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Science-fiction
Gouelan : À force de silence
 Publié le 02/05/25  -  10 commentaires  -  11837 caractères  -  121 lectures    Autres textes du même auteur

Une société totalitaire où la religion de l'ombre imposerait sa loi.
Imaginer une issue de secours au creux du silence.
Le silence pourrait avoir son mot à dire.


À force de silence


Chaque matin au lever du jour, j'entends l'oiseau derrière la fenêtre aveuglée.

Ne pas chanter, seul l’oiseau.


***


Le bébé ne pleure pas, il agite ses mains sous le regard de l’homme en barbe. Il sera fort, mon fils, promet-il avant de claquer la porte derrière lui.


Ali grandit. Ali ne sursaute pas quand l’un des hommes de la maison nous surprend dans la cuisine. Il continue à jouer sur le sol avec les graines et les bols, s'interrompant seulement lorsqu’il ressent la tension traverser nos corps. Moi, je sursaute. Mes filles aussi.


La leçon du matin chuchotée de mère à fille. Apprendre à parler moins fort que le filet du robinet, à se fondre aux murs, au carrelage fêlé, à la poussière, au torchon, à l’assiette ébréchée, à la serpillère. Goutte à goutte, les mots coulent sur nos mains.


– Les mères tremblent.

N‘être rien. Rien qu’une femme. Un ventre de larmes et de sang. –


Ali est sourd et muet. Il faut lui toucher le bras, doucement. Il gazouille au soleil du matin filtré par les doubles rideaux, sanglote quand la nuit tombe avec son chapelet d’angoisses. Je suis sa mère. Même s'il en a trois. On se partage les tâches et l’homme en barbe. Lui nous a toutes les trois.


Ali a deux ans. D’autres garçons sont nés depuis son arrivée dans nos vies. Ils n’ont que quelques mois d’intervalle. Tous plongés dans le silence. Pas les filles. Les fillettes entendent les voix qui claquent. La peur inonde leurs yeux grands ouverts.

Mais chaque matin au lever du jour, derrière la fenêtre aveuglée, la mésange les console.

Ne pas chanter. Seul l’oiseau.


Écoute, Ali ! L’enfant pose sa main sur le cœur de Soline, sa petite sœur. Il bat fort. Le sourire d’Ali plein les yeux essore pour un instant l’ombre des hommes en barbe. Je l’ai appelée Soline, ma fille. Les hommes n’imposent de prénoms qu’aux garçons.


– Les filles pleurent. Toutes les mêmes.

Naître rien. Rien qu’une fille. Esclave d’une nuit sans fin. –


Nos garçons, trop jeunes encore pour faire l’homme, escaladent les coussins dans la pièce aux tapis. On remonte le temps en buvant du thé : l’école, la danse, la musique. Courir les jambes nues, les cheveux au vent. Plonger dans les vagues de l’océan. Soline ouvre grand la bouche comme pour avaler nos images fantastiques. Comme moi, lorsque je dévorais mes albums en couleurs dont je connaissais l’histoire par cœur. Mon doigt suivait les mots mystérieux, j’avais hâte d’en connaître tous les secrets.


Chut ! Retour au présent.

Toujours l’une d’entre nous, l’oreille collée au-dehors, écoute les pas.


***


Sous la burqa, pendant la promenade surveillée, mes yeux en cage grignotent un morceau de ciel. Nos enfants ne connaissent pas les mouettes, elles ne viennent plus fouiller nos poubelles. Les hommes en barbe sont pires que les rats. À l'affût du moindre croissant de lumière, ils observent les papillons. Seuls les garçons peuvent courir en battant des ailes. Très vite, ils rejoignent leurs sœurs serrées contre nos voiles sombres.

Je regarde mes pieds au croisement des hommes en barbe pour éviter les coups ou, pire que tout, la prison.


– Effacer son regard. Enterrer ses pas vivants. Étrangler ses mots au bout d’une corde.

Les mots pendus. –


Malgré cela, les enfants collectionnent des images qu’ils rapportent à la maison. Ali et ses frères inventent un langage emmêlé de réalité et de rêves. Leurs sœurs participent à cet alphabet du silence. Ensemble, ils créent une histoire neuve où on ne coupe pas les ailes des filles.


