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Sentimental/Romanesque
macalys : Prétexte ?
 Publié le 08/09/07  -  11 commentaires  -  10035 caractères  -  54 lectures    Autres textes du même auteur

Lettre d'un homme qui a réalisé son vœu le plus cher, à sa maîtresse qu'il a quelque peu négligée.


Prétexte ?


« Elandra, mon ange, mon firmament étoilé,


Je replie à l’instant votre missive, douloureusement blessé de m’y voir appelé ingrat, monstre, inhumain. Comment pouvez-vous balayer ainsi les sentiments que j’éprouve à votre égard ? Croyez-vous que si je vous étais indifférent j’affronterais les mille dangers qui menacent l’amant d’une femme adultère ? Hélas princesse ! Dans la cruelle Antiquité, les aventuriers de ma sorte risquaient la mort à chaque pas. Mais vous savez, et je ne me lasse pas de le répéter, que votre bonheur m’est si précieux et nécessaire qu’au besoin, j’y sacrifierais mon existence. Mon cœur éclate à la seule pensée que vous puissiez douter de ma bonne foi, et les pleurs jaillissent de mes yeux affligés.


Si je vous ai quelque peu négligée ces temps-ci (voyez : je reconnais mes torts et vous supplie à genoux de me pardonner), il ne faut en imputer la faute qu’à un incident des plus troublants où, rassurez-vous, aucune femme ne joue de rôle. J’avoue que je suis encore troublé et ma main tremble en tenant la plume. Quoi ! Dois-je réellement tout vous conter, chère enfant, et m’exposer à vos foudres ? Nous nous sommes jadis jurés de ne rien nous dissimuler, aussi me hasardé-je loyalement.


Vous connaissez mon goût pour les promenades parisiennes. On s’engouffre dans une rue à la croisée d’un grand boulevard, puis dans une ruelle qui la prolonge, on se perd, on admire les façades, puis enfin, rassasié de la beauté d’une ville dont le gris fait le charme, on débouche sur une artère des plus fréquentées. Il ne reste plus qu’à rentrer chez soi. Mais l’espace d’une heure ou deux, la Grande Élégante a soulevé les voiles qui masquaient ses pudeurs, et laissé le promeneur la caresser du regard et du songe. Ces révélations flattent mon amour-propre et m’encouragent à me prétendre initié, mais qui connaîtra jamais totalement Paris ?


Au hasard des chemins sinueux qui encerclent le Palais Royal, j’arpentais une chaussée inégalement pavée, où perçait ça et là le vert décoiffé d’une mauvaise herbe incongrue. Les jeux de deux jeunes garçons troublaient à peine le silence ensoleillé de la rue. Séduit par ce décor de village, je notai sur mon calepin le nom de ce lieu enchanteur : « villa du lapin-qui-chasse ». Les immeubles épargnés par la pollution présumaient d’une pierre claire. La plupart des fenêtres bombaient fièrement un balcon alambiqué de ferronneries originales. La peinture des portes, rouge, verte ou bleue, souvent sombre, s’écaillait. De l’ensemble des habitations se dégageait un esprit de paix et de joie tout à la fois.


Un détail pourtant tempéra mon enthousiasme : je me trouvais dans une impasse. Je n’avais pas prêté attention au mot de « villa », et en y réfléchissant, je me souvins qu’on employait en effet ce terme distingué pour désigner un cul-de-sac. Je ne sais pourquoi, un sentiment de claustrophobie s’empara tout à coup de moi. Je me vis acculé, pris au piège, enfermé. Je me rassurai en pensant qu’il suffisait de sortir de l’impasse pour que mon malaise cesse.


Mais au moment où j’amorçai mon demi-tour, mon regard accrocha une pancarte suspendue sur une porte brune au moyen d’un clou et d’une ficelle. Et sur cet écriteau, une inscription étrange se détachait en lettres rondes. Assis sur le perron, un petit homme, très maigre, fumait sa pipe. Il me dévisageait, malicieux. « Bonjour », me salua-t-il entre deux ronds de fumée. Je lui renvoyai la politesse, distraitement, puis, intrigué, m’approchai pour mieux détailler la réclame. Sur le panneau de bois, on avait pyrogravé la mention suivante : « MARCHAND DE RÊVE » suivie de « Nous réalisons votre vœu le plus cher du lundi au vendredi de 10H à 18H ».


