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Sentimental/Romanesque
FlorianP : À distance [Sélection GL]
 Publié le 31/07/20  -  9 commentaires  -  7867 caractères  -  66 lectures    Autres textes du même auteur

Mai, c’est joli. Comme une chanson de Bourvil. Le printemps s’étire, les fleurs s’épanouissent, le soleil nous caresse. On a envie de se mettre en robe. De se faire belles. On songe à l’été. Aux vacances qu’on va passer. Aux apéros entre amis et au sable sur lequel on va s’allonger. Au bronzage que quelques compliments vont souligner. Mai, c’est une promesse. Agréable, légère et colorée.


À distance [Sélection GL]


Mai, c’est joli. Comme une chanson de Bourvil. Le printemps s’étire, les fleurs s’épanouissent, le soleil nous caresse. On a envie de se mettre en robe. De se faire belles. On songe à l’été. Aux vacances qu’on va passer. Aux apéros entre amis et au sable sur lequel on va s’allonger. Au bronzage que quelques compliments vont souligner. Mai, c’est une promesse. Agréable, légère et colorée.

Même si pour l’heure on est confiné en ville, dans notre quotidien, qu’on continue à travailler trente-neuf heures par semaine. Enfin pas tout à fait parce qu’il y a ces longs week-ends. Ces ponts, qui se posent au milieu des beaux jours comme des points-virgules au milieu des longues phrases, que certains rallongent pour voir la mer, d’autres villes ou pays, passer du temps en famille ou entre amis.

Et cela se voit, se ressent. Les gens sont moins stressés. À leurs bouches sont accrochés des sourires, reflets de doux souvenirs ou d’heureuses projections. On aimerait entendre leurs histoires. Leurs rêves aussi.

Alors, j’écoute, je tends l’oreille. Je ferme les yeux. Je retiens ma respiration. Concentrée sur les sons. Il y a des pas sur les dalles de calcaire lisses et claires, aucun ne résonne de la même manière. Avec un peu d’exercice, je suis sûre que je pourrais deviner le poids et la taille de cette propriétaire de talons hauts ou de cet homme aux chaussures qui couinent. Leur caractère aussi. Il paraît prendre son temps. Peut-être un touriste dans des baskets confortables mais usées. Tandis que dans sa démarche à elle, on devine une certaine nervosité. Je l’imagine entre deux âges, longiligne, vêtue d’un chemisier et d’un tailleur.

Des mots aussi me parviennent. Je les cueille avec intérêt, sourire ou dégoût suivant ce qu’ils expriment. Il y a « j’aime » bien sûr, j’imagine le regard tendre qui l’accompagne. Il y a « affreux », je visualise le nez plissé, les sourcils rapprochés et la gorge nouée jusqu’aux lèvres pour ne rien laisser entrer. Il y a « coquelicot » inattendu ici, en pleine rue commerçante que j’égaye, entre les devantures vitrées, de tiges vertes et de fleurs rouges pimpantes.

L’air me manque, alors je respire. Soudain assaillie par un mélange d’odeurs corporelles, de parfums et d’arômes de crêpes qui chauffent. J’ouvre les yeux. Je cherche l’homme aux chaussures grinçantes et la femme aux talons. Il porte des mocassins et elle, la trentaine, une robe orange à volants. Je m’amuse de l’écart entre les portraits que je me suis dessinés et la réalité.

Je balaie la rue du regard. Je regarde toutes ces vies qui passent.

Un peu plus loin sur la droite, au pied d’une grande enseigne, le tableau est plus sombre. Une femme âgée fait la manche. Originaire d’un de ces pays ravagés par les guerres civiles et l’intégrisme religieux. Une onde de tristesse me secoue. Son visage hâlé est sillonné de multiples rides, ses lèvres étriquées se tendent vers les passants indifférents tandis que ses yeux sombres enferment le mystère des douleurs qu’elle a traversées.

J’imagine que, dans cette atmosphère de gaîté, les gens se font plus charitables. Comme quelqu’un qui sort d’une nuit d’amour ou vient d’avoir une promotion s’arrête plus volontiers devant un passage clouté. Pourtant, peu de pièces sortent des poches ou des sacs à main. D’ailleurs, ce sont les femmes qui donnent majoritairement. Question d’éducation ou de solidarité féminine ?

