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Réalisme/Historique
LeSaulePleureur : Seuls Nous Cinq - Chapitre 2
 Publié le 11/05/08  -  2 commentaires  -  21272 caractères  -  4 lectures    Autres textes du même auteur

L'aventure continue... un peu...


Seuls Nous Cinq - Chapitre 2


* Paris *


Une semaine s'est écoulée sans le moindre message sur le forum et nous n'avons même pas pris la peine de s'échanger nos numéros de téléphone. J'écris :


« Peut-être devrions-nous nous revoir. Peut-être pas dans un restaurant mais autour d'une activité. Un dimanche par exemple. Êtes-vous libres dimanche prochain ? »


Tous m'ont répondu le soir même, à croire qu'ils n'attendaient que ça. Ils sont ravis et libres dimanche prochain. Je propose un pique-nique au bois de Vincennes, tant pis s’il fait froid. Ils acceptent.


C'est vrai qu'il fait froid, très froid mais le soleil est là pour atténuer nos souffrances. Kevin a apporté sa guitare et Guy un ballon de foot dont il ne s'est jamais servi. Nous déjeunons dans l'herbe, emmitouflés dans nos parkas, doudounes et autres écharpes. Kevin nous chante quelques airs de Brassens et Bob Marley, Fanny le regarde avec des yeux un peu trop admiratifs à mon goût. Les œufs durs et le jambon sont très frais mais très bons. Après le repas, nous échangeons quelques passes pendant que les filles nous regardent en riant. Guy tente quelques figures artistiques en couinant qu'il est mauvais mais le ridicule ne tue pas. Ensuite, nous décidons de faire un tour de barque sur le petit lac. Je me retrouve embarqué avec Jess et Guy pendant que Kevin et Fanny prennent place dans le bateau voisin. Je ne fais pas la gueule mais c'est tout comme. Je ne peux m'empêcher de surveiller les deux autres dans leur pirogue.


- Putain, si toutes les journées pouvaient être aussi paisibles, déclare Jessica.

- On s'en lasserait de la barcasse.

- Peut-être... Mais c'est toujours mieux que de se faire chier des journées entières dans une salle de classe avec un prof débile.

- Ou de passer son temps dans les vapeurs de frites et potatoes...

- On échange ?

- Bof...

- Allons, profitons de ce moment, on est bien là, pas d'ennui, pas de souci...

- Ah ouais mais j'ai froid, j'ai trop froid.

- Certes... Mais ne t'inquiète pas, on va bien finir par trouver une solution, on est là pour ça.

- T'y crois toi ?

- Ben... J'ai envie d'y croire...


Nous rendons les barques au monsieur des barques et marchons ensemble en direction du métro. Mais personne n'a envie de le prendre. Nous continuons à pied, entre les voitures et les piétons. Le bruit des bagnoles nous empêche de parler. Quand l'un donne une phrase, le cinquième demande au quatrième de répéter. Alors nous entrons nous réchauffer dans un café.


- Eh bien ce fut un agréable dimanche après-midi.

- Ouais, c'était cool.

- Guy m'a fait délirer avec son ballon.

- Et Kevin est un charmant guitariste.

- Et voilà, il ne reste plus qu'à rentrer, dormir et tout recommencer jusqu'au dimanche prochain. Désolé, je déteste les dimanches.

- On déteste tous les dimanches.

- On déteste tous les dimanches, le boulot, la routine, les magasins, les bagnoles, les Parisiens, les cons et la vie.

- Non, moi j'aime bien les magasins.


Nous regardons tous Jessica avec de gros yeux globuleux exorbités. En même temps, avec son sac immonde, ça n'étonne personne.


- Ben quoi, chacun son truc, moi j'adore le shopping, je n'aime que ça d'ailleurs.


Elle regarde Guy :


- Toi c'est le foot.


Elle regarde Kevin :


- Toi c'est le shit et le reggae.


Elle regarde Fanny :


- Toi c'est les fleurs et les poèmes.


Elle me regarde :


- Et toi c'est... Non, toi c'est rien.


