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Science-fiction
Filipo : Regrets et Cie... (7)
 Publié le 25/04/08  -  2 commentaires  -  14561 caractères  -  15 lectures    Autres textes du même auteur

Maintenant qu'il en a les moyens, Franck cherche à retrouver à tout prix la fameuse faille à l'origine de la dislocation du barrage de la Narbada en 2013. Karina l'avait mis en garde : elle n'avait rien trouvé de suspect là où était censé y avoir une erreur. Comment Franck va-t-il prendre cette nouvelle déception qui s'annonce ?


Regrets et Cie... (7)


Résumé des épisodes précédents :

Je ne pouvais pas attendre les bras croisés ; les données du barrage allaient être archivées, hors d’atteinte. Dès le lundi soir, je tentai donc une audacieuse intrusion dans les locaux de la société. J’étais sur le point de repartir avec une copie complète sur ma clé USB quand je me fis surprendre par le vigile. Je n’eus que le temps de planquer la fameuse clé dans le tiroir du bureau de Karina avant de me faire embarquer au commissariat. Mon patron, bien que ne portant pas plainte contre moi, me convoqua dès le lendemain pour me passer un savon mémorable… en présence de Karina. Pressé de questions au sujet du mystérieux informateur m’ayant parlé de la faille du barrage, je choisis de donner la seule version qui me semblait audible, bien qu’accablante pour moi. Je m’accusai donc d’avoir tout inventé pour mieux séduire Karina. Je me retrouvai mis à pied pour un mois…

Hors de question de lui laisser croire que je n’étais qu’un odieux manipulateur. J’écrivis donc une lettre à Karina, détaillant tout ce qui m’était réellement arrivé, depuis ma première rencontre avec Franck 2034 jusqu’à l’entrevue dans le bureau du directeur. Le jour de ma revanche finit par arriver : ce samedi, je remportai la méga cagnotte grâce au tuyau de mon alter ego du futur. Karina m’appela au téléphone ; elle me croyait enfin ! Nous nous retrouvâmes au petit bistrot où nous avions partagé un peu de complicité et quelques croissants une semaine en arrière. Elle me rendit la clé USB qu’elle avait trouvée dans le tiroir de son bureau. Quant à son billet de loto, elle refusa d’en bénéficier, le déchiquetant devant mes yeux ébahis ! Karina pensait que je ne trouverais pas la faille du barrage, quels que soient les efforts et les sommes que j’étais prêt à y investir…


---------------------------


J’invitai Karina à se joindre à moi pour le reste de la soirée, afin de fêter ce retour inespéré en veine par de folles ripailles et des libations débridées, comme on célébrerait le retour d’un printemps trop tardif après un hiver long et rigoureux. La miss se fit tout d’abord prier, puis, devant tant d’insistance, elle s’inclina finalement de bonne grâce, son visage de madone illuminé par un sourire complice.


Je m’enivrai avant tout des instants passés avec Karina, moments de pur bonheur qui me propulsaient à des années lumières des remugles sordides de la semaine calamiteuse que je venais de vivre. Je l’entraînai dans le plus grand restaurant de la ville, et malgré ses protestations faussement offusquées, je la haranguai jusqu’à ce qu’elle me promette de goûter à tous les plats lui faisant envie. Très vite, elle partagea ma bonne humeur retrouvée, laissant s’envoler le voile gris des instants de doute et de peine.


Nous riions toujours comme des adolescents en goguette quand je la fis entrer dans ma garçonnière. Il était assez tard ; Karina avait tout d’abord fait mine de repousser ma proposition avant de condescendre à se glisser quelques instants chez moi, avec la moue amusée de celle à qui on ne la fait pas. Sans que cela ne soit le moins du monde réfléchi, nous nous trouvâmes face à face et un peu essoufflés dans l’entrée de mon appartement, illuminé par le clair de lune. Son expression mutine s’effaça pour laisser place à une soudaine gravité ; elle m’enlaça tendrement, hissant ses lèvres pulpeuses et entrouvertes à la rencontre des miennes.