« Les garçons ont presque l’âge de l’école. Les hommes s'inquiètent. Comment leur apprendre la Loi ? postillonnent-ils, la barbe pleine de sauce tomate. » Leurs voix s’élèvent comme le tonnerre, ils renversent les plats, nous jettent à terre. Coups de pied. Leurs mains grasses dans nos cheveux défaits.

Le dos courbé, la jambe qui boîte, l'œil fermé, Soline et moi regagnons la cuisine sans aucune plainte. Ali et ses frères interrogent de leurs mains.


Le silence caresse leurs têtes brunes et blondes. Les lèvres tremblent, les larmes parlent.


***


Sept ans déjà. Ali et ses frères, presque jumeaux, quittent la maison à l’aube. Avec les garçons des maisons voisines, ils marchent péniblement dans les pas des ombres. Aucun n’entend la parole des hommes en barbe.


– Tuer le mécréant, sermonnent-ils. Battre la femme impure, fermer sa bouche d’où sortent les serpents. Haïr la mère, la sœur. –


Les poings serrés, les bouches tordues par la rage, les regards glauques clouent les garçons à la peur. Eux aussi. L’odeur d’opium et d’alcool trahit les mensonges de ces tyrans.


Alors ils regardent le ballet des nuages, la danse des feuilles dans les arbres, toujours à la recherche de lumière. Ils hument le sel de l’océan pas si loin, mais, comme les mouettes, Le Grand Large nous tourne le dos. Aucune aide n’est venue de ce côté-là. Le monde a-t-il sombré de toute part ?


Armés de fusils encombrants, les garçons tirent après les ordres. Ils ratent leurs cibles. Des résistants en loques, des laboureurs fuyant l’esclavage attendent la mort droit dans les yeux. Des hommes fiers. Ils reconnaissent chez ces garçons frêles les enfants de la liberté. Leur mort sera plus douce. À l’écart, une poignée de femmes en cheveux libres pleurent les fusillés. Sous les crachats et les coups, les hommes en barbe, vulgaires et lâches, les traînent jusqu’à la prison, un mot trop doux pour ce qu’il renferme d’atrocités. Cet endroit pourrait se nommer l’enfer, mais l’enfer nous le vivons dans nos maisons, sous nos burqas, dans nos têtes. Les mots s’interrogent en vain. « Toi qui entres ici, abandonne toute espérance », est-ce assez fort ?


Nos garçons, oisillons de douceur, sont battus par leurs géniteurs. À leur retour, derrière les portes, leurs mains nous racontent. Soline est la meilleure interprète lorsqu’on se perd dans l’envol de leurs mots, où chaque position d’un doigt marque une nuance. Leurs visages reflètent la détresse des hommes et des femmes sacrifiés au nom de la tyrannie.


« Je vais me déguiser en garçon, et avec Ali et Yasmin, on ira délivrer les femmes aux cheveux libres ! affirme Soline tout en signant dans l’air son défi. »

Je tremble en terminant le bandage sur le torse du plus jeune. Mais, au fond, qu’a-t-elle à perdre, ma fille ? Dans trois ans, guère plus, un homme en barbe la prendra. Peut-être un vieil oncle ou un cousin drogué.


« Tout ça, c’est la faute des femmes ! postillonne le cousin, au dîner. » Je me penche juste à temps pour éviter son bol de soupe aux herbes, ce qui décuple sa colère. « Demain matin, on les jugera ! tranche l’oncle au visage couturé. »


***


À genoux, sur la place publique, une balle dans la tête, elle s’effondre, Joanna. Trois autres agonisent sous le jet des pierres et des injures. Alix, Maëlle, Lucie. Encore une fois, j’assiste à cette parodie de justice. Elles ne valent même pas une balle ! crache le petit-fils d’un chasseur.


– Ne pas baisser la tête, les regarder en face, nos sœurs. – Leurs cris crèvent les tympans, arrachent les plumes, enfoncent une épine dans le cœur de l’oiseau. Le sang coquelicot sur leurs os brisés fige la mémoire. Vivement leur dernier battement d'aile, prie notre silence.


L’envie si forte de les rejoindre en jetant ma vie dans le puits ou en avalant du poison m’engloutit. Comme tant d’autres. Comme Solène, ma petite sœur, elle n’avait que douze ans.


Nos garçons-filles ramassent les pierres ensanglantées lorsqu’on les envoie faire le guet à l’entrée du village. S’ils aperçoivent une silhouette s’enfuir à toutes jambes à travers bois, leurs balles se perdent dans le ciel ou dans un tronc éloigné.