Je la fixe sans expression. J'avale une grosse boule de salive et j'ouvre la bouche. Mais rien ne sort. Je n'ai même pas de pensée.


- T'y es allée un peu fort là, lui chuchote Fanny.


Et là, Jessica éclate en sanglots en balbutiant ces quelques mots :


- Pardon, pardon, j'en ai marre, je ne sais plus où j'en suis, pardon, je ne sais pas ce que je dis, j'en ai marre, tellement marre !


Nous posons tous une main sur la sienne et restons immobiles quelques minutes. Elle relève la tête. Ses larmes ont dessiné de longues traces noires au coin de ses yeux, elle renifle. Brusquement, elle se lève et se précipite vers la sortie. À mon tour, je me lève et la rattrape.


- Attends, ne t'en va pas, ne pars pas comme ça, c'est pas grave. Personne ne t'en veut ici. Reste.


Sur le trottoir, j'essaie de la convaincre, je lui dis que je comprends, que je me fous de ce qu'elle dit ou pense, que je ne veux pas qu'elle parte comme ça. Les trois autres nous rejoignent et Guy la prend gentiment par l'épaule.


- Ma petite Jessica, susurre-t-il.


Elle pousse un petit cri, entre le rire et les pleurs. S'essuie les joues d'un revers de manche et dit :


- Merci.


Il commence à faire nuit et personne n'a envie de rentrer. Nous avançons silencieusement, en direction de nulle part. Guy garde son long bras maigre autour du cou de Jessica et nous marchons en retrait, attendris par cette image. Comme des touristes, nous visitons Paris. Curieusement, cette ville me semble plus belle ce soir. La lumière dorée des candélabres lèche les rues calmes d'une fin de week-end. Sans nous en rendre compte, nous arrivons sur les berges de la Seine, par Sully Morlan. Guy a faim. Kevin propose un Mc Do pour rigoler mais sa plaisanterie n'amuse que lui. Nous cherchons du regard un endroit pour manger quand Fanny, débarque de nulle part avec cinq gaufres au sucre. Après de longues acclamations reconnaissantes, nous engloutissons nos pâtisseries fumantes. Un petit rond de sucre glace s'est perché sur le bout du nez de Fanny. Je m'approche d'elle et tente une conversation :


- Ils ont l'air de bien s'entendre Guy et Jessica...

- Oui, ils sont mignons hein... Tu crois que... ?

- Ouh là ! Je ne sais pas... Peut-être... Tu crois, toi, que... ?

- C'est possible. Et toi ?

- Quoi moi ?

- Tu es amoureux de qui ?


Sa question me sonne. J'attends de reprendre mon souffle pour lui expliquer ma situation. Je lui parle de Sofi, de moi, de mon triste état de célibataire. J'essaie d'être franc au maximum, tout en dissimulant mes vrais sentiments pour Sofi.


- Donc je ne suis amoureux de personne, finis-je par dire. Et ça me manque un peu d'ailleurs...


Kévin débarque et commence à faire le guignol en chatouillant Fanny par les hanches. Celle-ci s'esclaffe de rire et se tord dans tous les sens.

Nous contournons la Cité et Jessica choisit un petit boui-boui, qui fait également office de restaurant. Nous nous serrons pour entrer dans le minuscule sas qui sépare la rue de la salle principale. Il est un peu tôt pour dîner, mais le patron consent à nous installer à condition que nous prenions tous un apéritif. Marché honnête, je sirote un Martini Bianco. Kevin se décore la moustache avec une Guinness, Jessica déguste un kir assorti au rouge de ses lèvres, Fanny boit du Bordeaux supérieur et Guy s'enfile un Coca avec une paille.


- Je vais abandonner mes études et fuir mes parents lance Jessica.

- Je lâche mon job dès que tu le fais.


J'ai sorti cette phrase sans vraiment me rendre compte qui l'a prononcée. Mais c'est sans importance puisque Fanny, Kévin et Guy ont avancé la même hypothèse. C'est décidé, nous allons tous les cinq, bientôt, quitter nos vies monotones. À plusieurs, c'est plus facile d'affronter l'inconnu. Je n'ai pas peur. Et je sais que ce ne sont pas des paroles en l'air.


