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Sentimental/Romanesque
Gief : Une glace à deux boules
 Publié le 05/12/10  -  7 commentaires  -  35641 caractères  -  148 lectures    Autres textes du même auteur

Amour réfrigérant...


Une glace à deux boules


Vlan !

La porte a claqué derrière elle. Je suis resté sans bouger, je ne pouvais plus faire un geste. Intérieurement, j’essayais de rire, mais ça ne passait pas. Je commençais lentement mais sûrement à paniquer. Bon sang ! Qu’est-ce qui lui avait pris ? Et toujours ce froid qui me descendait dans le corps…


J’avais rencontré cette fille un soir, en boîte. J’étais dans une période un peu n’importe quoi mais toujours la même chose dans un grand verre. Assis au bar, avec sérénité et une conscience quasi professionnelle, j’éloignais mes soucis avec une bonne bouteille. Encore une soirée qui ronronnait juste ce qu’il fallait pour que je conserve mon aura de poète banni.


Elle est entrée, accompagnée d’un vent glacé. J’ai pris ça pour un courant d’air. Je ne me suis pas méfié. Le bleu de ses yeux était si pâle qu’on distinguait à peine ses iris. Ses joues étaient blanches, limpides. On aurait dit une princesse descendue de la banquise. Frileux de nature, je n’aurais pas dû lui accorder la moindre attention. Et ce n’était pas le goût du risque qui dirigeait ma vie. Alors quoi ? Le destin ? Cette fameuse ligne tracée devant nous et que nous nous contentons de suivre docilement ? Eh bien, ce soir-là, j’aurais mieux fait de me casser la jambe. Les deux même ! Je dis ça, mais j’aurais marché sur les mains alors…

Elle a commandé un cocktail. Le barman a mixé des couleurs toutes plus transparentes les unes que les autres. Quand il a versé le mélange dans son verre, une légère fumée est montée. Elle a attrapé une assiette remplie de glaçons et a déposé le verre au milieu, en plaçant ses mains autour. Ses doigts ont bleui et un vague sourire a crispé son visage.

Puis elle a monté le verre à ses lèvres et, fermant les yeux, elle a fait glisser le liquide dans sa bouche. Quand elle a eu terminé, j’ai pu voir plein de petits cristaux sur le contour de ses lèvres. Alors, les yeux toujours clos, elle a passé la langue sur ce glacis et j’ai entraperçu ses dents : on aurait dit deux rangées de diamants.


J’ai passé la main devant mes yeux et me suis dirigé vers les toilettes. Je me suis mis la tête sous le robinet, et, quand j’ai pu à nouveau compter mes doigts sans dépasser dix, je suis retourné au bar. La princesse n’y était plus. J’ai appelé le barman.


- Vous connaissez la personne qui se trouvait là ?

- Elle vient ici, de temps en temps…


Laissant sa phrase en suspens, il est retourné à ses bouteilles.


Depuis longtemps j’avais appris à faire avec peu. Donc, dans l’ordre : une princesse, une banquise, un cocktail et, en prime, un léger roulis qui me conseillait de regagner mes pénates. Ce que je fis, royalement tiré par mes fidèles chiens de traîneau, dans la lumière d’un soleil de minuit.


À un moment, le blizzard s’est levé et j’ai eu froid. J’ai ouvert un œil. La fenêtre de ma chambre était entrebâillée et un crachin me tombait dessus. Le front appuyé sur la vitre, je constatais qu’un nouveau jour laiteux essayait de démarrer. Je me suis souvenu de la princesse ; où était-elle à présent ? J’ai voulu repartir vers le Grand Nord en fermant les yeux, mais le kaléidoscope était bloqué. J’ai pensé un instant aller dormir dans le réfrigérateur…


Plusieurs fois, je suis retourné dans cette boîte de nuit. Mes attentes prolongées au bar déplaisaient davantage à mon foie qu’au barman. Des nuits sont passées mais pas la princesse.


Je m’ankylosais sur mon tabouret. Le barman parcourait une revue dont la couverture a attiré mon attention. Quand il l’a repoussée sur le comptoir, je m’en suis emparé. Sur la une, j’ai reconnu la princesse. Son visage toujours aussi pâle emplissait la page. J’ai plongé mes yeux dans les siens, puis j’ai ouvert le magazine. Une double page lui était consacrée. Dona-Claire Dorland, c’était son nom. Peu de textes, beaucoup de photos. On la voyait chez elle, sur son lieu de travail, en blouse blanche dans un environnement high-tech, dans un jardin avec un chat sur les genoux. Celui-ci était tout blanc, et il me regardait d’une drôle de façon. Et je n’aimais pas les chats. Et tiens, une photo dans ce bar ? Je regardais autour de moi… Oui, pas de doute, la photo avait bien été prise ici. J’ai fait signe au barman.


- Cette photo a été faite ici…


Il a pris la revue, a pointé son doigt sur la photo et a esquissé un sourire.


- Regardez bien…


J’ai remis le magazine dans le sens lecture et me suis penché sur la photo. La princesse figurait au premier plan et derrière… Sur sa droite : le barman… Et là, sur sa gauche : moi !


- Mais c’est moi !


J’étais bien sur la photo et je regardais la princesse. Elle avait son verre à la main. Le barman a repris :


- Vous ne vous souvenez pas ? Quelqu’un a fait cette photo ce soir-là…


Non, je ne me souvenais pas. Je devais avoir décroché quelque peu... Je voyais encore la princesse, son verre à la main. Alors, m’adressant au barman :


- Pouvez-vous me faire le même cocktail qu’elle, ce soir-là ?