Nous nous sommes allongés dans mon lit, sans même avoir eu à briser notre étreinte passionnée. La volupté s’invita dans notre tendre tête-à-tête, enveloppant nos corps dans un tourbillon de sensations où la fureur des sens succédait au romantisme de nos retrouvailles. Cette nuit-là, je fis l’amour à Karina comme si ma vie en dépendait, comme si nous devions être arrachés l’un à l’autre dès le lendemain.


Tard le dimanche matin, nous refîmes une offrande au culte de la sensualité. Karina et moi avons longuement goûté cette passion renaissante. Nous avions à présent tout notre temps et une seule envie : partager le bonheur d’être à nouveau ensemble. Le dimanche s’écoula comme un rêve éveillé.


Le lendemain, Karina reprit le chemin de sa table à dessin numérique. Quant à moi, ce sont mes obsessions qui reprirent le siège de mon esprit, comme une marée implacable encerclant un château de sable sur la grève : il fallait que j’empêche l’inéluctable de se produire ! J’avais à présent tous les éléments en main pour réaliser l’utopie de mon alter ego : la volonté, les moyens financiers et – surtout – la matière première : les plans complets des soutènements du barrage.


oo000oo


Les semaines qui s’écoulèrent virent la confirmation de notre rapprochement, croissant en une vibrante histoire d’amour. Karina finit par emménager chez moi ; nous commencions à nous projeter imperceptiblement dans le futur d’une relation construite.


Bien que contraint à l’inactivité professionnelle, je ne restais pas oisif pour autant. J’obtins assez vite une rencontre avec le service V.I.P. de la célèbre régie nationale des jeux de hasard ; ils s’engagèrent à procéder dès que possible au versement de mon incroyable gain, tout en protégeant mon anonymat. Après avoir discuté de tous les détails de cette transaction avec leurs conseillers fiscaux, je décidai d’investir la majeure partie de ma fortune dans une sélection d’œuvres d’art (le meilleur moyen d’échapper au fisc, m’avaient-ils dit).


Le versement eut lieu quelques jours plus tard sur mon compte tout neuf, ouvert dans une banque de prestige où l’on ne reçoit les clients qu’en grande pompe (et non, comme dans mon établissement précédent, à coup de pompe dans le train…) Poussé par Karina et - je dois bien le reconnaître - par ma mauvaise conscience, je me résolus cependant à prélever une part généreuse au profit de plusieurs œuvres, caritatives celles-ci.


Un beau matin, un facteur facétieux et moustachu me remit une lettre recommandée, dûment estampillée avec le logo de ma boîte. Je devinai quel en était l’objet avant même de l’ouvrir et c’est sans surprise que je parcourus le courrier de licenciement qui m’était destiné ; il me signifiait, avec une politesse exquise et toute bureaucratique, que je n’avais plus qu’à dégager le plancher, vu la faute lourde qui avait été retenue contre moi. Ils me faisaient grassement bénéficier d’un mois de préavis de licenciement, sans obligation toutefois de l’effectuer dans leurs locaux ; ça tombait très bien, je n’avais aucune envie d’y remettre les pieds ! Karina se proposa même de récupérer à ma place les maigres affaires qui traînaient dans mon bureau.


Paradoxalement, savoir que j’étais fichu à la porte me procurait un indéniable confort intellectuel. Je n’avais plus à assumer le choix de quitter volontairement mon travail pour me consacrer à mes nouveaux grands projets. Et puis, faire expertiser en douce les plans que j’avais subtilisés à mon ex-employeur ne me poserait ainsi aucun problème de conscience, bien au contraire !


Je me mis en quête d’un cabinet d’audit susceptible d’effectuer en toute discrétion ce travail d’expertise. Contrairement à ce que je m’étais imaginé, ce fut plutôt ardu d’en trouver un qui accepta de ne poser aucune question fâcheuse sur l’origine de mes documents ou sur mon identité. La perspective d’une large rétribution éveillait plus de soupçons sourcilleux qu’elle ne m’ouvrait de portes, c’était un comble ! Ce monde n’était donc pas si corrompu…


En réalité, tout alla très vite dès que je compris qu’il fallait d’abord m’attacher les services d’un avocat d’affaires bien introduit. Grâce à ce sésame, je pus bénéficier sans plus de tracasseries des services occultes et éminemment discrets d’une grosse compagnie d’ingénierie outre-Manche.


