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Fantastique/Merveilleux
inlove : Les immortels
 Publié le 20/02/19  -  10 commentaires  -  7981 caractères  -  69 lectures    Autres textes du même auteur

Deux frères organisent des funérailles un peu particulières.


Les immortels


Nous arrivions de l'autre côté du vieux pont aux pierres fissurées. Le poids du corps inanimé enveloppé dans un drap blanc que je transportais comme je pouvais devenait difficile à supporter. Mon frère était un peu plus loin devant moi et traînait lui aussi un deuxième cadavre, tant bien que mal sur le sentier boueux, le visage fermé, les boucles de ses cheveux noirs brusquées par les rafales d'un vent sans relâche. Après l'avoir déplacé sur une distance qui me paraissait infinie, nous basculâmes avec peine un premier corps par-dessus la barrière qui séparait le fleuve du passage qui le longeait. La pluie venait se mêler à la sueur qui perlait sur mon visage et ma peau moite tirait sur des muscles endoloris par un effort fabuleux. Nous fîmes de même pour l'autre cadavre puis nous enjambâmes l'obstacle à notre tour.

Un tourbillon de pensées obscures inondait mon esprit d'émotions que je n'avais alors jamais éprouvées. Pourtant lorsque j'observais mon frère, il me semblait indifférent et affrontait silencieusement les intempéries qui avaient l'air de s'acharner sur notre sort. Il me désigna l'extrémité d'une des deux dépouilles étendues sur le sol que l'on devinait être les pieds, se pencha et souleva le buste pour que nous la portions ensemble. Nous la tirâmes un peu plus bas sur un ponton en bois qui surplombait la rive. Deux barques en bois attachées sur le côté s'entrechoquaient agitées par les flots. Plus loin, on apercevait l'épave d'une péniche à moitié enfoncée dans l'eau. Seule la coque avait résisté à l'usure du temps et demeurait là comme la carcasse d'un animal colossal mort il y a longtemps au milieu du désert. Comme un glaive enfoncé dans la roche depuis l'éternité. Lorsque nous soulevâmes le deuxième corps pour le déposer à côté du premier je sentis mes jambes défaillir et je perdis l'équilibre laissant tomber ce que j'avais dans les mains. Me retrouvant au sol, mon frère lâcha prise lui aussi et me remit sur pied aussitôt en me saisissant par-dessous le bras. Après un instant de répit je traînais de nouveau le corps jusqu'au ponton. Mon frère s'agenouilla près de l'un d'eux, je restai debout légèrement en retrait.

Nous sommes restés un moment à contempler la scène ; les draps m'évoquaient de gigantesques cocons d'insectes monstrueux desquels surgirait leur terrible descendance venue assouvir la colère de quelque dieu mystérieux. Je ne pouvais pas arracher mon regard de cette vision funeste, elle m'obsédait et ce qu'elle impliquait m'obsédait davantage. Je tremblotais. Moins à cause du froid harassant qui crispait ma mâchoire et gelait chacun de mes doigts mais de ces sentiments nouveaux qui se bousculaient en moi et brûlaient dans mes entrailles. La peur bien sûr, martelait mon cœur à grands coups ; je discernais aussi l'excitation procurée par un accomplissement et cela dans un mélange d’appréhension infernale. Mon corps et mon esprit étaient comme détraqués, déchirant l'accord solide qui les unissait autrefois, dans un passé qui me paraissait en cet instant étranger. Toutefois, une pensée plus troublante encore s'entêtait à rester dans un coin de ma tête : je voulais les voir, encore une fois. Mon frère, comme s’il avait lu dans mes pensées plongea son regard dans le mien. Son regard, insondable, m'apaisa néanmoins. Il avait toujours été comme ça, toujours cet air blasé, peu importe les circonstances, qui émousse la valeur des choses. Comme s’il les avait déjà vécues un millier de fois. Cela me ramena à la réalité. La pluie et le claquement du vent s'étaient arrêtés comme la fin d'un sermon déchaîné et laissaient place désormais à un silence cérémonieux. Pas le chant d'un oiseau ou le craquement régulier du bois du vieux ponton. Pas le murmure de l'eau ni le bruissement des feuilles mortes qui se soulevaient à la cadence d'une respiration ne vint troubler l'atmosphère. Du fleuve s'élevait une fine brume aux éclats bleutés en un halo lumineux. En tendant l'oreille, on percevait seuls les chœurs graves d'êtres énigmatiques et invisibles. Je ne tremblais plus.

