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Réalisme/Historique
Jocelyn : Je jure
 Publié le 11/04/20  -  9 commentaires  -  5538 caractères  -  57 lectures    Autres textes du même auteur

Une héroïne qui pleure de bonheur...


Je jure


Je jure…


Un mot, deux mots, une phrase… lourde de sens.

Je jure…

Je sais ce que je dis. Tout est écrit. Je l’ai répété par cœur des jours durant.

Je jure…

Dans ma tête, c’est le vide… Je pense à tellement de choses que je pense que je ne pense à rien. Pourtant il y a des questions évidentes. Le passé, le présent… la gratitude.

Je jure…


Bientôt ce sera fini, cette prestation. Un coup d’œil dans la salle vaste et bondée. Il y a ma mère. Là, devant de ce parterre de témoins. Ma mère. Elle me regarde. Elle sourit. Son sourire est lumière. Ses yeux où perlent des larmes de bonheur parfont mon enthousiasme. Maman, tout ceci, c’est grâce à toi… et toi seule.

Je jure…


Premier avril 1987, il pleuvait des fines gouttes sur la ville. Il pleuvait à verse dans ton cœur et sur tes joues. Il pleuvait de douleur et d’intenses déchirures dans ta voix cassée. Papa n’était plus. Il n’y avait plus que toi et ces deux mômes innocents et insouciants qu’on était, ma jeune sœur et moi. Depuis, rien n’a changé. Il n’y a jamais eu que toi.


– Mutoto, as-tu fait tes devoirs ?

– Oui m’man !

– Bien, montre-les-moi. Demain c’est l’école… Et toi Bikira, viens là. L’an prochain toi aussi tu commences l’école, hein. Tu sais compter jusqu’à dix, non ?

– Oui maman.

– Vas-y, montre-moi…

– Un, deux, trois…


Tu as tout fait pour nous, maman. Tu as d’abord commencé par vendre tes bijoux. Puis tu as vendu tes habits. Les wax, tous les wax hollandais que papa t’avait achetés de son vivant, lorsqu’il travaillait encore chez les Portugais. Il est mort d’une promesse comme une mauvaise blague, papa. La pauvreté. Parce que perdre son travail, devenir chômeur, c’est ça que ça promet : la pauvreté, la misère… la honte. Il n’a pas supporté l’idée de cette promesse et il s’en est allé. Une crise cardiaque un matin brumeux. Ce n’était pas un poisson d’avril. Papa avait cassé sa pipe parce que la vie partait en fumée. On ne s’y était juste pas préparés.

Ce jour sans soleil ne sera jamais un jour comme les autres. Non. Inondé de chagrin, papa avait choisi le repos éternel. Il n’avait plus la force de faire face. Et la promesse de pauvreté, c’est à toi qu’il l’avait laissée. À toi seule. Tu n’as pas flanché pour autant. Veuve, deux enfants à élever… Tu n’as pas baissé les bras. Tu t’es battue. Notre héroïne, c’est toi.

Je jure…

Tu as vendu tes chaussures parce qu’il fallait que tu t’occupes de nous. Maintenant que la famille de papa était venue nous chasser de la parcelle à Lemba, il fallait aussi trouver une maison à louer. Le loyer à Kinshasa, c’est depuis toujours que ça coûte un bras. Mais ça non plus, ça ne t’a pas arrêtée. Tu as tenu. Tu as vendu tes chaussures et tu as tenu. On n’a jamais manqué de toit grâce à toi maman.

Je jure…


– … Quatre, cinq, six…


Tu as gardé un pagne, juste un pagne pour toi. Ce n’était pas possible d’acheter à la fois des uniformes pour tes enfants et des habits pour ton corps. Tu as privilégié tes enfants. Tu t’es contentée d’un pagne que tu n’as pas arrêté de raccommoder. Au fil des années, ce pagne a perdu de sa couleur. Toi tu n’as pas perdu la foi. Tu as tout porté sur toi, et la foi, et le pagne plus qu’ombre de lui-même, et le désir d’un avenir meilleur pour tes enfants, et le poids du temps…


– … Sept, hu…

– Huit !

– Huit… ! neuf, dix !

– Bravo ! Je suis fière de toi ma fille !


