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Policier/Noir/Thriller
lemon_a : Smog
 Publié le 08/10/09  -  10 commentaires  -  21179 caractères  -  82 lectures    Autres textes du même auteur

Bang bang !


Smog


LE RESTAURANT


Lorsqu'ils entrèrent dans le restaurant la tension était au max. Goran Pritska avait fait sonner le cellulaire, quelques minutes auparavant, alors que les trois voitures filaient dans la nuit, en bord de mer, entre Faltkerk et Sancovis. Il avait laissé éclater sa colère au téléphone : impulsive, soudaine et brève. De ces colères qui ne se dominent pas, une colère de taureau dans l'arène. Ceux qui le côtoyaient craignaient Goran Pritska parce qu'ils ne lui connaissaient aucune limite. Il avait déjà ratatiné plusieurs types sur des mouvements d'humeur. Il baisait ses serveuses dans la remise du club et dérouillait les videurs. Goran Pritska était un impulsif qui aimait se la donner et qui, dans le bouillant de l'action, ne savait plus se retenir. Stravinsky n'ignorait rien de ce tempérament. Il conduisait la voiture de tête quand il reçut l'appel et appuya sur l'accélérateur.


Ils étaient douze dans les voitures et ils étaient en retard. Goran Pritska, qui réglait la note, leur avait commandé de rejoindre le restaurant pour vingt-deux heures. À côté de sa propre tablée attendaient douze couverts inoccupés. Vingt-trois heures. Ils étaient douze menés par Stravinsky, trois voitures, qui se garaient devant l'établissement dans un crissement de pneus sur le gravier. Ils descendirent tous, quatre hommes et huit putes, et se scindèrent au seuil du restaurant.


Autour de la table de Goran, une dizaine de personnes, tous des hommes, la trentaine passée, moins bien tanqués que lui. Lui, chemise noire ouverte sur son torse musclé, les cheveux argent coupés courts et les yeux gris. Goran Pritska ressemblait à un gros loup, un tigre-loup. À ses cotés Sweet et Nasty la garde rapprochée, puis le plateau de la soirée quatre DJs allemands, leur booker et un gratte-papier. L'ensemble du restaurant baignait dans une luminosité tamisée. Il fallait traverser la grande salle pour arriver au fond, où se trouvait Goran. Stravinsky et une partie de sa bande, seulement les putes, suivaient l'hôtesse qui les menait à la table du patron. Les trois autres attendaient dehors. L'atmosphère était cotonneuse, ouatée comme un morceau de rêve. Stravinsky n'en menait pas large, les intestins noués il salua Goran avec un hochement de tête et un sourire crispé. Le patron savoura la mimique. La colère s'en allait, substituée par l'ivresse propre de la crainte qu'il inspirait. Il plaisanta pour accueillir les nouveaux venus. Les yeux gris et l'attention du tigre-loup se reportaient déjà sur les putains.


Les filles prirent place autour de la table vide : élancées, jeunes et tendres, fidèles aux photos que Stravinsky avait montrées, au bureau du club, quelques semaines auparavant. Peut-être qu'il était en retard Stravinsky, peut-être qu'il ne savait pas s'organiser et que c'était un amateur, mais il fallait reconnaître qu'il apportait de la chair fraîche. Ces putes portaient le précieux nectar des débutantes : effluve de naïveté, parfum de l'innocence.


Golden était grande et blonde, elle paraissait douce, agréable, accessible et distinguée. Elle diffusait quelque chose de multidimensionnel, de la simplicité tonique mêlée de sophistication, elle mixait la lune et le soleil, la neige, le sable chaud, elle lissait les antagonismes et mariait les contraires. À côté d'autres beautés la sienne prenait de l'envergure et s'imposait sans discussion, avec une évidence naturelle qui faisait de Golden une femme exceptionnelle. Goran était hypnotisé. Un instinct prédateur lui remontait des plantes de pieds jusqu'au sommet du crâne. Ni Stravinsky ni personne n'existaient plus. Le charme de Golden l'absorbait tout entier.


