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Sentimental/Romanesque
Donaldo75 : Dans mon champ d'osselets
 Publié le 22/02/23  -  8 commentaires  -  6483 caractères  -  51 lectures    Autres textes du même auteur

And so castles made of sand
Slips into the sea, eventually

(Jimi Hendrix)


Dans mon champ d'osselets


Les derniers rayons de soleil s’éteignent dans le ciel surchauffé ; l’astre de la nuit commence lentement à montrer sa surface momifiée. J’entends déjà la musique des serpents à sonnette et le bruit du vent dans les cactus. Le désert ne m’a jamais semblé aussi serein. Je sors de la miteuse voiture de location sortie d’un vieux film des années soixante-dix. Elle va bien dans le décor, au milieu de nulle part au Nevada, un abîme à GPS où même les cartes routières perdent tous les ans des touristes. Je sens l’endroit parfait pour construire mon champ d’osselets.


La poussière a commencé son invasion, dans mes poches, au tréfonds de mes jambes de pantalon, sur ma chemise, partout, comme si elle savait. Je me souviens alors de ce vieux Mexicain à la station-service, en train de quémander un pauvre billet de cinq dollars à un couple d’étudiants venus découvrir l’Amérique des canyons et des grandes étendues désertiques, celle chantée jadis par des troubadours aux cheveux longs et aux chemises fleuries. Je revois leurs sourires gênés devant les oripeaux d’un petit homme basané aux faux airs de vieux sorcier en train de raconter comment il avait traversé le Rio Grande au temps où le miracle américain représentait encore beaucoup dans l’esprit de millions d’âmes perdues en quête d’un avenir meilleur. Ce passé me paraît lointain et je suppose qu’ils ne l’ont jamais connu. Pour eux, pour moi, le pays est devenu un endroit brutal où des excités envahissent le Capitole au nom d’un mythe indécent dont les héros ont décimé tout un peuple emplumé pour en brûler les totems et en saccager les terres sacrées. Je les imagine essayer de revenir aux sources, quand un crotale se disputait quelques insectes avec un lézard anémique, quand la nature américaine se résumait aux fondamentaux, manger, se reproduire et terminer dans l’estomac d’un plus gros que soi. Je ne peux pas leur jeter la pierre ; moi aussi j’ai voulu croire à toutes ces conneries débitées en tranches sur une chaîne du câble entre deux publicités pour des sodas bourrés de sucres et des voitures aux allures de char d’assaut.


Je ne sais plus depuis combien de temps je marche. Le soleil est parti sous d’autres horizons, peut-être même en Europe où des riches donnent de la mitraille à des moins bien lotis pour qu’ils se défendent contre le grand méchant loup de service, notre nouvel ancien ennemi à nous les beaux et preux Américains aux dents blanches et à la carte de crédit pleine de zéros. La lune occupe désormais tout le ciel, avec sa face scarifiée et ses allures de mort-vivant. Je souris en pensant à mon coturne Ken qui prétendait que des zombies habitaient sur la face cachée et attendaient la prochaine mission chinoise pour s’offrir un festin mémorable. Avec son physique de surfeur et les chèques à quatre chiffres de ses parents, il avait fini par planter ses études pour aller chevaucher la licorne bleue dans un hôpital psychiatrique cinq étoiles. Je regrette mon pote Ken. On se marrait bien tous les deux.


J’ai soif. Je sors une gourde de mon sac à dos. L’eau a un goût métallique. L’idée d’en relever la saveur avec une petite gélule me tente un instant mais je dois rester fort, garder le dessert pour la fin et surtout trouver le lieu idéal pour mon ultime expérience. Je regarde le paysage. Malgré la nuit, les cailloux et les cactus scintillent furtivement. Je me demande si ce n’est pas un effet de bord à retardement de ma pharmacopée mais finalement je m’en balance car j’aime beaucoup ce que je vois. Au moins, ici je sais que Dieu a mangé Dieu depuis longtemps, que le chien ne deviendra jamais un loup parce que c’est trop déprimant d’être adulte. Même les vieux sorciers mexicains paraissent riches dans ce théâtre de poussière.


Enfin, je suis arrivé. En tout cas, c’est ce que mon instinct me dicte. Je pose mon sac entre deux rochers informes que je décide d’adouber compagnons de cérémonie. Je les prénomme Joe et Nancy, je trouve que ça fait antique à la mode bannière étoilée. Je sors mon matériel : des osselets, de l’eau, de la pharmacie récréative et une couverture à carreaux. Je répartis mes petits morceaux d’os selon une figure géométrique bien précise comme indiqué dans le Livre des Anciens. Elle doit permettre de faciliter le champ spirituel dont j’ai besoin pour atteindre le seuil. C’est ce que Ken n’avait pas compris quand il avait essayé ; pour cette raison, tout était parti en sucette, son esprit, sa raison et le pourquoi du comment d’un tel cérémonial. Je ne vais pas commettre la même erreur.