Oui, j’ai aussi fait tout ça pour toi. Pour que tu sois fière, maman. Pour la force que tu m’as donnée, puisée dans tes secrètes entrailles. J’ai travaillé. J’ai étudié. Parce que j’avais des yeux. Je voyais tout. Toute la peine avec laquelle tu arrivais à payer nos frais scolaires, nos frais académiques, nos syllabus, nos frais d’inscription, de réinscription, les droits d’auteur, les frais d’examen et d’interrogation qui parfois variaient en fonction des enseignants, les frais de visites guidées obligatoires, les frais de stages, les transports, les fiches, toutes les fiches qu’il fallait remplir sans délai. Je voyais tout. Il fallait que je te rende hommage.

Je jure…

Tu as vendu de la braise, du fufu, du maïs, du pain, des légumes, des poissons, puis des habits de friperie, puis des ustensiles de cuisine, puis tu es revenue aux pains, puis tu es encore revenue à la braise… Tu es allée à Lufu chercher tout ce qui se cherche pour ensuite l’étaler à Kinshasa. Tu as fait Kwamouth à travers le fleuve, dormant à la belle étoile sur des métaux rouillés. Ces choses qu’ils appellent encore bateaux… Voguant à bord des baleinières, ces daka-daka et leurs bruyants moteurs de machines à moudre, dans une indicible promiscuité avec du bétail, de la volaille… Tu as fait tes besoins sur le fleuve pour subvenir à nos besoins alors que dans l’entretemps, nous on se blottissait tranquilles sur nos matelas douillets.

J’ai tant de fois vu tes mains noircies par l’ouvrage. Je l’ai vu avec mes deux yeux. Tu as senti l’âcreté du poisson des Ngombe. Tu as senti le maïs de Bumba. Tu n’as pas arrêté de sentir l’amour de tes enfants…


Je jure…

Aujourd’hui je prête serment. Je vais devenir magistrat. Et la famille de papa est là pour me soutenir. Elle n’a jamais été là quand tu galérais pour soutenir seule ta progéniture. Je te jure maman que de ma vie je rendrai justice à toutes les femmes. Celles qui se retrouvent seules. Seules avec leurs mômes à nouer les bouts du mois. Celles que l’avidité des hommes dépouille sans vergogne. Les veuves. Veuves comme toi avec, pour unique soutien, l’amour de leurs chérubins… Et l’espoir.

Je jure… Je jure maman.


 
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   ANIMAL   
11/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Magnifique ode à la mère, image même du courage et du sacrifice pour que ses enfants aient une meilleure vie qu’elle.

Et quelle chance pour elle d’avoir eu ce fils qui, reconnaissant des efforts accomplis durant tant d’années, a suivi la voie des études et du travail au lieu de choisir la facilité des petits trafics, qui bien souvent attirent pour la rapidité des gains. De l'autre enfant on ne sait rien, on espère qu'il suivra aussi une voie de droiture.

Cette mère mérite un tel hommage et son fils ne se laisse pas tromper par la famille paternelle, qui tout à coup réapparaît au moment de la réussite alors qu’elle était absente durant les années de misère. Un schéma que l’on voit trop souvent.

Cette nouvelle est un cri d’espoir et d’amour. L’écriture est alerte et très descriptive, racontant les faits sans jamais tomber dans le misérabilisme, avec ce leitmotiv « Je jure » qui représente à la fois le serment de magistrat et une promesse de justice envers ces veuves souvent oubliées de tous.

Bravo à l’auteur.

   plumette   
11/3/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte qui dit la gratitude.
Un texte qui dit la misère, le sacrifice, la solitude et le regard de l'enfant mûri par le malheur qui voit tout cela et ne l'oubliera pas.

J'ai aimé tout ce qui permet de situer ce texte dans son environnement social et géographique.

Je l'ai trouvé un peu chargé tout de même: Avec les circonstances de la mort du père qui succombe de ne plus pouvoir nourrir sa famille et le dénuement de la mère avec l'unique pagne rapiécé indéfiniment. Je pense que le texte peut conserver son sens et sa force en étant moins insistant sur la dimension de misère.la description de toutes les tâches accomplies par la mère pour gagner un peu d'argent est en elle-même très explicite.

j'aime beaucoup le serment de rendre justice à toutes les femmes! et plus encore à celles qui se retrouvent seules.