- Si vous le désirez… Mais je vous préviens, c’est spécial.

- J’espère bien, j’ai répondu, très cinéma.


Je me suis assis dans un des fauteuils de l’accueil. J’avais fait part à l’hôtesse de mon désir de rencontrer Dona-Claire Dorland. Par de larges baies vitrées, je voyais des gens en blouse blanche s’affairer autour d’appareils compliqués.


- Si vous voulez me suivre.


Après quelques couloirs en enfilade, nous sommes arrivés face à une porte. L’hôtesse a appuyé sur un bouton et, s’effaçant sur le côté, m’a fait signe d’entrer. J’ai alors pénétré dans une pièce immense où régnait une très forte lumière bleutée. Si forte, que j’ai dû cligner des yeux.


- Approchez, monsieur, je vous en prie. Prenez place.


Dona-Claire Dorland, assise derrière un bureau en verre, me proposait un siège, en verre également. Je m’y suis délicatement déposé tout en espérant ne pas m’y découper les fesses en rondelles. Elle m’a laissé m’installer. Elle était exactement comme je l’avais vue au bar. D’une beauté irréelle, translucide comme un cristal. Je me sentais en forme alors j’ai attaqué :


- Je vous remercie de me recevoir…


Je marquais un temps.

J’ai sorti la revue de ma poche, l’ai dépliée et l’ai placée sur mes genoux. Puis j’ai repris :


- Le hasard, voyez-vous, nous a…

- Je sais, m’a-t-elle coupé avec un sourire évident.


Ses yeux ont capté les miens et j’ai eu un premier frisson. Je restais sans voix.


- Vous désiriez me rencontrer pour me montrer que nous sommes sur la même photo, dans ce journal, elle a continué, un brin sarcastique.


Elle a ouvert un tiroir, en verre lui aussi, et a glissé un autre numéro de la même revue sur le bureau. J’ai eu une petite grimace, je croyais la surprendre, c’était loupé. Un léger flottement, puis je me suis dit, qu’après tout, on allait gagner du temps. Je ne me doutais pas à quel point.


- Bon, j’ai commencé, vous savez tout…

- Moi oui, mais vous non, a-t-elle repris sans animosité.


Ce sourire crispé que j’avais remarqué un instant, l’autre soir, réapparaissait au coin de sa bouche. Nouveau frisson. Qu’est-ce que ça signifiait ? Je me sentais tout petit et frigorifié.

Toujours souriante, elle s’est levée et est allée vers le mur. Un panneau a coulissé et des bouteilles aux formes étranges sont apparues. Une série de flacons en cristal étaient alignés sur une étagère, en verre, bien sûr. La lumière bleue s’emmêlait les rayons dans les multiples facettes et balançait ses éclats sur les murs. Dona-Claire – je décidais d’un peu d’intimité et je la nommais par son prénom – Dona-Claire, donc, attrapait un shaker et, après l’avoir agité, emplissait deux verres.


- Trinquons à notre rencontre !


Elle revenait vers moi, me tendant un verre.


- Trinquons, j’ai fait en écho, d’une voix que j’aurais voulu enjouée.


Mais ce n’était pas tout à fait le cas. J’hésitais à porter ce verre à mes lèvres. Vu l’effet que m’avait fait le premier, l’autre soir au bar, j’étais réticent devant ce deuxième cocktail. Car mon intuition me disait qu’il s’agissait bien du même breuvage.


Le barman avait posé le verre au milieu des glaçons et, comme j’avais vu la princesse le faire, j’avais placé mes mains autour, porté ensuite le verre à mes lèvres et laissé couler le filet glacé dans ma gorge… C’est tout ?… Je n’avais pas eu le temps de penser plus loin, un fer bleu s’était fiché dans mon ventre. Les yeux ronds, je m’étais accroché au bar et mon corps s’était divisé sous l’effet d’un feu glacé qui courait jusqu’au bout de mes membres. Les atomes s’étaient mis à tourner comme des cinglés et mes cellules avaient implosé, se désagrégeant en une ronde effrénée. Soudain tout avait convergé en un seul point : un diamant de glace avait alors fait briller trois initiales au milieu de cet enfer : D.C.D. Attrapant le diamant à pleines mains et hurlant, je m’étais écroulé du haut du tabouret.


- Monsieur, monsieur…


J’avais ouvert un œil. Le barman au-dessus de moi avait semblé soulagé de ne pas devoir appeler les secours en urgence.


J’avais donc son cocktail à la main et Dona-Claire en face de moi, souriante. Comme j’hésitais toujours, elle a dit :


- La deuxième fois ne procure pas le même effet, ne craignez rien, vous êtes immunisé à présent.


J’ai croisé les jambes, me suis adossé confortablement et j’ai bu d’un trait. À ma grande surprise, aucune sensation désagréable. J’ai relâché mes muscles tendus et je me suis senti mieux. Au fait, comment savait-elle que c’était la deuxième fois ?


- Nous allons pouvoir poursuivre notre conversation, cher monsieur… Et, si je peux me permettre… Comment dois-je vous appeler ?

- Euh…, c’est Albert, j’ai balbutié, enroué tout à coup.

- Eh bien, Albert, reprenons.


Un grand calme blanc m’envahissait. Elle a continué :


- Vous n’êtes pas sur cette photo par hasard. Je l’avais décidé.


Je la regardais, béatement. Ses mots bourdonnaient gentiment à mes oreilles. Mon regard passait à travers elle, se prenait dans ses dents-diamants et ricochait sur le mur derrière. Je voyais les particules de lumière qui volaient dans la pièce. Ce qu’elle racontait vibrait harmonieusement à mes oreilles. Elle a continué ainsi et les phrases se sont ordonnées dans ma tête. Tous mes muscles étaient parfaitement détendus. Il y avait bien longtemps que je n’avais pas été aussi bien.