Tout est prêt. Je bois une gorgée d’eau. Elle a toujours le même goût de métal froid. Il est temps d’en relever l’essence. Je démarre avec un Mandrax rouge. Ken les avalait comme des M&M’s et je n’ai jamais compris comment il faisait pour ne pas disjoncter en cours de route. Je suis maintenant assis en tailleur sur le sol poussiéreux. J’essaie d’imaginer les troubadours à cheveux longs, avec leurs chemises à fleurs et leurs chansons d’amour où tout le monde se tient la main dans un grand ciel bleu. L’image tarde cependant à venir. Je force le destin avec un Quaalude bleu. J’attends. Je reprends un peu d’eau. Ma gorge commence à chauffer. Je dois me laisser aller, c’est normal au début. Au moins, je n’ai plus cette sensation métallique sur la langue.


Je commence à percevoir des formes humaines ; je vois comme des chevelures bouclées mais je ne discerne pas les traits sur les visages. Les chemises n’ont ni fleurs, ni col, elles sont juste grises comme celles des condamnés dans les goulags russes ou les camps de concentration allemands. J’entends désormais un semblant de musique, un mélange entre chanson gothique et requiem classique. Je reprends un Mandrax. Soudain, une voix me parle. On dirait celle de Ken. Il me balance des phrases incompréhensibles au sujet de la lune, de momies scarifiées, de licorne et d’autres trucs que je ne saisis pas bien. Pourtant, j’aime ce qu’il me raconte. Je trouve du sens à ces hiéroglyphes verbaux. Je me lève. Ken me demande de danser avec les formes aux longs cheveux bouclés. Je me lance et prends la main de la plus proche. Je la sens décharnée et enfin je comprends ce qu’est le champ d’osselets. La mélodie m’enjoint d’enchaîner, de fusionner avec les autres danseurs, de devenir eux. Je n’ai plus besoin de Mandrax ou de Quaalude. Je comprends enfin ce que me dit Ken et pourquoi maintenant. Je vais rejoindre la lune, le crotale, l’insecte et le lézard dans le tempo final.


 
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   Asrya   
1/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Ayant reconnu l'auteur, j'hésite à commenter, l'anonymat n'étant plus de mise mais bon... je vais faire comme si je n'avais rien vu (extrait de chanson en incipit + timing des parutions).

"Je revois leurs sourires gênés devant les oripeaux d’un petit homme basané au....quête d’un avenir meilleur" --> une petite ponctuation ne serait pas de trop

"moi aussi j’ai voulu croire .... char d’assaut" --> un peu longuet également, je ne lis pas pour faire de l'apnée

"le chien ne deviendra jamais un loup parce que c’est trop déprimant d’être adulte." --> les chiens se transforment en loup à l'âge adulte ???! Diantre, image poétique glaçante.

Pourquoi votre histoire se déroule-t-elle au Nevada ? Pourquoi ne pas avoir choisi un lieu plus à propos (en lien avec Hendrix, festival de Woodstock) ; l'image aurait été plus appropriée à mon avis.
Le fait de danser avec ces squelettes passés, réanimés par cette pharmacopée toxicorécréative.

Le titre est bien choisi, il a, en plus d'être plein d'une charmante poésie, un sens non anodin pour la suite de la nouvelle. Je lui trouve beaucoup de charisme.

J'ai trouvé l'écriture plutôt remarquable, hormis la chute qui pour moi n'en est pas une, la manière de raconter est très prenante, on arrive aisément à rentrer dans l'ambiance que vous peignez, le vocabulaire utilisé est ciselé, c'est vraiment prenant.
On sent venir la "chute" assez tôt, sans réelle surprise, sans réelle force, vigueur, morale ou autre ; bon... c'est un parti pris.

Je n'ai pas accroché plus que cela à ce texte, bien que je reconnaisse sa qualité littéraire. Il manque un "je ne sais quoi" de plus dynamique sur la fin, de plus remuant, de plus surprenant ; quelque chose de neuf qui laisse une trace, un éclair, un quelque chose qui jaillisse, qui resplendisse, qui suspende le temps : dans un tempo final.

Une autre fois sûrement,
Merci pour le partage,
Au plaisir,

(Lu/commenté en espace lecture)

   plumette   
22/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Salut Don,
Au début de ma lecture , j'ai trouvé que la lune apparaissait très vite après le coucher du soleil et que la sérénité du désert n'était pas une évidence avec les bruits évoqués! le coup du "champ d'osselets " apporte soudain ce qu'il faut de mystère tout en sollicitant l'imaginaire de la lectrice que je suis. Et j'ai bien aimé que la poussière sache quelque chose!
ce qui a freiné le récit pour moi, ce sont les digressions plus politiques. Je me suis d'ailleurs demandé quel était, en gros, l'âge du narrateur, jeune sans doute, mais sa conscience politique et son ironie m'ont semblés le vieillir un peu et bien sûr, il m'a semblé sentir un peu trop l'auteur là derrière.
l'évocation du trip est assez prenante, le narrateur appelle de tous ses voeux des images légères et colorées, et il se retrouve avec du lourd! ( camp de concentration, goulag, requiem)
Et enfin, je me suis demandé pourquoi le narrateur avait besoin du désert pour faire son trip.

