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Sentimental/Romanesque
Luz : Guillaume et la rivière [Sélection GL]
 Publié le 07/07/23  -  8 commentaires  -  9983 caractères  -  41 lectures    Autres textes du même auteur

Un enfant amoureux, vers 1950.


Guillaume et la rivière [Sélection GL]


Dès le printemps, l’éclat soyeux de l’aurore s’agrippait aux haies d’oiseaux, comme pour retarder les premiers frémissements du vent. De chaque versant des collines mauves s’épandaient une multitude de filets d’eau entre les herbes et les joncs. Des petits ombles de fontaine y frétillaient sous des reflets d’azur et de genêts. Ces rigoles éparses rejoignaient des ruisseaux cristallins qui dévalaient les prés et les champs pour s’accrocher aux épaules larges et rassurantes de la Diège.


Guillaume avait douze ans. Il partait très souvent à la rencontre de ces diverses eaux, mais sa préférence allait à la rivière. Lorsque celle-ci l’apercevait en train de descendre à toute allure le chemin des mélèzes, elle retrouvait son chant fredonné et ses sourires scintillants ; du moins, c’est ce qu’imaginait l’enfant, cet accueil chaleureux quelle que soit la saison du ciel.

Il pénétrait dans l’inconnu de la rivière et ses lisières ; dans la vie des rochers sculptés, polis par les lames têtues du courant et la force du temps ; dans les longues lisses où ondoyaient des algues vert sapin, douces comme de la laine trempée. Entre les renoncules d’eau et le sable clair s’égayaient goujons, vairons, loches et chabots, fouissant graviers et brindilles à la recherche de petits vers, gammares ou portefaix. De temps à autre, une truite vive surgissait de sa cache pour fondre sur ce menu fretin.

Le courant reflétait les mille lumières du ciel et de la nature : les nuages, l’argent et le vert des aulnes, l’éclair bleu d’un martin-pêcheur, le jaune d’une bergeronnette… Ces miroitements paraissaient adoucir le bruissement du feuillage pour atteindre une quasi-sensation de silence. Le cœur des eaux étincelait de toutes les roches et les terres rencontrées. La force de l’onde attirait mystérieusement l’enfant. Il comprenait confusément que la rivière transportait la mémoire des pays traversés, depuis sa source jusqu’au fleuve lointain, colportant l’histoire des hommes et leur environnement à longueur des temps répétés. Toutes ces sensations pénétraient inconsciemment dans l’âme de Guillaume, alors même que ses yeux insouciants et ses jambes avides s’élançaient gaiement dans la nature offerte sous des nuages d’éphémères et de libellules.

Il pouvait rester des heures à observer la lumière qui éclaboussait le radier d’une cascade ou bien demeurer fasciné devant un gour tourbillonnant, profondément creusé sous la roche d’une rive ; des heures à écouter les bruits de l’eau, ses clapotements, ses murmures ou encore ses bouillonnements, ses grondements lorsque le courant devenait plus vif. Il considérait la rivière comme un être vivant, presque une personne avec laquelle il pouvait dialoguer au fil de son cours et des rencontres alentour.

Les abords de la Diège apparaissaient toujours joyeux aux yeux de Guillaume puisque lui-même l’était quasiment en permanence. Il aimait ces matins d’été, lorsqu’en bordure des aulnes, les prés s’ébrouaient et dispersaient leurs brumes bleues. Les rives de jacinthes sauvages, de joncs et d’iris, les taillis, les pacages grésillant d’insectes, toute une nature, belle dans sa diversité, faisait corps avec les boucles de la rivière.

Lorsqu’il se promenait seul, il ne rentrait qu’à la pointe du crépuscule qui effaçait les dernières ombres, juste avant l’apparition de la lune au-dessus des collines. Il se disait que, bientôt, il pourrait rester toute la nuit, étendu au bord des roseaux sur un lit d’algues sèches, à observer les vies secrètes du bord des eaux, puis dormir auprès d’elles.


