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Policier/Noir/Thriller
Jaja : Couleurs
 Publié le 01/03/08  -  7 commentaires  -  5645 caractères  -  18 lectures    Autres textes du même auteur

Les effets d'une passion contrariée.


Couleurs


Lorsque ses parents lui avaient offert sa première boîte de crayons de couleur, Raoul s’était aussitôt mis à dessiner. Comme il n’était encore qu’un bambin de trois ans, ses productions tenaient davantage du barbouillage que de l’œuvre d’art, mais, au fil du temps, le trait s’affermit et Raoul fit de grands progrès en dessin. C’était même la seule matière où il brillait à l’école, car pour le reste il était nul, collectionnant les zéros en dictée et en maths. Fort bon garçon au demeurant, mais plutôt renfermé, taciturne, plus à l’aise avec ses feutres, ses pinceaux et ses gouaches qu’avec ses semblables.

Quand vint le moment d’embrasser une carrière, Raoul présenta un dossier au concours d’entrée aux Beaux-Arts où il fut recalé.


- Recalé ! s’exclama son père quand il apprit la nouvelle. Bah ! Adolf Hitler lui aussi a échoué à ce concours et ça ne l’a pas empêché de faire son chemin dans la vie.

- Ce n’est pas exactement un exemple à suivre pour ton fils, protesta sa mère. En attendant, il faut lui trouver une occupation. J’ai entendu dire que le Center Shop du quartier cherchait un agent de sécurité. Avec son mètre quatre-vingt et sa carrure, Raoul pourrait convenir.


Renonçant à ses rêves, Raoul se présenta au Center Shop où, comme l’avait prévu sa mère, il fut immédiatement embauché. Son travail lui laissait peu de temps pour peindre, même s’il lui arrivait parfois d’esquisser quelques croquis. Puis il y eut sa rencontre avec Mélody. Un beau brin de fille, cette Mélody : blonde, frêle, délicate. Avec cela, une nature affectueuse et soumise. Peu importait son absence d’intérêt pour les arts puisque, de toute façon, Raoul avait décidé de remiser ses pinceaux.


En quelques mois, le rêve vira au cauchemar pour la jeune mariée. Depuis qu’il avait fait une croix sur la peinture, Raoul avait la nostalgie du bleu outremer, du vert végétal, du rouge vermillon et du jaune ocre de sa palette. À la réflexion, seules les teintes qu’il avait concoctées lui-même lui manquaient vraiment : un magnifique violet, surtout, obtenu en mélangeant à du noir une touche de bleu indigo. Selon qu’on ajoutait plus ou moins de bleu à la préparation, le violet tirait sur l’améthyste sombre des colchiques, le mauve somptueux des iris ou le jais velouté des tulipes les plus rares. Et si on ajoutait à la mixture une pointe de jaune - oh ! rien qu’un soupçon ! - la couleur s’éclaircissait jusqu’au parme de certains lilas.


Ne plus pouvoir créer ces tons merveilleux rongeait le cœur de Raoul. Coincé entre un boulot sans intérêt et une épouse perpétuellement vissée devant des feuilletons télé à l’eau de rose, il étouffait. Peu à peu il devint irritable, s’énervant pour un rien. Un col de chemise mal repassé, une soupe pas cuite, de la vaisselle sale s’entassant dans l’évier : tout lui était prétexte à s’emporter contre la malheureuse Mélody. Au début, il se contentait de lui crier dessus, puis, un soir, il passa à la vitesse supérieure, extériorisant à coups de pied et de poing le malaise qui l’habitait. Immédiatement, la honte le submergea au spectacle de cette pitoyable créature qui sanglotait, recroquevillée sur le carrelage de la cuisine.


- Ça n’arrivera plus, je te le jure, promit-il à Mélody.


Mais à peine lui avait-il fait cette promesse qu’il le regrettait déjà. En effet, en se penchant sur le visage de sa jeune femme, il vit « son » violet qui cernait l’œil gauche tuméfié et se retrouvait le long de la tempe, en plus clair toutefois. Fasciné, Raoul déplora de n’avoir à sa disposition ni pinceaux ni toile pour reproduire cette merveille.


- C’est prodigieux, murmura-t-il, effleurant avec tendresse les ecchymoses, de cette même main qui, l’instant d’avant, avait frappé sans retenue.


Et, jour après jour, il épia sur sa femme les transformations subies par « sa » couleur. D’abord à la limite du noir, les bleus passèrent par tous les stades du violet pour finalement atteindre un beau lavande profond. Quand l’œil de Mélody ne fut plus entouré que d’un léger cercle jaune, Raoul décida de remettre ça. Visant cette fois l’œil droit, il obtint un ébène somptueux qui débordait largement sur la pommette enflée de la malheureuse.


- La tulipe noire ! souffla-t-il avec un mélange d’émotion et de respect.


Pour Mélody, le calvaire continua. À peine les marques de coups s’étaient-elles effacées que, de nouveau, les gnons dégringolaient sur elle comme la grêle. Le soir où elle annonça à son mari sa décision de divorcer, celui-ci lui envoya une gifle magistrale qui la fit heurter le bord de la cuisinière, la tuant net.