Seule une pénible conversation téléphonique entre Jessica et ses parents est venue troubler la quiétude de notre repas. Le reste de la soirée se déroule à merveille entre le rôti de bœuf et le flan au chocolat. Nous quittons l'établissement mitigés entre la satisfaction d'un dimanche agréable et la semaine répulsive qui s'annonce. Jessica doit rentrer. Sans nous concerter, nous décidons tous de nous quitter ici, en se promettant rendez-vous très bientôt.


Les journées au bureau me paraissent un peu plus courtes que d'habitude. Sans doute parce que je passe les trois quarts de mon temps à penser à Fanny. Son image miroite dans mes égarements, je me remémore toutes les phrases qu'elle a prononcées, toutes les expressions qu'elle seule sait donner à son visage. Elle travaille à deux pas d'ici. Je devrais aller la voir à midi. Peut-être pourrions-nous déjeuner ensemble régulièrement...

Je n'ai pas de mal à trouver le seul fleuriste de la rue. Après une très profonde respiration, je pousse la porte et pénètre dans un local transformé en une mini jungle envahie de senteurs moites et fruitées. Je parcours la pièce d'un regard mais ne vois qu'une inconnue derrière le comptoir.


- Bonjour Monsieur.

- Bonjour. Je... Euh... Fanny Brin travaille ici, n'est-ce pas ?

- Oui mais elle est en pause déjeuner jusqu'à quatorze heures trente.

- Ah... Bien. Merci.

- Avez-vous un message à lui faire passer ?

- Je... Non, je vous remercie. Au revoir.

- Au revoir Monsieur.


Elle est quelque part, non loin d'ici... Mais où ? Et que fait-elle ? Je retourne place de la République, dans mon Mc Do habituel. J'avale mon hamburger en plastique et vais m'étendre sur mon banc. Je ferme les yeux, j'entends gratter les pigeons à quelques centimètres de mes oreilles. Je pense à Jessica. Et si contre toute attente, elle plaquait vraiment tout du jour au lendemain... Demain peut-être... Est-ce que je vais tenir ma promesse ? Est-ce que je vais vraiment démissionner pour me retrouver seul, nu, vide, vierge ? C'est l'heure de la reprise, je remonte lentement les escaliers qui mènent à mon poste de travail. Un coup de badge dans la pointeuse, encore quatre heures et je suis libre. Je ne parle à personne aujourd'hui, et tout le monde s'en fout. J'ai ma pile de dossiers à terminer, je dépose le travail effectué sur le bureau de mon chef tous les vendredis et ça s'arrête là. Je me demande pourquoi je dois absolument venir ici alors que je pourrais très bien faire tout ça chez moi.


Il pluviote ce week-end. Mais ce n'est pas le vilain climat qui va nous empêcher de jouir d'un nouveau dimanche entre nous. Nous nous retrouvons au parc de la Villette, devant la Cité des sciences. Mais aucun de nous n'a envie de perdre son temps dans cet attrape-couillon, nous nous sommes déjà fait avoir. Tout le monde a, au moins une fois, payé ses dix-huit euros pour entrer dans un sordide bâtiment inoxydable, regarder des présentoirs crasseux et faire semblant de lire des panneaux explicatifs soporifiques. À la place, nous nous baladons dans les allées rectilignes du grand jardin. Le printemps tarde à venir, les pelouses ne sont pas encore grouillantes de familles nombreuses aux corps huilés. Seuls quelques vieux et quelques jeunes profitent de leur temps libre pour se promener ou pour glander. Guy s'amuse avec son ballon comme un petit chien qui se promène avec son maître en faisant des allers-retours. Il trottine, il s'essouffle, il est un peu notre enfant. Il me fait rire du haut de ses grandes jambes, il est adorable, je ne l'ai encore jamais entendu s'énerver, ni même râler. Il articule un français impeccable, et je me surprends parfois moi aussi à faire des efforts de langage quand je lui adresse une parole.


