Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
Louis : Marietta
 Publié le 03/04/20  -  15 commentaires  -  20628 caractères  -  238 lectures    Autres textes du même auteur

Des mots, des mots… et une femme mystérieuse.


Marietta


J’avais écrit tant de mots sur les murs, tant de phrases. Des mots aux teintes vives tracés à la peinture. Des phrases écrites fébrilement dans la solitude et le dénuement de cette pièce, où ne reposait sur le sol qu’un vieux matelas somnolant, quand je restais, moi, si souvent éveillé, si souvent debout. Cet appartement, je l’avais meublé de mots. Il était mon univers en paroles. Je logeais au coin d’une longue phrase.


Au plafond, j’avais écrit « terre » avec des lettres bleu ciel ; sur le sol, j’avais peint l’« horizon » en lettres pourpres ; sur un pan de mur je m’étais donné le « soleil » couleur terre de Sienne. J’avais orthographié le nom « ciel » sur une porte, d’une calligraphie appliquée, dans une teinte phosphorescente argentée.

Mes murs se lisaient, pareils aux feuillets d’un livre ouvert. Je résidais au troisième étage d’un immeuble, dans un bouquin-studio où je restais enfermé de longues journées entre quatre pages. J’habitais un appartement-livre, surpeuplé de mots, visiteurs qui ne voulaient plus me quitter et tapissaient mes murs, mon sol et mon plafond.


Une fenêtre s’interposait entre les phrases barbouillées sur les pages au fond blanc crasseux de mon appartement. Je m’attardais chaque jour devant cette fissure entre les mots, cette ouverture dans l’inachèvement du discours. Entre « paradigme » et « chimérique », entre « in-espoir » et « tantrique », debout sur l’« horizon » pourpre, je jetais un regard furtif sur le monde de la rue en bas de l’immeuble, j’écoutais l’existence entre substantifs et adjectifs, la vie entre verbes de tous groupes et pronoms très personnels. Par-delà les paroles emmurées, figées, hiératiques, grouillait une vie dans une agitation incessante, tumultes et turbulences dont je m’étais écarté, en retrait de tout.

La nuit à ma fenêtre, mes tirades se ponctuaient de lunes en virgules, et s’achevaient par des points étoilés. La nuit, à ma fenêtre, mes phrases avaient les lampadaires pour points d’exclamation, les réverbères pour points d’interrogation.


J’avais ajouté ce jour-là « gazon rouge » sur le sol carrelé, et puis « versant oblique » au plafond élevé. À la fenêtre de mon livre, debout sur le « gazon rouge », dressé sous un « versant oblique », je perçus ce qui fut prononcé par deux enfants après une dispute, déclaration qui me paralysa un long moment : « J’te cause plus ».

Chez moi, dans ma demeure, tout me causait en permanence, je n’habitais pas le silence. Murs amis de mon cocon, toujours loquaces et volubiles, murs parfois terrifiants d’un enfermement, jamais ne dites : « J’te cause plus ».


Un soir de septembre, j’avais tracé sur le sol un chemin, pourpre horizon, rouge gazon, un chemin pas très long pavé de mots, un même mot répété jusqu’à la fenêtre : œnanda. Je ne savais pas ce qu’il voulait me dire, ce nom d’un sentier dans le champ des vocables où avaient fleuri des propos en grand nombre, touffus et sauvages. Mais je savais son sens : vers la fenêtre. Je m’y dirigeais. Sur le chemin œnanda, j’allais jusqu’à destination. J’allais observer le monde dehors. Le monde comme il parle. Le monde comme il cause. Je voulais trouver les mots de la vie, les mots des gens qui passent sous la fenêtre au creux de mes phrases insensées. Je voulais savoir quel langage viendrait pénétrer le mien, quelles paroles, dans leur éclat, dans leur vol, viendraient se mêler à la clameur de mes murs, où il ne subsisterait bientôt plus un seul espace muet.


D’un côté de l’ouverture au monde, j’avais écrit : « Profond est l’esprit humain » ; de l’autre côté de la fenêtre : « Immense est l’océan ». Je suivis ce soir-là les pas d’une femme qui avançait entre profondeur et immensité, de l’esprit jusqu’à l’océan. Une silhouette élégante, une chevelure brune flottante. Elle franchissait un espace vide. Entre « l’esprit » et l’« océan ». Elle marchait vers mes souvenirs enfouis, et parlait à ma mémoire. Elle éveilla des échos profonds.

Une fois qu’elle eut franchi l’espace visible, elle se glissa derrière le paravent de mes mots emmurés.

Elle marchait encore au loin, je le savais ; par l’imagination je la suivis de l’autre côté des paroles murales, elle passait outre « éphémère », là, à droite de ma fenêtre, s’arrêtait un peu plus loin au verso de « délivrance », contemplait une vitrine au revers de « filigrane », traversait la rue sur le passage pour piétons, derrière « indicible », toujours en marche vers les brumes urbaines. Et puis elle s’éloignait dans l’ineffable.

Elle était revenue, la femme élégante. Sous ma fenêtre, elle passait dans son long manteau qui la protégeait d’une pluie tombante en goutte-lettres qui ne veulent rien dire ; un jour mouillé de mélancolie ruisselante en longs filets sur les vitres, elle fut de passage, ombre fugitive.

Je l’observais le temps d’une traversée de fenêtre entre âme bouleversée et figure d’océan dans son immensité. Le temps d’une traversée de mémoire.