un texte dense pour une danse plutôt macabre.

   papipoete   
23/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
bonjour Donaldo
Nous voici en route sur le chemin des sioux et des chercheurs d'or... puis sur celui des chemises à fleurs et cheveux longs, que la quête du plus " précieux " attira dans les parages d'un concert, où ça planait au son des rifs, et aux envols de trips. On entend Hendrix, Janis Joplin dicter au héros, comment préparer son " champ d'osselets " et partir sur son petit nuage...
NB un terrain favori pour l'auteur, qui s'en va souvent dans ces contrées où roulent encore de vieilles Plymouth, sans GPS, dans ces étendues que le crotale a récupérées, depuis que bisons et indiens ont rejoint leurs ancêtres, au-delà des tipis.
J'ai dû lire jusqu'au bout pour comprendre, ce qu'étaient ces osselets " mandrax ", qui permettent de trouver le nirvana au milieu du Nevada !

   Edgard   
23/2/2023
Bonjour Donaldo,
Un voyage pas très réjouissant, un héro vraiment blasé à mort, "lassé de tout même de l'espérance" et qui juge un peu à l'emporte- pièce un monde qui est pourtant le nôtre et que nous avons contribué à pourrir. Ni le héros ni l'histoire ne m'ont vraiment séduit. Le récit nous emmène lentement vers le tempo final, on le suit. On y arrive, on est resté pareil, un peu sur sa faim.
Tant pis.
Bien cordialement

   Tadiou   
23/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Salut Donaldo. Je sens un narrateur désabusé, rempli d'amertume radicalo-gaucho-anticapitaliste, qui ne manque pas de lucidité.

Pourquoi est-il ainsi? Je reste largement sur ma faim.

À coup de drogues il aspire à rejoindre son pote perdu Ken.

Un texte dur, tranchant et sans espoir.

L'écriture me fait penser à des coups de couteau ; convaincante à part quelques expressions ou images ( l'astre de la nuit, surface momifiée...) plutôt classiques.

Très bonne idée d'introduire dès le début le champ d'osselets, dès le titre et dans le 1er paragraphe. Évidemment le (la) lecteur(trice) est intrigué(e).,

Texte étrange, comme un cri venu d'ailleurs, un cri qui ne manque pas de force. Et qui me fait froid dans le dos.

   Disciplus   
24/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Donaldo75,

Vous savez écrire, fort bien. Mais, au vu de l'introduction, j'attendais plus de ce "road movie". Le héros (Nord-amérindien ?) est-il embarqué dans un voyage initiatique avec comme chute des délires pharmaco-médicamenteux ou doit-il reprendre un culte et des rituels thaumaturgiques malmenés par son ami Ken?
Les allusions à la politique intérieure américaine n'ont que peu d'utilité dans cette quête. L'intrigue manque un peu de mystère et nous laisse sur notre faim.
Sentimental? Romanesque? Pas vu les châteaux de sable, pas vu la mer.

   Malitorne   
25/2/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
J’aime bien l’idée de ce trip psychédélique en plein désert mais ça reste quand même bien superficiel. J’ai souvent l’impression que tu écris trop vite, que tu survoles les choses sans réellement t’appesantir sur les situations. Par exemple, plutôt qu’un simple délire au milieu des crotales, j’aurais mieux vu que le mec décide d’en finir avec cette chienne de vie, se défonce la tête à en crever. Quelque chose de fort, une apothéose qui clôturerait une vie de souffrance plutôt que ces considérations politiques oiseuses dont le lecteur se fout à part toi. Tu es trop présent derrière tes personnages, n’arrives pas à t’effacer. Ce n’est pas eux qu’on entend mais toi, et l’art d’un écrivain c’est arriver à endosser multiples rôles, pas un seul indéfiniment reproduit.

   Pouet   
1/3/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Slt,

j'ai bien aimé le "ton" de cette nouvelle, je pourrais en citer d'autres, mais ces deux passages me plaisent particulièrement :

"Avec son physique de surfeur et les chèques à quatre chiffres de ses parents, il avait fini par planter ses études pour aller chevaucher la licorne bleue dans un hôpital psychiatrique cinq étoiles. Je regrette mon pote Ken. On se marrait bien tous les deux."
..........
"Au moins, ici je sais que Dieu a mangé Dieu depuis longtemps, que le chien ne deviendra jamais un loup parce que c’est trop déprimant d’être adulte."

Dans l'ensemble, j'ai apprécié ce mélange de "chamanisme" et de méthaqualone, de "modernité" et d'immémorial, de trade - ition.

Je trouve le propos "juste" dans une certaine forme de contre quête, sans forcément verser dans le moralisme, ce qui n'est pas gagné d'avance.

Les osselets (et tout le reste, la vie en premier lieu) ne sont qu'un "jeu". A game.

Enfin bref, je ne vais pas décortiquer le texte et vriller les neurones de mes hémisphères, ni me lancer à la poursuite pour mon camping-car dernier cri décoré de flowers multicolores, d'un meuble en kit à assembler en hurlant au clair de lune, hein.


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