Stravinsky restait debout tandis que les filles s'attablaient. Comme personne ne faisait plus attention à lui, il écarta les pans de sa veste et brandit deux P38 automatiques qui crachèrent leurs balles immédiatement. La poitrine de Goran explosa en une gerbe de sang, déchiquetée par le métal expulsé des canons. La puissance du double impact renversa l'homme en arrière, dans un raffut de chaises et de parquet. Il s'affala lourdement, raide mort. Stravinsky tourna les flingues qu'il maintenait dans chacune de ses mains et visa Sweet et Nasty, les chiens chiens de Goran, ses lieutenants fidèles, assis à gauche et à droite du patron assassiné. Une nouvelle paire de balles emporta leur âme vers les gouffres de l'enfer. Et deux cadavres supplémentaires s'écroulèrent de côté, jonchant le sol du restaurant, pissant à gros bouillons leur cervelle éclatée.


On aurait pu entendre des cris, des sirènes, des déflagrations, voir de la fumée, des vitres brisées, des femmes et des hommes paniqués. Mais rien de tout ceci ne se produisit. La totalité du restaurant demeura atone, interloquée, péniblement assise parmi les notes bleues d'une musique jazz. À la table de Goran, les DJs allemands, leur booker et le journaliste s'étaient transformés en statues de cire.


- Allez les filles, on y va, commanda Stravinsky aux putes qui se relevaient et récupéraient leurs affaires.


Ils se hâtaient vers la sortie et retrouvaient Arnold, Jonny et Kanfr sur le parking.


- On va au club, on est parti, annonça Stravinsky.


Les trois voitures démarrèrent dans un rugissement de moteurs, éblouissant la façade du restaurant des lumières blanches de leurs pleins phares. Elles disparurent en direction de Faltkerk. Un vent marin bruissait dans les feuillages des arbres, les étoiles approchaient de la terre et rendaient la nuit claire. Et cette nuit-là, venteuse et claire, était une nuit qui commençait.



LE CLUB


Il fallait frapper vite et fort. Quand votre adversaire plie et met un genou à terre vous vous devez de l'achever immédiatement. Le Blitzkrieg, la guerre éclair pensait Stravinski, ne pas laisser le temps à ces salauds de comprendre ce qui leur arrivait, enchaîner les actions les unes après les autres, abattre ses atouts, tout simplement. Le trajet entre le restaurant et le club nécessitait une dizaine de minutes. Les quatre hommes occupaient la voiture de tête et les huit putes suivaient derrière.


Ce soir, le plateau réunissait la crème de la techno minimale allemande. Depuis quelque temps les productions d'Outre-Rhin grimpaient en flèche et les DJs faisaient salle comble. Vingt trois heures et quinze minutes : pas mal de clients étaient arrivés en avance et stationnaient sur les deux côtés de la route, tout autour du club, l'oreille scotchée aux pulsations de leur autoradio. Un genre de frénésie électrique partait du sol et montait vers le ciel. L'attente avant le grand boum, les pailles, la poudre et les bouteilles d'alcool. Les portes du club demeuraient closes, la queue s'allongeait, des groupes de gens remontant parmi les voitures, des filles en mini, des mecs avec des crêtes, des portières, des phares et la fumée des pots d'échappement plus sombre que la nuit.


Le vieux, associé de Goran, gérait les parties juridiques et comptables de leurs affaires. Le vieux était chétif, les épaules en-dedans, dégarni sur le haut du crâne, sapé comme un as de pique avec son jean informe, sa chemise hawaïenne et ses grandes baskets blanches. Le vieux vous regardait toujours par en-dessous, avec un air obséquieux ou vaguement dilué. Les coups de colère et les accès de violence appartenaient à Goran, les coups tordus, les exécutions froides venaient du vieux. Goran figurait la force brute, le vieux anticipait les conséquences et effaçait les traces. Le vieux savait ronger son frein. Il passait les contrats.


Le club était situé dans une zone industrielle. En dehors de son enseigne lumineuse rien ne le distinguait des bâtiments voisins, bureaux et entrepôts rectangulaires, aux doubles portes et aux rideaux de fer.


Vingt-trois heures et quinze minutes, les putes se rangèrent un peu à l'écart, à une centaine de mètres de l'entrée principale. La voiture de Stravinski poursuivit jusqu'à la grille qui fermait le parking immédiatement attenant à l'établissement. Ce parking était réservé au staff et aux artistes. Personne, ni voiturier ni autre garde, n'en contrôlait l'accès. Kanfr s'expulsa du véhicule pour ouvrir la grille qui coulissa dans un grincement de ferraille. Ils contournèrent l'édifice et se rangèrent face à la porte de service.


