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Sentimental/Romanesque
dvb : JOS3PHIN8
 Publié le 05/07/11  -  5 commentaires  -  31602 caractères  -  71 lectures    Autres textes du même auteur

Sur le thème imposé "38" : Joséphine, la trentaine bien avancée, s'ennuie dans cette salle communale, perdue entre ses frustrations, ses rêves, sa mère et ses jetons de loto.

Il ne s'est jamais rien passé de passionnant dans sa vie, jusqu'au moment où le numéro 38 est tiré au sort...


JOS3PHIN8


Joséphine le regard dans le vide attendait patiemment que les choses se passent. Elle n’osait regarder une fois de plus sa montre par crainte de rendre son ennui trop voyant aux yeux de sa mère. Et aussi de peur qu’il ne se soit passé moins de cinq minutes depuis sa dernière consultation horaire.


Joséphine luttant contre le sommeil jouait de ses longs doigts, faisant tinter les bracelets autour de son poignet, poussant du bout des ongles les jetons de bois.


Un frisson lui saisit les côtes, la redressant sur sa chaise communale. Une mèche de cheveux fatigués lui barra le visage ; en un effort tout relatif elle parvint à lever sa main pour les remettre en place. Elle profita de ce regain d’activité inespéré pour à nouveau scruter d’un regard circulaire l’absurdité d’une salle municipale un samedi soir de loto. Des petits vieux, des jeunes désœuvrés, des ménagères mentalement absentes et une table d’animateurs sérieusement affairés à vendre du rêve à deux euros cinquante le carton. Et sa mère qui parvenait à ressentir les petits frissons du jeu avec autant d’émotion qu’un compétiteur de haut niveau. Elle avait pu voir tout au long de cette soirée interminable les éclats brillants de l’avidité dans les yeux des joueurs, les sourires satisfaits des gagnants, les fronts plissés et calculateurs de ceux qui étaient à un numéro du lot, mais aussi les regards dédaigneux des perdants, les grimaces authentiquement hypocrites des gens qui « se connaissent de vue » et qui persiflaient à la table d’à côté, qui critiquaient la tenue de telle ou telle congénère et se satisfaisaient des ragots du canton. Joséphine avait également entendu les maris épuisés ronfler au fond de la salle, et les rires gras provenant de la buvette, seul espace encore habité par un semblant de chaleur humaine.


C’était donc ça la vie ? Trimer toute la semaine à l’usine, nourrir deux gosses et un mari au charme oublié, supporter le loto du samedi soir avec une mère possédée par le démon du jeu le plus stupide du monde ?

Joséphine, démissionnaire de la vie trépidante, en était à espérer que la tension de la vieille d’en face - une copine de maman, chic comme pouvait l’être une rombière de 59 ans - fut telle qu’une crise de nerfs la pousserait bientôt à bout, la faisant basculer définitivement dans l’incongruité d’une explosion de rage. Elle voulait une étincelle pour pouvoir donner libre cours à l’incendie qui couvait en elle. Elle voulait voir les jetons voler, les cartons numérotés lancés à la figure des adversaires de l’autre côté du tréteau. Elle aurait voulu que quelque chose intervienne, qu’elle puisse enfin renverser toutes ces petites choses insignifiantes qui maintenaient assis les zombies autour d’elle. Joséphine voulait tromper son mari, quitter son boulot, partir loin, avoir la vie qu’elle méritait. Joséphine avait subi depuis trop longtemps les assauts de la télévision et des rêves de gloire accessibles à tous mais réservés aux autres. Elle aurait voulu être capable de bousculer sa mère avant de partir dans un esclandre mémorable vers une ville au bord de la mer. Rouler toute la nuit, la musique traversant l’autoroute à grande vitesse, et voir le soleil se lever sur une plage. Seulement elle ne pouvait pas : elle était venue avec la voiture de maman et c’est elle qui la ramènerait à la cellule matrimoniale ce soir.


- Tu rêves encore ma fille ? Et tu n’as même pas mis tes jetons !

- Hein ?

- Tes jetons ? Tu es à un numéro du gros lot ! Tu te rends compte ?

- Ah… c’est bientôt fini alors ?

- Tu vas peut-être gagner !

- Comme nous tous depuis le début de la soirée, Maman.

- Quoi ? T’es pas contente ?

- Mais si Maman. C’est juste que je fatigue un peu là. C’est long, j’ai pas l’habitude.


Joséphine s’efforça de sourire à sa mère et lui posa chaleureusement - du moins l’espérait-elle - une main sur l’avant-bras. Elle s’étira en repoussant ses mains derrière son dos courbaturé puis fit craquer les galets dans son cou. Elle s’apprêtait à se lever pour, pour faire quelque chose, n’importe quoi, aller aux toilettes, fumer une clope dehors, prendre un café ou se faire draguer à la buvette, peu importait, mais sa mère la retint fermement collée contre la chaise trop scolaire pour être confortable.


- C’est presque fini Josy !


Ça faisait bien deux heures que c’était presque fini !


Piteusement elle bâilla de toute sa gorge, cachant ses dents derrière un cône de doigts. Ses yeux se posèrent bien malgré elle sur le carton vert et usé par trop de parties de sa grille de loto. Sa mère venait de mettre en place, d’un geste assuré et habitué, les jetons manquants. Une seule case demeurait vide.


38


Quel vilain nombre. 38 ça lui paraissait tellement insignifiant. Elle essaya de se souvenir de quelque chose de beau et de classe qui portait ce chiffre, mais rien ne lui vint à l’esprit. 38 était vraiment un numéro stupide. Ce n’était sûrement pas avec celui-là qu’elle allait gagner le gros lot débile de la soirée.


- Prochaine bille et peut-être dernière de la soirée…


La voix atone du président du comité des fêtes annonçait un suspens insoutenable.


- Et je vous rappelle que nous jouons pour un superbe week-end sur la Côte d’Azur pour deux personnes, avec billets de train en première classe et hôtel quatre étoiles, mais aussi des bons pour les restaurants de la Côte, deux entrées au Marineland d’Antibes ainsi qu’une cagnotte de 250 euros pour le casino de Villefranche-sur-Mer. Le tout pour une valeur totale de 2 200 euros.