Je suis descendu des nuages et du taxi qui me ramenait chez moi en même temps. Plus tard, devant la porte du réfrigérateur ouverte, j’essayais de retrouver l’ambiance. Je repensais à tout ce qu’elle avait raconté. J’aurais été incapable de le répéter, mais, bizarrement, tout était absolument limpide. Et il était clair que la princesse était une fille hors du commun. Je m’enfonçais délicieusement sous la banquise.


Ce n’est qu’une ou deux semaines après ma rencontre avec Dona-Claire que j’ai commencé à me poser des questions, et encore…

Ce soir-là, je n’étais pas passé à la boîte de nuit. En plein sommeil, un cauchemar m’avait électrisé et propulsé hors de mon lit. J’étais mal à l’aise, légèrement fiévreux. Je venais de m’extraire d’images blanches et coupantes comme des éclats de glace.

Après avoir tourné en rond pendant une heure, voyant que je ne retrouverais pas le sommeil, je me suis habillé et je suis sorti. Tout naturellement, mes pas m’ont conduit vers le bar. Je savais ce que j’y trouverais et j’avais conscience d’y être passé régulièrement ces derniers temps.


Le barman a aligné les bouteilles sur le comptoir. Cinq, avec des étiquettes inconnues, pas une seule de compréhensible. Toutes imprimées dans des langues étrangères dont les alphabets mêmes ne m’étaient pas familiers.


- Dites donc, elles doivent venir de loin vos bouteilles, j’ai lancé au barman.

- C’est Gérard, le patron qui les ramenait de ses voyages… Enfin, avant…

- Avant ? Avant quoi ? j’ai demandé.

- Ben, ça fait plus de six mois qu’il est parti… Et depuis pas de nouvelles.

- Et la boîte, comment elle tourne ?

- C’est les associés, enfin Jacky surtout.


J’ai arrêté mes questions, ce n’était pas mes oignons. Enfin, c’était ce que je pensais.


Je regardais mon verre et le faisais tourner dans l’assiette au milieu de ses glaçons. Des images étranges flottaient à l’intérieur, je les apercevais dans la transparence du liquide, puis elles se dissipaient et une fumée bleue montait danser devant mes yeux. La buée retombait doucement sur le comptoir tel un givre et, du bout de mon doigt, j’y ai écrit Dona-Claire. Je commençais à boire mon verre quand j’ai vu un ours blanc entrer dans le bar et venir s’asseoir à côté de moi. De sa grosse voix, l’ours a fait :


- Alors l’ami, ça va ?


J’ai marqué un temps d’arrêt. Je suis revenu sur terre et j’ai répondu au type qui venait de s’installer à ma droite :


- Pour aller, ça va, c’est pour revenir…


Lamentable entrée en matière, j’ai pensé, ça m’avait échappé.


- Vous posez beaucoup de questions, hein, a dit l’ours, enfin le type.


J’ai tourné la tête et je l’ai regardé, légèrement par en dessous, comme si j’étais sûr de moi. Je n’aimais pas trop son sourire. C’était le genre d’individu à qui je n’aurais même pas confié mes araignées. Il avait une tête à les prendre dans le creux de sa main, à leur arracher les pattes, jusqu’à ne leur en laisser qu’une pour les voir tourner sur elles-mêmes, impitoyablement prises au piège…

Mais qu’est-ce qui me prenait d’avoir des idées aussi peu ragoûtantes ? Je me suis concentré sur mon verre. Vide.


- Eh oui, j’ai fait, pour répondre pertinemment à sa question, puis j’ai fait signe au barman de me servir à nouveau.


En m’apportant mon cocktail, le barman m’a présenté Jacky. Puisqu’il s’agissait de Jacky. Ce dernier, me voyant vider mon verre d’un geste rapide, a dit :


- Ça va aller mieux après. C’est le problème avec ce fichu mélange, c’est qu’on peut plus s’en passer, hein ? Gérard c’était pareil. À la fin, j’aurais parié qu’il était en manque !

- À la fin ? Pourquoi vous dites à la fin ? je l’ai interrogé.

- Encore une question, il a fait.


En temps normal, j’aurais émis des réserves sur l’avenir. Mais l’alcool engluait sereinement mes pensées. J’ai regardé Jacky dans le blanc des yeux et je me suis marré. Il a repris :


- Écoute l’ami, tiens, tu me plais bien, je sais pas pourquoi, mais tu me plais. Viens voir avec moi.


Il s’est levé. Je lui ai emboîté le pas tant bien que mal, un peu de travers comme un crabe. On a pris un escalier et on est entrés dans un bureau.


- Regarde ça, a fait Jacky.


D’un geste, il m’indiquait un mur où était punaisée une ribambelle de photos. Des gens connus, des gens inconnus, qui faisaient la fête, qui dansaient. La plupart des clichés avaient été réalisés dans cette boîte de nuit, je reconnaissais le décor. Je m’approchais du mur : une photo avec la princesse ; j’avais bien vu.


- Et derrière, tu vois, c’est Gérard, et c’est avec cette photo que le cirque a commencé.

- Le cirque ? je lui ai demandé.

- La fille, les voyages, le cocktail et tout ce temps qu’il passait avec elle ! Il ne s’occupait plus de rien. Et depuis six mois, disparu, plus de Gérard !