- Monsieur le commissaire, je vous assure que je ne voulais pas la tuer. Simplement, j’ai « pété les plombs » quand elle m’a dit qu’elle me quittait. Comprenez-moi, je ne pouvais pas lui laisser mes couleurs.


Le commissaire dit qu’il comprenait très bien. Si Raoul voulait peindre et dessiner en prison, on mettrait à sa disposition tout le matériel nécessaire et, d’ailleurs, il pourrait toujours prendre ses codétenus pour modèles.


-Vous croyez ? demanda Raoul, plein d’espoir.


Le policier secoua la tête. Il en avait vu défiler des « barjos », mais celui-là battait tous les records. Il était bon pour l’asile psychiatrique, mais, en attendant, il fallait le traiter comme n’importe quel autre prisonnier.


- J’ai été refusé à l’examen d’entrée aux Beaux-Arts, expliquait-il justement. Comme Adolf Hitler. C’est drôle, n’est-ce pas ?

- Très drôle, répondit le commissaire sans sourire.


Raoul avait complètement oublié son crime. Il imaginait déjà toute la gamme de violets et de jaunes sulfureux qui allait jaillir de ses poings.


 
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   widjet   
3/3/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Le sujet est original (et coloré !) mais son traitement manque de finesse, de subtilité. Je pense qu'il fallait prendre plus de temps pour travailler ce personnage desaxé et artiste. Cela aurait interessant de mélanger cette folie creatrice à cette démence psychologique. Dommage, l'auteur est resté en surface, n'a pas creusé et développé cette aliénation, cette fascination pour les couleurs...Une historie de la sorte méritait plus un traitement qui le range simplement dans la case "faits divers".
Dommage

Widjet

   jensairien   
3/3/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
un grand texte ! Il était clair que les pralinés blancs laissaient prévoir le meilleur. Tout d’abord j’ai apprécié la concision du texte. En un paragraphe parfait on passe de l’enfance d’un « chef » à son entrée dans la vie professionnelle.
Ensuite l’humour. Peut-on rire au récit d’une femme battue ? Et bien, malheureusement Jaja a décidé que oui, car l’horreur conjugale de ce couple raté est d’une drôlerie impitoyable. La maîtrise du dosage de cynisme et d’humour est là encore parfaite. La comparaison avec Hitler, enfin, est un sacré coup de génie. Et puis cette touche finale, où le héros, rappelant les propos du père sur le Führer, se réjouit de pouvoir malgré tout faire jaillir de ses poings des jaunes sulfureux. Serait-ce juste un hasard ou une sombre allusion au jaune sulfureux de la Shoah ?

   marogne   
4/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Avec le choix du nom j'attendais la fin, la fin de Mélody Nelson. Une fin bien sur triste, révolver ou coup de poing, le résultat est le même. Mais, même la connaissant, je n'ai pas réussi à surmonter, même au deuxième degré, le dégout, même si raconté avec humour, du tabassage d'une femme (décrite d'ailleurs assez sympathiquement au début). La référence à AH au début m'a aussi un peu dérouté (peut être une influence du retour en France de cette compassion pour les victimes de la dernière guerre, bien utile pour oublier le présent).

J'ai néanmoins apprécié la construction et la force du texte, une introduction lente (relativement), qui fait monter petit à petit la sympathie pour le personnage, puis l'observation du déclein qui doit mener à la crise, et une crise rapide, à coups de phrases courtes et percutantes (.... désolé!).

   xuanvincent   
27/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai apprécié cette nouvelle.

Le thème de la passion pour la peinture et ses couleurs m'a intéressée. Egalement la progression du récit, entre le moment où le bambin reçoit ses premiers crayons de couleurs, jusqu'au moment où il aura enfin la liberté de recréer ses couleurs, autrement qu'en les observant sur le visage meurtri de sa femme. Ironie du sort... en prison !

   Anonyme   
27/7/2008
 a aimé ce texte 
Un peu
Sans plus.

D'abord par goût personnel. Les styles classiques d'écriture m'ennuient.

Ensuite parce que c'est trop rapidement traité. Le sujet et les personnages méritaient, mériteraient, que l'on s'attarde, et ils sont esquissés.

Les couleurs donnent une note plaisante au texte. Mais pour me plaire, attention je suis un seul avis et donc il faut relativiser, il en faut davantage.

Au détour d'un autre texte :)

   Anonyme   
11/11/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Texte bien construit, l'introduction bien faites introduit le personnage avec tous les éléments servant au déroulé de l'histoire.

L'auteur ballade son lecteur d'une façon surprenante. Retrouver ses couleurs préférés sur le visage de sa femme en la tabassant est une idée originale même si ça fait grincer les dents.

L'auteur attise la curiosité de son lecteur. On attend la chute avec impatience et on n'est pas déçu

   cherbiacuespe   
8/9/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↓
C'est bien écrit et se lit sans effort. Composé et pensé avec efficacité, sans fioritures.

Je plains la pauvre Mélody, terrassée par un genre de monstre encore trop fréquent dans la société. Malgré la justesse du récit, j'ai du mal à imaginer Raoul comme un malade. Je le vois plutôt comme un animal sans empathie ou un égocentrique brutal. En tout cas sans circonstances atténuantes. Et ce sera mon seul regret.


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