L’été, il se baignait dans la Diège, non loin de Lavolps, en compagnie de ses amis Malo et Roseline. Ils avaient bâti un petit barrage d’à peine un mètre de profondeur avec des mottes de terre herbeuses, des racines et de grosses pierres que chaque crue venait bousculer. Ils avaient appris à nager en imitant les mouvements aquatiques du chien de la ferme voisine, puis ceux des grenouilles des ruisseaux – bien plus efficaces ! Lorsqu’ils regagnaient la rive, des gouttes d’eau, comme des perles étincelantes, roulaient sur leurs peaux chair de poule. Ils s’étendaient alors en plein soleil, sur le thym sauvage, pour raviver la chaleur de leurs corps. Peu à peu, leurs lèvres, violacées par le froid, retrouvaient leur couleur rose clair. À deux pas, tout comme eux, le courant alangui semblait frissonner de plaisir sur son lit de sable et de galets ambrés. Guillaume était secrètement amoureux de Roseline et il veillait à ce que ses regards ne paraissent pas trop souvent dirigés vers elle, ni trop insistants ; il faisait du « tord l’œil » se disait Malo qui avait remarqué son manège. Un après-midi de juillet, il ressentit une très vive émotion lorsque le haut du maillot de bain un peu lâche de l’adolescente laissa échapper deux seins naissants au moment où elle se redressait devant les pierres du barrage. Il vécut là un instant d’émerveillement absolu, deux secondes, le temps qu’elle se rajuste très vite, l’air de rien ; deux secondes qui resteraient gravées pour la vie sur un galet particulier de sa mémoire d’eau pure.


Il avait lu, à la bibliothèque du collège, un livre décrivant le périple d’un Amérindien algonquin qui, tout juste né, fut allongé dans un petit canoë et confié au courant d’une rivière. Porté par le ventre mouvant des flots, doucement bercé, il s’échoua sur une plage où il fut recueilli par une autre tribu. Adulte, il devint « homme des eaux », pêcheur sur un fleuve côtier, ne s’écartant guère de ses rives sauvages. Ce voyage, d’une nuit et d’un matin, l’avait profondément marqué ; cette mère liquide avait laissé une empreinte indélébile dans le corps et dans l’âme de son premier âge. Il éprouvait ainsi l’absolue nécessité de nager dès l’aurore, de se mouvoir dans cette force silencieuse – une fusion, quotidiennement retrouvée, qui toujours le rassurait et semblait le protéger.

Guillaume regrettait presque de n’avoir pas vécu une telle aventure dans sa prime existence. Il savait cependant qu’il ressemblait beaucoup à cet Amérindien et avait décidé, qu’un jour, lui aussi serait « homme des eaux ».


Un été, Guillaume fabriqua un radeau avec l’aide de son père. Il récupéra des bidons à la décharge municipale et les fixa sous un assemblage de planches reliées entre elles par des liteaux en sapin. Il était très fier de son « P’tit Tiki », ainsi dénommé en référence au Kon-Tiki, grâce auquel venait d’être réalisée la traversée de l’océan Pacifique. Quoique de dimensions bien plus modestes – environ soixante-dix centimètres de large sur un mètre cinquante de long –, son radeau lui permettait tout de même de s’installer : assis dans les secteurs calmes, à plat ventre lorsque le courant s’accélérait et en se maintenant à une tringle fixée à l’avant dans les passages les plus difficiles. Il l’avait amarré non loin de la maison familiale, au bord de la Diège, dissimulé au regard des curieux dans la jungle d’une anse de roseaux.

Les eaux demeuraient désespérément basses en ce début août, si bien que les bidons raclaient fréquemment le fond. Il lui fallut attendre un matin, en milieu de mois, pour assister à un changement radical du débit de la rivière. Les puissants orages de la veille et de la nuit avaient considérablement ravivé le courant : la Diège s’était presque métamorphosée en un véritable torrent de montagne bouillonnant. Guillaume n’hésita pas une seule seconde : il s’engagea sur l’eau marron, écumante. À plat ventre sur le « P’tit Tiki », propulsé par les flots, il se servait de ses bras en guise de rames pour se faufiler entre les rochers. Il s’amusait comme un fou ; peu lui importait sa destination finale, il n’y avait pas réfléchi, profitant simplement du bonheur de l’instant présent. Il avait l’impression de vivre en accéléré le voyage de « l’homme des eaux ». Il savait cependant qu’il devait accoster avant le « défilé du Diable » et ses roches jaillissant des eaux – les cornes du Malin, certainement… Malheureusement, grisé par la vitesse, il n’avait pas correctement anticipé son retour vers la rive, c’est ainsi que le rapide s’ouvrit brusquement devant ses yeux. Guillaume réussit à éviter les premiers obstacles qui se succédaient à une allure « infernale », mais, quelques secondes plus tard, son radeau buta contre deux rochers très proches l’un de l’autre. Sa fragile esquisse bascula alors brutalement vers l’avant et se retrouva bidons vers le Ciel, plancher vers l’Enfer…, et Guillaume de même, englouti sous les eaux bouillonnantes de sa rivière bien aimée. Heureusement pour lui, il savait nager correctement. Il parvint à émerger du courant et se laissa porter, tentant de regagner progressivement la berge. Il atteignit celle-ci, à bout de souffle, trois cents mètres en aval du défilé diabolique, non sans quelques contusions. Il ne s’était pas rendu compte qu’au faîte de son vol plané par-dessus l’écume, sa tête avait frôlé une corne acérée du Démon. Son ange gardien avait certainement, à cet instant, élevé son corps de quelques centimètres, ce qui, très probablement, l’avait sauvé de la noyade. Juste après cette mésaventure, ce tout premier accident de sa jeune vie, il se sentit exister encore plus fort qu’auparavant. Ces émotions intenses l’avaient plongé dans un état de fébrilité joyeuse.