Kevin nous parle d'Ingrid, son ex. Il en était fol amoureux le bougre. L'entendre parler des jours merveilleux qu'il a passés avec elle me retourne le cœur. Chacun de ses souvenirs m'en rappelle un autre entre Sofi et moi. Ils vivaient dans un camping-car et se promenaient toute l'année, voguant de festival en festival. Toujours sur les routes, ils suivaient le soleil. Un jour elle en eut marre et rencontra un jeune banquier qui lui promit New York en avion, à la place de Budapest en Volkswagen... Kevin avait les yeux qui tremblaient, un fil de larmes posé sur ses paupières inférieures menaçait de s'effondrer dans sa barbe jaune.

C'est au moment où j'ai proposé de se faire un petit resto qu'est arrivé le problème de l'argent. Jessica et Guy nous ont expliqué, dans le plus grand calme, qu'eux, ne pouvaient pas se permettre toutes les folies. Fanny n'a rien dit. Une nappe de malaise flotte au dessus de nos têtes. Et pour ne plus en parler, nous marchons un peu, le cœur moins enjoué.

Guy porte son ballon sous le bras, Jessica tape un texto, Kevin garde ses mains dans ses poches et Fanny ne dit rien. Je m'approche d'elle et m'apprête à lui demander son avis sur la question. Mais elle ouvre la bouche avant moi.


- Ce n'est pas ta faute.


Je réponds par un vague :


- Hmm !


et ne trouve rien à ajouter.


Nous longeons le canal et nous sommes seuls. Les fines gouttes du ciel ont maintenant bien imbibé tous nos vêtements et nous grelottons. Le métro se rapproche. Sans mot dire, nous nous faufilons.


Mon boulot me gonfle de plus en plus. Que je m'applique ou que je bâcle ma tâche, cela ne change rien. Je suis transparent, personne ne s'intéresse à mon travail et chaque fois que je propose quelque chose, c'est comme si je n’existais pas. Mon avis ne vaut rien. Cependant, mon chèque arrive toutes les fins de mois, identique à lui-même. C'est comme si l'on me privait d'une moitié de ma vie, pour survivre l'autre moitié. J'espère qu'on va se revoir bientôt.


On sonne. Sans doute un marchand d'abonnement, un quêteur de pétition, un voisin sans tire-bouchon. Mais pour une fois qu'il se passe quelque chose d'inattendu dans cet appartement, j'ouvre quand même. C'est Fanny. Seule, debout, dans une robe à fleurs blanches sur fond bleu, immobile sur le palier. Un sourire charmant entre la sympathie et le malaise agrémente la beauté de son visage comme une septième sur un accord de Sol. Après un bref bonjour et sa réponse, elle entre.


- Je te dérange pas ?

- Non, non, je ne faisais rien.

- Moi non plus. Je m'ennuyais.

- Moi aussi. Tu veux boire quelque chose ?


Je n'en reviens pas. Elle est là, chez moi, assise sur mon canapé. Elle est venue chez moi, pour moi, pour me voir, pour être avec moi... Elle n'a pas l'air d'être à l'aise et je ne sais pas vraiment comment y remédier. Heureusement, elle brise le silence.


- T'as des nouvelles des autres ?

- Euh... Non, du tout...

- J'ai appelé Guy mais il n'a pas répondu. J'ai peur qu'on ne se voie plus tous ensemble, c'est dommage. Franchement, tu veux que je te dise ?

- Oui.

- Il n'y a que ça qui me motive un peu. Nous. Nous retrouver pour ne rien faire mais pour être ensemble. Il n'y a qu'avec vous que je me sens bien, aucun de vous quatre ne me jugera, je veux que ça continue. Ça fait deux semaines qu'on ne s'est pas retrouvé, et déjà, ça me manque.

- Oui moi aussi.


Je ne sais pas comment exprimer mon vrai sentiment. Je ne sais pas comment lui dire que je ressens exactement la même chose, que je suis bouleversé de la voir ici, que je suis extraordinairement soulagé de l'entendre me dire ce que j'attendais mais n'osais l'espérer. À moi aussi, ils me manquent. Et, pour occuper l'espace et le temps, je sirote avec lenteur une gorgée de Martini.