On est restés un moment comme ça, devant le mur, lui avec l’absence de son copain et moi avec une légère déchirure quelque part, mais je ne pouvais pas dire où ni comment.

Nous sommes redescendus au bar. Jacky a repris la parole :


- Qu’est-ce qu’on pourrait faire ?

- Qu’est-ce que tu veux qu’on fasse ?


Je ne le suivais pas trop, là. De quoi parlait-il ?


- Un de ces jours je vais aller la voir cette Dona-Claire Dorland ! Il faudra bien qu’elle m’explique.

- Qu’elle explique quoi ?

- Où est passé Gérard !

- Elle a rien à voir là-dedans. C’est une photo, c’est tout… Et Gérard il a dû s’égarer dans les Carpates.


Là, j’ai trouvé que j’avais été bon. Il n’allait tout de même pas rencontrer Dona-Claire pour ça. Qu’il nous laisse tranquilles, Dona-Claire et moi.


Je l’ai laissé avec ses interrogations et je suis rentré chez moi. Les deux cocktails avalés cette nuit m’ont propulsé au creux de mon lit. J’ai retrouvé mes songes cachés sous l’oreiller et je me suis endormi dedans. J’ingurgitais des images blanches et bleutées tandis qu’une fraîcheur sucrée descendait vers mon cœur en en ralentissant sa course. J’ai vu alors Dona-Claire tourner autour de mon lit et, silencieusement, dans des volutes de fumée parfumée, nous avons fait l’amour. Je me suis réveillé en plein émoi. J’ai cessé mes cogitations intellectuelles et suis passé aux travaux manuels.


Plus tard, dans la froideur du matin, je me suis éveillé. Des frissons s’étalaient sur ma peau. J'ai tiré une couverture supplémentaire, mais rien n’y a fait. J’ai fini par me lever et me suis préparé un café bien chaud. Trop chaud, je me suis brûlé la langue. Je suis passé dans la salle d’eau pour me faire un bain de bouche et, là, dans la glace, j’ai eu un choc : j’avais le teint blafard, mes joues étaient d’une pâleur extrême, presque transparentes. J’apercevais des petits vaisseaux bleutés qui palpitaient en dessous.

Perplexe, je me suis assis sur le bord de la baignoire, le regard vers le sol. Par terre, je voyais tout un fatras d’idées qui se bousculaient. Les mots bougeaient sans cesse, illisibles. Je n’en comprenais pas le sens. J’en ai attrapé un dans le creux de la main. J’ai ouvert les doigts. Un morceau de verre est tombé : j’avais une petite coupure en travers de la ligne centrale de ma paume. Je sentais quelque chose d’indicible qui se tendait. Un ressort noir tirait sur des mâchoires métalliques. J’ai regardé l’intérieur de ma main. La petite coupure ne saignait pas. Ce n’était rien du tout. Je n’avais pas à m’inquiéter.

Je devais être fatigué, tout simplement. Je passais trop de nuits dans cette boîte. Et puis, c’était Jacky aussi, avec ses réflexions. C’était lui qui me perturbait. Je n’avais aucune raison de m’inquiéter. J’allais bientôt voir Dona-Claire, nous avions convenu d’un rendez-vous. Alors, tout irait bien ! Je verrais Jacky demain et je calmerais le jeu. Qu’il ne vienne pas fiche en l’air mon histoire avec la princesse. Et s’il le souhaite qu’il aille retrouver son copain là-bas, je ne sais où. Au diable, peut-être ?


Le rendez-vous avec Dona-Claire approchait et il fallait que je me fasse beau. Plus beau, je voulais dire. Première étape : me faire couper les cheveux.

Le coiffeur, prenant mes cheveux à pleines mains, s’est exclamé :


- Vous avez des cheveux splendides. À votre âge, c’est rare.


Quoi à mon âge ? Qu’est-ce qu’il raconte ? Je me suis regardé dans la glace. J’ai dû sortir mes lunettes pour bien me voir. Elles étaient toutes neuves et corrigeaient une presbytie naissante, deux fois rien. Le coiffeur a repris :


- Moi, à votre place, je ne les couperais pas. Vous devriez faire une légère permanente pour leur donner un peu de volume et les mettre tout en arrière, ça dégagerait votre front… Abandonnez votre mèche, franchement c’est vieux jeu.


Je me suis levé d’un bond et je lui ai flanqué mon poing dans la figure… Qu’il a prestement esquivé.


- Bon, bon, j’arrête. Mais je te jure Albert, pour une fois tu devrais m’écouter. Ça fait combien de temps que je te fais la même coupe, hein ? Dix ans au moins…

- Depuis que je te connais, mon vieux, alors ça fait douze.


J’ai pris mes cheveux dans mes mains et j’ai reproduit son geste. J’ai tiré sur ma mèche et j’ai mis tout ça en arrière. Il m’a fait un clin d’œil. Je pensais à Dona-Claire.


- T’as gagné, j’ai fait. T’as carte blanche, fais ton boulot !


Quand je suis sorti et que j’ai vu toutes les femmes se retourner sur mon passage, je l’ai remercié. Il était à côté de moi et m’envoyait une tape sur l’épaule chaque fois qu’on croisait une jolie fille. Une superbe créature approchait, il m’a envoyé une bourrade plus forte.


- Ho, ho ! on se réveille.


J’ai ouvert les yeux. Je m’étais assoupi sous le séchoir.


La question capillaire réglée, il fallait passer aux fringues. Je n’osais pas me rappeler quand j’avais fait ce genre de frais pour la dernière fois. Une petite vendeuse sympathique m’a conseillé :


- Ne prenez pas ce costume, c’est un peu… Comment dire… Je sais pas. Prenez plutôt un pantalon en toile et un veston. Ou même un jean avec cette veste noire… Voilà, c’est parfait ! Là, vous êtes bien.


