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Sentimental/Romanesque
hersen : Briser la glace [concours]
 Publié le 09/02/22  -  7 commentaires  -  10569 caractères  -  49 lectures    Autres textes du même auteur


Briser la glace [concours]


Ce texte est une participation au concours n°31 : Elle, lui, eux et... l'hiver !

(informations sur ce concours).



Paul se recoiffe de son couvre-chef approximatif, vaguement découpé et assemblé à la va-comme-je-te-couds, après s’être perdu dans ses pensées face à ce trou.


Il a creusé ce pertuis dans la glace dès que la couche de gel a été suffisamment solide pour le soutenir. S’il a transpiré sous son bonnet, ce n’est pas seulement d’avoir cassé la glace, mais bien par peur que la glace se casse sous lui. Et pourtant rien ne le ferait quitter cet endroit près du lac. Tout ce qu’il souhaite, c’est se reposer, pêcher son poisson dans son trou et ne plus entendre parler de rien. À chaque pensée qui lui vient, il est au bord du gouffre, bien plus sûrement qu’il est au bord de son trou.

Pourquoi vient-il se geler là chaque matin, engoncé dans des vêtements épais ? Pour l’action, sans doute, non pas celle de l’attente au bord de la glace, ce n’est pas très prenant, mais celle d’avancer, d’avoir chaque matin un but. Ou peut-être une obsession, de se dire que quitter la maison, ça n’a de sens que si on sait qu’on peut y revenir, s’y remettre au chaud, faire bouillir de l’eau pour le thé et vider les poissons sur le plan de travail à côté de l’évier. C’est cette sensation qu’il aime par-dessus tout, de revenir au chaud après avoir eu froid, de se sentir vivant une fois de plus. De remettre une bûche dans le poêle.


Il a enlevé son bonnet pour sentir le froid glacé lui cerner les tempes. Sa façon à lui de lutter. Pousser le froid jusque dans ses retranchements, le narguer, le supporter. Il faudra bien qu’il recule un jour ce froid qui gèle à pierre fendre tous les vides en lui.


Il combat. Chaque matin, il combat.


Puis une fois rentré dans son chalet, souvent il ne fait rien d’autre que mettre des bûches dans le feu, du thé, et manger son poisson. Il attend que le jour s’en aille pour reprendre des forces, pour être prêt de bonne heure le lendemain matin à retourner au bord de son trou, dont il faut casser la glace qui est revenue dans la nuit.


Parce que c’est ça, l’insupportable, la glace revient tout le temps, elle cherche à l’étreindre. Il faut qu’il transpire dans ses gros vêtements pour la défier. Tous les supports de sa vie sont cassants comme du verre.


Donc il se recoiffe, il en était là quand il a encore divagué sur des terrains glissants, fuyants.


Il sort son matériel, assez réduit et rudimentaire, appâte et attend. Il attend vraiment qu’un poisson morde, car ça interrompt le fil de ses pensées glacées, ces pensées d’un autre monde, d’une autre vie qu’il a oubliée.

Il se répète je pêche, je pêche, je pêche du poisson sur le lac, ça remplit ma vie, tout va bien j’ai une vie, elle me garde. J’ai froid, c’est bien, c’est ma préoccupation de faire ce qu’il faut pour ne pas en mourir, de ce froid, pour ne p… non, ne pas aller par là, ne pas aller dans les pensées cachées dans le pergélisol de son cerveau, de son cœur.


Il se calme, un poisson mord, il s’affaire. Puis entend une voix, tu fais quoi, dis ? Paul sursaute. Il n’a pas l’habitude qu’on vienne le déranger dans son froid douillet endormant. Tu fais quoi, dis ? Cette fois, il ne peut plus faire semblant de ne pas avoir entendu et se retourne, ronchon. Un enfant est là, légèrement vêtu, souriant. Paul est perplexe, il a déjà vu ça quelque part. Mais c’est loin, si loin.


Allez, va-t’en ! Va-t’en, va-t’enva-t’enva-t’e… répond un écho blanc, sépulcral.


Lorsque l’écho a fini tout ce cirque assourdissant, que le calme revient, l’enfant demande, dis, tu fais quoi ?

Cette fois, pas de sursaut, pas de cri, mais un lent mouvement pour se rapprocher de l’enfant.


Tu veux apprendre à pêcher ?


L’enfant s’avance, tâte le bord du trou de son pied. Oui, je veux bien apprendre.