Mon frère me lança un signe entendu de la tête puis approcha lentement sa main du drap et révéla le visage qui se cachait dessous.


Il s'agissait de mon propre visage. Les paupières fermées, les lèvres closes, c'était traits pour traits mon visage et mon corps nu protégé par le cocon qui gisait là sous nos yeux. Le choc fut moins violent que la première fois et je réussissais à oublier la nausée. J'étais fasciné par ma propre image, pâle et immobile. Sans un mot nous nous en tenions à la vision lugubre qui s'offrait à nous. Nous avions traversé tellement d'épreuves pour vivre ce jour tant convoité que je ne savais plus s’il fallait regretter le passé d'une vie qui s'effaçait doucement, comme les vestiges sous la poussière de temps immémoriaux. Comme les souvenirs d'une âme qui aurait voyagé en moi au fil des âges et qui se serait envolée. Tout ce en quoi j'avais cru avait été remis en question et je tâtonnais, aveugle, pour remettre en place les pièces informes d'un puzzle chaotique.

Autour du cou de mon double sinistre se trouvaient une chaîne en argent et un pendentif en forme de losange incrusté d'une petite pierre vermillon. Mon frère la détacha, recouvrit le visage avec le drap puis me tendit la chaîne. Je la saisis avec précaution et comme l'objet m'était familier je le passai autour mon propre cou, ému. Il se dirigea alors vers le deuxième cocon, se pencha de nouveau et souleva le drap de la même manière ; c'est son visage à lui qu'on pouvait observer à présent. L'expression morose qu'ils dégageaient tous les deux était similaire et je décochai un sourire piteux. Impassible, il contempla un instant sa dépouille puis arracha d'un coup sec la même chaîne en argent au pendentif attachée autour du cou, celle qui lui revenait. Il remit aussitôt le drap en place, se releva doucement et mit la chaîne dans la poche de sa veste.

Les barques feraient office de cercueils ; tombeaux de bois et de fer ouverts sur le ciel larmoyant qui rejoignent la mer pour un voyage sans fin. On entreposa les deux corps dans chacune de celles-ci avant de les détacher du ponton pour que le courant les emporte. Elles passèrent sous le pont de pierres l'une derrière l'autre et on devinait la forme arrondie des cocons blancs qui reposaient à l'intérieur. Debout sur le bord du ponton, je les regardais s'éloigner puis disparaître au loin. Je devais me résoudre à quitter des yeux ce tableau si particulier.

Mon frère, qui était à côté de moi me donna un petit coup de coude et me désigna l'autre rive. « Regarde », dit-il calmement. Ce que je vis alors me fit frissonner. Une silhouette humaine se dessinait de l'autre côté du fleuve. Ni homme ni femme, elle avait le teint blafard et ses grands yeux caverneux étaient cernés de bleu et de violet en une expression froide d'autorité. De longues mèches de cheveux ternis barraient les formes anguleuses de cette figure fantomatique qui me dévisageait, le regard fixe. Figée. Seule sa lourde robe grise s'agitait, se gonflant et s'affaissant au gré du vent. Sur la paume de sa main transparente se dressait un sablier en verre dont les innombrables grains de sable restaient en suspension et ne s'écoulaient pas. Je regardai mon frère avec un air interrogateur ; il me dit en chuchotant qu'il ne voyait pas la même chose que moi et qu'en fait ça dépendait des gens. Que la prochaine fois, ce serait sûrement différent. Lorsque je portai de nouveau mon regard sur la berge, les contours du spectre se faisaient de plus en plus indistincts et je ne le verrais bientôt plus.

Au bout d'un moment la main de mon frère se posa sur mon épaule pour me faire comprendre qu'il fallait s'en aller. « C'est l'heure », avait-il dit simplement. Je lui emboîtai le pas. Sur le sentier qui remontait la pente vers la barrière, distrait, j'imaginais quel genre de monstres avaient pu apparaître à ses yeux et implorais secrètement de ne jamais les rencontrer sur mon chemin.