Villefranche-sur-Mer ? Jamais entendu parler. Par contre ça sonnait bien à l’oreille de Joséphine. Casino. Hôtel de luxe. Joli voyage. Et puis la mer et le soleil. Les salauds ! Ils arrivaient réellement à vendre du rêve au fond de leur gymnase municipal à la con ! Pas étonnant que des totors en tout genre s’accrochaient à leurs petits cartons semaine après semaine.


- 38 !


Pourtant elle serait bien allée elle aussi sur la Côte d’Azur. Elle pourrait bien le proposer à Alain son mari, mais elle connaissait déjà la réponse…


- Alors. Est-ce qu’on a un gagnant pour le 38 ?


… Ils devaient « acheter » - enfin ! après toutes ces années d’économie - pour devenir propriétaires d’un appartement à Grenoble et le louer. Le rêve de toute une vie d’ouvriers moyens, la réussite sociale par l’investissement dans la pierre. Et surtout un complément de revenus non négligeable.


- 38 ! 38 ! 38 ! Tu l’as ! Josy ! Tu l’as !


Sa mère hurlait dans ses oreilles. Pourquoi au juste.


- J’ai gagné ? Maman ? J’ai gagné Villefranche dans le Sud ?

- Mais oui Josy ! Lève-toi ! Vite ! ICI ! ICI ! LE 38 !


Des gens autour d’elle, une femme entre deux âges - comme elle-même -, une étiquette sur la poitrine, se penchait au-dessus d’une paire de lunettes de style cul de bouteille, pour vérifier la grille. Elle leva le bras en direction de l’estrade des organisateurs pour confirmer le gain.


On souleva Joséphine de sa chaise, on la poussa entre les chaises, on l’approcha de l’estrade, on la toisa et on la maudit, on lui sourit et on l’envia. Et puis le gros président à la moustache grise et au teint écarlate lui serra très fort la main et lui tendit un sachet de plastique à l’effigie du grossiste en spiritueux, sponsor du loto de ce soir.


- Bravo madame. À vous le séjour aux Alpes-Maritimes, félicitations.


Et puis ce fut fini. Les gens se levèrent, enfilèrent leur veste et fuirent vers la nuit. Les néons s’éteignirent les uns après les autres.


* * *


Joséphine sur le parking tirait sur sa cigarette blonde, souriant involontairement mais franchement. Sa mère, très excitée, fumait à côté et parlait très vite à ses amies agglutinées les unes contre les autres dans la nuit estivale.


Joséphine profitait de ce petit moment de vengeance absurde. Elle écrasa son mégot sous sa chaussure pointue. Elle voulait rester ici encore un peu, à flotter dans ce moment rien qu’à elle. Elle ralluma une autre cigarette et profita intérieurement de chaque bribe de phrase qu’elle percevait.


« La chance des débutants… la fille de madame Machin… elle ne vient pas souvent en plus ! Y a pas de justice !… Elle a rien suivi de toute la soirée, elle ne s’est même pas intéressée. Elle ne méritait vraiment pas de gagner… Moi j’irais bien avec une cougar dans son genre dans un hôtel de luxe : je suis sûr qu’au lit… Je mettrai mon lot en vente demain sur eBay ; j’ai déjà un blender, mieux que celui-là en plus… »


Un peu plus tard dans la voiture, Joséphine n’entendait plus le monologue passionné de sa mère. Elle tenait fort contre elle son sac de plastique jaune vif. Son regard cherchait l’horizon sans le distinguer, l’heure avancée de la nuit empêchait de voir autre chose que le ruban d’usines et de magasins industriels au bord de la quatre-voies. Joséphine se projetait dans l’avenir de quelques semaines : il faudrait convaincre son mari et son patron de lui autoriser un peu de vacances improvisées, un jour ou deux feraient l’affaire, ils n’étaient pas si loin de la Méditerranée finalement. Elle se ferait bien plaisir en achetant une robe pour l’occasion ; une belle robe de soirée pour sortir et se fondre dans le paysage luxueux des nuits costazuriennes. Mais ça, elle ne le dirait pas à Alain, elle lui en ferait la surprise le moment venu. Ça les changerait des week-ends monotones et sans surprise, passés entre les courses au Géant Casino, les allers-retours aux entraînements de foot de son grand et les soirées insipides chacun devant son écran, lui devant ses jeux, elle devant ses Real TV. Ils pourraient enfin faire l’amour avec un peu plus de fantaisie et de fougue, et surtout sans veiller à faire trop de bruit dans une chambre au pouvoir érogène quasiment nul. Elle imaginait une chambre d’hôtel avec un immense lit, des montants en bois sculptés, une baie vitrée ouvrant sur la mer. Et surtout deux nuits entières sans enfants et sans contraintes !


Ce fut lorsque sa mère se tut que Joséphine se rappela où elle était. Le bruit de fond ayant cessé, elle sortit de ses fantasmes et se rendit compte qu’elles entraient en ville. Sa mère la déposa devant son pavillon standardisé, coincé entre deux autres maisons identiques dans un quartier résidentiel où les noms de rues rendaient tous hommage à des musiciens morts depuis des siècles. Si elle avait eu le choix, elle aurait préféré le quartier avec les noms d’oiseaux marins.


En traversant le jardin minuscule, elle perçut la lumière bleutée d’un écran illuminant le micro-salon. Elle espérait juste ne pas trouver les gamins encore debout à cette heure-ci. Elle se débarrassa de son manteau dans l’entrée et rangea son sac à main à son endroit attitré depuis des années, c'est-à-dire entre un buffet montagnard hérité d’une grand-mère quelconque et le porte-manteau sur pied. Elle se déchaussa et pénétra dans le salon. Ludovic son garçon de huit ans dormait profondément sur le canapé face à la télé qui diffusait un téléfilm de « charme » tardif, tandis que son mari lui tournait le dos, cliquant avec une grande vélocité sur son ordinateur. Joséphine se s’offusqua même pas, c’était comme ça pratiquement tous les week-ends où elle pouvait sortir. Elle éteignit la télévision et se posa à côté de son fils, lui caressant les cheveux par automatisme maternel. Alain s’étira dans l’ombre et mit son jeu en pause pour la rejoindre un instant.


- Alors le loto ? C’était bien ?

- À mourir d’ennui ! Comme à chaque fois.

- Mmm…

- Sauf à la fin : j’ai gagné le gros lot.