Alors le père sourit et explique, tu vois, tu fais comme ça, faut être patient, si tu sens une petite secousse, c’est qu’un poisson est intéressé par l’appât, faut pas le brusquer. Regarde, on les voit tourner dans l’eau, ils sont là, ça va être une bonne pêche, aujourd’hui.


Je ne vois rien, dit l’enfant, se penchant encore. Je ne vois rien d’autre qu’un soleil qui se reflète. Et il se penche encore, pour mieux voir ce que son père voit.


Paul allait répondre quand une voix contenue, douce, l’appelle. Paul, Paul, tu m’entends ?


Je peux pas, dit-il, je suis occupé. Puis il reprend ses explications sur la pêche, non, pas comme ça, ne tiens pas ta canne si fort, reste souple, sinon les poissons vont sentir le piège. Disant cela, il veut regarder l’enfant, il veut encore et toujours se repaître de sa beauté, mais l’enfant n’est plus que l’ombre de lui-même. Paul entend toujours de doux Paul, Paul, et c’est très agacé qu’il se retourne.

Une femme est devant lui, en robe d’été. Il voit le dessin de ses cuisses à travers le tissu dans le soleil. Paul, reprend la voix, écoute-moi…

Non, je ne peux pas, dit-il, je dois montrer à mon fils comment on pêche. Il se retourne vers l’enfant, et il est brisé : l’enfant a disparu. Il y a simplement par terre, à côté du trou, la canne à pêche, une tige de bambou munie d’une ficelle nouée à son extrémité.


La voix l’appelle encore, mêlée cette fois à d’autres voix, masculines. Viens, tu dois venir avec nous, tu dois rentrer, maintenant.


Non, je ne peux pas laisser Mika comme ça, il est parti. Les voix mêlées, désolées, chuchotent, oui, Paul, Mika est parti. Une main lui prend le bras, avec mille précautions. Il ne sent presque rien au travers de son gros vêtement. Toujours cherchant Mika des yeux en se tordant le cou, il suit docilement les gens venus le chercher. La glace sous ses pieds se transforme, elle est maintenant herbe verte. Et des couleurs éclatent, et des arbres portent des fruits dans le jardin.


La baie vitrée est grande ouverte, il y a une table à l’intérieur, à l’ombre fraîche de la maison, avec des boissons, des grands verres, un seau à glace. Tout le monde s’assoit, après qu’on a aidé Paul à enlever ses vêtements. Puis on lui offre à boire, un liquide sucré, pétillant. On lui avance le seau à glace et il prend un glaçon, le met dans son verre, puis un autre, et encore un autre, jusqu’à ce que le liquide rouge déborde. La femme et un des hommes s’éloignent, Paul entend de vagues murmures, mais n’y prête pas beaucoup d’attention. Il observe les glaçons fondant.


– Nikki, ne le brusque pas, je t’en prie ne le brusque pas.

– Mais enfin, Harald, on ne peut pas continuer comme ça !

– Donne-lui du temps, encore plus de temps.

– Ça fait six mois maintenant que Mika est mort, il va bien falloir que le choc arrive, il ne peut pas continuer comme ça.

– Ce que traverse Paul est pour l’instant au-dessus de ses forces, Nikki. Il faut être patient, ne rien compromettre.

– Et moi, comment tu crois que je tiens, comment tu crois que chaque jour je fais des efforts insurmontables, gigantesques, pour me dire que ce n’est pas de sa faute, à lui, à lui, tu entends, à lui qui s’enferme pour ne rien ressentir, pour entretenir son petit confort, être tranquille avec sa conscience. Que j’en vomis de voir les saletés de tripes de poissons dans l’évier que tu dis qu’il faut acheter, il y en a plein le congélateur, j’en peux plus, Harald, j’en peux plus ! Tu comprends, tu comprends ça, au moins ?


Elle empoigne le t-shirt de son interlocuteur et tire dessus, de toutes ses forces.

Doucement, l’homme lui prend les deux poignets.


– Chut, calme-toi, il pourrait nous entendre. Rappelle-toi qu’il est encore très fragile, mais que les séances se passent de mieux en mieux, qu’il y a à chaque fois une petite avancée.

– Mais pourquoi, dis-moi pourquoi moi je dois supporter tout ça, je dois être toute seule à combattre, alors que vous êtes toute une armée autour de lui, à lui enlever à chaque fois ses gros vêtements de sur son corps si maigre, des abominations qu’il remettra le lendemain matin, pourquoi il fait ça, dis, pourquoi il fait ça depuis l’accident ?

