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Sentimental/Romanesque
Luz : Partir d’enfance
 Publié le 04/01/21  -  13 commentaires  -  4444 caractères  -  72 lectures    Autres textes du même auteur

« Ne croyez pas que le destin est plus que cette densité de l’enfance. » Rainer Maria Rilke



Partir d’enfance


Un soleil blanc transperçait le brouillard ; on aurait dit une lune crayeuse flottant sur un lac vertical. L’âne tirait la carriole aux grandes roues ferrées ; il nous emmenait en ville, ma mère et moi. Il connaissait parfaitement le chemin et n’avait pas besoin d’être guidé. Il savait qu’au bout du voyage, il devait s’arrêter juste à la limite entre le faubourg et le centre de la petite cité, au mur d’angle d’une placette où des anneaux en acier attendaient les attelages. Jamais il n’aurait fait le moindre pas de plus, tant il était habitué à cette fin de parcours lorsque ma mère se rendait au marché du samedi matin. Et puis, même en insistant beaucoup, il ne serait guère allé plus loin, apeuré à coup sûr par l’affluence et le bruit des rues commerçantes.

Je n’aimais pas beaucoup l’agitation de la ville. Je trouvais que les gens parlaient souvent pour ne rien dire : le temps qu’il fait, le temps qui passe, les ragots, les derniers morts… Je préférais courir dans les bois et les landes avec mon chien Blek, sauvage lui aussi.

Je rêvais déjà à d’autres contrées qui m’accueilleraient dans quelques années – avec mon fidèle compagnon, bien entendu ; des pays que j’apprenais à connaître dans des livres sans images. J’imaginais leurs bleus débordant du ciel et leurs verts ruisselant des forêts. Je savais qu’un jour je quitterais la vallée. Par instants, ma main en visière sur le front, je fixais en clignant des yeux le soleil libéré, éclos des nuages.


Chaque année, aux alentours du 15 août, nous grimpions en famille au puy des Mazières. Un étroit chemin se frayait un passage à travers genévriers et fougères pour nous conduire jusqu’au sommet. Un panorama brûlant s’inclinait alors devant nous, à peine brouillé par une brume de chaleur bleue, très pâle. Des milliers de parcelles s’enchevêtraient, modelées depuis des siècles par les habitants de ce pays. S’épanouissaient ainsi : villages, routes, bois et forêts, pacages et champs, haies des bords de ruisseaux, étangs aux éclats argentés…

Mes parents éprouvaient sans doute le besoin, une fois par an, de s’imprégner de l’étendue et de la beauté de ces paysages, d’en retrouver la diversité avant de retourner vers le labeur quotidien exigé par la terre. Ces quelques heures constituaient leurs seules vacances de l’année.

Je prenais pleinement conscience que nous n’occupions, au loin dans une petite vallée, qu’une minuscule pièce de cet entrelacs. Notre ferme participait à cet ensemble et subsistait grâce à lui. Je me disais que, de mont en mont, les horizons devaient ainsi se renouveler, se transformer progressivement jusqu’au « pays d’ailleurs » vers lequel, tôt ou tard, je partirais.


Aujourd’hui, l’enfance me paraît bien éloignée de mon corps, et pourtant elle demeure si proche en ma mémoire. Avec le temps, j’ai appris que l’on ne peut quitter véritablement sa prime jeunesse ; à vie, elle porte notre âme.

Je reste seul au bas du puy à regarder la pente vert tendre s’élever au-delà de mes jambes usées. Les genévriers sentent bon l’automne. Les merles ont mangé les jolies baies orangées des sorbiers. Ils fouilleront encore au pied des arbustes, l’hiver prochain, dans l’espoir têtu de glaner quelques graines oubliées.

J’ai beaucoup voyagé depuis l’époque heureuse où j’allais au marché avec ma mère et notre âne craintif. Pendant plus de soixante ans, j’ai bourlingué aux quatre coins de quatre continents. J’ai connu fortunes et infortunes, ouvert des chemins, claqué quelques portes et, je l’espère, semé un peu de bonheur au hasard de mes rencontres traversières.

Je suis revenu vivre près des sources qui m’ont vu naître. J’ai toujours un chien à mes côtés ; il s’appelle Blek, du même nom que le compagnon de mon enfance. Il est très sociable, tout le contraire de son lointain ancêtre ; pas sauvage pour deux sous, et moi non plus avec le temps… J’ai appris à aimer les gens d’ici comme j’aimais les gens d’ailleurs.