- Ah oui ? Cool. On va pouvoir le revendre, ça fera un peu de sous pour l’appart’. C’est quoi ? Un scooter ? Un frigo ?

- Non ! C’est mieux que ça ! Celui-là on va le garder pour nous deux !

- Ah bon ? C’est quoi ?

- Un week-end de luxe sur la Côte d’Azur. Rien que nous deux au soleil.

- Ah… chez les rupins ?

- C’est fou ce que ça t’inspire ! Regarde le dépliant de l’hôtel : ça a l’air vraiment chic et…

- C’est pas vraiment mon trip ce genre de trucs tu sais.

- T’exagères t’as même pas vu le reste du…

- On verra ça plus tard, hein chérie.


Alain se leva et repartit immédiatement vers « son trip » informatique.


Joséphine n’en croyait pas ses oreilles. Elle s’était mise à idéaliser son couple ravi de vivre quelque chose d’exceptionnel, et lui, il venait de balayer en deux phrases ce rêve éveillé. Envolé le week-end en amoureux dans le palace… Quel vieux con !


Trop fatiguée pour se formaliser d’avantage, Joséphine prit Ludovic dans ses bras et le souleva péniblement pour aller le coucher. Puis elle rejoignit sa chambre, se déshabilla et enfila son t-shirt informe avant de rejoindre la salle de bain de l’étage. Face à elle-même, se brossant les dents sans conviction, elle se dévisagea. Ses longs cheveux mal coiffés tombaient sur ses larges épaules trop musclées par le travail à la chaîne. Ses pattes d’oie devenaient de plus en plus visibles, mais elle se trouvait encore relativement épargnée par la fin de trentaine. Elle se rinça la bouche et se redressa devant son reflet. Elle bomba le torse, souleva son t-shirt et considéra son ventre, flasque certes, mais loin d’être proéminent. Ses jambes avaient gardé une ligne relativement correcte et elle était encore satisfaite de ses fesses. Elle se disait qu’avec un peu d’entretien physique et de soins esthétiques, elle ressemblerait un peu à la jeune fille qu’elle avait été. Pour donner écho à ses pensées, elle choisit une crème de nuit qu’elle n’utilisait que trop rarement et se massa le visage délicatement. Quoi qu’en pense son mari et sa famille, elle méritait mieux que cette vie morne et insignifiante.


Elle alla se coucher dans son lit étriqué et froid. Elle prit un dernier moment ce soir-là pour passer en revue le contenu de son lot. Étalés sur la couette, les dépliants et descriptifs de son séjour la réconfortèrent un à un. Qu’importaient les idées trop bien arrêtées d’Alain, c’était son cadeau et elle était bien décidée à en profiter, quitte à y aller seule.


38


Quel drôle de chiffre. Elle n’aurait jamais misé sur lui. Et pourtant il lui apporterait un peu de bonheur. Dans un demi-sommeil, elle pensa à toutes les choses merveilleuses que représentait ce nombre. Dans exactement trois semaines elle aurait trente-huit ans, et ce voyage ferait une excellente occasion de fêter son anniversaire. Ça tombait un samedi en plus. En plein pendant le week-end. Elle regarda dans l’agenda de sa table de chevet - celui où elle notait ses périodes de règles et les rares rendez-vous et activités exceptionnelles de sa vie - à moitié engourdie. Mi-septembre, pendant la semaine trente-huit. Quel heureux hasard.


38


C’était un bon chiffre.


* * *


- Chéri ? Tu viens ?

- Attends, je finis…

- Tu fais quoi ?

- Je joue aux cartes.

- Montre voir. Faut faire quoi ?

- C’est le blackjack, faut réussir à faire vingt et un avec les cartes. Les figures valent dix et les as valent onze.

- Je peux essayer ?

- Ouais vas-y. Ah… tu as fait treize là. Un roi et un trois. Te faudrait une autre carte pour faire plus.

- J’en prends une autre ?

- Si tu penses que tu peux faire mieux, oui.

- Et là ?

- Et là ça fait vingt et un ! Tu as gagné !

- Trois et huit… trente-huit, bizarre…

- Non vingt et un !

- Laisse tomber. Tu viens manger ?

- Ouais !

- Tu crois qu’on pourrait gagner à ce jeu au casino ?

- Je pense pas. Personne ne gagne jamais au casino. C’est fait pour que ça soit toujours la banque qui empoche l’argent.

- J’aimerais bien essayer quand même. Ça doit être marrant. En plus on a déjà les jetons, c’est pas comme si on jouait notre propre argent.

- Tu parles encore de ton voyage ?

- Oui ! C’est dans trois semaines ! J’ai réussi à convaincre mon boss de me laisser mon vendredi. De toute façon il y a plein d’étudiantes qui bossent avec nous l’été, elles sont toutes prêtes à faire des jours en plus. C’est chouette, non ?

- Ouais, pourquoi pas après tout. Et les enfants ?

- Ma mère les prendra évidemment ; c’est elle qui me l’a proposé.

- Dans trois semaines, tu dis ?

- Oui ! Tu bosses pas toi de toute façon le vendredi après-midi ?

- Euh… non !

- Parfait ! Allez viens ! Ça va refroidir.

- Ok.


* * *


Joséphine rêveuse dans son bus matinal somnolait entre l’usine et sa résidence. Elle venait de passer la nuit à son poste, à faire les mêmes mouvements, perpétuellement, tout juste maintenue consciente par la programmation musicale qui perçait à peine à travers le vacarme des machines. Elle pensait à ses jeunes années, lorsque ne trouvant pas de boulot digne de ce nom après son BTS, elle s’était mise en tête de travailler à la chaîne pendant quelques mois, afin de réunir suffisamment d’argent pour se payer un diplôme de commerce dans une école privée. Elle s’était donnée deux ans pour le faire. Deux ans pour arriver à épargner de quoi s’inscrire. Ça faisait quinze ans de ça. Bien sûr elle avait eu des périodes « creuses », des congés maternités, des fermetures d’usines, du chômage, mais au final, sa situation n’avait pas beaucoup changé. Qu’était-il arrivé ? Le grand amour ? Une envie d’indépendance, en partant de chez sa mère pour aller chez son homme ? Il avait fallu travailler en attendant qu’Alain finisse sa formation, pour payer le loyer, pour acheter une voiture, pour financer le crédit du pavillon, pour élever Béné et Ludovic. Et l’envie de devenir attachée commerciale dans une banque avait fini par s’évanouir face aux nécessités de leur vie. Elle ne s’était même pas rendue compte de l’instant où cette petite lumière, cette idée restée allumée pendant des années dans un recoin de sa tête, avait fini par s’éteindre.