- Excuse-moi, je t'emmerde là, je ne sais pas pourquoi je suis venue.

- Mais je... Ah mais non, au contraire. Je suis pas très bavard, mais c'est... Enfin je... Je préfère m'emmerder avec toi.


Aussitôt sortie, ma phrase me donne l'envie de disparaître sous le divan, de me liquéfier dans mes vêtements. "M'emmerder avec toi", mais quel débile ! Et comme c'est surprenant, je ne trouve rien à ajouter, rien à faire. D'un instant à l'autre elle va se lever, elle va partir et je ne vais rien faire pour la retenir. C'est obligé, c'est comme ça que ça va se passer, je me connais trop bien pour savoir que ça va se passer comme ça. Et de le savoir, ça me bloque encore plus, et de me bloquer, ça m'énerve et ça me bloque.


- Je peux dormir chez toi cette nuit ?


J'esquisse un minuscule oui de la tête, littéralement abasourdi par sa demande. Je me reprends :


- Oui, oui, bien sûr. Et on pourra aller bosser ensemble demain, comme nous travaillons à côté.

- D'accord. Et puis on pourra s'emmerder ensemble toute la nuit.


Nos sourires se croisent avec une inespérée complicité. Elle insiste pour faire la cuisine et me prépare ce qu'elle peut avec ce qu'elle trouve, c'est-à-dire une omelette absolument délicieuse. Petit à petit, l'atmosphère se détend et nous arrivons à combler le vide de nos paroles. Ainsi défile, au cours de la soirée, nos enfances et nos vacances. Je pioche quelques photos, pour lui prouver qu'avant, j'avais une vie. Elle me promet de m'inviter chez elle pour me donner elle aussi des images de son passé. Puis, nous parlons de l'avenir en essayant de l'éclaircir, de transformer le gris pâle en bleu ciel. Nous en arrivons à conclure qu'il est essentiel, indispensable, obligatoire et forcé de quitter nos situations professionnelles respectives. On tourne autour du pot, et cela, depuis fort longtemps, bien avant de se rencontrer.

Il est quatre heures du matin, je bâille. Je nous sers un cinquième thé et la nuit se rythme par nos allers-retours aux toilettes.

Vu l'heure, il est inutile de dormir. Et puis de toute façon, même si nous sommes épuisés, nous n'avons absolument aucune envie de mettre un terme à notre discussion. Le soleil s'invite timidement dans la pièce et l'éclaire peu à peu. C'est l'heure du petit déjeuner. Je nous sers deux très grands cafés très serrés, la journée va être rude.

Même dans les couloirs infâmes du métro, le temps semble être plus court lorsqu'on voyage à deux. Fanny est obligée de se coller contre moi, ce qui, je dois l'avouer, n'est pas pour me déplaire. L'oppression du bruit, de l'odeur, des secousses, de la fatigue et de la foule s'estompe quand elle est là. Je n'ose la regarder, trop proche. Pourtant, je sens, dans un coin de mon champ de vision, son regard posé sur moi, mais peut-être que je me trompe, oui, probablement. Nous sommes déjà arrivés à République, il faut sortir et se quitter... Attendre midi, nous déjeunerons ensemble.


- Alors, pas trop dure cette matinée ?

- Oh là, ne m'en parle pas... Exténuante.

- Où est-ce qu'on mange ?

- Ben, je sais pas, tu vas où d'habitude ?

- Oh, non, je ne peux pas te l'avouer.

- Ah... Je vois, dit-elle en souriant. Allons acheter un sandwich alors, on pourra se poser sur un banc, je connais un petit jardin pas trop loin.

- Ok.


Et nous voilà partis pour s'enquiller une demi-baguette farcie au beurre avec du jambon. C'est sec, bourratif, insipide, un vrai délice. Après avoir balancé quelques miettes aux pigeons, nous retournons à nos postes respectifs et nous souhaitons bien du courage. Rien de spécial, juste un repas sur le pouce, sous le ciel dégagé du mois de mars, en compagnie de la plus charmante créature qui n'a jamais partagé mon déjeuner.