Il avait dévalé la Diège sur près de cinq kilomètres depuis son départ matinal et ne se situait plus très loin du chemin menant à la maison des parents de Roseline. Transi de froid, il grommelait en tremblotant du menton. Elle allait encore une fois se moquer de lui ; gentiment, d’accord, mais il n’aimait pas trop cela… Il « ronchonnait » tout en souriant, heureux malgré tout, et surtout fier d’aller lui raconter l’aventure du « P’tit Tiki ».

La recherche de l’épave ferait, à coup sûr, l’objet d’une expédition prochaine.


 
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   Disciplus   
24/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Espace lecture
Un récit poétique plein d'images (trop?) un peu convenues et récurrentes.
Un début prometteur, une fin moins écrite. Suggestion : J'eus aimé que l'acmé de l'histoire - le passage des rapides en radeau - soit plus dramatisé et face l'objet de la chute proprement dite.
Écriture limpide. Lecture facile. Bon vocabulaire.

   Jemabi   
25/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Cela faisait un moment que je n'avais lu en Espace Lecture un texte aussi bien écrit. L'écriture fluide, limpide, s'écoule au fil des paragraphes sans faire de vagues, pour reprendre la métaphore de la rivière. Elle avance sans en avoir l'air, s'enrichit au fil des descriptions, jusqu'à la scène d'action qui clot le récit. Le style champêtre n'est pourtant pas ma tasse de thé, mais là je me suis laissé porter au gré du courant et je m'y suis senti bien. Un bel hymne à la beauté de la nature, à son mystère aussi, éternel sujet de fascination.

   Asrya   
29/6/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Un texte qui se lit sans accroche, la qualité est là.
On suit les aventures de ce jeune homme avec sympathie, avec tendresse même ; comme une envie de se replonger en enfance et de partager ses souvenirs.
C'est à coup sûr un récit qui plaira. (enfin je m'avance peut-être un peu vite, mais c'est ce que je m'imagine !)

La fin est peut-être un peu précipitée, peut-être que la partie la moins aboutie correspond à celle du torrent, de la réelle péripétie vécue par Guillaume. Peut-être que cela aurait nécessité plus de détails, plus d'émotions. Alors qu'il est relativement aisé de se projeter dans les sentiments du personnage au début du récit, j'ai trouvé que cela perdait un peu en puissance dans cet instant difficile, cette épreuve qui le plonge dans un état de fébrilité joyeuse.
Quant à sa réaction à la suite, oui, le raconter à Roseline, pourquoi pas. Je l'aurais imaginé plus cavalier. Mais cela aurait peut-être également été trop cliché. Allez, je vous accorde cette fin.

On espère que Guillaume aura vécu encore plus d'aventures avec Roseline, de toute sorte. C'est une nouvelle douce, simple, efficace.
Parfois, il n'y a pas besoin de chercher loin.
Je ne suis pas la meilleure cible de ce genre de littérature, mais je suis convaincu de sa qualité.