Ce matin, dans la ligne 38, à l’heure où la France qui se lève tôt croisait la France qui se couche tard, assise à sa place habituelle, Joséphine refusait de penser à ses chances passées. Elle ne voulait plus sentir sur sa poitrine peser la lourde oppression de ses choix raisonnables. Elle se rendait peu à peu compte qu’elle avait laissé passer trop de temps, trop d’occasions d’en finir avec la médiocrité du quotidien. Elle le ressentait presque physiquement, comme si une main avait relâché un peu la pression sur son torse, comme si elle s’était mise à mieux respirer. Elle sentait glisser peu à peu, millimètre après millimètre, l’insécurité de la routine. Elle devinait la lumière filtrant derrière la trappe du destin dans lequel elle s’était volontairement enlisée. Au-delà de la banalité il y avait la vie. La vie rêvée. Elle s’imagina pousser la trappe…


- Contrôle des titres de transport !


Un mouvement près d’elle : un séisme lent et adipeux, celui de la grosse Africaine qui fouillait dans son sac à main et soupirait d’indolence face à l’exercice physique demandé. Joséphine fut bousculée sans savoir pourquoi. Ses paupières à moitié closes refusèrent de s’ouvrir d’avantage. Le raz de marée humain tira sur le cordon de son baladeur MP3 ; elle n’entendit plus que d’une oreille.


- Madame… votre titre de transport s’il vous plaît.


La voix déconcertante du contrôleur, visiblement aussi ravi qu’elle d’être là en ce moment, la fit replonger violemment dans l’instant. Il était 6 h 38 à l’horloge de son MP3, elle mit la main à la poche et en tira sa carte d’abonnement.


Irrité de passer trop de temps sur ce contrôle inopiné, le contrôleur décida de faire un exemple et examina minutieusement la carte, recto, puis verso.


- Vous ne l’avez pas scannée ce matin !


Ce n’était pas une question.


Joséphine mit un moment avant de comprendre de quoi parlait l’agent assermenté.


- Pardon ?


Duel de mépris dans les yeux de Joséphine et du petit chef de car.


- Vous n’avez pas scanné votre carte dans l’oblitérateur ce matin, madame. Je pourrais considérer que votre titre n’est pas valide.


Haussement d’épaule. Joséphine ne voyait pas du tout où ce type voulait en venir. Elle ne savait que répondre et lui tendait toujours son bras pour récupérer le billet à bande magnétique et la carte plastifiée qui allait avec.


- J’ai dû oublier.

- Ben oui, mais il ne faut pas oublier madame, sinon je peux penser que vous voulez frauder.

- Vous voyez bien qu’il y a les dates imprimées derrière !

- Oui, et je ne vois pas celle d’aujourd’hui !

- Écoutez c’est ridicule. J’ai oublié aujourd’hui je suis désolée. Ce n’est pas comme si je ne payais pas mon abonnement tous les mois depuis des années...

- Oui ben il n’y a pas de traitement de faveur. Vous pouvez prendre le bus tous les jours sans valider votre billet aussi.

- Bon eh bien je ferai attention demain matin. C’est bon ? Je peux reprendre ma carte ?

- Écoutez madame, ne le prenez pas sur ce ton ! Je ne fais que mon métier, je suis navré que vous vous soyez réveillée du mauvais pied ce matin mais ça ne changera rien. C’est inutile d’avoir ce comportement…


Joséphine eut soudainement l’impression qu’on la prenait pour quelqu’un d’autre. Ce type était en train de la juger, de l’accuser. De quoi au juste ? De ne pas avoir respecté le protocole établi par la compagnie de transport ? Elle devait glisser un billet déjà payé depuis des semaines dans la fente d’une stupide machine avant de s’asseoir ? C’était ça son crime ?


Et ce pauvre mec qui la regardait de son air supérieur, engoncé dans son costume à bon marché réglementaire. Une cravate et ça lui suffisait pour se permettre de la dominer ?


- S’il vous plaît ma carte…


Dernière tentative. Elle prit sur elle pour ne pas éclater ou pleurer de frustration. Mais ses doigts tendus vers le sinistre individu ne récupérèrent toujours pas ce foutu billet !


- Je vais d’abord prendre votre nom pour laisser un signalement à mes collègues. Au prochain esclandre…


Esclandre. Ce fut le mot de trop. Joséphine était parfaitement réveillée mais elle ne se sentait pas agir dans la réalité. La grosse dondon à ses côtés ne voulant pas être mêlée à un choc frontal, décida qu’il était temps de quitter son siège, même si elle ne descendait que deux arrêts plus loin.


- Un esclandre ? Moi je fais un esclandre ? Non mais vous vous fichez de moi ? Je me suis excusée, platement, alors que tout ce que vous avez à me reprocher c’est d’avoir oublié, pour la première fois en douze ans, de valider mon billet, qui est déjà payé depuis deux semaines d’ailleurs. Et vous pensez que ça vous suffit pour relever mon nom et le « signaler » à vos couillons de collègues ? Si vous voulez un esclandre je peux vous en faire un ! Abruti !

- Bon ! Vous l’aurez cherché. Celle-là vous l’aurez pas volée !

- Y a un souci André ? Calmez-vous madame, on n’entend que vous. On fait notre boulot alors s’il vous plaît, respectez au moins ça.

- Non mais vous croyez quoi ? Avec vos jugements hâtifs à deux balles. Vous pensez que je suis là pourquoi ? Vous êtes debout depuis combien de temps ? Une heure ? Deux heures ? Moi je viens de me taper huit heures de boulot à la chaîne, à emballer les plats préparés que bobonne vous servira ce soir ! Vous croyez que je ne fais pas mon boulot aussi honnêtement que vous, c’est ça ? Et vous pensez peut-être que c’est plus facile que traîner mon cul toute la journée dans des rames d’autobus ? Vous vous figurez peut-être que je vais aller me coucher le cœur serein ? Alors que je dois encore réveiller mes gosses et les envoyer à l’école ? Alors ton amende à la con, tu vas me la donner et l’encaisser tout de suite, d’accord ? Si c’est le prix à payer pour finir ce putain de trajet en paix, ça sera pas grand-chose !

