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Réalisme/Historique
kass : Une femme à sa fenêtre
 Publié le 15/06/16  -  8 commentaires  -  9137 caractères  -  71 lectures    Autres textes du même auteur

Un cadre et deux regards croisés…


Une femme à sa fenêtre


Une femme à sa fenêtre !


La femme était accoudée au rebord de la fenêtre depuis un long moment. À première vue, elle paraissait immobile comme si elle était absorbée par une idée fixe. Des lunettes de soleil cachaient presque toute la partie supérieure de son visage, ce qui accentuait l’effet d’absence qui l’auréolait. À un moment donné et d’un geste lent et las, elle redressa son buste, gonfla sa poitrine, ébouriffa ses cheveux des doigts de ses deux mains avant de les ramener gracieusement derrière ses oreilles. Puis elle retrouva sa position d’avant.

Sur le trottoir d’en face, il y avait un homme qui manipulait un bruyant marteau-piqueur creusant quelque tranchée. Il avait le buste légèrement penché, le corps tout entier secoué de vaguelettes, de petits tremblements comme après avoir subi un électrochoc. Il était couvert d’un nuage de poussière blanchâtre qui voletait autour de lui. À chaque fois qu’il faisait une pause, il levait la tête et rencontrait immanquablement les regards de la femme. Il était persuadé qu’elle lorgnait de son côté, car elle le regardait depuis un bout de temps. Pas une fois il ne la surprit détournant les yeux d’un côté ou d’un autre. Il fut intrigué à la fin et cet état de fait le désarçonna à tel point qu’il manqua même, le trouble l’ayant rendu moins attentif, de se faire entraîner à terre par le poids de l’outil calé entre ses cuisses.

Il faut dire qu’il n’était guère un homme insensible malgré les apparences de rustre que lui conférait sa situation de creuseur de sol. Même que cela lui procurait, tout compte fait, un changement dont il était loin de faire fi, dans cette ruelle chic et calme du quartier Gauthier baignant dans le calme et le luxe. Loin de son quartier anarchique à lui, douar Tkalia, à la périphérie, avec ses bidonvilles, loin de sa femme et sa marmaille bruyante. Ça lui plaisait, mais au fond autre chose entrait en jeu : un lien imperceptible l’attirait vers cette scène qu’elle offrait et dont il ignorait la nature.

Pourquoi me regarde-t-elle ainsi ? s’interrogea-t-il. Il essaya d’y voir un peu plus clair en lui jetant, de temps en temps, prudemment, un regard plus appuyé, plus évocateur. Mais de côté, de peur de paraître impoli, surtout avec son aspect fruste dans sa tenue de travail en plastique, son casque et ses grosses lunettes protectrices qui cachaient presque la totalité de sa figure, ne donnant aucune idée sur sa beauté virile et un tantinet sauvage. Ce dont il était fier. Mais il n’avait jamais eu l’occasion d’exercer cette virilité en dehors du cercle conjugal. Or il n’était guère sûr de vouloir essayer. En tout cas, avec cette femme à la fenêtre, il éprouvait une attirance teintée d’un malaise qui n’était pas fait pour attiser ses ardeurs viriles.

À force de la dévisager à la dérobée, il put en dessiner un portrait approximatif.

Des cheveux noirs et brillants qui encadraient un visage d’ivoire et tombant généreusement sur sa poitrine, un petit nez fin, une bouche bien faite, un cou sculpté, long et gracieux. Elle offrait une image si exquise que l’on aurait pensé qu’elle fut créée sous le coup d’une passion fulgurante. Il voulut tant, pour compléter cette représentation à la volée, connaître la couleur de ses yeux dissimulés par les lunettes, les yeux où l’âme se déploie. Mais le portrait qu’il avait formé le combla assez. Il s’en contenta.

Elle le subjugua même. Il eut le sentiment de vivre en deux temps, deux lieux. Dans le premier, il s’oubliait dans le bruit assourdissant que faisait le gros outil en creusant la terre solide, traversé de frissons. Dans le deuxième, par contre, il glissait dans le silence de l’intimité établie avec cette présence féminine, le corps parcouru par d’autres frémissements plus doux et moins contraignants. Cette double sensation le charmait.

Passé un moment, elle sortit de nouveau de son immobilité, mais cette fois-ci, elle pencha son buste un peu plus en avant, et fit flotter ses cheveux en se retournant de son côté. La signification de son geste lui parut évidente. « Elle a percé mon manège », se dit-il. Brusquement et pris sur le fait, il baissa la tête, honteux. Il eut peur qu’elle ne parte. Heureusement elle ne fit rien, lui faisant toujours face.