 
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   Corto   
22/1/2019
 a aimé ce texte 
Pas
Même pour du fantastique, il est difficile d'adhérer à ce récit. Deux frères qui traînent leur double mort jusqu'aux barques qui descendront sans accroc le rivière, même en passant "sous le pont de pierre l'une derrière l'autre".
Puis apparaît ce spectre mystérieux et l'un des frères dit à l'autre: "il me dit en chuchotant qu'il ne voyait pas la même chose que moi et qu'en fait ça dépendait des gens."
Le final se résume à ""C'est l'heure".
On ne trouve dans ce texte ni caractérisation des personnages, ni mise en situation, ni objectif, même pas une véritable intrigue.
Qu'en reste-t-il une fois la lecture terminée ?

   Sylvaine   
28/1/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le texte est prenant, l'atmosphère envoûtante, l'écriture un peu pompeuse -mais ce n'est pas un défaut dans ce type de récit - fait songer à Edgar Poe : même solennité, même ambiance macabre.
L'histoire reste assez mystérieuse, le titre - Les immortels - est indispensable à sa compréhension, et vous jouez beaucoup sur le non-dit, vous faites confiance à l'intelligence du lecteur pour deviner l'implicite. Le procédé fonctionne bien. Je regrette seulement quelques petites maladresses stylistiques, auxquelles il serait facile de remédier:
par exemple quand vous parlez d'un "mélange d'appréhension infernale", on attend " et de.." puisque le mélange suppose au moins deux éléments. Ces détails laissent cependant intacte l'impression favorable qu'on retire de l'ensemble.

   chVlu   
20/2/2019
 a aimé ce texte 
Pas
j'ai eu du mal à m'installer dans une ambiance, dans un climat et dés lors j'ai accroché sur la multiplication de,"et, qui, que" ...
Je n'ai pas réussi à construire un décor, entendre l’environnement, mon esprit est resté planté à la case déchiffrage.
j'ai poursuivi la nouvelle à la quête de la chute qui m'aurait surpris, ravi, chamboulée... Malheureusement elle m'a laissé coi!!
Je n'ai pas compris ce que sont les spectres, quelles fonctions ils ont ou quel message ils délivrent.

Bon, une prochaine fois peut être, qui sait ?

   senglar   
20/2/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour inlove,


Je dois vous avouer Inlove que cette nouvelle m'a parue un peu naïve et dans son style et dans ses images. Heroïc Fantasy ? Passage à l'âge adulte ? Pourquoi alors conserver les chaînettes puisque le texte marque une rupture (il est vrai qu'elles peuvent marquer la continuité dans l'immortalité, mais alors pourquoi les avoir placées au cou des cadavres ; je m'en vais retourner voir si vous les brisez ou les ôter simplement). Toujours est-il qu'en un mot je vous dirais que tout cela me semble un peu "immature" (sur le ton de la constatation hein rien de plus.lol.)
C'est du Pelot, plein de belles idées et de grands sentiments. Ah ! Ces grands frères ! lol j'en ai eu un moi-aussi. Ben oui...

Ceci dit j'ai aimé l'image de ces cadavres où l'on découvre que c'est soi-même que l'on envoie à la mer ; curieusement c'est peut-être ce qui évite au récit de tomber à l'eau :)

Curieuse enfin cette péniche échouée en pleine rivière et qui semble une carcasse au milieu du désert. Oued alors ! J'ai bien lu au moins (lol).

senglar

   in-flight   
21/2/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Une nouvelle qui semble fragile tant sur le sens que sur le fond.
Sur la forme, dès la deuxième phrase, j'ai ressenti de la lourdeur: "Le poids du corps inanimé enveloppé dans un drap blanc que je transportais comme je pouvais devenait difficile à supporter."
Un corps est rarement animé et est toujours difficile à transporter. D'autre part, l'indication du drap blanc pourrait apparaitre dans une seconde phrase.
Sur le fond, j'ai cherché une allégorie mais je n'ai pas trouvé grand chose: un rite de passage mortuaire? l'image de spectres qui transportent leur propre cadavre? Un massacre de jumeaux? (dernière hypothèse :)

Vous parlez de "puzzle chaotique" dans le texte, c'est ce qui ressort de ma lecture. Je suis passé à côté.

   plumette   
22/2/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je ne suis pas à mon aise avec le genre fantastique/ merveilleux, encore moins quand il est du côté sombre et morbide.
j'ai lu le texte sans déplaisir car je trouve que l'écriture colle au sujet et pour moi, elle a bien rempli son côté descriptif.