Je ne sais ce qui m’a incité à retourner dans ce pays – mon pays, après tant et tant d’années d’errance ; peut-être le besoin d’être rassuré, comme si cette vallée m’ouvrait deux bras protecteurs prêts à me soutenir durant ma vieillesse. Et cette terre, bien qu’elle m’ait vu lui tourner le dos au sortir de l’enfance, accueillera mon corps, l’heure venue, tout contre son cœur baigné d’eaux vives – mon ultime ailleurs ; sans retour.


 
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   Anonyme   
1/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien
Cette nouvelle m'a irrésistiblement rappelé la chanson "Les murs de poussière" de Francis Cabrel, que j'ai illico écoutée à ma santé. Un thème assez universel que je trouve plutôt bien décliné, sauf pour ce que je perçois comme un déséquilibre : à mon avis, la conclusion, la "morale" tirée par le narrateur au soir de sa vie, est beaucoup trop longue, ce qui lui ôte de son impact. Cette conclusion, j'ai l'impression qu'on me la rabâche de manière insistante, et je renâcle.

Une mention pour la description du paysage déployé lors de la promenade du 15 août, je l'ai trouvée bien menée, alerte.

   SaulBerenson   
1/12/2020
 a aimé ce texte 
Un peu
L'horizon à bien une fin puisqu' à force d'aller toujours plus loin on revient toujours à son point de départ.
Le narrateur solitaire a ainsi claqué quelques portes et peut être semé un peu de bonheur dans sa vie d'errance.
Ayant enfin appris à aimer, il peut ainsi se blottir dans les bras de sa terre-mère.
Texte simple et bien écrit. Peut-être un peu court, peu descriptif entre enfance et vieillesse. La mélancolie semble être la seule émotion présente. Un peu trop. Dommage.

   Anonyme   
2/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Un ultime retour, éternel dirais-je même, vers la terre natale, qui a vu naître le narrateur et qui l'accueillera, mourant...

Merci de cette évocation, juste retour vers l'origine de ses heurs.

En EL.

   cherbiacuespe   
5/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien
On a beau se convaincre de toute les façons possibles, nous sommes tous accrochés à la terre qui nous a vu naître et grandir. Et, de manière innée, elle nous manque un jour ou l'autre. Quelque chose d'improbable nous commande d'y revenir, souvent pour boucler la boucle.

Ce texte vaut pour cet incompréhensible attachement qui nous lie à une terre. Il est bien et finement tourné. Les mots sont ciselés avec grâce et on est condamné à aller au bout. le texte est court mais il progresse inexorablement vers une indiscutable conclusion. Pas besoin d'en dire plus. Un joli texte.

Cherbi Acuéspè
En EL

   Corto   
6/12/2020
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai du mal à caractériser ce texte: Bilan d'une vie ? Séquence nostalgie ? Réappropriation des expériences accumulées ? Un peu de tout cela sans doute.

Ce panorama personnel est intéressant et même riche.
Le personnage de l'âne est pittoresque et nous immerge dans une époque lointaine.
Les souvenirs anciens plantés au pied d'un puy que le personnage vieillissant ne peut plus grimper caractérisent bien le temps qui passe et l'utilité de se retourner sur un vécu qui semble riche.

"Pendant plus de soixante ans, j’ai bourlingué aux quatre coins de quatre continents". Cette phrase aurait pu ouvrir une séquence d'expériences de vie qui aurait enrichi ce texte un peu court.
Le final est sans surprise et l'on a le sentiment d'un récit vite bouclé.

Ce dépaysement spatio-temporel porte une intériorité et une tendresse qui lui donnent son charme.

   Donaldo75   
10/12/2020
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonsoir

J'ai trouvé ce texte charmant, bien écrit, avec une tonalité qui le rend agréable à la lecture. Pourtant, je préfère les nouvelles excitées où des extraterrestres punks attaquent des Indiens en diligence à coups de citrouille mais là j'ai apprécié le souvenir, la lenteur du récit, la justesse du ton. Les images se sont immédiatement inscrites dans mon cortex cérébral alors que je n'ai pas ce vécu, que ma vie a probablement été très différente de celle de l'auteur. Et c'est là que réside la force de la narration.

Bravo et merci pour le moment de douceur.