Il pourrait aussi y avoir plus de colère vis à vis de la branche paternelle qui n'est là que pour récolter la fierté et peut-être anticiper les services à solliciter plus tard!

Plumette

   cherbiacuespe   
11/3/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Un hommage à toute les femmes précipitées dans la solitude par un funeste destin, avec des enfants. Il en faut du courage pour ne pas céder au découragement et continuer coûte que coûte, pour la progéniture plus que pour soi. Objectif noble et quand la réussite est au rendez-vous, c'est la plus belle des récompenses.

Bonne histoire (une ou deux erreurs) courte. Un peu idyllique par moment (il doit bien y avoir des moment de doutes quand même). Assez bien écrit mais je ne suis pas séduit par la construction du texte. Un avis très personnel en l’occurrence qui ne peut totalement sanctionner le fond.

Cherbi Acuespè
En EL

   Anonyme   
11/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Jocelyn,

Un bel écrit pour une mère courage qui a su faire face , seule, pour subvenir aux besoins de ses enfants.
Beaucoup de sacrifices et de privations pour qu,ils ne manquent de rien.
Elle s'est privée pour eux et je salue toutes ces mères qui se battent pour leur progéniture et pour avoir un semblant de vie normale.

Je ne suis pas fan des "je jure" à répétition, même si je comprends.

C'est un bel homage et une belle preuve d'amour et de reconnaissance.

   in-flight   
12/4/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
Un texte qui vaut surtout pour le dépaysement que proposent les derniers paragraphes. Non pas que l'hommage à la maman soit inintéressant mais je lai trouvé trop chargé en pathos, hyperbolique.

D'autres part, beaucoup de formules m'ont paru peu claires:

Je pense à tellement de choses que je pense que je ne pense à rien

devant de ce parterre

papa avait choisi le repos éternel--> il a donc choisi de mourir d'une crise cardiaque?

Ce n’était pas un poisson d’avril. --> pas compris le rapport

Papa avait cassé sa pipe parce que la vie partait en fumée--> tagada Tsoin tsoin

Celles que l’avidité des hommes dépouille sans vergogne. --> sous nos latitudes la situation inverse est fréquente.

   hersen   
16/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Jocelyn,

J'ai aimé certains points dans la nouvelle, d'autres me laissent plus réservées.

Mais ce texte est avant tout ode à la mère qui, envers et contre tout, fera tout, vraiment tout, pour l'ascension de ses enfants dans la société, pour qu'ils aient une vie meilleure.

Nous comprenons fort bien la détresse de cette mère, mais aussi sa pugnacité. Le sort la punit deux fois en perdant son mari : de cette perte, et de cette difficulté que cela engendrera pour élever ses enfants, pour vivre et survivre.
Ma critique serait, du point de vue de la description de la mère, peut-être trop l'explication de la misère, par exemple le pagne usé. Je comprends qu'il faille expliquer, mais renforcer n'est pas nécessaire, car du coup, on fleure le pathos, ce qui en général enlève de la force au propos. (un texte doit faire réfléchir plus que pleurer)
Le fils est un fils exemplaire, plein de sensibilité pour comprendre les efforts de sa mère pour lui offrir, ainsi qu'à sa soeur, une bonne éducation.
Peut-être que le fils est trop "lisse", que j'aurais tout de même aimé le voir se rebeller contre ce qui leur donne une vie de misère. Même sans que ce soit un sujet principal, je pense que l'enfant, le jeune homme, ne "vit" pas suffisamment cette misère et l'abnégation de sa mère au travers du texte. (même si on coomprend à la fin du texte qu'il n'a jamais été dupe)
Enfin, nous découvrons en fin de nouvelle qu'il y a une famille qui aurait pu aider beaucoup dans les années difficiles, qui ne l'a pas fait, mais qui se place aux premières loges lorsque le fils fait son serment.
Ce point me pose un petit problème : on n'en parle qu'à la fin, j'admets qu'elle fasse partie de la chute, la renforce. C'est un bon point. Mais elle est alors mêlée à la condition de juge. Donc, la première idée qui m'est venue est : impartialité ? Je sais, le dire comme ça paraît un peu gros, mais il y a malgré tout une idée sous-jacente de parti-pris qui ne cadre pas avec l'idée qu'on se fait d'un juge.
Je sais que ce n'est pas ce qui est écrit dans la nouvelle, que ce n'était pas l'intention de l'auteur. Je donne simplement ma lecture... si je veux pousser un peu plus loin.