J’aperçois enfin Fanny qui arrive au loin. Comme souvent, elle a un peu de retard. Elle fend la foule d’une démarche altière. Très belle, elle a de magnifiques cheveux noirs qui ondulent et une peau bronzée. Sa silhouette élancée est mise en valeur par une robe jaune cintrée. Ses lèvres sont fines et ses yeux verts. Des regards d’hommes s’accrochent ; elle les ignore avec assurance. Aérienne.

Son sac à main pend en bandoulière. Il oscille. Elle avance, elle va passer devant la vieille dame assise sur son siège de fortune. Je me demande si elle va faire un don. J’ai envie de penser que oui. Je sens mon corps qui se raidit. Effet du pari. Encore quelques mètres. Toujours aucun mouvement pour extraire son portefeuille. Si : sa main droite s’approche du sac à main. Le saisit. Mon cœur s’envole. Mais s’écrase dans l’instant : elle continue son chemin, sans un regard pour la pauvre femme.

En même temps, c’est vrai, ce n’est pas son genre.

Fanny me sourit, je l’imite. Je chasse sans mal la déception d’avant. Je suis heureuse de passer un moment avec elle. Elle me fait la bise, me complimente pour ma bonne mine et ma robe. Un frisson de plaisir me parcourt. Pour elle aussi, j’ai quelques mots gentils.

Et puis, on y va. J’en profite pour donner deux euros à la vieille dame. Je sens que mon amie réprouve mon geste mais elle ne dit rien.

On partage nos dernières nouvelles. Fanny me parle du concert auquel elle a assisté la veille, de l’ambiance magique, des refrains repris en chœur, des frissons d’émotion. Elle regrette que je n’aie pu venir. Moi aussi. On enchaîne sur les ragots de nos amis communs. De Margot qui vient de se séparer d’avec Romain, de Pierre qui lui tourne autour.

On entre dans une boutique. Fanny me présente des hauts qui vont avec mes cheveux blonds et mes yeux noisette, des robes aussi. Elle fait quelques essais. Tourne devant moi. Je la regarde avec envie. Au-delà de ses courbes, c’est son agilité qui me rend un peu jalouse. Mais en même temps, j’oublie. À travers elle je me sens belle, légère, envoûtante. L’empathie fonctionne également dans ce sens, offre des instants d’élévation de sa condition, des instants de sensation de force plus grande, d’oubli de ses peines.

L’heure s’écoule dans cet abandon extatique à la frivolité d’une après-midi de shopping entre amies.

Cependant, la douleur finit par me ramener à la dure réalité. Mes bras sont fatigués des roues de mon fauteuil qu’il faut faire tourner. J’avais espéré que Fanny me proposerait de me pousser un peu. Mais c’est vrai, ce n’est pas son genre.

Mon amie peut faire preuve d’attentions charmantes, offrir un petit cadeau à l’occasion, recevoir régulièrement chez elle pour un goûter ou un dîner aux agréables saveurs et senteurs. Mais, toujours, elle tient la misère à distance. Comme après mon accident de voiture, lorsque je me rétablissais avec ennui et douleur à l’hôpital, elle ne prit de mes nouvelles que par téléphone. Son travail se situait pourtant à quelques minutes à pied.

On s’installe à la terrasse d’un café. Le serveur me libère une place et prend nos commandes. Deux eaux gazeuses avec une rondelle de citron, s’il vous plaît.

Je tâche d’oublier l’amertume coincée dans ma gorge. Je sais qu’on ne change pas les rayures du zèbre ni le sens de la pluie. Même si on aimerait, même si on croit cela possible. Simple distorsion de réalité, effet de notre naïveté ou de notre arrogance. Mais quand même.

Alors que mon amie s’éclipse aux toilettes, je repense aux quelques fois où nous nous étions investies avec Margot pour le Téléthon et où, systématiquement, Fanny, pourtant à l’origine de l’idée, s’était arrangée pour avoir autre chose de prévu ce jour-là : un concert, un week-end ailleurs, une connaissance de passage.