Merci pour le partage,
Au plaisir de vous lire à nouveau.

   jeanphi   
2/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime un peu
Bonjour,

Cette histoire de souvenir d'enfance est très bien écrite, particulièrement le début, de longues phrases qui roulent généreusement comme des rapides sur un lit de granite limousin.
Cette nouvelle relève du fait anecdotique, il est donc important de choisir un angle d'approche propice à générer l'intérêt du lecteur. Plusieurs moyens employés par l'auteur servent cette cause, la rédaction très soignée qui se simplifie et s'efface devant l'action en cours de lecture, le fait que Guillaume soit un personnage ordinaire, l'absence de moral ou d'induction. Tout cela donne une neutralité et contribue à la mise en évidence du récit, de ses petits rien qui façonnent l'existence.
Il m'est difficile d'y percevoir un intérêt propre, je la lis comme je regarderais une belle photo de famille sans connaître les sujets.

   Donaldo75   
3/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
J’ai trouvé cette nouvelle bien écrite ; non seulement le style d’écriture est agréable à la lecture mais en plus la narration s’avère tranquille tout en restant intéressante à suivre. Il y a de la poésie, de la douceur dans ce récit et c’est apaisant quelque part. Le style bucolique est assez rare sur Oniris, je trouve – ou alors, j’ai oublié ou juste zappé certaines nouvelles – pour que je le remarque ici. Ce n’est pas simple d’intéresser un lecteur comme moi sur avec une histoire de ce type. Là, j’ai apprécié ma lecture.

   papipoete   
7/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Bonjour Luz
Je lis ce récit d'aventure dont Guillaume et la rivière, sont deux héros que je connus... au point que Vous auriez pu titrer votre nouvelle
" Pierrot et la rivière "
En effet, tout gamin j'allais près d'un ruisseau, où plongeaient grenouilles et vipères d'eau, mais aussi géantes couleuvres !
Je n'avais peur de rien, et rentrais comme Guillaume fort tard ; mes parents savaient où j'étais !
NB la Diège aux joyeuses eaux marchait au diapason de l'enfant, toujours gai ( moi, je sifflais tout le temps ! )
Il contemplait les algues, chevelures vertes ondulant au gré du courant ( au temps où l'on pouvait quasiment boire à ce ru )
Faire des barrages, pour se faire une piscine, où retenir des vairons captifs, et se prélasser dans 10 cm de profondeur ! )
Votre héros par contre s'empourpre face à Roseline, et que dire le jour où ses seins naissants, s'échappent de leur nid !
Le " P'tit Tiki " aussi est objet touchant, songeant au vrai de Thor Heyerdahl et ce chavirage juste face au chemin menant chez Roseline... offre ce côté mythique avec cet ange-gardien qui veillait.
Sûr que j'aurais pu écrire ce conte, peut-être pas aussi bien que l'auteur, mais rajoutant même des péripéties, comme celle où je rentrai chez moi, les yeux larmoyants de me les être frottés... après avoir empoigné un crapaud !
Je suis ému, souris par moments, et crois me voir dans le miroir de ma rivière ; cela se passait en 1956/1957 !
Je regardais déjà les filles dans leur cour de l'école, mais serais devenu écarlate si la belle Sophie de moi s'approcha...
D'aucuns trouveront puérils ces souvenirs ? moi, je me suis régalé avec ces lignes au vocabulaire, qu'un citadin put ignorer.

   Corto   
8/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
aime beaucoup
Il n'y a aucun événement extraordinaire dans cette nouvelle, et pourtant on s'accroche volontiers aux descriptions, aventures, sentiments.
L'ambiance 1950 est bien rendue, la rivière est une plus belle aventure que tous les écrans d'aujourd'hui. Les découvertes dans la nature, en solitaire ou accompagné, aux confins du plateau de Millevache, sont un monde sans fin mélangeant isolement, émotion, initiative personnelle, rêve portant loin jusqu'au Kon-Tiki...
On sent tout au long de ce récit la tension émotionnelle qui en fera un souvenir inoubliable.
Bravo pour avoir bien rendu cette ambiance. Que les enfants et pré-ados continuent leurs explorations...

   Malitorne   
9/7/2023
trouve l'écriture
aboutie
et
n'aime pas
Une belle écriture ne peut faire une nouvelle, à l’image de ces poésies classiques impeccables dans leur forme mais désespérément vides au niveau du fond. J’ai ici la même impression, cherchant un quelconque intérêt à ce souvenir qui doit sans doute parler à l’auteur mais moi me laisse sur la touche. À classer dans la catégorie lecture pour enfants ou pré-ados mais certainement pas dans la catégorie adulte, pour ma part j’ai besoin de plus d’exigence dans l'intrigue.


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