Je la guettais chaque jour, et j’avais écrit ses yeux, ses cheveux, son visage, j’avais écrit tout son corps, et je la contemplais là, sur le mur de mon séjour, toute en mots, en chair des phrases vives et en os de l’architecture de mon livre aux pages murales. Les expressions de son visage avaient pour traits les marques qui figurent les mots et les phrases dans tous les propos susurrés par la voix insistante des murs.

J’avais écrit son mouvement, et tous ses gestes, et toute sa vie dans la rue pendant la traversée de l’espace-temps de ma lucarne-fenêtre.

J’avais écrit sa démarche légère, ses pas comme une danse.

Elle me semblait littéralement belle.

Le soir, je l’observais en écriture, et elle dansait sous mes yeux, corps et graphie d’une valse orthographe, cœur et graphie d’une émotion, en cadence avec toutes les paroles qui tanguaient sur les flots de lumière lunaire à travers la vitre de la fenêtre ; danse quand les mots se décollent des murs ou du papier, coureurs de phrases, à s’enlacer dans les liaisons et conjugaisons, ballerines en pointes sur les i, quand ils dansent, en cadence, en folie, au rythme de l’âme musicale des grammaires bleu clair.

Cette femme devenait le personnage central de mon livre-maison, et je ne connaissais pas son nom.

J’ignorais la texture de sa peau, le grain de sa voix.

Et puis elle n’est pas réapparue. Fenêtre vide sans elle. Des jours, des jours, j’ai attendu, elle n’est pas revenue.


Ma lucarne entre les mots ne pouvait plus me suffire, j’ai cherché l’ouverture inédite sur le pont des vocables cafardeux, devenus tremblants le long des parois de ma demeure en tout point signifiante, mais étouffante.

J’étais en rature. Tous les mots barraient mon corps, l’emprisonnaient derrière des barreaux. De mille traits, je m’étais biffé. Il fallait tout corriger dans ma vie, et il fallait encore se rebiffer. Je me suis glissé hors des paroles murales désormais rayées, veinées de colère mauve, zébrées de rage, crucifiées de dépit.

Il fallait se pencher au bord des phrases, les enjamber et se glisser dans la vie.

Il fallait fendre les paroles et couler avec leur sang sur les trottoirs au bord des routes.

Il fallait les éventrer et puis passer à travers leurs corps.


J’errais dans la ville. Mon livre fermé. À la recherche du monde, en quête d’Elle, et de la vie sans intermédiaire, sans la médiation des mots et de la langue, en prospection d’immédiateté.

Que sont les choses quand on ne les nomme pas ?

Qu’est donc la vie quand elle ne parle pas ?

Je partais en quête, sans doute, de cette part de réalité que les mots ne peuvent nommer, de cette part toujours manquante à la parole.


J’arpentais les trottoirs la tête vide. Surtout ne pas penser, ne pas permettre cette collusion inévitable entre le langage et les idées. Laisser toute place aux sensations muettes, aux intuitions silencieuses, à la coïncidence indicible avec les êtres en leur existence taiseuse.

Je déambulais dans les rues de la ville, avec la volonté de m’assurer que du sang rouge, tout rouge, du sang et non des lettres, coulait dans les veines de cette femme autrefois aperçue à ma fenêtre.

Je cherchais un corps sans texte.

Je cherchais le silence des organes et le mutisme du monde.


Mais de tous côtés, les murs causaient, la ville proférait ses mots clinquants avec des lettres géantes aux couleurs vives. Je déambulais dans la nuit tombante, et plus j’avançais, plus la ville criait, et plus la ville hurlait. Turbulences de cryptogrammes peinturlurés, tubes-lettres où glissent des couleurs intermittentes, tumultes de graffitis et lettrages tags. Un tohu-bohu de mots lumières.

Ça clamait supérettes et banques, restau-bars et boissons pétillantes, boucheries chevalines et charcuteries fines.

La ville ouvrait ses pages sur fond de béton, ses écrans géants, ses enseignes, ses panneaux, et détachait ses paroles, épelait chaque syllabe, expulsait chaque lettre pour l’envoyer au visage des passants, pour les projeter flash jusqu’à leurs yeux, et jusqu’au fond de leur mémoire.


J’avançais dans les rues, m’efforçant de voir le moins possible, de ne pas lire la ville, de ne pas l’écouter, juste la sentir, juste l’éprouver dans ma chair.


Choc. Peau contre vitre. Douleur.

Épaule contre panneau criard : « Passage interdit ». Secousse, genou tuméfié contre bagnole garée sur le bord du trottoir.

Je me cognais au monde. J’étais dans le heurt et l’impact. Contact douleur.


Tout me remontait au corps, tout me remontait au visage et m’infligeait sa présence massive.

Pour la première fois m’apparaissait avec évidence l’impénétrable dureté des choses, et je réalisais combien les surfaces étrangères repoussent, combien les réalités exclusives interdisent les confusions, contraignent à la multiplicité, à la profusion, imposent les juxtapositions où l’on s’entrechoque, pour règle la collision, dans un télescopage inévitable avec tout ce qui est hors de soi, avec tout ce qui se tient inflexible hors de sa peau, en une extériorité insurmontable.

Les portions d’espace sont réservées, on n’entre pas, les places sont prises.


Je restais extérieur à tout, et zigzaguais dans les rues, tout étourdi, comme ivre. Trop-plein de présences, trop vide de tout. Je tentais d’avancer désormais avec prudence, comme dans un couloir obscur, pour ne pas être écrasé par toutes les masses solides de la rue qui ne voulaient pas céder leur place, toutes ces choses froides, pléthoriques et encombrantes. Je devrais fuir vers un désert de sable, pensais-je sans pouvoir m’en empêcher, alors que je ne voulais rien penser, rien me dire à moi-même, ni à qui que ce fût. Je ne réussis pas plus à réfréner une réflexion pour réplique : sous tes pieds, dans le désert, combien de grains de sable, en myriades innombrables, entassés, juxtaposés, les uns hors des autres !