Le fumeur s’amusait franchement de mon ébahissement. Finalement, il se leva et m’enjoignit de le suivre à l’intérieur. Je ne songeai même pas à refuser. Je pénétrai donc derrière lui dans une pièce, basse de plafond, affreusement sombre et poussiéreuse. L’homme s’empressa d’ouvrir les volets, laissant entrer un flot de lumière qui éclaira le désordre de son taudis. Des livres et des objets anciens s’entassaient en combinaisons instables. Le propriétaire distribua quelques coups de pied dans le tas pour libérer deux chaises qu’il disposa devant la fenêtre. Il m’invita à m’installer, et lui-même prit place en face de moi.


Il était fluet, mais une énergie incroyable émanait de sa personne. Il avait le poil dru et noir, dressé sur son crâne pointu, et le teint olivâtre. Il se frottait les mains en permanence avec un air de profonde satisfaction qui ne m’inspirait aucune confiance.


Je lui posai deux questions du bout des lèvres. Il m’expliqua que son métier consistait en la réalisation des rêves quels qu’ils soient, d’amour, d’argent ou autres. Très fier de lui, il ajouta qu’il n’exigeait nulle somme astronomique en échange, mais un contre-don logique et juste : ce à quoi son client tenait le plus.


Cet homme me fit l’effet d’être un fou de la plus belle espèce. Je n’hésitai pas à le lui signifier, assez grossièrement d’ailleurs, avant de m’échapper de cet endroit insalubre. On ne parie pas sur sa vie. Voir s’accomplir son fantasme le plus cher au prix de ce qui vous comble présentement me paraît un échange hasardeux et trompeur, et encore maintenant, je me demande comment ce démon a réussi à m’entraîner dans sa boutique pour m’exposer les ressorts de son odieuse profession.


Mais le pire est que je suis retourné le voir ! Mettez-vous à ma place : on ne me proposait ni plus ni moins que de rendre réalité l’un de mes rêves ! Oh, je devine déjà le soupir que vous poussez en parcourant ces lignes. Oui, l’homme est faible, et c’est tellement commode pour lui… Mais avant de me juger, représentez-vous les nuits d’insomnies que j’ai subies. Je voyais des sérails où, auprès de fontaines d’eau claire, étaient allongées des femmes à demi nues prêtes à se soumettre à mes moindres envies. Des paysages magnifiques se succédaient à la fenêtre d’un train qui effectuait le tour du monde. Je nageais dans un océan de perles et de pierres précieuses, à l’abri de la misère pour le reste de mes jours. On m’acclamait en héros sur toute la planète. Les spectres du sexe, du voyage, de l’argent et de la gloire me hantaient. La tentation me tenaillait. La tentation de tout posséder, de tout savoir faire, d’être reconnu, de toucher au bonheur absolu, en somme.


Mais il me fallait renoncer à ce que je chérissais le plus ! Et ne sachant pas ce que c’était, je ne pouvais en faire mon deuil. Cette idée me torturait. Qu’était-ce ? Vous ? Mes amis ? Ma famille ? Ma liberté ? Mon intelligence ? Je m’avérais incapable de répondre à cette préoccupante question.


Il fallut pourtant que je me décide à agir. Mes cheveux blanchissaient et je fondais à vue d’œil… La situation devenait critique. Je pris alors mon courage à deux mains, et une semaine après cette curieuse rencontre, je visitai à nouveau l’énigmatique boutique de la villa du lapin-qui-chasse. Le tenancier ne parut pas surpris de me revoir. Il m’embrassa comme un vieil ami et me sourit de toutes ses dents jaunes.


En bégayant, je l’interrogeai sur les modalités du contrat. Il me répondit que le client formulait son souhait, mais qu’en revanche, il ne choisissait pas ce qu’il perdait. Je ne me résolus pas à conclure d’affaire avec lui ce jour-là. Il ne me le proposa pas. Il attendait que le fruit mûrisse pour le cueillir.