Revenons à des choses plus légères. Je ne suis pas là pour ruminer ces histoires. Parlons plutôt des vacances. Des apéritifs au bord de l’eau, en terrasse où les pieds nus dans l’herbe. Des eaux turquoise et des couchers de soleil festifs. Des pays aux langues chantantes, des sommets recouverts de névés, des découvertes de mets exotiques et autres rêves éveillés. Voilà Fanny qui revient, slalome entre les chaises. Elle est radieuse. Je suis sûre qu’elle a un projet qui m’emportera vers un horizon exotique.

Quand je lui demande ce qu’elle a prévu, les yeux pétillants, le plus naturellement du monde, elle me répond :


– Je pars au Kenya, pour un projet humanitaire. On va s’occuper d’enfants handicapés.


 
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   plumette   
7/7/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
J'ai pris plaisir à cette évocation sensitive en compagnie de la narratrice.

un moment d'attente et d'observation, des pensées contrastées entre le plaisir du partage avec cette amie Fanny, si belle et dont on sent que l'amitié compte et le jugement plus sévère ( ou la déception) qui n'est pas loin

voilà deux filles qui font du shopping, la banalité de la situation est secouée par.. ce que je ne révélerais pas! et qui fait toute la force du texte et de sa chute.

j'ai aimé l'écriture faite de petites phrases imagées "Je sais qu’on ne change pas les rayures du zèbre ni le sens de la pluie".

Merci pour la lecture!

   ANIMAL   
8/7/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Voici une nouvelle qui illustre à merveille la dichotomie qui préside aux attitudes et aux pensées de bien des gens. Au lieu de voir ce qui est sous ses yeux, Fanny regarde au loin. Au lieu de voir la souffrance autour d'elle, la mendiante, son amie handicapée, elle préfère aller ailleurs, aider des gens qu'elle ne connaît pas.

Maintenant, si l'on cherchait ce qui peut se cacher derrière cette attitude qui paraît égocentrique ? J'ose espérer qu'il y a là-dessous un réflexe de défense quasi inconscient. Comment avoir de la compassion pour des proches sans que cela soit perçu comme de la pitié ? Comment agir naturellement avec ceux qui souffrent lorsqu'on les côtoie dans son propre milieu ? Cela n'a rien d'aisé et peut provoquer cette attitude de refus chez certaines personnes. Si l'on refuse de les voir, la pauvreté, le malheur, n'existent pas.

Ce comportement peut être difficile à comprendre par d'autres personnes qui, à l'inverse, sont par nature dévouées à leurs proches et ne s'occupent pas des autres (effet de clan).

A la première lecture j'avais trouvé Fanny hypocrite, égoïste et écervelée, à la seconde j'ai pensé qu'elle était peut-être très mal à l'aise avec le malheur des autres, en particulier avec son amie depuis l'accident, ne sachant pas comment se comporter face à son handicap. Aider des gens que l'on ne connaît pas, c'est plus facile, on ne s'investit pas de la même façon.

La narratrice l'a peut-être compris puisqu'elle ne semble pas en vouloir à son amie. Son regard sur le monde ne peut-être que différent et c'est ce qui transparaît dans toute la première partie du texte. Et elle, était-elle charitable avant son accident ou le fait de passer de "l'autre côté" l'a-elle rendue plus sensible à certaines situations ?

Cette nouvelle soulève des points intéressants au niveau psychologique.

en EL

   Anonyme   
10/7/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Le handicap exacèrbe les sens, et l'acuité. La narratrice sait juger son monde, son amie, tout comme les autres, à leur juste valeur. Mais Fanny doit se recentrer d'avoir tant donné...

Et va donner à d'autres, plus lointains, laissant la narratrice avec son fauteuil. Fanny me semble égoïste, mais comment donner plus à un être proche, à qui elle semble avoir tant donné par le passé ?