« Vous pourriez faire attention, quoi ! » La dame, bousculée indignée outrée, fulminait. Mon premier contact depuis longtemps avec un corps humain, c’est sûr, manquait de douceur.

Un accrochage avec une inconnue, un « accident », un corps à corps par inadvertance.


Je n’ai pas trouvé les mots pour m’excuser. J’ai poursuivi ma pérégrination sur les trottoirs, lentement, laissant la douleur dans l’épaule provoquée par le choc m’envahir, une douleur sans expression, une douleur sans distance entre elle et moi, une douleur qui n’était plus en moi, une douleur qui était moi.

Fugace endolorissement, mais je ne reprenais pas mes esprits, non, mes esprits j’avais décidé de les délaisser avec tous ces mots dans lesquels ils prennent vie.

En m’éloignant, j’entendais encore la dame maugréer : « Mais quel sauvage ! »


J’allais être olfactif. J’allais renifler la ville, aspirer toutes ses émanations, humer ses émissions volatiles, tous ses relents, tous ses miasmes, renifler la ville comme un chien, quand je l’aperçus, assise à la terrasse d’un bar. Je n’eus aucun doute, c’était Elle, ce ne pouvait être qu’Elle. Je devais être entré dans son champ magnétique, insensible, imperceptible, mais d’une réalité telle qu’il avait engendré des effets irrésistibles sur ma vision, l’instant auparavant trouble et perdue dans les voiles confuses suspendues devant mes prunelles, et désormais, écartés tous les êtres importuns envahissants, tombées les voiles, dans mon regard clair orienté précisément dans sa direction, Elle était là.


Je me redressai, et je demeurai figé, à la contempler, Elle, incroyablement présente, Elle, devant moi bouleversé.


Un verre d’alcool, à peine entamé, teinte jaune d’or, un cognac sûrement, attendait sur une petite table ronde, laquée noire. Patiemment, il attendait que les doigts d’une femme, délicatement, l’étreignent et le portent jusqu’à des lèvres fines et douces qui viendraient effleurer ses bords arrondis, pour déverser en retour au fond de sa gorge un peu de son contenu enivrant.

J’aurais tant aimé partager la place du verre, occuper le même espace, épouser sa forme ; mais la place était prise, exclusive.


Auprès du cognac, sur la table, un livre reposait, un imprimé façon elzévir qu’elle avait ouvert.

Elle lisait une page, recto, verso, puis étrangement l’arrachait d’un geste ferme, mais sans violence, prenant garde de ne pas la déchirer ; elle la posait ensuite sur la table où les feuillets s’étaient amoncelés, désordonnés. Le vent les soulevait par instants et les laissait reposer en amas blanc, noirs d’écrits.

Soudain une bourrasque les emporta, et les feuilles volèrent, tournoyant autour de son visage ; oiseaux de papier, elles virevoltaient, se balançaient, ballottées par les turbulences de l’air.

À la nuit tombante, un livre dansait, effeuillé, si léger, illisible.

Un tourbillon se forma, une tornade enveloppa tout son corps. La nuée de pages écrites amorçait un mouvement ascensionnel, vers la bibliothèque de nuages, vers le ciel.


À peine l’avais-je retrouvée loin des murs de mon appartement, que déjà j’allais la perdre derrière les mots en voltige !

Était-elle de chair et de sang ? Ou le produit halluciné des mots rêveurs, une créature vertébrée de lettres, à la peau fine et mince d’une pellicule d’illusion ?


Je restais paralysé, quand il fallait agir, alors qu’il fallait intervenir, pour savoir enfin.

Les enseignes lumineuses par-dessus le bar et sa terrasse, par-dessus les immeubles de la rue, aimantèrent pour un bref instant mon regard : « Assurances, Assurances », clamaient-elles ; et puis : « Éclats du visage. Corps de rêve », et puis : « Couteaux de poche personnalisables ».

Enseignes… saignent. Elles hurlaient dans mes yeux affolés.

Elles m’incitaient à me précipiter sur la femme, à enfiler dans son corps un couteau tranchant pour m’assurer de son sang, de sa vie au cœur battant. Fallait-il la blesser, fallait-il la tuer peut-être pour attester sa vie, confirmer son existence muette !


Je restai figé, et coi.

M’éloignai au plus vite d’une vision sanguinaire.

Mes yeux hallucinés me firent voir plutôt une scène étrange.

Des pages volantes qui tournoyaient, les mots se détachaient, se décomposaient en lettres solides de toutes couleurs, à la matière indéterminée, puis s’élevaient rapidement dans un entassement désordonné, formaient une colline littérale, alphabétique monticule devenant éminence calligraphique pointée haut vers le ciel, haut, toujours plus haut.

Vers ce massif de signes enluminés par les dernières lueurs du jour couchant, je voulus me précipiter.

Je me voyais dans un vertige, alpiniste d’un nouveau genre, escaladeur de lettres, me hisser de A en O, de L en K, de S en I, jusqu’à des sommets inouïs, de lettre en lettre jusqu’aux astres dans le ciel, et au-delà, par des alphabets portés à l’incommensurable, jusqu’aux nuages de Magellan, jusqu’à la forge des étoiles, à frôler l’horizon des événements de Sagittarius A étoile, et passer à travers les orifices, tous les trous de vers poétiques, d’une bulle à l’autre d’univers.