Vingt-trois heures et vingt minutes : les malabars de la sécu buvaient un café devant le point chaud, à l'intérieur du club, à l'étage : large passerelle fermée par une balustrade de métal qui surplombait la piste de danse. Le vieux égrenait les instructions pour la soirée et vérifiait les oreillettes. En contrebas, dehors, Stravinsky soulevait le coffre de sa voiture, il retira la couverture militaire qui couvrait deux sacs de sport. Faisant glisser les fermetures Éclair il en extrait des fusils mitrailleurs et un lance-flammes.


Vingt-trois heures et vingt-deux minutes. La porte de service était ouverte et Jonny, équipé du lance-flammes, pénétra le premier dans les coulisses du club, suivi par Arnold, Kanfr et Stravinsky fermant la marche. Ils s'engouffrèrent dans l'escalier qui montait devant eux.


Vingt-trois heures et vingt-trois minutes. Le lance-flammes crachait de longs jets brûlants, enveloppant le vieux et les portiers, cramant la déco, le mobilier. Des formes s'agitaient, contorsionnées, trébuchantes, réduites en ombres clignotantes au milieu du brasier. Des cris sans doute, des hurlements mais couverts par les salves de la mitraille. Arnold et Kanfr s'étaient déployés sur les côtés et tiraient dans les flammes. Un carnage, une élimination pure et simple, le vieux et toute sa sécurité étaient en train de se consumer, leur agonie fauchée par la morsure des balles. Du sang noir grasseyait et une odeur de chair grillée se propageait dans les volutes de fumée. Le feu prenait du volume, des objets explosaient. Derrière les platines et les bars, les techniciens et les serveuses s'étaient plaqués au sol, fermant les yeux et tremblant comme des feuilles au vent.


Vingt-trois heures et vingt-cinq minutes. Reflux vers les coulisses du club. Stravinsky vida son chargeur sur la serrure d'une porte verrouillée. Le bureau, de vieux ordinateurs, des étagères en fer, un placard cadenassé. Quelque part un téléphone sonnait sonnait sonnait. Stravinski flingua le cadenas du placard. Les pains de coke étaient à l'intérieur empilés dans de grands sacs Tati. Au moins quarante kilos : la retraite au soleil. Arnold, Jonny et Kanfr l'avaient rejoint et tous les quatre retournèrent dans la partie publique du club. Le feu dévorait la passerelle, menaçant l'escalier qui descendait vers le dancefloor et l'entrée du public. Ils se précipitèrent. Les putes attendaient à l'extérieur, devant la porte principale.


Vingt-trois heures et vingt-sept minutes. Le club ouvrit ses portes dans un courant d'air âcre, Stravinsky tirait des coups de feu en l'air. Les détonations déchiraient la nuit. Une peur panique saisit la foule des clubbers qui s'éparpillaient dans tous les sens. Profitant de la confusion les putes récupéraient les pains de coke et les ramenaient vers leurs voitures. Leurs talons claquaient sur l'asphalte alors que les premières flammes léchaient le toit du club.



LE LOFT


J'attendais l'équipée au loft, au nord de Sancovis, dans cette nouvelle zone résidentielle où les villas poussaient plus vite que des champignons. Cette fois les gens pleins de pognon quittaient le centre-ville pour s'installer au vert et puis dans le futur, quand la verdure deviendra trop pourrie, probablement iront-ils habiter dans l'espace. On croit que quand on possède du blé on a le choix et qu'on peut faire tout ce qu'on veut mais en réalité on passe son temps à fuir parce qu'on ne peut pas rester peinard. À propos de pognon je pensais à mon compte en banque et au méchant sourire de mon banquier. Il m'inviterait probablement à tailler le bout de gras dans son bureau, pour me proposer des placements garantis et toute la collection. Mais mon compte en banque ira se faire foutre et mon banquier avec, je savais déjà, moi, où dépenser ma thune et la faire fructifier.