Sur la tombe désolée, les pierres-coquelicots racontent leurs mères. Garçons-filles, je les ai nommés ainsi parce qu'ils pleurent en silence. Ils touchent les arbres pour écouter la terre et le ciel.


– Ils nous ressemblent. Malheur !

Ou bonheur, un jour. –


Une femme en cheveux libres s’est échappée de sa geôle de l’enfer. Je ne ferme pas l'œil lorsque Soline, déguisée en garçon, disparaît dans la nuit avec ses deux frères. Leur don du silence protège leurs pas. Faute de Dieu. Les herbes mélangées à la boisson des gardiens facilitent aussi leurs missions.


***


Les années s'empilent, comme des assiettes sales, des jours esclaves. De mariages forcés en grossesses précoces, la maison pousse ses murs. La mère dénonce la belle-fille, une épouse jalouse trahit une concubine. Cela arrive. La peur tue la confiance. La peur détruit l’amour.


L’homme en barbe est vieux, bientôt sa fin. Désormais, ma place n’est plus dans son lit partagé, je dors dans un coin de la cuisine, corvéable à merci. Le vieux débris regarde avec aigreur ces ventres jeunes mais inutiles depuis qu’ils enfantent des garçons ratés au regard étrange. Comme si la vie les traversait. Si lents. Comme s’ils mêlaient leurs pieds aux racines. Si légers que leurs mains ressemblent à des ailes de papillons. Si beaux, que les hommes en barbe les haïssent.


***


Dans le regard d’Ali, l’espoir jaillit comme d’une source. Il est le père de deux filles. Elles sont libres d’être ce qu’elles rêvent. Libres de faire du char à voile dans la baie du Mont-Saint-Michel, ou de grimper aux arbres pour mieux voir le lever du soleil.


Les hommes en barbe, tous crevés par l’âge, la drogue ou le poison, pourrissent sous terre. Le ciel n’en veut pas.

Depuis que les voix de l’ombre ont disparu, les écoles ont ouvert leurs ailes à tous, petits et grands. De partout, on sort des livres de leur cachette. Ils arrivent par voilier, par charrette, dans les sacoches des vélos, dans les sacs à dos. De main en main, ils racontent. Dans les classes, les mots d’Ali s’envolent comme des oiseaux silencieux. Par les fenêtres ouvertes, s’échappent les rires des enfants. Soline l’accompagne dans ses histoires. Elle dessine au tableau lorsque les mots enfouis trop loin manquent à l’appel. Alors, si beaucoup de livres ont fini au bûcher, d’autres ne tarderont pas à les réinventer. Patience.


***


À mon tour, je vais bientôt mourir. Après moi, s’écrit enfin l'avenir. Mon petit-fils ressemble à mon grand-père, cet irréductible pêcheur. Pourtant, lui non plus n’a rien pu faire contre son propre fils. La vague noire était trop puissante.


La parole peut tuer lorsqu'elle n’a plus qu’une seule couleur. La couleur de la haine ; glauque, rouge sombre, épaisse, râpeuse. Ses mots tranchent, étranglent, lapident. Ils explosent. Ils crachent. Comme étouffée par un virus, elle ne fait que vomir une diarrhée de ténèbres.


Que peut faire la vie pour se débarrasser de ce flot de violence ? Que peut-elle inventer lorsque tous les mots de lumière sont en berne ?

Elle peut lui couper les cordes vocales, rompant ainsi la chaîne de transmission de l’aveuglement.


Lorsque le silence l’aura guérie, lorsque les mains s’envoleront comme des oiseaux et non comme des poings, lorsque les cœurs battront à l’unisson des oiseaux, des arbres, du ciel, alors, elle reviendra. Elle n’aura plus peur.


C’est la prophétie du silence. La prophétie des femmes.


***


Il porte le prénom de mon grand-père, le petit Tom. Il a quatre ans, il pleure, chante, tape sur mes casseroles pour faire de la musique. Mamie Lou, tu viens danser ? m’invite-t-il par-dessus son joyeux boucan. Je ris aux éclats, peu importe mes dents cassées. Aucune pierre ne pourra plus m’atteindre, ni moi, ni aucune fille.