Quelques pages du livre effeuillé vinrent à ma rencontre, portées par le vent tourbillonnant, ou longeant la courbure d’un espace. Elles se posèrent sur le sol tout près de moi. Je ramassai révérencieusement les feuillets, revenant à moi, moi de retour aux mots écrits, formés des lettres qui avaient échafaudé les mondes jusqu’aux profonds des cieux, en avaient suivi les lignes d’infini pour se tenir là, désormais, dans le cadre blanc rectangulaire où se blottit en un instant toute l’immensité.


Je ne pus m’empêcher de vouloir lire quelques phrases sur ces pages que le vent m’avait destinées.

Mais sur le papier, voyelles et consonnes, en cohue, se pressaient dans le désordre, entraient en rangs serrés dans les plus aléatoires et chaotiques combinaisons de suites insensées, insignifiantes, et déconcertantes.

Entre les lignes, le blanc du fond de la page semblait se détacher, se soulever, comme le blanc sur blanc de Malevitch, et provoquer des ondoiements, tout un flux, une houle, un flot continu, une marée montante d’un océan de lettres.


Quel souffle assez puissant pourrait organiser ce flux chaotique ; quelle force parviendrait à le discipliner en mots et phrases ?


D’abord déçu et dépité, je finis par distinguer dans le flot immense, des îlots de sens, des lettres unies et assemblées pour constituer des fragments lisibles :


« mnjutsrfbdls… Elle marche sur des points de suspension en volutes noires, alignés indéfiniment au-dessus d’un vide sans nom, les cheveux au vent, comme une semeuse de graines d’univers en expansion… fgrpterscvnbqz… Elle avait flâné longuement dans les rues de la ville… vbrstapolmk… Elle avance à petits pas de songes en pointillés, et rêve par bourrasques de vent, pense par miroitements de lumière, comprend le monde du ciel vers la terre… bnvcsdiureee… Elle pose ses talons sur des pointes de nuit silencieuse… khcstxlnmlmdc… Elle s’était attardée chez un bouquiniste, et puis sur la terrasse d’un bar, elle était venue boire un verre de cognac… Marietta… »


Marietta ! Enfin, je savais son nom. Marietta. Le livre me parlait d’Elle. Impossible d’en douter. Je levai les yeux, et croisai son regard, qu’elle avait détourné de son volume façon elzévir. Ses pupilles sombres et profondes lançaient un éclat qui me pénétra. Elle ne prit pas la parole, elle la laissa venir à moi par une entremise inconnue, mystérieuse, suivant un chemin autre que celui des ondes acoustiques, et j’entendis le son de sa voix résonner en moi, si douce, si pénétrante, si familière. Je réalisai qu’elle s’immisçait dans mes entrailles comme un long ruban de mots indistincts. Mon cœur se mit à battre du rythme de ses phrases. Une poésie m’envahit, et je n’étais plus que rimes, musique d’allitérations océanes et assonances aériennes. Aucune parole chargée de sens ne se faisait entendre, mais des mots en mélodie, des verbes en cascades sonnantes suivies d’un ruissellement, balancé de clapotis et chuchotements, qui suivaient une à une les lignes des frissons parcourant tout l’espace de mon corps.


Je poursuivis ma lecture à la recherche frénétique des mots qui font sens, et je réussis encore à lire quelques phrases :

« De songe et de sang… Marietta… de mer et d’océan… immense l’océan… et de chair et d’eau vive…

Elle naît dans l’inflexion des voix, elle naît dans l’accent, en nuances et désinences, et dans l’exclamation feutrée : c’est toi… dans le ravissement majeur : tu es là… dans la tendresse immense : prends soin de toi…


Elle attend l’effusion d’existence derrière la porte des mots…


… Sa vie en sommeil comme un silence dans la prose du monde. »


Quand je relevai les yeux des feuillets, le verre de cognac était vide, solitaire sur la table du bar, dérisoire cristallin laissant entrevoir les reflets des passants dans les vitrines du café-bar, reflets mêlés aux taches par réfringence de lueurs crachées des becs de réverbère qui venaient tout juste de s’animer pour éclairer le vide, et Elle, Elle évaporée, évanouie dans les derniers sillages du jour finissant.


En vain, j’ai couru tout le long des rues et des avenues dans l’espoir de la retrouver.

J’ai aussi cherché sans succès des pages envolées du livre effeuillé, je n’ai trouvé que les feuilles errantes des annonces publicitaires, indécentes.


Je suis revenu dans mon appartement, et sur les murs couverts des mots enrayés, j’ai affiché les pages d’un livre façon elzévir. Tous les jours à ma fenêtre, j’attends son retour.

Elle ne sera plus un fantôme qui hante les livres, je le sais.

Je sais qu’un jour elle sera libre, et qu’elle reviendra en pleine réalité, moi qui l’ai pour toujours dans le cœur, dans l’esprit et jusque dans le corps.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   ANIMAL   
7/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le monde du narrateur, agrémenté de mots, décoré de phrases, bâti de confusion mentale, nous emporte au gré de cette nouvelle qui se lit avec grand plaisir.

On ignore quel est le vécu de cet homme pour qu'il se soit égaré dans cet univers étrange et attachant, pour qu'il ait totalement perdu le contact avec ses semblables et la réalité.

Et je dois dire que je tremble un peu pour cette femme si elle est réelle et qu'il la retrouve au hasard des rues. Car je m'attendais à ce que la folie douce du narrateur se transforme en folie meurtrière et qu'il plante vraiment son couteau pour voir si du sang coule ou s'il s'agit d'une créature de papier. Folie, quand tu nous tiens...