Je leur fis remettre par mon « homme de loi » les fichiers détournés, en précisant que je souhaitais une analyse complète de l’ensemble du dispositif de soutènement, avec un point particulier sur le troisième contrefort. Deux équipes de cinq ingénieurs allaient travailler en parallèle pour ratisser les plans afin de ne louper aucune déficience. L’addition serait joliment salée, sans compter les honoraires de mon juriste de choc, mais je m’en fichais comme de ma première layette ! Je devais avoir leurs conclusions la semaine suivante, c’est tout ce qui importait.


Karina me trouva anxieux et presque colérique les jours qui suivirent. Je n’aurais jamais accepté de l’admettre, mais je ne pouvais m’empêcher de craindre qu’elle n’ait raison. Et si, comme elle me l’avait prédit, le cabinet d’audit ne trouvait rien de plus ?


En attendant que le doute soit levé, je préférais peaufiner la suite de mon plan. Une fois que l’on aurait mis le doigt sur cette maudite faille, je reprendrai contact avec mon ex-patron pour lui raconter toute l’histoire, en espérant qu’il veuille bien me recevoir ! C’était un professionnel rigoureux : une fois qu’il aurait la preuve formelle de ce que j’avançais, il n’hésiterait pas à informer nos commanditaires. Et il n’y aurait tout simplement pas de catastrophe de la Narbada. Jamais !


C’était le scénario idéal pour en terminer enfin avec cette rocambolesque aventure. Mais, malheureusement, la réalité n’a souvent que faire de nos prévisions…


oo000oo


- Oui, il est bien là, je vous le passe, fit Karina, d’un air lugubre.


Puis, s’adressant à moi :


- C’est l’emplumé que tu persistes à prendre pour un avocat… Ce vautour veut te parler. En personne.


Mes pulsations cardiaques triplèrent de fréquence à ces mots. Devaux faisait en général appeler son secrétariat quand il voulait me joindre. Ce qu’il avait à me dire devait donc être d’une importance stratégique.


- Franck, quel bonheur de vous avoir ! J’espère que je ne vous dérange pas, vu l’heure tardive…

- Je vous écoute, lui dis-je simplement.

- Eh bien, nous avons eu des nouvelles de nos amis Londoniens. Pouvez-vous passer demain matin à nos bureaux ? me demanda-t-il d’une voix un peu trop aimable, à mon goût.

- Devaux, je paie fort cher pour vos services. Accouchez, nom de dieu ! Qu’ont-ils trouvé ? m’exclamai-je, excédé.


Il y eut un silence embarrassé à l’autre bout de la ligne. Ce vieux charognard ménageait ses effets, et je n’aimais pas ça. Puis il livra le paquet, cash.


- Je… je suis désolé, Monsieur Dumont. Les Anglais n’ont trouvé qu’une seule erreur, dans une structure annexe, sans incidence sur la sécurité du barrage.

- …

- Quant au troisième contrefort… ils m’assurent qu’il tiendra sans aucun problème, bien au-delà de la durée de vie même de l’ouvrage, finit d’assener l’avocat-businessman.


Je me retins de justesse de fracasser le combiné contre le mur. Karina vint entourer mes épaules de ses bras aimants. Elle n’avait pas besoin de me poser de questions, l’horrible déception se lisait sur mes traits décomposés. Sans faire de commentaire, elle m’étreignit ; je me laissai aller contre elle soudain, sans plus de forces qu’un enfant.


Je ne comprenais plus rien à rien. Les contacts que j’avais eus avec Franck 2034 étaient tout ce qu’il y a de plus réel, j’étais bien payé pour le savoir ; d’autre part, mon alter ego avait clairement incriminé le contrefort trois que j’avais vu céder de mes propres yeux... Cette erreur qui persistait à échapper à toute analyse, ça me rendait fou !