– Nikki, il n’y peut rien, pas encore. Mais ça viendra. Il sait que Heira est mort. Il le sait au plus profond de lui.

– Alors on attend ? On attend que ça se passe ? Que ça nous prenne encore dix ans de notre vie ?

– Je ne sais pas, Nikki, on ne sait pas ces choses-là quand on écoute la souffrance des hommes, on ne sait pas parce que le problème n’est pas toujours où on le cherche.


Nikki ne dit rien. Elle sait qu’un psy, ça prend son temps, que ça ne dit rien au hasard. Et qu’à cette seconde même, Harald s’apprête à lui dire quelque chose de crucial. L’ami plus que le psy reprend la parole.


– Il a peur que tu saches la vérité. Que tu saches que l’accident est de sa faute, que ce jour-là ils sont partis tous les deux pour une grande balade dans la neige. Toi tu étais en colère, tu savais qu’il fallait l’empêcher. Mais tu lui as appris tant de choses sur la neige, le froid, la glace, depuis que vous vivez ensemble, qu’il s’est senti invincible, qu’il a voulu enseigner le froid à son fils. Alors il l’a emmené quand même. Maintenant il a peur de toi. Il ne le sait pas encore, mais il a peur de ce qu’il t’a fait. Un jour il ira mieux, je te le promets, un jour il sera capable d’en parler, d’affronter ta colère et la douleur que tu ressens.


Pendant qu’ils parlaient, le garde-malade avait couché Paul, avait veillé à son bien-être. Les gros vêtements étaient posés sur une chaise.


Quand Nikki se réveille le lendemain matin, un chaud matin d’été, elle entend du bruit dans la cuisine. Elle s’y rend en t-shirt, pieds nus. Elle y trouve Paul, habillé grand Nord, prenant des petits bouts de pain. Tu sais, Mika il sait drôlement bien pêcher, dit-il en mettant les boulettes dans sa poche. Sa femme s’approche, tente un geste vers la joue si maigre de son mari.


– Paul, Mika est parti. Ce n’est pas ta faute, les secours ne sont pas venus assez vite, la tempête les a empêchés, tu comprends ? Mika n’a pas souffert, c’est ça le froid, Paul, et toi, il ne faut plus que tu souffres. Nous saurons vivre avec cette blessure, tous les deux.

– Oui, Nikki, moi aussi je t’aime.


Son ton est posé, normal, un peu sourd peut-être. Un bond vivifie le cœur de Nikki, c’est la première fois depuis l’accident qu’elle le sent si proche. Ainsi c’est vrai, Paul est près du processus de guérison ? Elle a un élan pour l’étreindre, sur le point de pleurer.

Mais il s’écarte en disant :


– T’as pas froid habillée comme ça ?


 
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   Anonyme   
13/1/2022
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
J'ai hésité à commenter votre nouvelle parce que, à la lecture, j'en ai trouvé l'intrigue tire-larmes et la pédale "pathos" appuyée à donf ; comme lectrice, j'ai eu l'impression que vous manipuliez mes sentiments de manière flagrante et je n'ai guère apprécié. L'enfant mort, le père fou et mal barré pour s'en sortir, ouf ! c'est dur.

D'un autre côté, j'ai vraiment aimé la description de la partie de pêche sur la glace et la révélation de son caractère fantasmatique, le gosse qui déboule en mode Petit prince et disparaît, l'été sinistre qui s'impose.
Mais tout ce qui est explication, décorticage de la situation, m'apparaît très appuyé et les dialogues franchement artificiels, leur fonction d'exposition laborieusement étalée. Je pense qu'il serait intéressant de revoir cette stratégie d'explication, alléger et raccourcir les dialogues, rester aussi dans l'allusion, ne pas vous astreindre à tout expliciter. Par exemple, la réplique qui commence par
– Et moi, comment tu crois que je tiens
je la trouve complètement hors sol, elle a fait dérailler ma lecture.