Une belle histoire d'écorché vif contée dans un langage choisi. Je serais bien en peine de citer un passage préféré car chaque phrase se savoure à sa façon.
Si j'ai une critique à faire, c'est la longueur. Après la scène forte de la tentation de tuer, j'aurais vu une chute plus brève et plus brutale (par exemple au lieu de rester passif et d'attendre son retour la chercher activement).

Je verrai bien ce texte dans la nouvelle rubrique "récit poétique" car ici il y a beaucoup de poésie, c'est incontestable.

   maria   
10/3/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Bonjour,

Je me suis tout de suite sentie bien dans "cet appartement meublé de mots". Et la description qu'en fait celui qui "écoutais l'existence entre substantifs et adjectifs" est savoureuse.
J'ai lu le texte lentement, sans ennui ; j'ai souvent écarquillé les yeux d'étonnement. Ce fut une lecture très agréable. Les phrases sont belles, poétiques. L'auteur(e) joue avec le sens et le son des mots. Il n'y a pas de temps mort, l'image cherche le mot, et vice-versa.

"J 'étais en rature" : a priori cela ne veut rien dire, et pourtant, c'est avec ces mots que je définirai le personnage.
Il l'a vue, Elle, "de sa lucarne entre les mots", il devait "se cogner au monde" pour "attester sa vie".

Je n'ai pas voulu donner de la réalité, de la vraisemblance à son escapade, car comme lui "mes yeux hallucinés me firent voir une scène étrange", a laquelle j'ai été ravie d'assister.
Mille mercis à l'auteur(e) pour beau dépaysement littéraire.

Maria en E.L.

   Pouet   
3/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bjr,

comme Diogène d'Oenanda qui fit graver sur les murs de la ville la philosophie d'Epicure...

Comme une prémonition où un rêve enchaîné en cliquetis de sentiments s'écrira malgré lui sur les feuillets d'Hypnos.
Et ainsi, comme l'envers des pages de ce livre envolé - ce Marietta de grâce- le tourbillon de l'âme:
"Enfonce-toi dans l'inconnu qui creuse... Oblige-toi à tournoyer..."

Il faudrait écrire le réel. Il faudrait.
Marcher vers.

Enfouir le Monde au fond des mondes, se fondre en un bourdonnement universel: le miel des maux coulant au sucré de la solitude.

Même si les mots ne sont pas l'être.

L'éblouissement est une vision, la fugacité éternelle aux battements du coeur, demeure le souvenir en cendre lumineuse.

Plus que la trace: le glissement.

Mais l'existence ne s'efface pas avec une gomme.

Les murs ont des oreilles qui susurrent des yeux: les sens n'ont de constance que dans l'aller-retour.

Tout ce qui doit être écrit ne doit pas être lu.

La perception de soi dans le tissu de l'autre s'habille d'espérance et de petits bonheurs.

Quand une femme se fait flamme de son autodafé.


L'évidence évidée...

(La liberté existe, la preuve: je peux l'écrire.)

............................................................


Bravo pour ce texte ciselé, cette écriture riche et évocatrice, excavatrice: ces perceptions multiples de l'intériorité.

   Anonyme   
3/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Bonjour Louis,


J'ai adoré votre nouvelle : la maison des mots est une idée fantastique, fantastiquement évoquée, on aimerait y vivre; en revanche, l'idée de perforer le réel ou l'irréel avec un couteau fait froid dans le dos...
Vous créez un univers poétique dans lequel il fait bon se glisser.
Vos phrases sont élégantes, vos références ( Malévitch ) donnent envie de voir mieux.
Vous avez su créer un style neuf, très différent de celui du " saut", texte que j'avais aussi bcp aimé. Vous avez su " faire parler le monde."
Merci pour ce voyage

   plumette   
4/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Louis

je suis entrée avec gourmandise dans cet appartement meublé de mots, toute la première partie du texte où le narrateur se crée un monde avec les mots a trouvé un très fort écho en moi.

Et puis, il semble que cet univers a ses limites, qu'il lui faut emprunter un chemin ( oenada) pour aller à la rencontre de l'autre. Une femme qu'il fait exister par les mots mais qui se dérobe au point de le sortir de son refuge et de le confronter à l'extérieur.

Ce voyage a la rencontre de Marietta passe encore par les livres, sur cet aspect de votre texte, j'ai été un peu moins conquise. Il y a cependant une magie de la langue, soutenue, avec des phrases charnues. ce qui me frappe, c'est que vous arrivez à donner chair aux mots, qu'une sensualité ce dégage de cette rencontre éthérée.

surprenant! envoûtant! un texte que je relirai, que je pense devoir déguster à petites doses pour en apprécier toute la saveur.

Merci pour ce partage

Plumette

   Vincente   
4/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
J'allais écrire : ce poème m'a emporté dans son maelström enchanteur… En fait, je ne sais plus trop où j'en suis à la suite de ces mots microcosmiques qui redessinent une langue ineffable. Car sur le papier, pas de poème… pas plus que de maelström, mais alors pourquoi cet enchantement ?