À force de silence, les mots ont gagné la bataille. Dans ma prison, j’ai écrit trois images à partager :


– La liberté comme religion

La vie comme parole sacrée

Et soi-même pour guide. –


Cela résistera-t-il à la soif de l’homme pour la tragédie ?


 
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   Salima   
2/5/2025
trouve l'écriture
très perfectible
et
n'aime pas
Cette nouvelle me choque par son contenu politique et idéologique. Le classement en science-fiction me parait juste une façon de dissimuler l'attaque dirigée contre l'Islam.
Évidemment, c'est l'Islam qui est visé par "religion de l'ombre", ce qui se confirme par tout un tas de clichés communément répandus contre l'Islam et les Musulmans, ou bien d'attributs tournés en dérision et mépris : barbus, polygames, burka, etc.
Usage du prénom Ali, opposé aux prénoms du rire, de la liberté, de la joie : Joanna, Alix, Maëlle, Lucie, Tom, Lou, prénoms occidentaux et/ou de l'American Way of Life.

S'agit-il de dénoncer un extrémisme, une déviance ? Non, il s'agit ici d'assimiler l'Islam dans son intégralité à des clichés abjects : "postillonnent-ils, la barbe pleine de sauce tomate. Leurs voix s’élèvent comme le tonnerre, ils renversent les plats, nous jettent à terre. Coups de pied. Leurs mains grasses dans nos cheveux défaits." etc. On se croirait revenus en 1939, aux temps de propagande antijuive.
Pour preuve : dans ce texte, l'ordre n'est pas rétabli par un retour à la religion de l'Islam purifiée des atrocités d'ignorants violents et criminels, non, l'ordre est rétabli en niant la religion :
– La liberté comme religion
La vie comme parole sacrée
Et soi-même pour guide –
et en allant faire du char à voile dans la baie du Mont-Saint-Michel.

C'est de la propagande pure, utilisant la diffamation et le mépris pour propager des idées anti-islamiques.

Je ne peux même pas m'attarder sur une éventuelle qualité d'écriture, tant le fond occulte la forme. Sous prétention de dénoncer un obscurantisme, l'auteur fait usage de procédés oratoires déviants, fait passer des insultes pour des lieux communs, mon ressenti est profondément dégoûté.

Salima, en EL.

   jaimme   
15/4/2025
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Une nouvelle qui dénonce la barbarie de la soumission absolue des femmes qui la vive au quotidien en Afghanistan, aujourd'hui et en particulier. Mais pas seulement, car le mélange des origines des prénoms étend le sujet à toutes celles qui subissent la talon des hommes. Une espérance aussi, étendue un peu abusivement à la catégorie "science-fiction".
L'espoir que l'idéologie, quelle qu'elle soit, ne donne plus de prétexte pour anéantir la vie des femmes, comme celle des hommes.
Ce texte n'est en rien raciste ou islamophobe (terme qui est utilisé à tort à toute personne qui critique les abus du monde musulman). La pratique de toute religion peut être apaisée et aimante, elle peut être aussi prétexte à assujettissement et exclusion. Toute forme de violence est à dénoncer, ce qui est fait ici. L'auteur a aussi utilisé son droit à dénoncer toute forme de religion. C'est son droit.
Le fond est donc tout à fait recevable, et même honorable.
Quant à la forme, malgré de belles tentatives, je trouve l'ensemble un peu artificiel, ne sachant pas si la poésie est utilisée avec suffisamment de force ou pas assez. La deuxième partie est plus percutante que la première partie.
Bravo pour vous être attaqué à un sujet aussi douloureux et qui cristallise tant de pensées manichéennes. Dans le contexte international actuel il est bien difficile de parler des horreurs que subissent tant de personnes sans être immédiatement taxé d'être le tenant d'une forme de racisme. Et c'est malheureusement compréhensible car certains utilisent effectivement la lutte contre certains abus pour faire clairement du racisme anti-arabe. Toujours se poser la question: "qui parle"?

   Gouelan   
2/5/2025

   Laz   
2/5/2025
trouve l'écriture
perfectible
et
n'aime pas
Je reviens sur le texte après avoir commenté les précisions de Gouelan.

Je trouve le texte excessivement long, ennuyeux pour qui ne partage pas les sentiments de l’auteur, et la poésie qui s’en dégage artificielle.

