élégant détaillé mais sans trop de longueurs et sans lourdeur. Mais arrivé à la fin, mis à part le fait que le légionnaire a déménagé, ce qui peut laisser à penser qu'il n'est pas tout à fait blanc dans cette histoire, bien qu'il n'ait pas été réellement inquiété par la justice, ou qu'il n'a pas supporté la suspicion de son entourage, ce que l'on a pas clairement ressenti dans le récit, il ne se passe rien. En fait c'est une non-histoire.
Le lecteur interroge : Et alors ? Alors... rien.
La parenthèse concernant le fossoyeur fait sourire, on en attend quelque chose, une piste pour l'enquête. Il n'en est rien. Alors, après coup, on se demande ce que cela vient faire ici... brouiller les pistes... même pas, elles n'existent pas... ou si peu.
Bref pas de quoi écrire dix lignes dans un canard... mais ici ça nous fait une nouvelle.
Bon, ben dur, dur... J'ai l'impression de m'être fait un peu avoir sur ce coup. Dommage, c'était bien écrit.

   Nongag   
30/1/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
C'est bien écrit mais j'ai de la difficulté avec le niveau de langage de ces villageois: ça me semble invraisemblable. Et c'est très bavard... Ça cause, ça cause. Si l 'aspect typé de ces dialogues avait été réussi le plaisir aurait suivi.

En plus on a une histoire qui se perd en détails et qui ne va nulle part… ce qui n’aide en rien au bonheur de la lecture.

Désolé.


Oniris Copyright © 2007-2023