Je la regardais du coin de l’œil, mais non, elle ne se moquait pas. J’ai donc suivi ses conseils.


J’étais rentré chez moi en fin d’après-midi et je me regardais dans la glace. Je n’étais pas sûr de me reconnaître. J’étais un nouveau moi. Du moins en surface.

Le téléphone a sonné. C’était Jacky, il voulait me voir tout de suite.


- Attends, j’ai fait. Je dois dîner en ville avec un ami et je passe à la boîte après. OK ?


Il avait déjà raccroché. Il commençait à m’enquiquiner celui-là. J’allais bientôt voir Dona-Claire ! Que venait-il faire dans cette histoire ? Dans mon histoire. Je devais trouver un truc pour le calmer. N’importe quoi, mais qu’il ne rencontre pas la princesse, je ne savais pas ce qu’il serait capable de lui raconter. J’ai décidé de passer le voir avant d’aller dîner.


- Je veux aller voir Dona-Claire Dorland, martelait-il sur le comptoir du bar, et lui poser quelques questions.

- Et tu vas lui demander quoi ? Où est Gérard ?… Gérard il est parti en voyage. C’est ce qu’elle te répondra. Ça t’avancera à rien.

- Alors je vais aller visiter ses labos… Cette nuit. Il y a quelque chose qui cloche !


C’est toi qui cloches, j’avais envie de lui dire. Puis je me suis inquiété :


- Tu vas rentrer comment ?

- Ça, c’est mon affaire.


À son œil noir, j’ai vu qu’on venait de changer de terrain. Et je n’étais pas un spécialiste. Alors que lui, peut-être.


Un jeu d’enfant. J’étais entré dans les labos avec facilité. Et avec effraction. Mais je n’avais pas eu besoin de forcer quoi que ce soit, c’était déjà fait. Jacky était passé par là.


Je l’avais laissé à la boîte en lui faisant promettre de bien vouloir attendre que je revienne. Je ne voulais pas remettre mon rendez-vous. Je devais retrouver un copain journaliste et, celui-ci connaissant la jet set, j’espérais qu’il pourrait me parler de Dona-Claire Dorland. Quand j’étais revenu, Jacky, évidemment, n’avait pas attendu.


Dona-Claire Dorland était une personnalité, une scientifique de renom, issue d’une famille aristocrate anglaise ruinée par des investissements malheureux dans l’affaire du canal de Suez, à l’époque du grand-père. Le père avait, par la suite, renfloué la fortune familiale avec des brevets de toutes sortes dans le domaine médical. Il était mort. Ou plutôt disparu dans l’explosion d’une partie de ses laboratoires. Son corps n’avait jamais été retrouvé. Depuis, la fille avait repris et fait prospérer l’affaire. Et le problème, d’après mon copain journaliste, c’était les dates. Il trouvait difficile de faire coïncider le père et la fille avec les quelques éléments datés qu’on connaissait.


- Qu’est-ce que tu veux dire ? je lui avais demandé.

- Le grand-père a ruiné la famille vers 1860, le père a reconstruit la fortune à partir de 1905, il avait déjà une cinquantaine d’années, alors. Nous sommes en 2010. Et je te le demande : quel âge a la fille ?


Je commençais mes investigations par les labos. Il y avait là beaucoup de matériels. Des machines qui me semblaient toutes plus complexes les unes que les autres. Des écrans restés allumés clignotaient et des chiffres verts défilaient. Je ne trouvais rien de particulier ici. Du moins rien qui aurait pu me guider. Et me guider vers quoi ? Je ne savais même pas ce que je cherchais. Et y avait-il quelque chose à chercher ?…


Est-ce que je savais, moi, quel âge avait la fille ? Elle était jolie, ça c’était du concret. Il était comme Jacky en fait, un peu paranoïaque. Et ils étaient jaloux, oui ! Jacky était jaloux de Gérard, et mon copain était jaloux de moi. Voilà, c’est tout. C’est ça, les potes. Tu sors avec Dona-Claire Dorland ? Il n’en revenait pas. Je m’étais un peu avancé, d’accord, mais je savais que ça arriverait. La semaine prochaine. J’en étais sûr.


Dans les films, c’est dans les caves que ça se passe… Je suis descendu par un couloir en faisant attention où je mettais les pieds. Je suis arrivé au sous-sol. Glacial. Passant devant une grosse porte métallique, j’ai entendu du bruit. J’ai stoppé net. Jacky était-il derrière la porte ? Je regrettais d’avoir allumé. Et comment me recevrait-il ? Si c’était lui…

Je percevais comme des grattements. J’ai attrapé le levier, l’ai abaissé et la porte s’est ouverte. La pièce était légèrement éclairée. Il y avait des rangées de cages. Avec des bestioles dedans, qui tournicotaient et grattaient. Je suis ressorti. La gente animale ne serait pas source d’explications. J’ai ouvert une autre porte. Dans cette pièce, j’ai trouvé quelques caisses en bois alignées contre le mur du fond. L’une avait son couvercle décloué. Je me suis approché et, du bout du pied, je l’ai poussé sur le côté. Mon regard s’est porté vers l’intérieur de la boîte. J’ai bondi violemment en arrière, surpris par la lumière qui venait de s’éteindre avec un claquement sec. J’ai tendu le bras pour m’appuyer au mur et, après un temps d’hésitation, j’ai rebroussé chemin à tâtons. J’avais froid. J’ai eu bien du mal à regagner le rez-de-chaussée.