L'emprise sur le lecteur est poétique, dans ce monde où le mot va faire sang et sens. Ici l'immatérialité théorique de la langue construit pourtant une réalité physique de lettres ; quand le narrateur déclare : " Cet appartement, je l’avais meublé de mots… Je logeais au coin d’une longue phrase. " ou " Par-delà les paroles emmurées, figées, hiératiques, grouillait une vie dans une agitation incessante, tumultes et turbulences dont je m’étais écarté, en retrait de tout. " (fascinante inflexion de l'auteur proposant l'explosivité de ces "mots emmurés"). Ce qui fascine dans ce récit, c'est la fusion/confusion entre celui qui ressent la présence des lettres et le pouvoir qu'elles ont sur lui ; comme si la situation habituelle s'inversait, le géniteur du verbe devenant en quelque sorte le dépendant de celui-ci, comme sa conséquence et non sa source.
Cependant celui qui pense et écrit est bien celui qui les fait vivre, mais elles ne sont rien sans lui et lui rien sans elles, il serait plus logique de parler d'interdépendance. Pourtant, pourrait-il vivre sans elles, son dépouillement semble tellement insoutenable… ?

La progression narrative affirme une adroite maîtrise où l'on se sent happé d'un paragraphe à l'autre. J'ai adopté sans réserve les enchaînements des différentes séquences, et à part dans deux passages où j'avouerais avoir senti poindre un trop, celui du couteau pour faire saigner la femme… ! un peu excessif tout de même, et celui-ci " Je me voyais dans un vertige, alpiniste d’un nouveau genre, escaladeur de lettres,…/… d’une bulle à l’autre d’univers. ", je n'ai eu qu'à me laisser porter, et même plutôt à me laisser tirer, attirer.

Quelques passages d'incises parmi les plus savoureuses :

" Je logeais au coin d’une longue phrase."

"Je m’attardais chaque jour devant cette fissure entre les mots, cette ouverture dans l’inachèvement du discours. "

"Chez moi, dans ma demeure, tout me causait en permanence, je n’habitais pas le silence."

"…un chemin pas très long pavé de mots, …"

"…elle se glissa derrière le paravent de mes mots emmurés."

"Le soir, je l’observais en écriture, et elle dansait sous mes yeux, corps et graphie d’une valse orthographe, cœur et graphie d’une émotion, …"

"J’étais en rature. Tous les mots barraient mon corps, l’emprisonnaient derrière des barreaux. De mille traits, je m’étais biffé. Il fallait tout corriger dans ma vie, et il fallait encore se rebiffer. Je me suis glissé hors des paroles murales désormais rayées…"

"… le verre de cognac était vide, solitaire sur la table du bar, dérisoire cristallin laissant entrevoir les reflets des passants dans les vitrines du café-bar,…
"

Je suis impressionné par la posture magicienne de l'auteur. Magicienne mais sans artifice. Car tout se tient dans cette attitude, bien plus que crédible, l'expression est fantastique, au sens insolite, incroyable mais pourtant si accessible qu'elle en est perceptible de façon "quasi" réaliste. Ainsi je vois un magicien mais aussi un jongleur capable de faire virevolter les "quasi".

   Donaldo75   
4/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Louis,

Autant le dire tout de go, je ne suis pas un fan de ce type de texte dont l’écriture est un long exercice stylistique. Cependant, j’applaudis des deux mains devant le résultat qui démontre une maîtrise de la langue, de l’écriture et un style peu communs sur Oniris. Contrairement à d’autres, je ne la verrais pas dans la nouvelle catégorie « récit poétique » et je pense que ce n’est pas ton intention. Elle tire sa force de sa narration qui ne raconte pas une histoire, en tout cas pas dans le sens traditionnel porté à ce genre qu’est la nouvelle. Elle est plus intérieure, un peu comme un dialogue, à l’instar de ce que Dostoïevski donnait à méditer à ses lecteurs dans certains intermèdes de ses longs romans. Cette narration décline une réelle tonalité, avec l’usage de formules presque poétiques mais surtout stylisées qui en renforce la matière, la rend très littéraire et pas seulement narrative. Ce n’est pas l’histoire ou le ressort dramatique qui porte cet ensemble mais l’écriture. C’est le point fort de cette nouvelle mais également – à mon goût, je ne suis pas détenteur de la vérité ultime – son point faible.

Merci pour le partage.

   Anonyme   
11/4/2020
Bonjour Louis,

Pas de note pour moi car l'exercice stylistique m'a, bien que mené avec virtuosité et brio, dérouté...je m'explique...

Combien de fois les mots "mur," ( cinq fois dans les sept premières lignes) "fenêtre", "livre", "rue" etc...sont répétés...?
On frôle l'overdose par moment et l"étouffement/suffocation pour cette âme confinée matériellement et psychologiquement dans son livre monde, une prison aux accents Kafkaiens pas vraiment libératrice et cloisonnée où la folie guette le narrateur.

On comprend où veut aller le narrateur/auteur qui se délecte, de venelles en venelles, tel un virtuose génial, de métaphores en allégories en passant par la rue des oxymores et des "chiaro oscuro", des allusions, avec des effets de répétitions, (répétitions qui deviennent lourdes) à l'image de la recherche de l'être aimé, quête qui semble obsessionnelle, compulsive, quasi maladive, désespérée...

Pesez par exemple ceci: "Mes murs se lisaient, pareils aux feuillets d’un livre ouvert"...
Quelques redondances : " Déçu puis dépité..." Ce n'est pas pareil?
Utilisations tantôt du passé simple tantôt de l'imparfait...