J’ai l’habitude, lorsque je n’aime pas un texte, de passer mon chemin, mais en l’occurrence il me semble juste de répondre à l’effort de l’auteur.

   Donaldo75   
5/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Hello Gouelan,

J’aime bien l’exergue qui me prévient de ce que je vais lire. Je le dis d’autant plus que personnellement je ne l’utilise pas de cette manière.

Anyway ! Je rentre dans la nouvelle.

Les deux premières lignes, qui font office de préambule, je suppose, ne m’étonnent pas de la part d’une poétesse telle que toi. Moi, je trouve ça bien, rafraichissant par rapport à pas mal de nouvelles bien carrées qui n’entrent pas forcément dans mes oreilles rondes.

« On se partage les tâches et l’homme en barbe. Lui nous a toutes les trois. » J’aime bien la formulation ‘l’homme en barbe’ qui me fait penser à un strip lu récemment dans un journal américain. Quant aux deux phrases, elles résument bien ce type de situation.

« Les poings serrés, les bouches tordues par la rage, les regards glauques clouent les garçons à la peur. Eux aussi. L’odeur d’opium et d’alcool trahit les mensonges de ces tyrans. » C’est exactement ça, l’oppression, avec en plus savoir que l’idéologie derrière le régime n’est qu’une façade vermoulue.

« La parole peut tuer lorsqu'elle n’a plus qu’une seule couleur. La couleur de la haine ; glauque, rouge sombre, épaisse, râpeuse. Ses mots tranchent, étranglent, lapident. Ils explosent. Ils crachent. Comme étouffée par un virus, elle ne fait que vomir une diarrhée de ténèbres. » Je trouve cette formulation particulièrement adaptée. Elle ne respire pas l’analyse sociologique et s’ancre dans notre humanité, avec des mots que tout le monde peut comprendre quel que soit notre référentiel culturel. Et ça c’est bien dans une dystopie.

En synthèse : j’ai bien aimé le déroulement de la nouvelle, même si je trouve qu’elle faiblit sur la fin. La tonalité est là. Les personnages auraient pu s’appeler Ingrid, Helmut et Wolfgang et l’histoire se passer dans les tréfonds du Dakota du Nord sans que l’histoire perde de sa force.

Bravo !

   Sidoine   
6/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Sur la forme, j'ai trouvé cette nouvelle aboutie, avec un ton poétique qui laisse bien entrevoir la souffrance et l'oppression dont il est question. Peut-être y a-t-il un léger essoufflement narratif au fil du propos, mais j'ai aimé la sensibilité qui s'en dégage.

Sur le fond, je suis beaucoup plus mitigé. Je trouve problématique toute référence à l'islam dans ce contexte, (« religion de l'ombre », « burqa », « homme en barbe »...). Ce vocabulaire charrie des clichés qui me paraissent à la fois violents et inappropriés, en dépit des intentions de l'auteur. Comme si des peurs ancrées s'étaient manifestées à travers cet imaginaire, en dépit de lui-même.

Pour cette raison, il me semble que le texte gagnerait en pertinence et en hauteur en enlevant tout ce qui se rapporte à l'islam, et à se situer dans un territoire non ancré dans le réel (outre la religion de l'ombre, les hommes en barbe et la burqa, revoir le choix des prénoms, l'allusion au mont saint michel etc...).

Il aurait alors plus une portée universelle, en s'attaquant à toute forme de dérive religieuse, sans viser explicitement l'une d'entre elles en particulier.
Bref, peut-être faudrait-il qu’il assume pleinement sa dimension dystopique, en s’émancipant du réel, pour atteindre une parfaite sublimation ?

   Cristale   
6/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Gouelan,

"Depuis que les voix de l’ombre ont disparu, les écoles ont ouvert leurs ailes à tous, petits et grands. De partout, on sort des livres de leur cachette." "Alors, si beaucoup de livres ont fini au bûcher, d’autres ne tarderont pas à les réinventer. Patience."

Pour avoir aimé votre texte, la sincérité aussi douce que brutale du propos, et notament ce passage empreint d'espoir, mais peu à l'aise pour commenter les nouvelles, je romps mon silence afin de partager le bruit de mes pensées.


Qu'au ciel chantent les oiseaux.