Or le trouble changea d’intensité, devint différent de ce qu’il était au début, teinté d’un état d’émotion particulière, celle que l’on éprouve lorsque l’on fait la cour à une femme. Il chercha alors à savoir ce à quoi rimaient ces regards. Il entreprit de provoquer une réaction de sa part. Un geste ou un signe, même futile, produirait une charmante secousse flatteuse dans son cœur. Ainsi, et après des minutes passées à percer l’asphalte dur, qui lui parurent longues à tirer, il fit arrêter le ronronnement de l’outil, scruta le lieu à droite et à gauche en inspectant les fenêtres voisines. Par bonheur, il était désert et personne ne pourrait perturber ses desseins.

C’était une matinée en milieu de semaine où l’on fait rarement attention à un ouvrier habillé en bleu qui creuse dans le bitume, se dit-il.

Alors, il se mit presque en face d’elle et la lorgna à son tour, effrontément. Il crut voir un étirement déformer plaisamment ses lèvres. A-t-elle souri ? Il n’en était pas sûr. Un bout de temps s’écoula. Puis il récidiva et leva son bras droit comme s’il voulait gratter le haut de son crâne et lui fit un bref signe de la main. Aussitôt, il s’empressa de l’enfouir dans l’une des nombreuses poches de sa combinaison de travail. Enfin il fit semblant de chercher le bouton de démarrage du marteau-piqueur, tremblant un peu de frayeur honteuse, sans toutefois s’arrêter de lever les yeux du côté de la fenêtre, en quête d’une réponse, d’un geste apaisant.

Rien ne se passa. Elle n’avait pas répondu à son salut. Elle était restée clouée à sa place. Dans ce cadre béant et rectangulaire, creusé dans une façade où d’autres cadres ouverts ou fermés semblaient lui donner une réplique de dédain silencieux. La jeune femme lui parut figée comme dans un tableau. C’est à peine si elle avait balancé ses cheveux en arrière. Rien de plus. Prenant son courage à deux mains, dans un accès de témérité qui lui était inconnue jusqu’alors, il se retourna carrément et la fixa durant plus d’une minute. Peine perdue. Il était plus seul qu’avant dans sa petite aventure. Il était sûr qu’elle n’était guère partagée. Juste un fantasme solitaire.

Là-dessus, il se dit qu’elle ne faisait aucunement attention à lui, indifférente tout simplement, comme le sont les femmes d’habitude, en ville, envers les hommes de son espèce. Mais alors pourquoi restait-elle ainsi à la fenêtre, suivant tous mes faits et gestes, j’en suis de plus en plus certain ? se demanda-t-il perplexe. Une certitude émanant d’un concours de circonstances qu’il sentait et où rentraient le lieu vide, la matinée paisible, leurs aspects contradictoires et le lien installé.

Toutefois, la question demeura suspendue sans écho. Une révélation d’un malaise grandissant. Ils étaient là tous les deux se toisant obliquement. Lui en bas, elle en haut. Deux êtres séparés par un abîme tendu dans les airs, que lui peuplait de désir, dans l’ignorance totale de ses penchants à elle. En avait-elle d’ailleurs ? « Mon imagination me joue des tours quelquefois ! » s’avoua-t-il vaincu en se moquant de son audace déplacée. « Mais ce que j’aurais aimé la connaître. » Désormais tout espoir le quitta. Il revint à sa besogne poussiéreuse.

Il constata qu’il avait délaissé son boulot, avait cessé de creuser. Le marteau-piqueur était déposé sur la chaussée, muet et inerte. Le contemplant ainsi comme abandonné et dédaigné, il eut un haut-le-cœur de dégoût. On aurait dit qu’il se voyait dans un miroir par un matin au sortir d’une cuite. Il se sentit ridiculement seul et désorienté, engoncé dans son accoutrement entouré d’une sorte de silence, moins calme et comprimant sa poitrine, empreint d’une frustration troublante.

Vers la fin et à un moment inattendu, il jeta un dernier regard dans la direction de la fenêtre étrange, et sans qu’il y fasse vraiment attention. Mais voilà qu’elle enleva ses lunettes et entreprit de frotter ses yeux pendant quelques secondes.

Il vit alors ce qui lui échappait dès le début, le petit détail qui faisait la différence. Cette circonstance infime qui s’était jouée de son penchant minime.