Je m'attends à chaque instant à ce que Jessica m'appelle, pour me dire que ça y est, elle a quitté ses parents, son école, sa vie. Je m'y prépare mais je sais bien qu'au fond, cela ne se produira jamais. J'aurais peut-être dû lui proposer le pari inverse : si je quitte mon job, tu quittes ton école. Mais c'est Kevin qui m'appelle le premier.


- Salut Arnaud, c'est Kevin.

- Salut.

- J'te dérange pas ?

- Non, non, vas-y.

- J'ai envie d'inviter tout le monde quelque part, mais je voulais avoir ton avis d'abord. Tu penses que c'est une bonne idée ?

- Quelque part ?

- Oui, je ne sais pas trop, un week-end dans un gîte, un truc comme ça.

- Wow... Ben, ça serait génial, oui. Mais j'espère que Jess et Guy ne le prendront pas mal. Parce qu'ils n'auront pas les moyens financiers de te remercier. Et je pense qu'ils n'aimeraient pas être amicalement endettés...

- Oui, c'est bien ce que je craignais... Mais tu comprends, je fais pas ça pour avoir un retour, je m'en fous, j'ai du blé, c'est tout.


Je ne peux m'empêcher de penser à sa dégaine de pouilleux, du contraste touchant qu'il entretient entre son look, sa philosophie et son compte en banque.


- Mais, propose-leur, tu ne risques rien... Ils pourront comprendre.

- Ok. Bon, ben, je te tiens au courant alors. Salut. Et ne prévois rien pour le week-end prochain, on sait jamais.

- Je n'ai jamais rien de prévu. Allez, bye.


J'ai vraiment envie qu'ils acceptent. Cette idée est lumineuse. Deux minutes après le coup de fil, je prépare ma valise, la tête remplie d'images imaginaires... Tous les cinq dans une petite maison au bord de l'eau, trois chambres à l'étage, et comme par hasard, Fanny et moi dans la même...


Le lendemain, Kevin me rappelle.


- Salut Arnaud. Jessica et Guy sont OK, on part vendredi soir, j'ai loué un monospace.

- Wow ! Mais c'est super ! Comment t'as fait pour les convaincre ?

- C'est Fanny qui a tout fait. On a passé la soirée ensemble hier et elle les a appelés ce matin.


"On a passé la soirée ensemble hier" La phrase résonne dans ma tête comme une boule de pétanque sans pouvoir se stabiliser. Une vague de frissons me hérisse chaque poil l'un après l'autre, des orteils aux oreilles.


- Ah... Ensemble, tous les deux ?

- Oui, elle est venue chez moi. Bon, on se retrouve Place d'Italie vendredi à dix-neuf heures, Ok ?

- Oui, oui, ça marche.


Je reste abasourdi, le téléphone hurle une tonalité absente au bout de mon bras immobile. Mais de quoi ai-je peur ? J'ai passé la nuit avec elle, moi, pas une soirée ! Pourtant, je ne peux m'empêcher d'être terriblement tétanisé par une jalousie maladive oppressante, que je ne cautionne pas. Mais elle est là, bien là, au fond de mon ventre. Stupide comme inutile, elle me ronge la panse. Fanny me manque.



 
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   strega   
11/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Et bien j'ai lu. Pourquoi ai-je la vague sensation qu'en fait, aucun d'eux n'a une vie si monotone qu'il n'y parait...? Sûrement l'épisode Fanny, ou les parents de Jessica ou encore la volonté de vivre en désaccords avec sa situation pour Kevin...

Bref, j'ai aimé la narration qui recèle de temps en temps de bonne comparaisons et autres images agréables à la lecture. Le style est toujours fluide et le tout se lis assez vite quand même.

Je regrette pourtant la majorité des dialogues, qui sont un peu flous, un peu décousus. Heureusement qu'il n'y a pas un personnage de plus, je crois que je devrais prendre des notes sinon.

J'attends la suite, le la lierai...

   clementine   
11/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Ce deuxième chapitre ne m'a pas déçu, je trouve que les personnages s'étoffent, prennent réellement vie.
A nouveau j'attends la suite.


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