Merci de cette lecture sans concessions,

En Espace Lecture,

Dugenou.

   maria   
31/7/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Florian,

J'ai trouvé les personnages bien travaillés.
Toutes les deux aiment la vie, apprécient le bon et le beau dans les gens et dans les choses.
Mais le fauteuil et la douleur qui à tout moment "finit par me ramener à la réalité" limitent davantage la narratrice aux émotions de l'observation. Alors que Fanny est toujours en mouvement dans le texte, elle évolue sans contrainte dans ce joli décor de mois de mai.
J'ai eu l'impression que la narratrice a donné deux euros à la mendiante, aussi parce qu'elle s'est dit que peut-être, demain, elle ne pourrait pas sortir de chez elle.
Fanny n'est pas dans cette immédiateté là, elle est libre de faire notamment le bien quand elle veut, ou elle veut.
Et je me suis demandé si leur amitié survivra au manque de dialogue :l'une n'a pas proposé de pousser le fauteuil, mais l'autre n'a rien demandé.
Pas beaucoup de dialogue entre elles !

J'avais déjà beaucoup aimé ton style dans la nouvelle précédente et j'ai retrouvé ici et avec plaisir cette aisance dans l'écriture, comme si elle n'avait pas été travaillée (c'est un compliment)
J'ai trouvé la chute très, et peut-être trop ouverte.

Merci du partage.

   IsaD   
31/7/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour

Je vais aller à l'encontre des commentaires précédents concernant l'attitude de Fanny, désolé.

J'ai vu, dans le personnage de Fanny, un être très superficiel. En effet, tout au long du texte, l'héroïne constate (sans juger) que son amie Fanny propose des actions humanitaires (téléthon...) et ne semble guère s'investir dedans puisqu'elle trouve toujours une occasion de se soustraire à cette responsabilité.
Je pense que lorsque l'on a vraiment l'esprit humanitaire, on l'est toujours au fond de soi (l'histoire du fauteuil qu'elle ne se propose même pas de pousser est très révélateur).

La narration nous emmène donc vers un constat, celui de l'indifférence au profit du plaisir personnel (matériel et apparence). L'héroïne, elle par contre, a certainement compris beaucoup plus de choses (peut-être dû à son handicap qui l'a mise devant une autre réalité).

Je ne sais pas du coup si telle était votre intention et je suis curieuse de le savoir (si vous souhaitez nous donner quelques explications, bien entendu)

   placebo   
6/8/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

J'ai bien aimé le texte, les descriptions stimulent la visualisation.

Le duo est assez réaliste. La solaire et celle qui n'ose même pas demander qu'on la pousse. Qui est "gentille", mais éprouve de l'amertume et s'en défend, pour voir le positif, l'objectif. Au final, tout le monde "utilise" l'autre d'une certaine manière.

Merci,
bonne continuation,
placebo

   Donaldo75   
27/8/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour FlorianP,

C'est en écoutant la "sonate au claire de lune" de Ludwig van Beethoven que j'ai lu cette nouvelle; bien m'en a pris car elle est triste. Oui, c'est triste d'avoir des amies comme Fanny. Oui, c'est triste de penser que tout le monde ne se préoccupe pas des autres même si parfois on est tout autant égoïste. Oui, c'est triste mais c'est la réalité. Et cette réalité est très bien exposée à mes yeux de lecteur dans une nouvelle dont la qualité d'écriture est une constante. La narration suit son chemin, amène la lecture vers une chute digne de ce nom, encore plus cruelle à lire qu'on en vient à détester Fanny pour l'éternité.

Bravo !

   FlorianP   
28/8/2020

   Yannblev   
29/8/2020
Bonjour Florian

Je trouve ce récit fort adroitement construit.
Il y a d’abord les réflexions et sensations intimes de l’auteur décrites avec une précision et une intensité presque trop poétiquement correcte qui évite pourtant de passer dans l’excessif avec l’apparition de la virevoltante amie qui prend alors beaucoup de place.
Presque trop de place mais juste avant qu’on ressente cet excès l’auteur nous balance son fauteuil et son handicap en travers de la scène… et à partir de ce moment le récit prend une toute autre dimension.
La solitude et la dramatique de l’auteur nous tombe dessus et ne peut plus nous échapper comme ne nous échappera pas, non pas l’ingratitude mais l’égocentrisme latent de l’être humain ; souvent contrôlé et retenu mais toujours en filigrane même chez les plus attentionnés et parfois les meilleurs des amis. Il arrive toujours un moment où il se révèle et peut vous blesser.

Merci pour le partage.


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