Le fruit mûrit. J’étais ensorcelé. Je ne parvenais pas à penser à autre chose qu’à ce maudit marchand de rêve et à son trafic ignoble. La fatalité me soufflait de passer un pacte avec ce diable. Je ne dormais plus, je ne mangeais plus. Et puis un jour, je découvris enfin mon désir le plus violent : posséder une bibliothèque infinie. Cela peut vous sembler risible. Tous les fantasmes sont ridiculement idiots et insensés aux yeux des autres, car effroyablement égoïstes et mesquins. Croyez-vous que j’ai désiré un instant la paix dans le monde ou du pain pour tous ? Vous vous égarez, chère amie. Je n’ai envisagé que le moyen d’améliorer mon sort.


La bibliothèque ? Un caprice certes, mais ô combien délicieux ! M’abandonner aux aventures les plus hardies, les plus romantiques, les plus enrichissantes sans bouger d’un bon fauteuil. Lire le jour durant. Vendre ses livres si l’argent manque. Développer ma culture générale jusqu’à l’indécence. Accroître mes connaissances autant que le permet ma mémoire. Les livres constituent une source sous-estimée de pouvoir, Elandra.


Dès que j’eus identifié mon vœu, je courus à mon marchand de rêve. Le soir même, une étagère de pin verni ornait mon salon. Il suffisait de penser à un ouvrage pour qu’il apparaisse. Je lus. Encore et encore. Je lus, relus et re-relus. Je m’ennuyai bientôt de tant lire. Je regrettai le marché passé. Je craignais la privation imminente d’un des aspects essentiels à mon équilibre, ignorant toujours de quoi il s’agirait. Et évidemment, comme il est courant dans ce genre d’histoires, le magasin avait disparu, ainsi que la villa du lapin-qui-chasse.


Elandra, dois-je vous le dire ? Hier matin, je me réveillai eunuque, moi qui avais esquissé des harems en songe ! À rêver d’érudition et de solitude, j’ai gagné le statut définitif et sans appel de moine ! Adieu longues nuits langoureuses, montées de sève régénératrices et jouissances dans vos bras tendres ! Je meurs de désespoir. Je ne suis plus homme, plus mâle. Je ne suis plus moi. Je me suis vendu moi-même !


Elandra, j’estime que notre liaison se fonde sur des liens beaucoup plus solides que ceux que crée la fusion des chairs. Oserais-je seulement présumer de votre amour après ces aveux ? J’ai besoin de vous en ce moment difficile, répondez vite à votre éternel et fidèle,


Charles-Bernard. »


* * *


« Charles-Bernard,


Rien ne vous obligeait à inventer une fable aussi invraisemblable pour rompre. Le message est passé, et même si j’ai versé plus d’une larme, je suis désormais assez forte pour vous dire adieu,


Elandra. »


 
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   Bidis   
8/9/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Dès le départ, l'écriture m'a laissée pantoise. C'était là celle d'un écrivain confirmé ! ... Mais l'esthétisme excessif qui s'en dégageait a nui à ma recherche, toujours et partout, des images et des impressions. Et je dois dire que je commençais à m'ennuyer un peu lorsqu'apparaît le marchand de rêves.
Est-ce une illusion ? Même l'écriture prenait une couleur plus vive, plus chatoyante, sous le coup de l'intérêt qui me prend soudain pour cette histoire.
"Ce à quoi je tenais le plus..." : le suspense prend un tour philosophique, j'adore...
Des livres -- la culture et surtout le pouvoir -- mais c'est bien sûr ! Cependant "vendre les livres si l'argent manque", "développer sa culture jusqu'à l'indécence", en voilà des drôles de concepts ! Et "je m'ennuyais de tant lire"... quelqu'un qui aime la lecture ne dirait jamais cela.
A la fin, le message m'a laissée perplexe. Je vais y réfléchir toute la journée.
Et surtout je viendrai lire ce que les autres en pensent.
Superbe travail en tout cas. Bravissimo !

   Anonyme   
10/9/2007
 a aimé ce texte 
Un peu
Joli conte conté sous forme d'un courrier (?), écrit avec soin, application.
J'ai passé quelques minutes à m'en divertir.
La fin est curieuse, inattentdue: un eunuque!
Joli prétexte!