Stravinski parut le premier, suivi des types qu'il avait engagés pour mener à bien l'opération. Il marchait droit avec son style rectiligne et hautain, ses pompes italiennes adhéraient au sol en ciment du loft, son ombre tirait sur le mur caressant le flipper et le juke-box. On aurait dit une lame de couteau son ombre, une lame de couteau géante et effilée. Quand il arriva devant moi Stravinsky avait l'air absent, froid comme cette foutue lame qu'il figurait par tous les pores de sa peau pâle. Il me tendit une main. Je la serrai avec la même impression que si j'avais plongé la tête dans un fagot de bois sec.


- Prends-toi une bière Stravinski, au frigo, servez-vous les gars.


Stravinsky s'assit sur un fauteuil en mousse en face de moi, les autres se dirigèrent vers le gros Frigidaire américain, dans le coin cuisine du loft.


- Ça s’est bien passé ?

- Impeccable, me répondit-il.


Il gardait les yeux mi-clos, il semblait réfléchir et n'ajoutait rien de supplémentaire. J'en savais assez de toute façon. Parce qu'impeccable, l'expression se suffisait à elle-même : ça roulait comme prévu et c'était tout se qui comptait. Pour l'instant c'était impeccable donc, il ne manquait plus que Golden se pointe et ça serait parfait.


Elle ne se fit pas attendre. Elle resplendissait dans une tenue décontractée, jean, baskets et sweat à capuche blanc qui n'empêchaient pas sa beauté d'éclater. Ni les hauts plafonds du loft ni l'écart des cloisons ne réduisaient son effet. Golden était cette femme hypnotique et fatale, indifféremment constante dans ce registre, du matin au soir, les yeux cernés, démaquillée, saoule, malade ou irritée, elle resterait toujours belle cette divine pute. J'avoue que je l'admirais plus que de raison. Sa classe avait quelque chose de rassurant, qui la rendait infaillible et je savais qu'une fois encore elle serait à la hauteur. Alors que la situation imposait du sang-froid, je savais qu'elle franchirait la barre comme un champion olympique.


- Les enfants ont été sages ? elle demanda.


Sept gaminots dormaient dans la salle d'à-côté, une pièce fermée qui servait habituellement de studio d'enregistrement, mais dans laquelle nous avions installé une demi-douzaine de matelas.


- Ils dorment à poings fermés, j'ai répondu.


Avec la dose de somnifère que je leur avais administrée en début de soirée c'était bien le moins. Je ne sais pas si c'est inquiétant ou non mais les mômes, moi, ça me rend sensible. J'ai beau déployer une muraille psychologique en béton armé pour rester pro, les gamins m'émeuvent et je me laisse attendrir. Je dois être réceptif à l'innocence. J'essaie d'être gentil. J'envoie leur mère sucer des queues au bord des nationales mais je me sens le besoin vital de leur épargner toute cette merde, j'aimerais les préserver, qu'ils continuent de rêver devant un DVD, à l'écart du monde, qu'ils évitent de grandir.


- Et comment vont leurs mamans ? je demandais à mon tour.

- Elles se préparent, elles assurent, confirma Golden.


Bien sûr qu'elles assurent. Cet aspect de l'opération ne me tracassait pas le moins du monde. Elles ingurgiteraient la cocaïne en boulettes et passeraient la frontière avec la détermination d'un barbare à l'aube du viol et du massacre. Elles feraient n'importe quoi pour récupérer leurs mômes.


- Tu nous fais goûter la cé ? je demandais à Golden.


C'était comme si j'avais répété cette question pendant des siècles, c'était mécanique, machinal. C'était entendu. Golden extrait un paquet de coke de la poche de son jean et le posa sur la table.




