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Réalisme/Historique
jensairien : La nuit tout est tranquille
 Publié le 29/02/08  -  6 commentaires  -  9504 caractères  -  12 lectures    Autres textes du même auteur

La guerre n'est pas loin d'éclater sur tout le pays. Dans son petit appartement désuet, Faber, impuissant à trouver le sommeil, décide de se lever fumer une cigarette.


La nuit tout est tranquille


Des sifflements encore secouent la chambre des parents. Heureusement elle dort, paisible, protégée par l’enfance. Incessants, depuis six mois, des convois de trains fuient vers l’est. Sonia, voilà quelques nuits, lui avait glissé à l’oreille : « Quel bruit d’enfer ces trains », avec un accent angoissé qui l’avait frappé mieux que des images.


Bien sûr ils s’étaient habitués, elle suffisait grandement à occuper leur temps. Lui-même avait assez à faire. Les longues queues pour récupérer des miettes, les uniformes omniprésents, les convois d’hommes soumis, hilares, sous l’œil pétrifié des passants, il s’y était fait. Mais Élise, Sonia, s’imposaient à chacun de ses instants. Il courait les rues du matin au soir pour rapporter des victuailles. Un quartier de viande dont on n’osait demander la provenance, du lait, ou même des confitures. Un enfant c’est du souci. Pour lui qui avait souvent vécu en égoïste, sa fille était un sujet d’inquiétude autrement plus pressant que ces événements sur lesquels, en vérité, on n’avait aucune prise. Cinq ans. Cinq ans et déjà plongée dans l’Histoire, au bord du gouffre.


Il fallait la protéger, sans cesse lui inventer des histoires – d’autres histoires – pour se faire pardonner. Sonia se tourna dans son sommeil. Le réveil indiquait quatre heures. Quatre heures, quatre ans, quarante ans, où est la différence ? Il ne parvenait pas à trouver le sommeil. Peut-être à cause de ces chuintements de trains, du lustre d’un kitsch épouvantable qui oscillait sans raison, de toute sa vie qui avait balancé comme ça, de-ci de-là, par la seule force de sa propre inertie. Quarante ans, dans quelques jours il aurait quarante ans. Joyeux anniversaire.


Il se leva, passa dans la cuisine et alluma une cigarette, posté à la fenêtre.


Il savait que les gestes se répètent dans la grande famille des humains. Il est au lit, il ne parvient pas à s’endormir, il se lève puis allume une cigarette. La cigarette consumée il restera encore un peu le nez collé à la vitre et, le rendez-vous avec lui manqué, il ira se recoucher. Et combien, derrière le trou noir de ces carreaux, épiaient comme lui, la cigarette au bec, un improbable répit ?


Il fixa son attention sur un chat décharné qui fouillait les poubelles de la cour. Le quartier, plongé dans sa propre nuit, chargé de son poids de sommeil, coulait, étrangement lent et sourd, sous la lune impassible. Vacarme. De la vaisselle traînait dans l’évier. À cause de l’eau qu’il fallait économiser. Il écrasa un cafard sur le bord d’une étagère. Le sac-poubelle était plein, il eut envie de sortir. Il empoigna le sac, passa la porte d’entrée et descendit l’escalier.


Il fallait encore enjamber le tas de ferraille que les voisins d’en dessous emmagasinaient. Ceux-là, fallait-il en sourire ? semblaient se ratatiner au fur et à mesure que le tas enflait. De temps en temps il leur apportait un quelconque coucou déniché par hasard. Ils s’en emparaient d’un air farouche. Ces voisins livides, entourés de tout ce bric-à-brac, lui avaient un jour demandé : « Mais comment avez-vous pu faire un enfant ? » C’était avant les évènements et tous les ingrédients étaient déjà réunis pour un beau feu d’artifice. Bien sûr il n’avait pas de réponse. En général la vie ne donne aucune réponse. Juste des emplâtres.


Il haussa les épaules et enjamba un cadavre de vélo, se demandant comment on pouvait faire pour récolter pareils engins. Quarante ans. Quelqu’un fut pris d’une quinte de toux derrière une porte. Il s’assit sur les marches de l’escalier. Dans le fond il n’était pas à plaindre. Il avait pu échapper au gros des premiers contingents. Mais pour combien de temps ? Les informations parvenaient dans un brouillard lénifiant dont le flou artistique n’était pas la moindre cause. Presque tout le monde se savait en sursis…


Il s’aperçut qu’il était depuis un bon moment en train d’astiquer ses chaussures avec une brosse. On repassait ainsi des tas de gestes ordinaires au ralenti, comme si l’imagination trouvait là un recours au manque d’avenir. On vivait plus lentement.