J'ai l'intime conviction subjective,que l'auteur se livre à un exercice, amusant et divertissant certes qui consiste au travers d'un texte, à intégrer coûte que coûte, tous les mots du lexique et champ lexical de la littérature/poésie/ponctuation...parfois, on le sent, à coups de marteau et de burin...obstinément, comme un exercice qu'on s'impose, à l'instar d'un vers en poésie auquel on veut 12 pieds, pas un de plus ou de moins...sinon c'est raté; tant et si bien que le texte manque de naturel...
Personnellement je le ressens de manière excessive, le travail d'agencement des mots, l'acharnement...une recherche trop méticuleuse...pour causer des effets.
Les mots s'enchaînent causant une ivresse, une euphorie hallucinatoire du lecteur/lectrice difficile à maîtriser, un voyage vertigineux dans le tunnel et les couloirs de la septième dimension, entre les frontières du réel et du virtuel, d’où l'on ne sort totalement indemne. N'est ce pas là justement le problème, le grand péché de ce texte, en envoyer un peu trop...?



Votre mérite pour ce texte travaillé tel un ouvrage au long cours, avoir inventé un genre, un mix, mélangez dans un shaker poésie et littérature et on obtient la poético-littérature...ou poético-nouvelle

Pas vraiment fan de ce mariage, du bébé, ni de ce néo-genre... pour ma part. Mais bravo pour ce travail!!

J'ai pensé à LIGEIA d'Edgar Allan Poe...

   hersen   
4/4/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Il faut, à un moment où à un autre, sortir du mot obsessionnel pour se mêler à ce qui fait le mot : la vie, non pas écrite sur un mur ou dessinée sur la moquette, mais la vraie vie, l'humain.
Car seul ce dernier aura le pouvoir d'alimenter la source des mots. Sans lui, plus de mots. Essentiels s'entend. Puisque le mot ne peut être destiné qu'aux humains dans leur faculté, plus ou moins facile, de communiquer pour assouvir leur nécessité d'amour, leur nécessité émotionnelle.

Je suis, Louis, complètement subjuguée par ton sujet. Il y a une vérité douloureuse, s'enfermer dans les mots n'est pas la solution, il faut pouvoir les crier à quelqu'un pour qu'ils existent, pour qu'ils résonnent.

Par contre, il me semble que par "le trop dire", tu diminues l'impact de ton propos. Est-ce parce que je suis du genre à aimer la parcimonie dans ma propre écriture ? je ne sais pas, je ne crois pas que c'en soit la raison. Je suis prise dans une ambiance, que tu sais parfaitement entretenir, mais paradoxalement, cette ambiance (trop ?) prégnante m'empêche un ressenti que, sur le coup de la lecture, j'aurais aimé plus fort.
Ceci dit, je ne vais pas mentir : l'impact reste très fort ensuite et pour longtemps, c'est un texte qui marque durablement.

Comme la slow life, la slow food, c'est de la slow writing. Et elle a bien des vertus d'apaisement. Elle fait sens dans une contre-vie de "fast".

Merci Louis pour ce texte si plein de tes mots !

   emju   
4/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Merci pour cette nouvelle très originale ; j'ai adoré. Il y a un travail extraordinaire dans son élaboration, quel talent ! Un homme solitaire qui crée un monde d'un autre monde, un bouquin-studio. Il y reste enfermé entre quatre pages, avec pour amis, les mots, les virgules, les points étoilés. Sa quête de l'extérieur est un jeu de piste ponctué des mots de la vie. Puis, apparaît Marietta, sa muse éphémère, réalité crue dans un univers de lettres, d'imagination et de points d'interrogation.
Que dire de plus, c'est magnifique. Merci de m'avoir fait passer un excellent moment de lecture.

   in-flight   
5/4/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Quand c'est un texte de Louis, on sait qu'il faut mettre la nappe sur la table et sortir les verres en cristal ;) On devine qu'on va déguster un texte de garde et que le palais va en prendre pour son grade.

Avec ce récit, je retrouve l'univers "flottant" de l'auteur, un monde où le réel est fragile, comme poussé au bord du précipice. Ici, on nous dépeint une folie toute littéraire qui peu à peu va se mêler à une romance. Mais s'enfermer dans les mots, c'est s'enfermer dans les maux et le retour au réel va être une étape douloureuse pour le narrateur.
Au passage, Belle idée que de nommer le chemin personnel du narrateur aussi bien sur le plan de la langue que sur le plan du sens.

Cependant, J'avoue avoir été un peu dérouté du fond à cause de la forme. On ne peut pas reprocher à un auteur d'être à la recherche du "bon mot", mais jai trouvé ça voyant ce coup-ci (ça ne dépend pas forcément de vous: un lecteur est traversé par différents états d'esprit qui influencent sa lecture au moment de sa rencontre avec le texte en question). Bref, je ne garderais pas en bouche la même intensité qu'après la lecture de Sangomar (que je recommande vivement à ceux qui ne l'ont pas encore lue) ou de La chose.

Un bel exercice de style qui trouvera son public.