LE JARDIN


La coke est engageante parce qu'elle n'engage à rien. Elle te file un coup de main momentané, le sentiment de lucidité et de bonne composition temporaires. Dans un monde aussi incertain nous sommes les chercheurs d'or en Amérique latine. On cherche l'étincelle. Chhuuuuit la mèche incandescente reliée à un baril de poudre. Il s'agit de préservatifs, il s'agit de baiser l'univers avec le feu de son esprit lumière, sans prendre de risque, sans se brûler les ailes. À moins d'être un minable irradié par les conneries de la télé, tu ne refuseras jamais un trait de coke. Un type sort un sachet à côté de toi et tu mords à l'hameçon dans la seconde, espérant vivement, démon au ventre, qu'il t'invite à sniffer. La coke file la pêche et rend la situation gérable. Je veux dire que la coke ne te fait pas perdre le contrôle. Tu ne chanteras pas à tue-tête dans la rue et tu ne deviendras pas amnésique. Du moins jusqu'à un certain point, dans une certaine mesure et dans une certaine fréquence de consommation. Dommage que les indicateurs de niveau n'existent pas. Les alarmes de la cocaïnomanie hurleraient dans la ville : individu intoxiqué, parano trop sûr de lui, ultra imprévisible, déboule parmi les passants qui se croisent et qui filent.


Je tapotais le pochon de poudre ouvert au-dessus d'un boîtier de CD. Un tas de neige blanche se formait, avec des cailloux que j'écrasais à l'aide d'une carte bancaire. J'affinais la poudre au max pour la faire pénétrer plus vite dans les vaisseaux sanguins. Je traçais cinq traits épais.


Golden distribuait une feuille de papier qui traînait sur la table. Chacun en déchirait un morceau et roulait sa propre paille. Je tendais le CD à Stravinsky. Il se pencha dessus et aspira un trait. Puis Kanfr, puis Jonny, puis Arnold qui le fit tourner à Golden. Golden repoussa le CD au milieu de la table sans toucher à la poudre. Un éclair troublé traversa le regard de Stravinsky. Ce type possédait indéniablement des qualités. Je suis certain qu'il avait saisi notre intention avant de se lever, de se plier en deux avec un mauvais rictus, de tituber en toussant et en crachant au sol, de s'écrouler, de se recroqueviller, de mourir, assassiné par le poison qui coulait dans ses veines. Kranfr, Jonny et Arnold suivirent le même chemin.


Golden me regardait comme si nous étions attablés à un dîner de mariage et que c'était à moi de lancer un discours. Je devais prendre les choses en main, passer à la suite, faire avancer l'histoire. Je devais me lever de mon siège et traîner les cadavres encore chauds de mes anciens complices jusqu'aux grandes bâches pliées dans le jardin. Mais je restais posé là, assis dans le fauteuil. Pendant quelques secondes, un sentiment de plénitude saisissait chaque interstice de ma conscience. Mon avenir ressemblait à un orgasme. Les tropiques fonçaient à travers les océans et je sentais déjà l'écume des vagues venir lécher le bout de mes orteils. J'entendais le bruit du ressac, je voyais les lumières du soleil piquer la surface de l'eau. Ouais. Je passerai le reste de mon existence à siroter des cocktails, sur une plage paradisiaque, en compagnie d'une femme divine. Toute ma vie j'ai couru derrière les moyens de m'offrir les putes et la villa. J'ai grillé ma jeunesse, de combines en combines, de plans foireux en flambes inutiles, en trahisons et en déceptions multiples, j'ai consumé mes meilleures années dans un nuage de sueur vaine. J'aurais ciré les pompes de dix mille nababs pour concrétiser mon Éden : luxe champagne et salopes dépravées. J'ai volé, j'ai trafiqué toutes les substances et j'ai posé des filles paumées sur le trottoir, sans jamais décrocher le gros lot parce qu'il y avait toujours un truc foireux pour empêcher ma fortune. L'alcool, la prison, les enculés en général. J'étais trop naïf, trop sensible, trop romantique pour devenir un vrai patron. Avant ce plan avec Golden je cédais à la résignation. Je n'avais jamais brassé que du vent, des brises et des tempêtes. Et voilà que cette fois, je décrochais le jackpot : l'argent coulerait à flots, j'allais m'installer avec la femme rêvée. Pas une poule, non, une vraie belle femme, authentique et sublime, Golden. Je crois bien que là-haut les Dieux on fini par s'occuper de moi.


Avec une créature comme Golden dans votre sillage les choses fonctionnent naturellement dans le bon sens. Stravinski, que j'avais rencontré en prison, me prenait pour un ponte. Forcément, il suffisait de regarder ma femme. Je n'ai pas mis longtemps à le convaincre de s'engager dans l'opération, lui et ses hommes de main. Des voyous arrogants, de dangereux criminels qui seront bien mieux six pieds sous terre que lâchés dans la ville. Je me levais et tirais les cadavres avec l'aide de Golden afin de les emballer dans les bâches. Un deux trois quatre paquets mous et longiformes qu'il fallait rouler dans la fosse que nous avions creusée dans le jardin. Un prochain terrassement éclipserait toute cette masse organique jusqu'au fond des abysses.