   Donaldo75   
22/1/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Cette nouvelle se lit toute seule ; certes, le suspense n’a pas tenu longtemps en matière de ressort dramatique mais cela n’empêche pas que les personnages tiennent la route et que l’histoire donne envie de poursuivre la lecture. Par rapport au concours et à ses contraintes, ici, il y a la volonté de placer plus d’un personnage et c’est un exercice périlleux mais réussi puisque Paul reste le personnage principal. Le fond de la nouvelle est un peu triste mais le style s’écriture ne le rend pas lourd.

   plumette   
9/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
je suis partagée à la fin de ma lecture.
J'ai trouvé la première phrase du texte un peu lourde, du moins dans la description du chapeau qui n'a pas fait venir d'image, mais très vite, j'ai aimé l'ambiance, et la première partie qui décrit la pêche et l'état d'esprit de Paul dont on sent bien qu'il y a du désespoir dans ce qui est nommé "combat".
j'ai aimé l'apparition de Mika mais c'est lorsqu'on revient au réel que j'ai eu du mal avec le changement de tonalité. C'est trop explicatif. Il y aurait sûrement moyen de rester un peu plus flou et que le lecteur comprenne que Paul est dans une sorte de délire.
j'aurais aimé pouvoir situer géographiquement le lieu de cette pêche, le nom d'un lac évocateur, à défaut de nom de pays?
Bonne écriture dans l'ensemble, ce qui n'est pas rien!


J'ai été totalement déroutée par cette phrase : "Il sait que Heira est mort." Qui est Heira? N'y-a-t-il pas une "coquille" ? N'est-ce pas plutôt Mika?

Bonne chance pour la suite!

   Corto   
11/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien
L'auteur s'est attaqué à un thème difficile. Le monde de Paul qui démarre la nouvelle est vite prenant, bien mené, et le dérapage fondamental avec "l'apparition" de Mika est aussi captivant. On sent petit à petit que la logique ne tient plus vraiment debout. Petit détail: j'ai compris que quelque chose 'clochait' avec cette insistance à ce que Paul se réchauffe uniquement avec du thé alors que j'attendais quelques verres de vodka..ce n'est qu'un détail évidemment !

Viennent ensuite les passages où progressivement les explications rationnelles prennent le dessus. On rencontre des personnages nouveaux, des arguments, une logique vacillante qui n'apportent pas beaucoup de plaisir à la lecture.
J'aurais bien vu que le délire de Paul continue à se développer, avec une mystériosité entraînant le lecteur dans un incertain qui aurait eu toute sa valeur pour renforcer l'imaginaire et retenir le lecteur.

J'ai pris plaisir à cette lecture originale.

   aldenor   
16/2/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J’ai beaucoup aimé la première partie, son ambiance irréelle, l’obsession du trou, l’enchaînement des pensées délirantes du pauvre homme.
Suit un passage dans lequel la réalité et la démence se mêlent. Je crois qu’il fallait s’arrêter là (en fournissant éventuellement quelques indices supplémentaires...).
La fin fournit plus d’explications qu’il n’en faut au lecteur et rompt l’unité du texte, qui devrait à mon sens rester dans la tête de Paul.

   hersen   
6/3/2022

   Pepito   
8/3/2022
Coucou Hersen,
T’as vu, j’ai attendu la journée internationale des femmes pour commenter. Un signe, ça. ^^

Dès la première phrase je sens que ça va être long.
«couvre-chef approximatif »… à plus ou moins combien ?
« dans la glace dès que la couche de gel a été suffisamment solide pour le soutenir » … « dans la glace dès qu’elle est suffisamment solide pour le soutenir » nous suffisait amplement.
« d’avoir cassé la glace, mais bien par peur que la glace se casse sous lui. » « au bord du gouffre, bien plus sûrement qu’il est au bord de son trou. » … il doit y avoir une loi pour empêcher ce genre de jeu de maux. Je vais profiter de la présidentielle pour voir si on peut pas faire quelque chose à ce sujet. ^^
« pergélisol de son cerveau, »… gaffe à pas nous ressortir un mammouth les nœuds. ^^

Puis l’enfant survint…
Le bruit des glaçons …
Le déroulé devient pas trop mal, presque bien…

Et patatras !
« – Ça fait six mois maintenant que Mika est mort,… » … je sais qu’on est sur Oniris et qu’il faut tout bien expliquer sinon la moitié des lecteurs (ce qui va finir par faire moins que moins, d’ailleurs) vont se perdre en route, mais quand même…
« Il sait que Heira est mort. »… hahaha, prise en flag ! Alors comme ça on recycle ? ;-))
La suite est pathos, mais presque. Avec des explications pour sourds, malentendants et manchots du bulbe.
« Un bond vivifie le cœur de Nikki, » … là, tu l’a fait exprès pour que je me moque, non ? ^^

Bon, on garde de l’apparition du gosse jusqu’avant « maintenant que Mika est mort, ». Ben quoi, c’est mieux que rien, tout n’est pas à jeter. ;-)

A pluche

Pepito


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