Quelques étonnements cependant : un froid harassant? ou encore une phrase qui commence par " Moins à cause du froid... on attend le "que" de la deuxième partie, et il n'arrive pas.

Sur le fond, j'avoue mon incomprehension de ce que l'auteur a voulu nous dire. Deux frères qui transportent leurs dépouilles, rencontrent un spectre et repartent en frissonnant ( le narrateur du moins).

je suis preneuse d'une explication, peut-être est-ce que je manque de références?

Plumette

   Anonyme   
28/2/2019
On peut écrire sans plan mais pas sans projet.

Quel est le projet, ici ?

L'écriture n'est pas dénuée de qualités mais le texte tourne à vide, il y a une absence criante de contenu narratif.

   Donaldo75   
4/3/2019
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Inlove,

Ce texte installe l'ambiance comme un décor de cinéma gothique, en noir et blanc, à la manière d'un vieux film allemand des années trente. Pour le lecteur avide de sens, d'explication du pourquoi cette situation, de la génèse de l'histoire, j'en passe et des plus explicites, je suppose que c'est frustrant de lire une telle nouvelle.

Ce n'est pas mon cas. J'ai bien aimé la narration.

Côté style, il m'a semblé qu'il pourrait être allégé sur les points suivants:
* L'usage du passé simple à la première personne du pluriel; ce n'est pas très esthétique.
* Une concordance des temps parfois hasardeuse (passé simple, passé composé, imparfait, plus que parfait).

La fin est bien vue et plus sobre que le reste de la nouvelle.

Merci du partage.

   CerberusXt   
1/4/2019
 a aimé ce texte 
Pas
Ce texte me laisse particulièrement perplexe. J'ai aimé l'aura de mystère et l'accroche de départ avec les cadavres (à un détail près que je détaillerais après), mais le soucis c'est que j'ai eu l'impression que le récit ne mène absolument nul part. Je ne suis pas plus avancé à la sortie de ma lecture qu'au début. Je ne connais pas pas plus les protagonistes, je ne connais pas mieux leur univers, je ne suis même pas sur de savoir d'ou sortent leur double si ce n'est qu'ils s'agit peut être d'immortel qui... qui quoi ? Qui se reproduisent par mitose juste avant de mourir ?

Dommage, j'ai l'impression d'être passé à côté de quelque chose sans bien savoir quoi et je ne sais pas si je dois être frustré vis à vis de mon manque de discernement ou de l'auteur :/

Sinon, pour en revenir à l'accroche, l'intro manque un brin de punch. Au lieu de partir sur la description d'un pont, pourquoi ne pas attaquer directement sur les protagonistes qui trimballent des cadavres ? Ca a le mérite d'être plus intriguant qu'un morceau d'architecture fluviale.

   mirgaillou   
18/10/2019
 a aimé ce texte 
Bien
L'univers du fantastique reste toujours abscons...
Chez certains auteurs des pratiques de résurrection existent (même pas mort de jean-Philippe Jaworski). Par conséquent les frères se débarrassant de leur double mort touchant d'ailleurs aux mythes, n'ont rien pour me déranger.
Je me suis interrogée sur la signification du personnage dans la brume. Bien évidemment un esprit.
Si la perception du sablier de l'un des frères n'est pas la même que l'autre c'est sans doute parce-que l'un des deux a épuisé son "capital" de renaissance...
La chaîne récupérée a probablement de l'importance marquant une appartenance.
Il y a quelque faiblesses stylistiques, mais l'histoire est bien dans la tradition de l'héroïc fantasy. Sans doute est-elle inspirée par des thèmes plus prisés des anglo-saxons mais elle émerge actuellement en français. Personnellement j'en suis demandeuse, capable de me couler immédiatement dans une atmosphère. La tradition veut qu'elle soit hostile. Ici le froid prend beaucoup d'importance.
Pour conclure, je ne reprocherai donc pas à cette nouvelle son caractère elliptique, c'est aussi ce qui fait le charme d'une nouvelle.


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