Élise ? Il ne pouvait l’abandonner, mais si un nouvel appel se faisait entendre, il n’aurait guère moyen d’y échapper. Il préférerait sans doute crever ici plutôt qu’à la frontière, dans les ruines d’une ville abandonnée. C’était absurde de vouloir se battre contre l’absurde en raisonnant. En fait il était désemparé, comme tous.


Sonia seule. Comment imaginer Sonia seule avec la petite ? Impossible. Quarante ans… Il donna un coup de pied dans la porte de l’immeuble et se retrouva dans la petite cour carrée.


La nuit la découpait en deux. D’un côté la lumière d’un lampadaire falot éclairait le coin où croupissaient les poubelles ; de l’autre l’obscurité, faute aux grandes façades qui se pressaient sur elle, ne laissait qu’entrevoir une sorte de réduit, un ancien atelier. La lune néanmoins avait aménagé un espace resserré : la porte du réduit baignait dans la lumière bleu lavis de l’astre. Il jeta le sac dans une poubelle et s’appuya contre une palissade. Il leva la tête vers la fenêtre de l’appartement où dormaient Sonia et sa fille. Pour combien de temps encore ? Les dernières nouvelles ne laissaient prévoir aucune accalmie. Il fallait être encore soulagés que la guerre ne vint pas jusqu’à mettre ses sales pattes endeuillées sur notre petit territoire. « Le conflit », comme disaient les autorités, pour le moment, on y partait, rares étaient ceux qui en revenaient. La télé montrait quelques images soporifiques de cette satanée guerre mais, rien à faire, elle ne nous appartenait pas. C’était plutôt comme une rumeur, une rumeur dévoratrice au loin qui broyait tous nos élans. Élise ? Ici encore était-elle en sûreté. De l’autre côté on ne faisait plus la différence. La chair à canon, tout le monde sait ce que c’est, c’est nous. Il ne cessait d’imaginer sa mort pour la prévenir, s’habituer à son idée pour quand elle viendra. La haine qu’il ressentait n’était pas celle de la mort mais de la bêtise, de la cupidité et du mépris qui dirigeaient les hommes et les événements d’une invisible main.


Il avait aperçu un chat tout à l’heure. Sans doute s’était-il réfugié dans le réduit. La porte entrebâillée oscillait sur ses gonds.


Elle s’ouvrit d’un coup.


Un personnage d’une maigreur affreuse apparut sur le seuil. Il fixa l’homme près des poubelles avec une audace pleine d’ironie. Son regard aigu avait quelque chose de fou. De pouilleux, son état en devenait morbide. Il était sale mais ses défroques reflétaient plus une forme d’apparat qu’un écart dans le malheur. Il portait à l’épaule une sorte de faux rafistolée de paysan et sur son front étaient peints en lettres blanches ces deux mots : LA MORT.


Et il dit :


- Je suis venu te chercher Faber. Ton heure est venue.


Faber, encore sous le choc, hésitait sur le comportement à prendre. Il décida de sourire.


- Je pensais à toi justement. Je me demandais bien quand est-ce que tu viendrais. Mais je ne pensais pas te voir sitôt.

- Je fais souvent cet effet. Tout le monde m’attend mais on est toujours surpris quand j’arrive.

- Tu te donnes de la peine pour rien. Nous sommes assez grands pour nous entretuer sans toi.

- Ne fais pas le malin Faber. Il va falloir venir.

- Pourquoi cette nuit ? Je sais bien que j’y passerai mais maintenant… J’ai ma femme, ma fille qui m’attendent là-haut. Et elles ont besoin de moi. Elles dorment. Je vais aller les rejoindre, je ne voudrais pas qu’il leur arrive malheur.

- Plus grand est le malheur de ta petite existence Faber. Il faut lâcher le peu de lumière qui t’accompagnait encore. Tu vas devoir me suivre, que tu le veuilles ou non.

- Est-ce toi seul qui décide de qui va mourir et quand ?

- Faber, je n’ai pas pour habitude qu’on me pose des questions. Et je crains que tu ne saisisses que les mots te sont désormais inutiles. Tu es fini.

- Tu t’opposerais à ce que je gravisse les quelques marches d’escalier qui me séparent de ma famille ?

- Pauvre Faber, les escaliers ne sont plus de ton âge. Tu n’aurais pas plutôt monté cinq marches que tu t’écroulerais. Je suis venu te chercher. Tu n’as aucune possibilité de reculade. Tu ne peux te soustraire aux ordres. Ta place est près de moi.

- Désolé cabot. Je ne suis pas près de suivre quiconque vers la mort. Si mort il y a, c’est moi qui la choisirai, entends-tu croque-mort ! Il y a assez de cette fichue guerre. Mort ou pas, tu ne me fais pas peur. Regarde ! Je suis vivant, vivant. Et demain j’ai bien l’intention d’enlacer encore ma femme et de faire rire ma fille.