- Ça fera trente-huit euros, pour le billet non validé et le scandale en public. Et on ne prend pas de liquide.

- Ça suffit maintenant ! Veuillez descendre de ce bus madame !


Joséphine arracha sa carte des mains du second contrôleur intervenu en cours « d’esclandre », puis l’amende des mains du premier. Elle la déchira d’un coup sec puis la lui lança à la figure. Elle sortit ensuite deux billets de vingt de son porte-monnaie, les roula en boule et leur fit suivre la même trajectoire. On l’invita ensuite à sortir d’un mouvement ferme qui la propulsa dans l’abribus le plus proche.


« Espèce de tarée ! On t’oubliera pas connasse » furent les derniers mots qu’elle entendit une fois sur le trottoir, alors que le bus redémarrait l’instant d’après.


* * *


38 ans.


Est-ce que ça se fête un âge comme celui-ci ? 18 ans, 20 ans, 25, 30… Ce sont des âges qui marquent et puis après ? Après on n’a plus vraiment envie de marquer le coup. On voudrait même parfois les oublier ces anniversaires. Alors le trente-huitième ? Ce n’est pourtant pas un nombre éclatant. À peine rappelle-t-il que les plus belles années sont passées et qu’on va entamer la phase descente pour de bon.


Pourtant Joséphine avait fait ses valises et n’entendait déjà plus son trouillard de mari resté sur le pas de la porte, qui hurlait une dernière fois alors qu’il la voyait se diriger vers le taxi. Pourquoi au juste ? Elle lui avait pourtant fermement annoncé ses intentions pour ce week-end depuis des semaines. Il s’était depuis renfermé dans une espèce de lutte psychologique et de travail de sape. Chacun de leur côté s’étaient fait une raison et une obsession pour contrarier l’autre. Mais ils ne savaient même plus pourquoi au juste. Joséphine voulait simplement profiter d’une opportunité offerte par un coup du sort, pour donner un peu de brillant et de lustre à sa vie morose, tandis qu’Alain voyait échapper la chance d’engranger un peu plus d’argent pour un pécule dont ils n’auraient aucune utilité. Forcément chacun considérait l’autre comme un égoïste de la pire espèce et aucun compromis ne fut trouvé jusqu’à ce moment fatidique où Joséphine claquait la porte du taxi qui l’emmenait vers la gare.


Le voyage pour deux personnes. La chambre pour deux adultes. Les tables pour deux, les spectacles pour deux. Eh bien elle en profiterait pour deux, et sans doute même deux fois plus toute seule.


Le vague à l’âme ne dura guère. Passée la première crainte de s’aventurer seule et coupable, Joséphine se rassura, sachant très bien que même s’il l’envisageait par défi ou dépit, Alain ne profiterait jamais de ce moment seul avec les mioches pour aller consulter un avocat et échafauder un plan de divorce voué à l’échec. Il avait bien plus besoin d’elle qu’il ne l’admettrait jamais. Les hommes sont toujours prisonniers de leurs illusions et de leurs certitudes. La vie rêvée ne pouvait se permettre de telles incartades. Sans compter qu’Alain ne paierait jamais un avocat pour une consultation hors de prix et stérile.


Installée confortablement en première classe pour la première fois de sa vie, Joséphine souriait à son reflet dans la vitre aux multiples épaisseurs du train. Trois jours rien que pour elle. Et dans huit heures elle serait accoudée au balcon d’une superbe suite, admirant la Méditerranée, humant le parfum du soir.


Un jeune homme vint interrompre sa rêverie pour venir s’asseoir en face d’elle dans le compartiment. À peine moins âgé qu’elle et très à l’aise dans son costume, il lui sourit aimablement. Joséphine le lui rendit de bon cœur laissant ses yeux se perdre dans les siens quelques secondes de trop. Son week-end s’annonçait des plus agréables.


La salle des jeux de table ouvrait à vingt-trois heures, ce qui laissait le temps pour une flânerie sous les arcades longeant le port. L’air tiède sentait le citron, le clapotis des vaguelettes sous les planches de la marina et la lumière douce du clair de lune invitaient au repos des sens. Joséphine était parvenue à inviter à dîner le jeune homme du train. Celui-ci n’avait pas été facile à convaincre, puisqu’il était fiancé et qu’il était venu seul passer la fin de semaine sur la côte pour voir ses vieux parents. Mais lorsqu’il comprit les véritables intentions de Joséphine, plus velléitaire que foncièrement vicieuse, il se prit de sympathie pour elle, aussi ils décidèrent tous deux de lui accorder sa petite vengeance sur Alain.


Il s’appelait Paul et il l’avait accompagnée jusqu’à son hôtel, puis était revenu un peu plus tard pour lui faire visiter l’arrière-pays en voiture, décapotable bien sûr, comme toutes celles de la région.


Alors que la nuit tombait déjà, ils rentrèrent vers le port de Villefranche pour profiter des invitations incluses dans le séjour de Joséphine. La cuisine était succulente, le lieu enchanteur et les cigales leur tinrent compagnie sur la terrasse.


Ils se quittèrent plus tard qu’ils ne l’avaient prévu, mais aussi plus difficilement qu’ils n’y auraient songé plusieurs heures plus tôt. L’inconnu déposa un tendre baiser sur l’épaule dénudée de Joséphine alors que celle-ci n’osait plus lui lâcher la main.


Dans un soupir et un dernier sourire, enfin ils se laissèrent pour reprendre le cours de leurs vies. Joséphine resta un moment à le regarder s’éloigner, prise dans le remous d’un étrange sentiment mitigé, ne sachant si cette conclusion douce et amicale était vraiment ce qu’elle aurait voulu pour cette nuit.