J’ai décidé d’aller dans le bureau de Dona-Claire Dorland. Je trouverais peut-être un début de réponse à cette question d’une absurdité évidente : qu’est-ce que je fabriquais ici cette nuit ?

Je me suis assis dans un des fauteuils de verre. La lune donnait ce qu’elle pouvait et sa lumière laissait des petites taches ça et là, juste ce qu’il fallait pour que je me repère. Je ne me réchauffais pas. J’étais trop tendu.

Sur le dessus du bureau, j’ai remarqué une grille gravée dans l’épaisseur du verre. Des signes translucides vibraient à l’intérieur de chaque case. J’ai passé la main au-dessus. Une case a changé de couleur et un rectangle de lumière s’est découpé dans le mur. Dona-Claire Dorland est apparue. Je venais de mettre en marche un écran de télé. Elle disait :


- … Et cette expérience s’avèrera concluante, comme vont vous le montrer les images qui suivent…


Sont arrivés sur l’écran des individus en blouse blanche qui se livraient à des manipulations ; puis une souris blanche et une grosse seringue. Je n’aimais pas ça. Ils ont piqué la bestiole et l’ont placée dans un cylindre en acier. Il y a eu un saut d’image, une main a attrapé la souris… J’ai eu un haut-le-cœur, la souris était en deux, coupée en plein milieu et, derrière, je voyais le scalpel qui se retirait avec la main gantée. L’image est restée un instant figée, comme les deux moitiés de souris… Et j’ai compris ce qui me gênait : pas une seule goutte de sang !

Le bruit de mes mâchoires s’entrechoquant m’a tiré de ma torpeur. J’aurais voulu me lever et fiche le camp, mais mes jambes tremblantes refusaient tout dialogue. Je n’allais pas tenir le coup longtemps. Il fallait que je balaye tout ça, que je fasse le vide. Et je savais comment.

J’ai passé la main sur la grille, pianotant sur les numéros, au hasard. À un moment, le bon panneau a glissé : le shaker était bien là. Je me suis jeté dessus, j’ai avalé son contenu d’un trait et je suis retombé, haletant, dans le fauteuil.

Alors que je tentais de récupérer mon souffle, les bras ballants le long des accoudoirs, Dona-Claire est entrée dans le bureau. Je n’ai pas été étonné.

Oh, mon diamant ! Tu apparais enfin dans ta transparence glacée. Tu viens briller rien que pour mes yeux. Approche, approche que je te tienne dans le creux de mes mains. J’ai voulu tendre les bras vers elle, mais je restais cloué dans le fauteuil.


- Bonsoir, je suis heureuse de vous trouver ici.


J’en étais sûr ! Elle était pour moi. Rien que pour moi. Un rayon de lune est passé à travers son corps et des éclats de lumière ont volé dans la pièce J’en ai attrapé un, l’ai porté à ma bouche et l’ai avalé. Une petite partie d’elle descendait dans ma gorge.


- Ne restons pas ici, elle a dit, suivez-moi.


À ma grande surprise, j’ai pu me lever et lui emboîter le pas. Après une succession de pièces carrelées de blanc jusqu’au plafond, nous sommes descendus par un long couloir éclairé par le sol. Nous marchions sur la lumière, c’était divin. L’éclairage éclaboussait ses chaussures blanches à talons. Sa jupe claire se tendait à chacun de ses pas et je devinais sa peau frissonnante. J’assistais là à un des plus beaux spectacles d’ombres chinoises qu’il me fut jamais donné de voir. Ses jambes se croisaient et, au travers du tissu, un triangle lumineux montait et descendait le long de ses cuisses.

Nous sommes arrivés devant une porte. Je me suis approché d’elle dans son dos et j’ai enserré sa taille de mes mains. Elle a tourné la tête légèrement en arrière et m’a offert sa bouche. J’ai plongé. Je n’avais jamais rien bu d’aussi limpide, d’aussi pur. Elle s’est doucement dégagée.


- Patience, elle a fait, avec son joli sourire.


Elle a tiré sur la porte et nous sommes entrés… au Paradis.

Et il y faisait si froid ! Mais cela n’avait aucune importance, elle était là, avec moi, dans ce décor féerique. Il y avait d’énormes blocs de glace et, par un savant trompe-l’œil, la pièce paraissait sans fin. Une lumière bleue tombait du plafond et teintait des stalactites de verre. Un fond musical nimbait l’ensemble. J’ai reconnu Christophe avec ses « paradis perdus ». Une table était dressée et, sous des voiles qui s’agitaient doucement, je devinais un immense lit à baldaquin. La Belle au bois dormant, c’était ma princesse de la banquise.

La lumière a légèrement décliné et nous nous sommes retrouvés dans la bouche l’un de l’autre. J’adorais quand elle repoussait ma langue et enfonçait la sienne entre mes lèvres, j’avais l’impression de sucer un petit glaçon parfumé. Un frisson est descendu le long de mon dos, est passé entre mes jambes et s’est logé dans mon sexe. J’ai poussé mon ventre contre le sien.


- Attends, elle a fait.


Elle m’a entraîné vers la table. L’inévitable shaker était là. Elle m’a tendu un verre. J’ai plongé mes yeux dans les siens, j’essayais de voir le piège, mais je n’y rencontrais que le désir, un océan de désir. J’ai bu, ne lâchant pas son regard. J’avais de plus en plus froid, je me glaçais. Ma température descendait à toute vitesse. La tête me tournant un peu, je me suis accroché à elle.