Je relevais la tête après un nouveau coup de pelle pour balancer la terre au-dessus des cadavres. La sueur perlait sur mon front et coulait dans mes yeux. J'avais le regard trouble, mouillé, corrompu par l'effort. Je n'ai vu qu'une silhouette et, plus distinctement, à quelques centimètres de ma figure, l'acier noir du canon. Golden tira et la balle perfora mon cerveau. Dans l'éclair du moment, dans l'intensité de la déflagration, j'eus une pensée soucieuse pour les enfants.




 
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   Farfalino   
8/10/2009
 a aimé ce texte 
Un peu
Rien ne manque. Des malfrats qui se trahissent en chaîne, la dope, les armes, les putes, la pute fatale, les baltringues, les gros mots. Je voyais venir la fin gros comme une maison.

Une chose me gêne. Le niveau de langue familier du narrateur alors qu'il n'est pas partie prenante ou omniscient. Les putes restent des putes alors qu'il y a des tas de façons de les appeler.

C'est un peu confus au début.

C'est aussi plein d'archétypes au niveau des personnages.

Le changement de point de vue au cours du texte est intéressant mais peut-être il aurait fallu un narrateur différent par lieu.

Sinon c'est nerveux, il n'y a pas de temps mort, je n'ai pas passé un mauvais moment.

   Anonyme   
9/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Lemon_a
L'écriture est musclée, les images ciselées, les actions rapides, bien reproduites.
La fin prévisible mais ce n'est pas véritablement un problème. La dernière pensée est pas mal du tout, parce qu'elle donne au personnage d'un semblant d'humanité.
Pour les moins : des phrases qui se répètent, c'est voulu, mais c'est un peu lourd, peut-être y avait-il moyen d'appuyer autrement sur cette action (le passage qui commence par "Ils étaient douze")
Il y a un souci avec les concordances de temps, aussi, parfois :
"Les yeux gris et l'attention du tigre-loup se reportaient déjà sur les putains." (se reporta en virant "déjà") ce qui précède étant déjà au passé-simple. (avis perso)
Ici par exemple, il y a un petit souci avec le sujet : "J'envoie leur mère sucer des queues au bord des nationales mais je me sens le besoin vital de leur épargner toute cette merde" le narrateur pense aux enfants, là on a l'impression que c'est à leurs mères qu'il a envie d'épargner "toute cette merde"
Je n'ai pas tout relevé, j'ai profité de ma lecture, agréable. Un sujet dur traité de bonne façon. C'est rythmé. Et froid. par conséquent, les petits éclairs relatifs aux enfants sont bienvenus.
Bonne continuation. Je pense qu'une relecture à haute voix résoudrait la plupart de ces petits soucis.

   Coline-Dé   
9/10/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Hello Lemon !
Jolie photo : un cliché mais super bien tiré, travaillé, une écriture haletante , qui va vite et fort.
Sur l'histoire, mêmes remarques que les comm précédents, on s'atttend aux différentes péripéties, c'est comme si on enfilait ses charentaises avant de siffler son whisky, il n'y a que l'aspect papa-gâteau qui apporte une note inattendue et un éclairage qui - à mon sens - " pourrit" encore un peu plus le personnage : ça lui ajoute un aspect cynique un peu gluant.
Coté langue, j'ai relevé trois trucs :
*substitué par ( c'est substitué à)
*extraire n'a PAS de passé simple ! ( ni de subjonctif passé d'ailleurs)
* et grasseyer se dit d'une voix, le sang ne peut pas grasseyer

Et je me dis que j'ai vu ton texte plutôt que lu : c'est presque du cinéma, ça bouge drôlement bien !