   Malitorne   
4/1/2021
 a aimé ce texte 
Bien
Un récit nostalgique, joliment écrit, qui peut parler à tous. Chacun de nous transporte des souvenirs d’enfance qui vont plus ou moins dicter sa conduite d’adulte. Il est difficile de se défaire de son passé tant il nous a pétri. Et le retour aux sources quand vient le crépuscule de la vie, inévitable pour certains, à fuir pour d’autres.
Bien aimé également la description du paysage au sommet du Puy, le quadrillage de la campagne, c’est bien rendu et je m’y croyais.
En gros il n’y a pas de fausses notes, un texte plutôt simple mais agréable à parcourir.

   fugace   
4/1/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
C'est un beau voyage entre l'aurore et le crépuscule d'une vie.
Les descriptions simples sont fortes et savent avec justesse poser le cheminement de cette vie qui revient à son point d'ancrage: l'enfance.
"Avec le temps, j'ai appris que l'on ne peut quitter véritablement sa prime jeunesse; à vie, elle porte notre âme".
N'est-ce pas Gide qui disait: "on ne guérit pas de son enfance"?
Merci pour cette très belle nouvelle.

   hersen   
4/1/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Il y a pour moi un petit air méridional, sans doute dû à l'âne, mais c'est surtout un morceau de puzzle de campagne d'autrefois que tu nous offres, avec en prime la nostalgie de celui qui est parti loin, qui se souvient, mais dès lors qu'on se souvient... c'est que ce temps est révolu, qu'il a aidé à se hisser sur quelque hauteur pour avoir une vue d'ensemble, et choisir sa vie.
C'est un texte tout en subtilité, mais aussi un souvenir de la campagne qui n'existera plus, bientôt, de cette manière-là.
Un bien ou un mal ? je ne sais pas.
La vie qui va, en tout cas.

merci de cette lecture.

   papipoete   
5/1/2021
 a aimé ce texte 
Beaucoup
bonjour Luz
un récit que l'auteur semble écrire, en lisant les rues du village, en interrogeant forêts et ruisseaux de son enfance.
Des souvenirs que l'on n'oublie pas, même après avoir bourlingué sur la Terre entière ; des bruits, des voix gravées en soi malgré les tumultes entendus sous d'autres latitudes...
NB rien d'inventé dans cette histoire, tant le vécu sourd de chaque ligne comme celle où " l'âne conduisant la mère et son fils ", n'avait nul besoin d'être commandé, s'arrêtant pile où la charrette devait aller !
La fin guidant l'enfant du pays vers là où il naquit et vécut, semble couler de source, comme cette eau des landes qu'affectionnait son chien fidèle...
Une lecture si touchante et apaisante, nous faisant oublier cet ennemi sans " vert de gris ", tout petit mais plus terrible qu'une armada de " Panzer "

   in-flight   
6/1/2021
 a aimé ce texte 
Bien ↑
L'enfance est un pays d'où l'on ne part jamais, malgré nos voyages.
C'est ce que le texte nous dit. Il nous dit également que l'on revient toujours sur les terres qui nous ont vu naître, qu'être né quelque part n'est pas anodin.

Le propos est servi par une ambiance poetique empreinte de nostalgie. L'évocation des souvenirs est belle, mais je trouve que le recit est trop ramassé, que le temps de narration est bref pour évoquer autant de sensations. C'est une façon de te dire que j'en reclame un peu plus (on est gourmand en cette periode post-réveillon).

Merci pour la balade.

   Charivari   
10/1/2021
Bonjour.

Le style est agréable, les descriptions soignées... Par contre, j'ai trouvé ça tout de même bien court, tant au niveau du nombre de caractères que dans le fond, mis à part un peu de nostalgie de l'enfance, une anecdote... Pas forcément révélatrice, et sans grande originalité... Même si le texte est décliné à la première personne, on n'apprend quasiment rien sur le narrateur (narratrice), et même, le paysage est décrit de manière assez convenue... J'avoue que le lieu décrit ne m'a pas vraiment saisi, on est n'importe où à la campagne d'autrefois aux côtés de n'importe quel gosse de la campagne. Pas assez pour moi pour un texte abouti qui se justifierait par lui-même. Ce que je viens de lire, c'est juste l'arrière-plan, et je me demande encore, après la lecture: où est la nouvelle?

Désolé pour ce commentaire peut-être un peu trop critique.

   Anonyme   
9/3/2021
 a aimé ce texte 
Bien
cette nouvelle mis en lumière le contraste ville-campagne et le retour inévitable sur la petite enfance. ça m'a fait rappeler mes premiers pas en ville : les jeunes citadins avec leur accent latin ; au look bariolé, subtilement siglé et parfaitement accessoirisé regardaient d’un mauvais œil les nouveaux débarqués issus de la campagne et des villages environnants...


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