Les yeux de la femme étaient complètement fermés. Il sourit, découvrit sa déconvenue, et s’injuria de ne pas l’avoir deviné plus tôt. C’était évident. « On oublie que parfois la beauté peut être aveugle ! Mais je ne pouvais pas le deviner », se dit-il après un instant d’indécision. Il frappa du pied le marteau-piqueur avant de le soulever. Et tout en fixant ouvertement la femme cette fois-ci, le visage soulagé de la honte et de la peur d’être surpris, il fit marcher l’outil. Aux premiers ronronnements bruyants, la femme se redressa, secoua sa belle chevelure et dégagea son oreille droite dans la direction d’où lui parvenait le son du creusement et émit un sourire rayonnant.

« Elle me voyait autrement », se dit l’homme tout en caressant l’outil qui parut soudain aussi léger qu’un jouet d’enfant.


 
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   Lulu   
22/5/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est une femme à sa fenêtre ou un ouvrier qui oeuvre... En tout cas, on se les représente l'un et l'autre dans leur solitude apparente.

J'ai bien aimé ce récit pour sa brièveté. Il va à l'essentiel. Le point de vue de l'ouvrier est bien vu. On le suit, même si on se serait passé de la répétition du mot "viril"... "sa beauté virile" ; "il n’avait jamais eu l’occasion d’exercer cette virilité en dehors du cercle conjugal" ; "ses ardeurs viriles". Je pense qu'on avait bien compris dès la première fois.

Ce que j'ai aimé dans ce récit, c'est sa dimension descriptive. C'est très visuel. Puis, le jeu entre les deux personnages dont on ne sait rien, pourtant, mais dont la tension est rendue dans un parfait équilibre.

J'ai beaucoup aimé la dernière phrase, par ailleurs.

Bonne continuation.

   Anonyme   
24/5/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime bien cette relation d'un instant impalpable mais marquant pour celui qui le vit ; le récit expose à quel point l'imagination peut être entraînante, faire bâtir sur rien tout un édifice puissant et délicat à la fois... Et finalement, le sens en cause n'est pas du tout celui qu'avait cru l'ouvrier, mais cette révélation lui donne de nouvelles ailes.

C'est intéressant, parce qu'à la honte succède une satisfaction comme fantasmatique, celle de s'être révélé, presque dénudé devant une jeune femme, mais sans honte, sans conséquence ; la satisfaction se prolonge à l'idée que, par son activité, l'homme apporte du plaisir à la femme (en tout bien tout honneur). Je trouve tout cela vraiment bien vu et le texte bien construit, avec un bon mouvement. Je me suis demandé jusqu'au bout où vous vouliez en venir, et j'ai été contente moi aussi, comme la femme à sa fenêtre.

   hersen   
15/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
j'aime beaucoup cette nouvelle pour ce qu'elle dit des idées qu'on peut se faire sur quelqu'un, quand ces idées sont positives et portent plus loin celui ou celle qui les a; que ça ne corresponde pas, au final, à l'attente qu'on s'en faisait n'est pas le plus important ( d'avoir cette relation avec l'autre) C'est ce qu'il en découle de valorisation de soi qui est important, d'avoir ressenti quelque chose qui grandit;

Comme cet ouvrier, il s'est vu tel qu'on pouvait le voir : beau, viril, attirant.
La cécité de la femme, que l'on découvre en toute fin de l'histoire, illustre bien l'unilatéralité des impressions que l'on peut avoir ressenties.

mais quand il se remet au travail, elle tend son oreille exercée vers le bruit du marteau-piqueur...

Merci de cette lecture

   plumette   
17/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour Kass,

J'ai bien aimé cette histoire et surtout le cheminement de cet homme, ses pensées suscitées par ce qu'il prend pour un échange de regards. cet homme qui imagine un jeu de séduction, qui rêve de sortir de sa condition, tout en étant un peu honteux de son audace.
j'ai deviné très vite que la femme était aveugle mais cela n'a pas entamé mon plaisir d'avancer dans le texte pour arriver à cette jolie fin où la lectrice que je suis a apprécié qu'il y ait tout de même une rencontre par un autre sens que la vue.

Sans doute parce que l'histoire m'a plu, j'ai vraiment été gênée parfois par certaines tournures. La première phrase qui m'a arrêtée est " ce qui accentuait l’effet d’absence qui l’auréolait"
je comprend ce que le narrateur a voulu dire mais cela me semble lourd: Pourquoi pas plus simplement ? " ce qui lui donnait l'air absent" ou rien! car le lecteur peut bien se représenter l'air qu'a une femme avec la moitié du visage mangé par des lunettes de soleil.