   emilia   
6/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément
Un récit captivant dans son déroulement et qui nous transporte dans l’univers imaginaire du narrateur « emmuré » par les mots en paroles et par l’écriture, « en retrait de tout ». Un besoin de confrontation entre l’enfermement intérieur et le monde tel qu’il existe à l’extérieur, avec ces « mots de la vie » qu’offre la « fenêtre » et son invitation à découvrir, explorer…
Un personnage féminin se dessine progressivement comme en « filigrane » pour s’éloigner dans « l’ineffable », la rendant inaccessible, « ombre fugitive » de nom inconnu, « littéralement belle » et littérairement aussi quand « les mots dansent au rythme de l’âme musicale des grammaires… »
Cette femme devenue « personnage central de mon livre-maison » est observée, guettée, attendue… jusqu’à devenir une quête obsessionnelle engendrant la folie : « J’étais en rature », faisant « éventrer les paroles et « passer à travers leurs corps » pour atteindre « cette part de réalité manquante que les mots ne peuvent nommer », en cherchant à « ne pas permettre cette collusion inévitable entre langage et idées, entre illusion et rationalité.
Face aux « pages sur fond de béton de la ville » et ses enseignes « flashantes », chercher « juste à la sentir, l’éprouver dans ma chair… », se « cogner au monde » dans cette « extériorité insurmontable » entre les extrêmes, entre le « trop plein et le vide », quand survient « l’accident d’un corps à corps » et la rencontre avec « Elle » et « son champ magnétique », « assise à la terrasse d’un bar » avec cette belle image d’un livre « effeuillé » à ses côtés, qui s’envole en « oiseaux de papier » conduisant à cette interrogation : est-elle « un être de chair ou un produit halluciné de mots rêveurs » ? Une question troublante qui pousse le narrateur à la tentation du délire de la violence : « fallait-il la tuer pour attester sa vie ? », soulignant le non-sens d’un esprit confus en proie au « vertige » d’une vision vers « l’incommensurable » orienté vers « toujours plus haut vers le ciel », ascension d’une architecture à la rencontre non pas de trous noirs, mais de « vers poétiques »
Une autre question cruciale : comment « discipliner ce flux chaotique », cet « océan de lettres en ilots de sens ? » qui finit par livrer au lecteur un prénom en clair « Marietta », moment évoquant en filigrane le fameux poème de Verlaine et son étrange « Rêve familier », jusqu’à « l’inflexion de la voix chère… », qui envahit le narrateur de sa poésie au point d’entrer en transe par « la mélodie des mots », ses « rimes, musique d’allitérations et assonances » produisant des « frissons » et un « ravissement majeur » face à celle qui « attend l’effusion d’existence derrière la porte des mots… », mais qui disparaît « évaporée, évanouie, non plus fantôme qui hante les livres », mais espoir d’une future réalité…
Une nouvelle prégnante, traitant de la création, du rapport de l’auteur avec l’ensemble des caractéristiques de l’écriture, la tension et le pouvoir des mots qui donnent vie à une certaine magie, dans ce style particulier à l’auteur, une langue riche et dense qui « danse », dans l’aspiration d’une âme au monologue intérieur ayant besoin d’illimité pour inférer le sens à partir de la forme en permettant le déploiement et la variation sur la même subjectivité focalisatrice, avec maestria…

   Anonyme   
6/4/2020
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
''On écrit sur les murs la force de nos rêves... On écrit sur les murs pour que l'amour se lève'' dit la chanson...

On écrit sur les murs tel Diogène, qui explique comment atteindre la vie heureuse, et le chemin qui y mène... Mais à condition d'accepter la première fin d'un monde pour y parvenir.

J'ai compris Marietta comme la personnification de l'envie qui pousse, inexorable, à sortir de soi (?)

On devrait donner des ailes au passionnément pour qu'il exprime au plus près ce que j'ai ressenti abordant à peine les premières lignes de ce texte magnifique. Ce plus que parfait morceau de rêve qui m'invite à un voyage familier au milieu des mots, du sang, et de leurs " lunes en virgules... ".

Merci infiniment, Louis, pour cette envolée fouillant dans ses moindres méandres un appartement meublé de phrases, qui nous porte jusqu'à sa fenêtre ''fissure entre les mots'', pour finir par jeter plus qu'un ''regard furtif sur le monde ''

J'aimerais avoir votre talent d'analyseur pour exprimer tout ce que vous m'avez donné à ressentir, à creuser...

Merci, pour votre belle écriture, et pour la superbe balade en pays connu,

Merci, pour avoir été mon chemin d'œnanda, "cette ouverture dans l’inachèvement du discours",

Merci, pour tout ce qu'il reste encore à découvrir à chaque détour de vos mots.


Cat

   Marite   
6/4/2020
Etourdissante cette nouvelle qui nous emporte dans un tourbillon de mots, d'idées et d'images défilant sous nos yeux à toute allure. Aspirée dès le début comme par une tornade je n'ai pu m'en détacher qu'au dernier mot, un peu groggy ... (c'est un premier contact avec ce genre d'écriture). Impossible de mettre une appréciation en dépit de la qualité du style et finalement de l'ensemble car, tenir en haleine le lecteur de cette manière c'est une prouesse, enfin c'est ce que je pense à mon niveau.

   jfmoods   
29/4/2020
Cette nouvelle se présente comme une très belle parabole sur la création littéraire et ses aléas.

Dans la première partie (de "J'avais écrit..." à "... passer à travers leurs corps"), le narrateur nous présente son cadre de vie : un appartement au troisième étage d'un immeuble. Depuis sa fenêtre, il observe la ville. Son univers intérieur, fourmillant, est constitué d'une citadelle de mots. Un jour, il remarque une femme dans la rue. Fasciné, il la regarde passer chaque jour et tente de figurer par les mots son éblouissement. Cependant, cette femme si addictive demeure fuyante sous la plume. Puis elle ne réapparaît plus.

Dans la seconde partie de la nouvelle (de "J'errais dans la ville" à la fin de la nouvelle), le narrateur part à la recherche de la femme réelle afin de lui donner une texture, une identité de papier. Il va quitter sa zone de confort pour entrer dans un univers aveuglant, bruyant, agressif. Il finit par retrouver la femme à la terrasse d'un bar. Cependant, indéchiffrable, énigmatique, elle lui échappe, ne laissant derrière elle que son prénom : Marietta. Le personnage naîtra-t-il un jour à partir de ces huit lettres ?

Merci pour ce partage !


Oniris Copyright © 2007-2023