Un sombre pressentiment m’indiquait que je ne devais plus m’attendre à d’autres coups de main de mon double... J’eus la vision morbide d’un corps pourrissant dans un linceul ; mon propre corps, lentement liquéfié quelque part dans le futur. Je chassai cette image dérangeante de mon esprit en me concentrant sur la tâche à accomplir. Dorénavant, pour solutionner ce puzzle démoniaque, il faudrait se passer de son aide.


Mais je pouvais heureusement compter sur le support indéfectible de Karina, l’unique personne à connaître mon secret. Elle essaya d’orienter mes réflexions hors des sentiers battus, en élaborant différentes théories. Bien que cela bousculât mes certitudes les plus ancrées, je l’écoutai avec attention ; un élan neuf pourrait peut-être me sortir de ce cul-de-sac !


Karina arpentait à grandes enjambées le champ des hypothèses envisageables, de la plus naïve à la plus torturée. L’une d’entre elles, assez loufoque au premier abord, retint pourtant mon attention : et si Franck 2034 venait d’un monde parallèle, où la course des événements avait été déroutée par une erreur s’étant glissée dans SON projet de barrage ? Dans ce cas, la faille ne concernerait que cette réalité alternative, ce qui pouvait expliquer notre incapacité flagrante à la débusquer dans notre propre dimension.


Plus j’y pensais, plus je trouvais plausible cette hypothèse. Ce n’était pas le cas de Karina. Ma blonde compagne jugea cette dernière théorie tout juste bonne à figurer dans un récit de S-F à deux sous.


Elle préférait revenir à quelque chose de plus terre-à-terre : selon elle, j’avais simplement bénéficié d’une chance insolente, tout en étant - en parallèle - victime d’une série d’hallucinations hyperréalistes. Je rejetai catégoriquement sa tentative d’explication ; non, je n’avais pas pété les plombs suite à l’abus de stress. Et je n’avais pas non plus décroché la timbale (une timbale à dix-sept millions d’euros tout de même) par un simple et heureux hasard ! La probabilité que se produise une telle conjonction d’événements frisait le néant absolu.


À mon avis, cela la rassurait de penser ainsi. En particulier, concernant le sujet sensible de l’annonce de mon décès pour le début des années 2030. Elle considérait cette « prédiction stupide » comme le travestissement évident de mes pensées morbides et angoissées. De plus, cette façon de voir était tellement pratique pour « normaliser » - et donc déculpabiliser - la manière dont j’avais ramassé tout ce fric…


Il fallait l’avoir vécu soi-même pour se rendre compte à quel point était intangible la réalité de cette rencontre avec mon double ; le souvenir que j’en gardais était trop vif et précis pour avoir été fabriqué de toutes pièces – même par un « cerveau dérangé » aussi exceptionnel que le mien ! Cette expérience incommunicable était tout simplement réelle, je n’en démordais pas.


Cependant, chacune de nos tentatives d’explication aboutissait à la même conclusion déprimante : en l’absence d’éléments nouveaux, nous n’avions aucun moyen d’agir ! Pire encore, on pouvait sérieusement se demander s’il y avait matière à faire quelque chose…


À suivre…



 
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   strega   
25/4/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bon, une pause après la poussée d'adrénaline, ça fait du bien Filipo. Comme depuis deux ou trois épisodes, la personnalité de Franck me plait beaucoup. Il est plus complexe, déstabilisé, ses certitudes et convictions s'envolent. Bref, c'est un homme comme les autres quoi. Le rôle de Karina prend aussi plus d'importance que ce que j'aurais pu croire au début.

Quand à ce foutu barrage, il va péter ou il ne va pas péter ??? Vivement le dénouement...

   Menvussa   
25/4/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Très bon, le suspens est bien relancé et on finit par se demander s'il parviendra à trouver cette erreur... si elle existe.


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