Et puis un peu plus loin, est-il nécessaire d'insister pour la description de l'homme?
"le corps tout entier secoué de vaguelettes, de petits tremblements comme après avoir subi un électrochoc" pour moi "le corps tout entier secoué de vaguelettes" est suffisamment évocateur.
De façon générale, il y a comme une insistance du narrateur à vouloir nous faire comprendre la situation qu'on a déjà comprise.
un dernier exemple: " il était couvert d'un nuage de poussière blanchâtre qui voletait autour de lui" je suggère de supprimer " qui voletait autour de lui"

j'ai essayé d'être concrète pour faire comprendre ce qui m'a dérangée dans ce texte que je trouve fin mais desservi par moment par les commentaires du narrateur. Vous ne m'en voudrez pas j'espère.

A vous relire

Plumette

   Charivari   
16/6/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour. J'ai trouvé assez intéressantes, et plutôt bien écrites, toutes ces spéculations de cet ouvrier du bâtiment en contemplant cette femme à la fenêtre. Je me demande juste (pour moi c'est une petite incohérence): certes, cette femme est aveugle, mais elle n'est pas sourde, qu'est-ce qu'elle faisait aussi longtemps à la fenêtre avec tout ce bruit de marteaux-piqueurs ? Ça ne la dérangeait pas ?

   Marite   
17/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Kass,
Bien aimé cette nouvelle qui nous fait entrer dans le "secret" des pensées qui traversent cet homme, détourné de son ouvrage par l'apparition d' "une femme à sa fenêtre". Les personnages qui animent le récit, en fait deux seulement, sont bien amenés, sans longueur ni description excessive. Très facile de visualiser la scène dans son ensemble. Quant à l'écriture, sa fluidité a permis de lire l'histoire sans heurt jusqu'à la fin.
La petite phrase en conclusion est assez inattendue et le changement de comportement intérieur de cet homme vis-à-vis de lui-même nous donne à penser qu'il suffit parfois de peu de chose dans les contacts humains pour booster le moral.

   MissNeko   
20/6/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour

Je me disais bien qu il y avait quelque chose qui clochait ! J ai même pensé que cela aurait pu être un mannequin qui répète des gestes à certains moments.
Je ne m'attendais pas à la fin !
J ai aimé le jeu de drague de l ouvrier. Il sort enfin de son quotidien et retrouve une sorte de virilité perdue.
Lui en bas, elle en haut ça fait un peu Roméo et Juliette revisité! Mais pas de chance ! Elle est aveugle !!
Merci pour ce moment de lecture.

   widjet   
28/6/2016
 a aimé ce texte 
Pas
Me doutant assez vite de la finalité (un peu trop lourdement assenée du reste), je me suis plutôt attardé sur l'écriture qui, hélas, ne m'a pas du tout convaincu en dépit des efforts louables de l'auteur pour créer une ambiance. Cela manque singulièrement de rigueur, de fluidité et - pardon - d'une certaine élégance.

Beaucoup de choses ont parasité ma lecture, des rajouts inutiles, des lourdeurs. Voici quelques exemples :

"Pas une fois il ne la surprit détournant les yeux d’un côté ou d’un autre" (détournant les yeux suffisait)
"Il fut intrigué à la fin et cet état de fait le désarçonna à tel point qu’il manqua même, le trouble l’ayant rendu moins attentif, de se faire entraîner à terre par le poids de l’outil calé entre ses cuisses" (idem pour "le trouble l'ayant rendu moins attentif" car on avait déjà compris).
"Il faut dire qu’il n’était guère un homme insensible" (formulation lourde)
"on casque et ses grosses lunettes protectrices qui cachaient presque la totalité de sa figure, ne donnant aucune idée sur sa beauté virile ..." (ne donnant aucune idée, pas terrible comme formulation également)
"dégagea son oreille droite dans la direction..." (tendit son oreille droite non ?)
"Le contemplant ainsi comme abandonné et dédaigné, il eut un haut-le-cœur de dégoût". Un peu fort le mot dégoût non ?
"Prenant son courage à deux mains" (expression archi usitée)
"Mais alors pourquoi restait-elle ainsi à la fenêtre, suivant tous mes faits et gestes, j’en suis de plus en plus certain ?" Pas très naturel comme façon de s'exprimer.
"ce qui accentuait l’effet d’absence qui l’auréolait". Très lourd.

Beaucoup de répétitions sur la peur, la honte, l'envie de créer une atmosphère est trop insistante comme si l'auteur n''était justement pas certain de ses effets, de son écriture.

Enfin, quelques menus détails : parler de ronronnement pour un bruit de marteau piqueur ....

Bref, pas convaincu par la forme

W


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