   Damy   
6/5/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
Un texte bien délicat, bien pudique, poétique aussi, pour évoquer la violence, notamment celle faite aux femmes.
Ce n'est pas une coïncidence, "À force de silence" m'a évoqué la vie de Camille Claudel qui, aux limites du combat pour sa liberté, pour celle des femmes, a été enfermée dans un couvent de moniales par sa propre mère et son frère, y demeura 30 ans et y mourut. Son amour fou pour Auguste Rodin ne s'est pas passé sans passion ni sans violence. Margueritte de Navarre (une voisine) écrivit déjà un manifeste pour l'égalité des femmes : "La marguerite des marguerites".
Tout cela est loin. Aujourd'hui, les extrémistes islamistes, ici et ailleurs, font leur office et j'admire la délicatesse avec laquelle vous abordez le sujet.

   papipoete   
6/5/2025
trouve l'écriture
très aboutie
et
aime beaucoup
bonjour Gouelan
J'avoue avoir hésité m'aventurer sous ces 11000 caractères, et finalement je crois que tu aurais pu en rajouter le double, tant tu avais à dire sur ce monde " préhistorique ", tant ce qu'il raconte semble d'un temps où bien des mots de notre vocabulaire n'existaient pas !
Les meurs qui occupent ces barbares ( barbus tout puissants contre femmes moins que rien ) nous font tourner la tête du côté de l'Extrème Orient, mais elles sont hélas coutumières, en bien des pays encore comme hier au Rwanda, en Bosnie, ou devant une maison cette femme immolée par son mari.
A force de silence ou bien de propos irresponsables, sur tels ou tels combattants " résistants " , on se demande comment feront ces femmes, ces filles, pour un jour, ne serait-ce que défaire leurs cheveux ?
NB Ce récit est bien mené, sous le grillage de la burka, sur le carrelage de la cuisine maculé de tout, sous les pierres de lapidation.
Heureusement, ce texte se termine dans la baie du Mont Saint Michel, où l'héroïne Mamie Lou et son petit Tom semblent avoir trouvé un home de paix... après quels chemins de ronces à traverser ?
On peut arguer la fabulation face à toutes ces horreurs, mais lorsque des rescapées de l'Enfer racontent, ne faut-il pas les croire comme celles d'Auschwitz, plutôt que laisser passer le temps comme aussi, les enfants à Bétaram ou autre petits du film " l'échange ", les religieuses " innocentes " après le passage des soldats russes en 45.
Doit-on se taire encore et toujours ?
L'auteure parle de ces croyants qui travestissent lugubrement l'Islam, comme la Sainte Inquisition put salir la religion catholique à vomir.
Nous connaissons plein de musulmans qui arborent visage de paix, prônent respect du prochain, même portant la barbe mais imprégné de bonté.
J'ai frémi, te lisant mais songé aussi : " savons-nous le bonheur dont nous jouissons, français ? "
bravo pour ce moment ! mais je ne t'aurais pas lue, juste avant de me coucher...

   Ornicar   
6/5/2025
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour Gouelan

Et merci pour cette nouvelle dérangeante, mais que j'ai lue avec intérêt, et qu'au final, j'ai appréciée. Justement, peut-être, à cause de son coté "dérangeant". Je trouve courageux de votre part le choix de sa thématique, car le sujet (ici l'emprise d'une religion en particulier, l'Islam) n'est déjà pas simple en lui-même. De plus, un tel sujet est particulièrement "sensible" chez nous, en France, pour des raisons évidentes qui tiennent à l'histoire du pays. Enfin, son traitement, sur un plan strictement "littéraire", est du genre "casse-gueule". Dans l'ensemble, vous vous en tirez plutôt bien, je trouve.

Sur le plan formel, j'ai apprécié l'écriture. Son rythme, tout d'abord, avec ses nombreuses phrases courtes qui colorent le propos d'une certaine sécheresse et lui donnent par conséquent de l'impact ; ensuite, son caractère poétique à certains endroits. Sans doute, de mon point de vue, le texte gagnerait à être un poil raccourci.