MAIS j'ai beaucoup aimé cette nouvelle. Elle représente bien une vérité sociétale, elle explique bien un parcours du combattant des études dans certains pays ou continents.
J'ai aussi beaucoup aimé la construction. Ce "je jure" prend au fil du texte une densité, pour finir en point d'orgue.

Merci de cette lecture.

   Vincente   
17/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Aux pas d'une injonction à soi-même d'abord et surtout, et à ceux paradoxalement plus modestes de l'engagement dans ce jour de serment envers la société au travers de la magistrature, s'imposent ces "Je jure…", entêtants, sur lesquels le projet narratif s'articule d'une façon bien singulière. L'axe que forment ces répétitions a la droiture de la conviction, l'inflexibilité de la reconnaissance profonde, l'intempérance de l'expression tant il est directeur de la conscience du narrateur. Ce côté excessif déborde du récit mais pourtant lui apporte sa puissance évocatrice.

Ces "Je jure" me sont apparus comme disproportionnés, comme venant de la voix d'un enfant contrit et contraint à se faire pardonner ; j'ai entendu des "Je te jure Maman…" "que jamais je n'oublierai…", j'ai senti un enfant désolé que sa mère ait dû tant trimer pour qu'il – lui qui se sent d'une certaine façon responsable de cela ; pas coupable, non, mais responsable – puisse faire de sa vie ce "dépassement" inouï. Ce que l'enfant qui parle oublie pourtant, c'est que dans un continuum accomplit parent/enfant, il y fusion des destinées, l'un et l'autre forme la même route ; si le premier est bien avant, le suivant est le "révélateur" du geste initiateur. Les deux ont participé à la même action. Le fait de continuer au point de révéler est l'accomplissement qui les réunit.

Ce récit nous porte dans cette aventure très touchante en avouant qu'il n'y a rien à avouer mais qu'il faut d'abord se féliciter de cette histoire. Je ne reviendrais pas sur les détails, car s'ils ont su apporter leurs "informations" adjacentes, ils ont su garder un retrait assez pudique pour ne pas prendre le devant de l'histoire généreuse.
Si le propos prend la forme d'une ode à la maman dévouée à ses enfants, il n'en déclare pas moins un amour profond, très réciproque, qui dépasse une simple reconnaissance.

J'ai trouvé à la fois très "pertinente" la construction du récit, l'anaphore, le début et la fin qui enserrent un flash-back/fondement, et puis cette association "je jure" / "magistrature" qui se rejoignent et raconte leur rencontre, et enfin, malgré ce côté adroit et tenu, une véracité très affirmée dans la réflexion et l'écriture. Du bel ouvrage, vraiment.

   Donaldo75   
18/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Jocelyn,

J'ai bien aimé cette nouvelle dont on sent l'émotion; je trouve que c'est le plus difficile, faire ressentir au lecteur cette émotion sans pour autant rentrer dans le pathos. Et je suppose que ça demande de la maîtrise, au-delà de l'écriture, pour ne pas succomber en écrivant à cette émotion.

Pour cette raison et plein d'autres, je dis bravo !

   thierry   
25/4/2020
Je n'aime pas les textes personnels, trop intimes. Je viens ici pour la fiction, l'improbable voire l'impossible. Je viens ici pour être étonné, emmené, interrogé...

Autant je trouve cette histoire bien menée, autant je me sens indiscret à lire ce récit que je ne saurais comprendre comme une invention. En clair, on me propose un truc qui ne me regarde pas. Je ne peux donc pas mettre d'appréciation.

Pour autant, c'est bien écrit, c'est clair - même s'il y a quelques propos hasardeux pipe / fumée ... - mais peu importe. La simplicité est aussi louable, ce qui n'est pas si facile. Quelques noms ou formules qui m'échappent "Tu as fait Kwamouth à travers le fleuve" aussi.

Merci pour ce partage qui ne m'était donc pas forcément destiné. Ce serait bien de raconter un truc complètement faux !


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