Mais autre chose l’attendait encore ce soir. Un nouveau rendez-vous avec la chance. Avec son destin. Alors que ses talons claquaient sur les dalles du chemin la menant au casino, elle se rappela l’obsession qui l’avait menée jusqu’ici avec une bonne partie des économies du ménage. Évidemment elle n’avait rien pu faire comprendre à son mari. Alain était passé d’une attitude sceptique à une hostilité franche alors qu’au fil des semaines Joséphine lui égrenait les exemples et preuves de son affinité avec le nombre trente-huit. Et pourtant rien n’avait pu le convaincre de lui faire confiance : ni les photos de son enfance (le numéro 38 sur son maillot alors qu’elle finissait trente-huitième au semi-marathon pour ses quinze ans), ni les récurrences de ce chiffre dans les dates de naissance de sa famille. Alors Joséphine, intimement persuadée qu’elle faisait le bon choix et qu’Alain finirait par comprendre une fois les fruits de sa victoire sous les yeux, se décida à effectuer un retrait conséquent du livret familial. 3 800 euros. Autant aller jusqu’au bout de sa logique. Cette somme qui aurait pu paraître conséquente au vu de leurs revenus, serait, au pire, remboursée au bout d’à peine quelques mois d’économies forcenées. En somme, on ne pourrait pas lui reprocher d’avoir mis sa famille financièrement en danger.


Et puisqu’elle avait raison, elle n’avait même pas pris la peine de faire le calcul de son gain lors de sa prochaine victoire. Il fallait garder un peu de magie, une part de surprise.


Enfin, Joséphine, à peine grisée par les cocktails et le bon vin de son repas, s’avança, élégante dans sa belle robe de soirée bleu pâle, vers la caisse du casino pour acquérir les jetons.


Comme dans un rêve elle traversa les salons dorés et clinquants de l’établissement. Elle eut cependant un petit pincement au cœur en constatant que des années d’épargne représentaient en réalité si peu de jetons au creux de sa main.


La table de la roulette.


C’était ce pour quoi elle s’était décidée. Les cartes étaient trop compliquées, les règles et le vocabulaire trop techniques.


Mais la roulette. En une phrase, l’aboutissement de sa vie se jouerait. Elle regarda respectueusement la minuscule bille sautiller de case en case. Les reflets miroitants de la machine l’hypnotisaient. Les pas feutrés, les voix adoucies, le parfum suave des cigares. Elle souriait au monde. Pour elle. Dans un geste qui lui sembla théâtral et superbe, elle tendit sa main pleine d’espoir vers le tapis vert et les yeux pétillants elle annonça au croupier et à tous les joueurs alentour :


- Tout sur le trente-huit.


 
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   Anonyme   
4/6/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Joli ! Une tranche de vie vraiment convaincante pour moi. J'ai trouvé très bien évoqué le morne d'une vie qui s'enlise, l'espoir qui apparaît au débotté... La fin aussi est bien. L'épisode avec Paul pas forcément utile, peut-être.

"Elle aurait voulu être capable de bousculer sa mère avant de partir dans un esclandre mémorable vers une ville au bord de la mer. Rouler toute la nuit, la musique traversant l’autoroute à grande vitesse, et voir le soleil se lever sur une plage. Seulement elle ne pouvait pas : elle était venue avec la voiture de maman et c’est elle qui la ramènerait à la cellule matrimoniale ce soir." : comme ça sonne juste ! J'adore.

"On souleva Joséphine de sa chaise, on la poussa entre les chaises" : la répétition est maladroite, à mon avis
"Elle devinait la lumière filtrant derrière la trappe du destin dans lequel elle s’était volontairement enlisée" : belle image, mais je trouve la formulation inélégante

   Meleagre   
6/7/2011
 a aimé ce texte 
Pas
Une impression assez mitigée en lisant cette nouvelle.
Je pense que le sujet peut être bon : une lumière qui s'allume par hasard dans une vie morne et grise, et qui laisse entrevoir un meilleur avenir. Une part d'imprévu, de rêve, dans une vie qui ne leur fait pas de place.
Mais je trouve que ce texte ne met pas assez en valeur ce thème. L'auteur a voulu mettre trop de détails parfois insignifiants, qui noient les passages les plus importants.
Souvent, les dialogues sont un peu trop basiques, banals. Celui entre la mère et la fille, entre la femme et son mari. Et surtout entre la femme et le contrôleur, qui tombe dans l'insignifiant, la caricature. Ces dialogues pourraient souvent être résumés au style indirect, en ne gardant au style direct que les phrases les plus importantes.

La 1e partie, dans la salle du loto, est trop longue à mon goût. La 1e phrase campe bien l'ambiance, l'ennui ; la suite du paragraphe, sur la montre, est redondante, et tombe dans le cliché. J'aime bien :
"C’était donc ça la vie ? Trimer toute la semaine à l’usine, nourrir deux gosses et un mari au charme oublié, supporter le loto du samedi soir avec une mère possédée par le démon du jeu le plus stupide du monde ? / Joséphine, démissionnaire de la vie trépidante"
L'essentiel est dit en quelques phrases. Donc on ne devrait pas avoir revenir outre mesure sur l'ennui de cette semaine à l'usine, sur le comportement de ce mari, comme c'est le cas par la suite. Le paragraphe qui suit n'apporte pas grand-chose, et ne fait que développer cette envie d'une vie trépidante, alors que la concision de la phrase lui donnait plus de force.

Dans la 2e partie, j'aime bien
"Son regard cherchait l’horizon sans le distinguer, l’heure avancée de la nuit empêchait de voir autre chose que le ruban d’usines et de magasins industriels au bord de la quatre-voies."
Mais après, il y a aussi trop de soucis envers les détails peu signifiants (les commentaires des joueurs, le monologue de la mère, l'enfant endormi, la réaction du mari, la scène devant la glace, la contemplation du lot...). Il faudrait en choisir quelques-uns, et leur donner plus de force. Le changement de regard sur le nombre 38 fonctionne.

Dans le 3e partie, je trouve le dialogue plat, sans grand intérêt. A résumer, peut-être au style indirect.

La 4e partie, dans l'autobus, est beaucoup trop longue, et n'apporte pas grand-chose. On ressent l'emprise du quotidien alors que la femme rêve d'une vie palpitante. Mais le récit s'englue dans le quotidien trop insignifiant, sans en décoller vraiment. Une scène qui se veut comique et qui rate son effet. A élaguer.