Elle m’a attiré contre la pointe de ses seins tendus, a écarté les rideaux et nous sommes tombés sur le lit. J’ai déchiré sa robe avec des gestes saccadés. Mais j’avais beau faire courir mes mains le long de son corps et me coller contre elle, je ne me réchauffais pas davantage. Et j’étais obligé de constater que je ne bandais pas assez. Je sentais à peine ses ongles dans mon dos. Je me concentrais, mais ça ne donnait pas grand-chose, pas de quoi commencer quoi que ce soit. Je l’ai sentie s’impatienter. Alors elle m’a repoussé et j’ai entendu sa bouche dans un murmure de désapprobation glisser sur mon ventre. D’un coup de langue magique, elle a redressé mon envie. J’ai dû me reprendre à plusieurs reprises avant de la pénétrer correctement, le froid me rendait maladroit. Son souffle était doux à mon oreille. Je l’entendais basculer vers son plaisir. Des cristaux me couraient dans les veines. Je l’ai sentie s’arc-bouter et devenir dure comme de la glace. D’un dernier coup de reins, j’ai accompagné son cri. Je me suis écroulé sur elle. Elle a déposé un baiser sur ma joue. Nous sommes restés pantelants quelques instants.

Puis, me poussant doucement, elle s’est dégagée et s’est levée. Je restais le nez dans les draps, les fesses à l’air. C’est alors que j’ai entendu la porte se refermer bruyamment.

Vlan !


Où était-elle partie ? Reviens mon amour, je t’en prie, reviens. Je ne savais pas si je pensais ou si je criais. Je restais seul, allongé. Je n’osais plus bouger, j’avais peur de casser comme du verre. Et ce froid qui continuait à mordre dans ma chair. Et Christophe au loin : « Mais peut-être un beau jour voudras-tu, retrouver avec moi, les paradis perdus… »


J’étais encore conscient quand elle est revenue. Elle avait revêtu une blouse blanche et poussait un chariot devant elle.

Comme j’étais toujours à plat ventre, elle m’a retourné, s’est penchée sur moi et m’a embrassé sur la bouche. Je ne pouvais pas bouger les lèvres. Elle m’a ramené les bras le long du corps. J’étais incapable d’esquisser le moindre geste, de prononcer la moindre parole. Alors, avec les yeux, je l’ai interrogée.


- Je vais te raconter une histoire, elle a murmuré à mon oreille.


Alors, tous les mots qu’elle avait prononcés lors de notre première rencontre, tous ceux que j’avais vus par terre dans ma salle de bains l’autre nuit se sont ordonnés, lentement. Souriante, elle a continué :


- Et pour cette première expérience sur un être humain, il a choisi sa propre fille, alors âgée de dix-huit ans…

- Et alors ? ont questionné mes sourcils.

- Alors tout a bien fonctionné, une réussite totale. Seulement j’avais subi une mutation irrémédiable. T’imagines-tu en train de faire l’amour à une femme dont le corps serait plus froid de vingt-quatre degrés ?

- Moi, je pourrais, mes yeux ont dit, remplis de compréhension.

- Tu es gentil, mais c’est totalement impossible. Alors, j’ai mis au point ce cocktail…


Je le savais. À peine prononçait-elle les mots, que je savais. La boîte de nuit qui appartenait à son groupe industriel, un cartel qui finançait la recherche cryogénique, le journal qui publiait la photo, l’élu qui buvait son premier cocktail et, à partir de là, finissait dans ses bras, sur ce lit.

Je l’aimais davantage. Je ne pouvais plus rien faire d’autre que l’aimer, alors je l’aimais.

Elle a approché le chariot, dessus il y avait un grand cylindre en acier. J’ai eu un instant de panique, je revoyais le petit cylindre et la souris. Elle m’a fait glisser sur le côté et je me suis retrouvé à l’intérieur, le couvercle restant ouvert. Les yeux noircis par la peur, je l’ai interrogé du bout des cils.


- Ne crains rien mon amour, a-t-elle dit.


Sur ce, elle a rabattu le couvercle et, poussant le chariot, nous a fait sortir de la pièce.

Le plafond a défilé au-dessus de moi ; par un hublot, je voyais son visage. Nous sommes entrés dans un monte-charge et la descente a commencé. Elle s’est penchée par-dessus le cylindre et m’a adressé un sourire confiant. L’ascenseur a stoppé et nous sommes entrés dans une pièce frigorifique.

Quand elle a fait glisser le cylindre sur le côté à l’aide d’un palan, j’en ai aperçu deux autres déjà positionnés au centre d’un grand bassin. Je voyais les visages derrière les hublots. Je reconnaissais Gérard et Jacky. Leurs yeux étaient fermés et toute couleur était absente de leur teint.


Elle a ouvert mon hublot.


- Voilà mon amour, tu es arrivé.

- Et Gérard ? Et Jacky ? Mon œil droit a demandé.

- Il n’y a que toi qui comptes, mon chéri… Nous allons vivre un amour éternel, toi et moi…


Je l’ai regardée et je l’ai crue. Dans un dernier clignement d’œil, j’ai réussi à lui dire :


- En somme, tu te mets des glaces à deux boules au frigo.

- Ah ! Albert ! Je savais que j’avais raison de te vouloir, il me manquait un rigolo !


Puis elle a fermé le hublot et une buée froide a envahi le cylindre. À bientôt mon amour, j’ai pensé, à bientôt.


Le sang a ralenti sa course dans mes veines.


Des images défilaient. Je m’offrais un dernier diaporama. Puis tout s’est bloqué sur une photo. J’étais avec ma mère, quelque part dans mon enfance, et dans une poussette. Ma mère me présentait un cornet de glace.