- Demain Faber, il me serait difficile de t’expliquer où tu seras avec les mots que tu as appris à saisir. Ta grande bouche en aura fini de balbutier. Mais qui sait, essaie pour voir de monter l’escalier. Allez, va…


Il se détourna vivement et gravit en maudissant les cinq étages qui montaient chez lui.


Quand il se glissa dans le lit, une main l’effleura. Sa femme se retourna et se blottit contre sa poitrine.


- Tu ne peux donc jamais dormir.

- Devine qui j’ai rencontré près des poubelles dans la cour ?

- Un ange…

- Pas vraiment. Le fils Ranard, en train de déambuler. Le pauvre gars est à moitié fou depuis que ses deux frères ont sauté. Il se prend pour la mort.

- La mort ? Le fils Ranard … Mais c’est toi qui es devenu fou. Il s’est pendu. Tu le sais bien


Livide, il lâche un « bon sang, c’est vrai », puis la première bombe qui devait déclencher les hostilités sur tout le territoire tomba sur le petit immeuble.



 
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   widjet   
29/2/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Petit bonjour amical à l'auteur d'abord....:-)
Disons que j'ai préféré la première partie : amer, désabusé, le personnage est plutôt bien dépeint au même titre que cette ambiance assez morne et volontairement terne. Ensuite j'accroche moins : l'approche plus "fantastique" m'a semblé "parachuté, la rencontre pas assez percutante, les dialogues (un exercice pas facile je reconnais, j'ai beaucoup de mal pour ma part) méritaient d'être un peu plus soignés et enfin le dénouement un peu décevant. Une hstoire malgré tout tout à fait recommendable....:-)....Mais j'attends la prochaine ! :-))

Widjet

   clementine   
5/3/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Désopilante ta nouvelle comme tout ce que tu écris, j'ai bien aimé mais c'est vrai que le passage au fantastique est surprenant et donne l'impression d'être incongru par rapport au reste du récit, peut-être d'ailleurs que c'est volontaire.
Il me manque quelque chose, je ne sais pas quoi exactement?
Enfin, c'est personnel.

   Anonyme   
23/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
J' ai lu cette nouvelle il y a déjà longtemps, sans la commenter.
Je trouve ce texte d' une immense tristesse, même le dialogue qui semble plonger dans le fantastique me parait le refflet d' un pétage de blombs, une hallucination, que seul le hasard ( la chute ) vient confirmer. C' est très beau. On aimerait bien avoir des nouvelles de toi, j' en sais rien , tu es où ?

   Flupke   
23/10/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L'ambiance glauque et lugubre est bien rendue et le style est agréable à lire.
J'ai bien aimé la chute à la fin.

   Anonyme   
1/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Quarante ans et il n'est pas réquisitionné. Pourquoi ?
Le lustre kitsh, j'aurais hésité, le kitsh étant devenu vraiment kitsh en 1980 même si le mot lui, est apparu en 1860.
Les sacs poubelles aussi, je ne suis pas sûre. Y'en avait-il déjà en 39-44 ?
Je ne parviens pas à me situer dans l'année, ni même dans la ville. Des trains. Vers l'est. Où suis-je exactement ?
"Ceux-là, fallait-il en sourire ? semblaient se ratatiner" j'aurais mis des tirets : ceux-là - fallait-il en sourire ? - semblaient... (mais ce n'est que mon avis.
Quarante ans et des escaliers qui ne sont plus de son âge ? Alors il n'a plus de souci à se faire concernant son "appel".
L'histoire est belle, j'aime la chute, et l'idée que la méchante se balade avec ces mots peints en blanc sur son front. C'est décalé, c'est surprenant. Et puis je la trouve aussi très autoritaire. Pressée et agressive. Je n'ai pas l'habitude de la "voir" comme ça, ça déroute, c'est bienvenu.

   cherbiacuespe   
25/8/2023
trouve l'écriture
perfectible
et
aime beaucoup
Deux/trois fautes et quelques tournures discutables. C'est quand même bien écrit, assez pour pouvoir s'incruster tout plein dans l'histoire. Bien construite.

Mais c'est quoi cette guerre. Finalement, c'est vrai qu'on s'en moque. Ce Faber et sa famille, titillé par un improbable avenir, des lendemains qui déchantes et qui tombe sur un fantôme qui se prend pour la faucheuse. Tout est dérisoire, même la vie semble-t-il. Pas rose, mais c'est une bonne nouvelle ; l'histoire d'un dépit sans répit dans une situation avec ou sans angoisse, tout dépend de l'instant. Prions pour ne pas vivre cette folie!


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