La dernière partie est sans doute la plus importante de la nouvelle, avec la 1e. Elle mériterait d'être davantage en valeur, en élaguant les autres. Là encore, le paragraphe commençant par "Pourtant Joséphine avait fait ses valises" est trop long, se répète, et pourrait être raccourci pour aller à l'essentiel. De même pour le paragraphe sur les 3800 € retirés.
L'intervention de Paul est assez intéressante, elle laisse envisager une autre fin possible, une porte de sortie, une piste qui finalement n'est pas suivie.
Les 6 derniers paragraphes, qui décrivent la scène au Casino, sont à mon avis les mieux écrits. Il y a de la concision, des détails signifiants, des phrases courtes bien mises en valeur ("En une phrase, l’aboutissement de sa vie se jouerait."). Une certaine tension dans ces gestes théâtraux et cette certitude de la joueuse. J'aime assez le fait de ne pas savoir si elle a raison, si elle a gagné.


Bref, je trouve ce texte trop long. Des redondances qui enlèvent de la force aux passages les plus intéressants ; des dialogues trop banals qu'il faudrait élaguer. Il faudrait supprimer ou résumer l'accessoire, pour mettre en valeur l'essentiel.

   beth   
20/6/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
J’aime bien cette phrase : Elle voulait une étincelle pour pouvoir donner libre cours à l’incendie qui couvait en elle.
et ce passage :« La chance des débutants… la fille de Madame Machin… elle ne vient pas souvent en plus ! Ya pas de justice ! … Elle a rien suivi de toute la soirée, elle ne s’est même pas intéressée. Elle ne méritait vraiment pas de gagner… Moi j’irai bien avec une cougar dans son genre dans un hôtel de luxe : je suis sûr qu’au lit… Je mettrai mon lot en vente demain sur E-bay ; j’ai déjà un blender, mieux que celui-là en plus… »
Un peu trop d’application dans l’ajout de compléments de nom qui alourdissent les phrases et les rendent moins percutantes. « elle choisit une crème de nuit qu’elle n’utilisait que trop rarement / Elle alla se coucher dans son lit étriqué et froid/
j’ai aimé cette phrase :Elle ne s’était même pas rendue compte de l’instant où cette petite lumière, cette idée restée allumée pendant des années dans un recoin de sa tête, avait fini par s’éteindre.
Le texte mériterait une relecture soigneuse pour y apporter des corrections fines et notamment la place juste des mots comme dans:
Elle ne voulait plus sentir sur sa poitrine peser la lourde oppression de ses choix raisonnables. qui, à mon avis gagnerait à devenir :Elle ne voulait plus sentir peser sur sa poitrine la lourde oppression de ses choix raisonnables.
ou dans : Elle se rendait peu à peu compte qu’elle avait laissé passer trop de temps, trop d’occasions d’en finir avec la médiocrité du quotidien./ Elle se rendait compte peu à peu qu’elle avait laissé passer trop de temps, trop d’occasions d’en finir avec la médiocrité du quotidien.
ou dans : Celui-ci n’avait pas été facile à convaincre, puisqu’il était fiancé et qu’il était venu seul passer la fin de semaine sur la côte pour voir ses vieux parents./ Celui-ci n’avait pas été facile à convaincre, puisqu’il était fiancé et qu’il était venu passer seul la fin de semaine sur la côte pour voir ses vieux parents.
ou dans : Joséphine resta un moment le regarder s’éloigner,/ Joséphine resta un moment à le regarder s’éloigner,
paradoxe dans : Elle sentait glisser peu à peu, millimètre après millimètre, l’insécurité de la routine./ Elle sentait glisser peu à peu, millimètre après millimètre, la sécurité de la routine. ?
image maladroite,( on ne s’enlise pas dans une trappe) : Elle devinait la lumière filtrant derrière la trappe du destin dans lequel elle s’était volontairement enlisée. Au-delà de la banalité il y avait la vie. La vie rêvée. Elle s’imagina pousser la trappe…
Le saut temporel ne semble pas justifié : Un jeune homme vint interrompre sa rêverie pour venir s’assoir en face d’elle dans le compartiment….La salle des jeux de table ouvrait à vingt trois heures, ce qui laissait le temps pour une flânerie sous les arcades longeant le port.
La rencontre avec le jeune homme qui balade l’héroïne en décapotable ne me semble pas un bon passage, suffisamment travaillé : il se prit de sympathie pour elle, aussi ils décidèrent tous deux de lui accorder sa petite vengeance sur Alain.
vocabulaire à revoir (autre chose): Mais autre chose l’attendait encore ce soir.
La ponctuation est à revoir dans : Mais la Roulette. En une phrase…
Il y a quelque chose d’intéressant dans l’écriture il est dommage que la fin soit bien plate à mon goût.
J’espère avoir pu être utile à l’auteure.

   Menvussa   
5/7/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonsoir,

Sur le fond : Ça se laisse lire mais pas facile de voir où l'auteur veut vraiment en venir. Il y a un tas de possibles qui se présentent à Joséphine mais le lecteur reste sur sa faim. Manque de chute. Le trente huit ne lui est pas toujours favorable mais elle mise tout dessus. Est-ce une mise en garde contre le jeu... un peu léger, un nouveau départ pour Joséphine... faudrait alors une suite.

Sur la forme : L'écriture est correcte mais un peu soporifique. Le début m'a semblé assez lourd.
Le descriptif de la salle de loto, assez bien vu.
La scène du bus, bien décrite mais un peu parachutée.

   Anonyme   
12/7/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Je dois avouer que le titre m'a perturbée.
J'ai pensé (avant de lire) à Jos/Pin mais exit les 3H8 ?
A Joséphine, nom de l'Héroïne mais pourquoi les deux E correspondent à 3 et 8 ?
Ensuite évidemment, compréhension, mais pas grande satisfaction, ni grande illumination. Enfin bon, le titre, s'il m'a interpellée ne m'a pas inclinée à la lecture.
Et c'est bien dommage.
Parce que j'aime beaucoup cette nouvelle.

Les situations sont bien vues, autant celle de la salle de Loto, que celle du couple.
Les pensées sont justes, et si j'ai marché dans les pas du couple Joséphine et Alain, j'ai été satisfaite de voir qu'elle a pour ainsi dire "suivi mes conseils" et qu'elle est partie toute seule en WE.
Ce qui me démontre que j'étais bien dans le personnage, que je la suivais parfaitement.

Un détail qui m'a surprise : l'auteur n'aime pas les points de suspension pourtant il y a au moins deux endroits où ils seraient indispensables.
Je ne les ai pas notés, si je les retrouve...