Sur le choix du genre (science-fiction), je n'y trouve, personnellement, rien à redire. N'eût été la présence de la mer à proximité - dont il est fait mention à un moment mais qu'on oublie vite - on peut se croire en Afghanistan, au pays des talibans, des "barbus". Et on découvre vers la fin que l'action se passe non loin de la baie du Mont Saint-Michel. Alors, dystopique ? Oui et... non. Non, parce que de tels cas existent aujourd'hui en France. N'en déplaise à certains, c'est déjà une réalité. Oui, parce que ces cas, tous ces cas mis bout à bout, ne font pas une généralité et ne reflètent heureusement pas une situation d'ensemble.
Certes, le portrait fait de ces "hommes en barbe" ("la barbe pleine de sauce tomate", "Leurs mains grasses dans nos cheveux défaits" ) est caricatural. Et c'est peut-être le point faible de ce texte : ces rustres, ignares, pour qui la "croyance" est sans doute plus importante et plus forte que le "savoir" ne font règner la terreur que sur plus faibles qu'eux : les enfants, les femmes. Alors qu'un Tariq Ramadan tout à fait "présentable" me semble tout aussi, sinon plus, dangereux. Car l'homme, très intelligent, se double d'un redoutable idéologue.

Parlons aussi du titre ("A force de silence"). Un très beau titre parce qu'il résonne en répercussions multiples. D'une part, le silence est le ressort et le moteur de cette nouvelle. L'enfant, Ali, que l'on voit grandir est silencieux, sourd et muet de naissance, ainsi que ses jeunes frères. On en ignore la raison et peu importe. On peut imaginer que ce trouble est la réponse d'un jeune garçon extrèmement sensible au silence qu'impose par la force "l'homme en barbe" aux filles et femmes de la maison. Silence double, donc. Silence oppresseur / silence protecteur dans lequel se réfugie Ali, mais aussi les femmes pour éviter les coups ("La leçon du matin chuchotée de mère à fille. Apprendre à parler moins fort que le filet du robinet, à se fondre aux murs, au carrelage fêlé, à la poussière, au torchon, à l’assiette ébréchée, à la serpillère"). Ne plus exister, être totalement transparent, pour survivre malgré tout. Et même silence triple, avec ce silence de la "majorité silencieuse" qui ne veut pas "faire de vagues", ni voir une certaine réalité qui n'est pas "toute" la réalité, mais qui constitue néanmoins une "part" de "la" réalité.

Alors, oui ! Sur le fond, ce texte est une attaque contre une religion, l'Islam. Et alors ? Où est le problème ? Depuis quand ne peut-on pas critiquer une religion, quelqu'elle soit ? Ce n'est pas faire offense aux croyants et aux pratiquants d'une religion que de critiquer celle-ci. La critique de toutes les religions est légitime. Si tel n'était pas le cas, ce serait reconnaître la supériorité d'une "loi divine" sur la "loi des hommes", d'un pouvoir spirituel sur le pouvoir temporel et cela, ce n'est tout simplement pas possible. Ni entendable, ni envisageable. Car la "religion", et là je parle du vocable, ce n'est pas seulement un ensemble de croyances, une foi. Si ce n'était que cela, il n'y aurait aucun problème. C'est aussi un culte (avec ses lieux et ses rites encadrant la pratique religieuse), et aussi une forme de pouvoir (avec sa hiérarchie interne, son organisation propre, son idéologie). Et c'est là que le terme devient problématique, car selon l'usage qui en est fait, il peut vouloir signifier une de ces trois choses ou les trois en même temps. D'où une confusion dommageable, source de malentendus et de mauvaises "interprétations" qui n'ont pas lieu d'être.

Il ne serait pas tolérable, au nom de la nécessaire critique de la religion, de remettre en cause ou de s'attaquer à la foi, c'est à dire la liberté de conscience, de millions de musulmans. Et de ce point de vue, ce n'est pas ce que fait ce texte. On ne saurait donc le qualifier "d'islamophobe". Un terme qui, au passage, ne veut strictement rien dire mais révèle une escroquerie sémantique à des fins d'instrumentalisation politique. En gros : "critiquer l'islam = c'est critiquer tous les musulmans = donc, c'est raciste. CQFD". Mais il ne serait, à l'inverse, pas davantage tolérable d'interdire, au nom du nécessaire respect de la liberté de conscience absolue de chacun (croire en tel ou tel dieu ou ne pas croire), toute critique salutaire de la religion et de ses excès.

Voilà les réflexions que m'inspire cette nouvelle au-delà de ses qualités réelles et de ses défauts mineurs. Un texte qui, par les réactions très tranchées qu'il a suscitées en commentaires ou en forum de discussions, m'a poussé à m'étendre peut-être plus longuement que d'habitude.


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