J’ai fait la grimace, je venais de me souvenir que je détestais le froid sur mes dents.


 
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   doianM   
21/11/2010
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le chemin vers l'amour passe par la mort.
Assez agréable l'histoire paradoxale vêcue par le narrateur. Sensible au froid il est pourtant attiré par la beauté de sa princesse, beauté agrémentée de glace et frissons.
Passion qui finit par une grande scène d'amour, en fait une mise à mort, plus exact un dépôt pour conservation sine die.

Il est intéressant que l'amour qu'il porte à la belle inconnue se complique d'un recherche de vérité, vite abandonnée. Il continue malgré les informations obtenues sur l'âge réel de la jeune femme, en fait centenaire...conservée par les premières expériences de la famille de scientifiques.

J'ai apprécié quelques coupures intelligentes dans le récit: la première expérience du cocktail dans le bar, interrompue par la première visite chez Dona-Claire, retour au bar pour décrire l'effet premier de la boisson.
Et encore d'autres plus tard rendant le récit dynamique.

Cependant des négligences dans l'écriture. Un seul exemple:
"Est-ce que je savais, moi, quel âge avait la fille ? Elle était jolie, ça c’était du concret. Il était comme Jacky en fait, un peu paranoïaque"
Il, c'est qui ?. Pas Dona.

Puis, dans le déroulement de l'intrigue, trop de descriptions des sensations et sentiments de Albert.
La plupart redites ou facilement sensibles au lecteur.

Lecture intéressante.

Bonne continuation.

   Anonyme   
24/11/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Ecriture fluide et maitrisée
Texte long mais dès le premier paragraphe, j’ai eu envie de lire la suite. J’ai été vite captivée par l’histoire.
Style très agréable.
Tout le long l’ambiance est glacée, blanche et bleue, et le verre est omniprésent. Cela crée une atmosphère particulière assez vivifiante !
Souvent drôle aussi.
Des dialogues très naturels.
Le suspense est bien agencé, de telle façon que l’on se doute qu’une relation entre la reine des glaces et le héros a commencé mais sans en comprendre réellement la teneur. On est donc tenu en haleine tout le long.
Beaucoup de phrases que j’ai appréciées entre autre :
« Des nuits sont passées mais pas la princesse. »
« et moi avec une légère déchirure quelque part, mais je ne pouvais pas dire où ni comment. »
« L’éclairage éclaboussait ses chaussures blanches à talons. Sa jupe claire se tendait à chacun de ses pas et je devinais sa peau frissonnante. … et, au travers du tissu, un triangle lumineux montait et descendait le long de ses cuisses. »
« Elle m’a attiré contre la pointe de ses seins tendus »
« Je l’aimais davantage. Je ne pouvais plus rien faire d’autre que l’aimer, alors je l’aimais. »
« Les yeux noircis par la peur, je l’ai interrogé du bout des cils. »
A un certain moment, on devine qu’il va servir de cobaye ou autre …
Un peu déçue par la chute, le suspense est très bien mené, et la fin ne tient pas complètement ses promesses. Bon puis la glace à deux boules, un peu moyen je trouve …Dommage
Mais merci pour ce moment de lecture globalement captivant.
Bonne continuation

   jaimme   
5/12/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Une très belle écriture. J'adore ces jeux avec les mots. Ils sont souvent plein d'élégance et de justesse. C'est vraiment le point fort, très fort même, de cette nouvelle.
Les allers et retours sont limpides, bien amenés.
Les regrets: l'histoire d'abord. Elle ne rend pas justice à la maîtrise de l'écriture. Les élans d'amour de cet homme sont particulièrement crédibles, mais l'histoire méritait quand même un scénario un peu plus complexe. Je me suis dit plusieurs fois: c'est splendide, et à la fin "tout ça pour ça"... Dommage. Je veux dire par là que lorsqu'on est capable d'écrire aussi bien il faut que le scénario soit à la même hauteur. Je suis donc exigeant. Ici même très exigeant.
Au niveau des détails, le seul moment qui m'a accroché est "nous nous sommes retrouvés dans la bouche l’un de l’autre". C'est très laid, non? Surtout par rapport au reste!
La glace à deux boules... Facile, non? Restez très exigeant avec vous-même!
Au final, un auteur que je vais surveiller de très près car le potentiel est évident.
Mon évaluation prend en compte tous les éléments ci-dessus!
Merci!

   Anonyme   
11/12/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup
De l'idée, de l'originalité, du suspens. Un style familier dans les dialogues, une écriture affirmée fait de cette nouvelle une histoire très appréciable. Bonne continuation !

   Coline-Dé   
30/12/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Une écriture soignée au service d'une histoire fantastique mais malheureusement trop prévisible.
Je pense que tu aurais intérêt à resserrer, il y a des longueurs, en particulier dans la partie médiane.
En revanche, j'ai beaucoup apprécié les discrètes touches d'humour dont le texte est parsemé ; même si la toute dernière n'est pas du goût de tout le monde, elle m'a bien fait rire !

   arnotikka   
17/1/2011
 a aimé ce texte 
Un peu
Le suspens est là, construction ok, c'est l'écriture qui me plait moins, je la trouve trop sage, prévisible.

   Simili-me   
5/2/2011
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une histoire que j'ai trouvée plus profonde que son titre ne le laissait penser. On y rencontre onirisme, suspens, inconscient fantasmatique, et petit à petit, ce qui semblait du détail prend de la consistance. J'ai apprécié le retour sur la dégustation du cocktail, qui souligne son importance. Le bar, la photo, rien n'est gratuit...


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