L'écriture est monotone, par endroits ça aurait bien besoin d'être raccourci.

L'emplacement des premiers mots de la première phrase est bizarre.
"Joséphine le regard dans le vide attendait..."
Perso : "Le regard dans le vide, Joséphine attendait..."

Lourd : "Elle n’osait regarder une fois de plus sa montre par crainte"
Perso : "Elle n'osait regarder sa montre de crainte..."

Délicat à l'abordage d'une phrase : "Joséphine luttant contre le sommeil jouait de ses longs doigts"
Perso : "Joséphine luttait contre le sommeil (et, ou pas) jouait de ses longs doigts..."

"sa chaise communale." Bizarre.

"Une mèche de cheveux fatigués lui barra le visage" : j'enlèverais "fatigués", pour deux raisons : d'abord parce que c'est dispensable et que ça alourdit la phrase, ensuite, parce que ça dépeint une fille fatiguée, (elle l'est ok, mais le reste le dit suffisamment) mais "trop" fatiguée, ce qui me choque, plus tard avec cet instant où elle rentre dans le casino dans sa robe bleue élégante.
Je suis d'accord, ce n'est pas le même jour, c'est beaucoup plus tard, mais la fatigue est là, elle n'est pas partie comme ça parce qu'elle s'est soudain massé le visage avec une crème de beauté. Cette fille est fatiguée mentalement. Enfin, de mon point de vue. Que soutiendra n'importe quel coiffeur...


Là, avec ce cheveu fatigué - c'est rien n'est-ce pas un cheveu fatigué ? - le lecteur que je suis s'est déjà fait une image de Joséphine et je dois faire un effort réel pour la voir débarquer dans le casino "dans sa robe élégante" parce que de plus, quand je pense robe "élégante" c'est la fille que je vois élégante, et cette fille-là, avec son mari, ses deux gosses, ses horaires de nuit et son travail à la chaîne et en plus "ses larges épaules musclées" pfffffuuuiiit ! la voir élégante c'est difficile.

De deux choses l'une, soit moins caricaturer le personnage et s'aménager des portes de sorties et des transformations gérables, soit... ben non, c'est une fille d'usine, qui se paie un WE sur la côte avec les moyens qu'elle a mais le coup de la princesse qui se fait draguer (et larguer, pourquoi larguer d'ailleurs ? une hésitation, la peur d'en faire trop ?) c'est pas crédible.

En ce qui concerne la Côte d'Azur. Et Ville-franche en particulier...
Non, tout le monde ne se balade pas en décapotable par ici, il y en a mais pas tant que ça. C'est suranné comme idée, très ou trop Gatsby. Ou Rebecca. Ça date !

La description de Ville-franche c'est pas ça non plus. C'est riquiqui, tout petit, des bars et des restaurants à foison mais pas d'hôtel comme celui-ci. Une plaçounette au bord de la mer, un port, oui, une place squattée par des brocanteurs... C'est joli mais le décor tel qu'il est décrit ici correspond mieux à la Riviera, ou à Monaco.

"On souleva Joséphine de sa chaise, on la poussa entre les chaises,"
partout où mon curseur tombe, je vois une phrase à alléger.

il y a aussi parfois un problème au niveau du choix des temps qui alourdit les phrases.
"Joséphine sur le parking tirait sur sa cigarette blonde, souriant involontairement mais franchement."
Perso : (je m'excuse de toutes ces intrusions, mais si je ne trouvais pas le texte aussi chouette, je laisserai courir) donc

perso : Sur le parking, Joséphine tira sur sa cigarette (c'est important qu'elle soit blonde ?), sourit involontairement et franchement (j'avais pas fait gaffe, mais là aussi, ça alourdit) on est obligés de garder les deux ? Ou alors, ne peut-on pas supprimer les deux "ement" ?

"Joséphine prit Ludovic dans ses bras et le souleva péniblement pour aller le coucher. " péniblement ?

Une fois sur un texte, j'ai demandé à Word de me chercher tous les mots en "ement" ben j'ai pas été déçue du voyage.
(Plus de cinq (ou sept ?) et c'est rédhibitoire pour n'importe quel jury.)

"et aucun compromis ne fut trouvé jusqu’à ce moment fatidique où Joséphine claquait la porte du taxi qui l’emmenait vers la gare."
perso j'aurais choisi "claqua".

Le passage dans le bus est bon mais pareil, il mériterait un sérieux élagage. Je l'ai bien aimé, j'ai trouvé les dialogues en corrélation avec l'humeur de Joséphine.

"Passée la première crainte de s’aventurer seule et coupable" "et coupable..." C'est un truc qui ne devrait pas être dit mais juste ressenti par le lecteur. Ce qui oblige, pour ne pas rallonger le texte, à opérer de sérieuses coupes ailleurs, afin de détailler, sans le dire explicitement, ce sentiment là, très important. Ici il fait rajouté. Pas si important que ça alors même que ce sentiment doit exister puisque pendant deux jours elle laisse ses bambins et son mari.
C'est dit ou suggéré un peu plus haut, mais ce "coupable" placé ici, remet tout en question.

"Elle se rendait peu à peu compte" je sucrerais peu à peu, pour me contenter de laisser ce "peu à peu" au libre-arbitre du lecteur, de plus, en lecture orale, ça alourdit.

"Et puisqu’elle avait raison, elle n’avait même pas pris la peine de faire le calcul de son gain lors de sa prochaine victoire." Je comprends l'idée d'impulsivité, ou de tout pour le tout, mais je la vois ici mal formulée.

"Enfin, Joséphine, à peine grisée par les cocktails et le bon vin de son repas" les cocktails, plus le vin... elle a une bonne résistance à l'alcool, je trouve.

"Dans un soupir et un dernier sourire, enfin ils se laissèrent pour reprendre le cours de leurs vies" trop lourd, trop romantique, trop...
"le cours de leurs vies" "ils se laissèrent." Un peu trop... grandiloquent.

La voilà la deuxième phrase qui mériteraient des points de suspension (pas retrouvé la première)
"...les règles et le vocabulaire trop techniques.
Mais la roulette."
Mais la roulette...

J'ai beaucoup aimé cette nouvelle. Et j'ai aimé la commenter. Il y aurait encore beaucoup à faire pour qu'elle soit... très très bien.
Avec mes remerciements pour ce moment de lecture.


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