Désolée de ne te mettre que moyen plus : le côté convenu de l'intrigue n'est pas à la hauteur de l'ecriture

   Anonyme   
10/10/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Il y a une façon de raconter intéressante. Le lecteur ne s'ennuie pas malgré l'absence de suspense. En fait à part le premier meurtre, tout le reste on s'y attend un peu trop.
Et justement sur le premier c'est intéressant parce que tu a su nous montrer Stavinsky sous un jour un peu falot, anodin, donc le meurtre était moins téléguidé.

L'écriture est très visuelle, je saurais peindre les persos suite à cette nouvelle sans problème
Après la succession de meurtres fatigue un peu mais le lecteur est tenu en haleine grâce au descriptions imagées. (Cela convient bien à la catégorie)

Merci

Xrys

   nemson   
10/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour lemon
Ce qui m'a plu: le travail dans la structure, l'enchainement des scenes est fluide (malgre un texte long) et le rhytme soutenu.

Ce qui m'a deplu: le ton année 40 trop convenu genre generique mike hammer. les noms des personnages sont aussi un brin caricatural à mon gout. et surtout, surtout la repetition de "putes" que je trouve heurtant ( dans sa repitition), je sais bien que l'auteur n'est pas le narrateur mais c'est quand meme lui qui choisit les mots je crois que le terme "filles" dans le contexte eut été tout aussi clair.
amicalement.

   NICOLE   
10/10/2009
 a aimé ce texte 
Vraiment pas
Je suis désolée, mais je n'ai pas accroché du tout.
Ca n'était pas génant, le choix du style roman noir, avec gros durs, hémoglobine et jolies filles, très film de série "B" ; mais là, il n'y a pas d'intrigue et aucun suspense !
Ils s'entretuent, on ne sait pas vraiment pourquoi, on ne nous raconte pas leur histoire, ou si peu. Je me suis ennuyée.
En plus, je ne sais pas très bien pourquoi, mais j'ai bloqué sur l'incessante répétition du mot "putes", et j'ai passé les deux tiers de ma lecture à essayer de replacer "putes" par des synonymes, du coup, j'imagine que ça a dù détourner mon attention du texte.
Désolée, je suis sùre que ça sera pour une autre fois.

   Perle-Hingaud   
10/10/2009
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
Bonjour,
J'apprécie le ton trés nerveux, expressif, de cette histoire, l'aisance de l'écriture. Je trouve le scénario convenu. Le mépris affiché pour les filles, le terme putes incessant m'a vraiment déplu. Peut être un effet de style, mais qui pour moi tombe à plat. Donc une appréciation globalement faible, même si les qualités d'écriture me laissent espérer beaucoup de plaisir dans une prochaine histoire.

   florilange   
11/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai eu du plaisir à lire ce texte, même si effectivement il y a peu d'intrigue puisque depuis le début on se doute de ce qui arrivera.
Je trouve que la construction de cette nouvelle fait très scénario de film, on a déjà vu ce genre de scènes. C'est 1 compliment car on voit très bien les personnages, l'atmosphère & le déroulement de l'action ne laisse pas le lecteur reprendre son souffle.

En dehors des détails signalés par les autres commentaires, je signale : "...des déflagrations, voir de la fumée,..." : il faudrait écrire "voire".
Merci de cette lecture,
Florilange.

   LeopoldPartisan   
12/10/2009
 a aimé ce texte 
Bien
J'aime assez le découpage et la structure, toutefois trop de descriptions qui, ma fois sont un peu trop convenues et conventionelles, nuisent vraiment à l'action. Pour ce genre de récit, il faut impérarivement tenir le lecteur en haleine et sous adrénaline. Ainsi lorsque Stravinsky va à la rencontre de Goran, on doit sentir son inquiétude de la même manière que la sauvagerie de ce Goran doit nous être implicitement divulgué. Je cite très souvent Elroy pour ce type de récit, je citerai encore Maurice Dantec (pour Babylon Babies où justement il y a un mafieux des pays de l'est vraiment pas piqué des vers). Si je puis te donner un conseil allège un peu le texte et dope le autant de dopamine que d'émoglobine, cela sonnerait nettement plus pro.

   silene   
25/7/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Comme je n'ai pas de références dans ce genre, que je ne connais pas, ça ne me déplaît pas, il y de l'action, rocambolesque et invraisemblable, mais ça bouge, on ne se perd pas en digressions psychologisantes. Bien aimé, décidément.


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