   Pat   
14/10/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Etonnante cette nouvelle que je trouve particulièrement bien écrite. Rien à dire au niveau du style... Enfin si : j'aime bien le ton utilisé qui me semble en harmonie avec le caractère du personnage, le niveau de langage assez soutenu. Les descriptions sont précises, sans être pesantes... Quant à l'histoire, elle n'est pas exempte d'un humour sous-jacent (le personnage du taudis me rappelle un peu les personnages de Cohen, même s'il n'est pas aussi loufoque). En même temps, il y quelque chose de tout à fait intéressant dans cette histoire, inventée ou pas, c'est l'attirance pour le gain, même si cela semble complètement surnaturel. Ca me rappelle les joueurs (casino) qui sont prêts à tout pour gagner... sans se préoccuper de la réalité (la dure loi des probabilités, notamment !). Toutefois, le contre don me parait tellement énorme (la castration, quelle angoisse !) que l'on penche effectivement pour un canular... Je ne pense pas que le narrateur puisse en parler aussi légèrement si cette histoire détenait une quelconque véracité. Elle a raison, la demoiselle ! Mais quand même, cette histoire, on a envie d'y croire... Sans doute, la force du récit... qui nous plonge dans l'imaginaire sans même douter !

   Anonyme   
16/10/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je suis tombé par hasard sur cette histoire que j'ai lu d'une traite. Une hitoire bien écrite où l'imagination est au rendez vous aussi bien dans la forme que dans le fond. La chute est surprenante. Bravo

   AEMark   
24/10/2007
La chute est vraiment inattendue... Eunuque ! Ceci doit faire frémir plus d'un mâle...
Seulement, il y a un truc que je trouve étrange. L'homme dit à son amie qu'il l'aime beaucoup etc, et puis lorsqu'il lui conte son histoire, il lui avoue qu'il rêvait de sexe, d'autres femmes, de sérails ! On ne peut pas dire qu'il soit très romantique et subtil !
Néanmoins, j'aime beaucoup le style d'écriture, et la courte réponse de la femme est amusante et clôt parfaitement l'histoire.

   Togna   
11/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
La difficulté d’un récit épistolaire, plus que dans tout autre genre, est de tenir l’intérêt du lecteur. C’est réussi ici, j’ai lu avec plaisir jusqu’à la fin inattendue. J’ai trouvé ce texte beaucoup plus dynamique que « incident de parcours » grâce aux nombreux changements de rythme : phrases courtes suivies de plus longues, formes variées.
Le narrateur s’exprime délicieusement, comme on s’écrivait entre amants au 18 ou au 19eme siècle.
Je crois qu’il a beaucoup de travail et de recherche dans la construction des phrases, et l’humour de l’intrigue excuse son improbabilité.
Superbe.

   i-zimbra   
23/12/2007
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Ce texte m'a fait penser à la Main Enchantée de Nerval.

Quelques détails qui clochent: « si je vous étais indifférent »... "si vous m'étiez indifférente" me semble plus approprié à la situation.
Il me semble aussi qu'à l'époque où le Palais-Royal était dans cet état, il n'y avait ni train ni pollution... d'ailleurs il y a un siècle pollution signifiait encore onanisme, sacrilège, ou perte nocturne de semence.

J'espère que Charles-Bernard a rattrapé le coup par la suite grâce à des pratiques amoureuses moins conformistes.

Enfin, il aurait pu, retrouvant le magasin désert, trouver un mot à son intention, avec la morale de l'histoire : Le savoir infini n'a aucune valeur si on ne peut pas transmettre.

   xuanvincent   
26/7/2008
 a aimé ce texte 
Bien
J'ai apprécié lire cette nouvelle sous forme de lettres, que j'ai trouvée bien écrite.

Le thème du "marchand de rêves" m'a intéressée, également celui du souhait du narrateur, "posséder une bibliothèque infinie".

La chute du récit m'a amusée.

   Flupke   
7/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Excellent. J'ai vraiment adoré, l'originalité, le mode épistolaire précieux, le déséquilibre dans la longueur des lettres. La villa du lapin-qui-chasse : très bon.
Quelle imagination et quelle belle écriture !!!

   Selenim   
17/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Une fable bien amusante qui se déguste sans sourciller.

La qualité d'écriture est stupéfiante, les images se bousculent, les odeurs jaillissent, les sons percutent.

   Menvussa   
11/4/2009
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le style désuet de cette lettre convient fort bien à Charles-Bernard, il aurait certes beaucoup moins perdu en se séparant de son intelligence mais il n'avait pas le choix.

De l'humour, merci.

Une petite incohérence dans cette proposition : Croyez-vous que si je vous étais indifférent j’affronterais les mille dangers...

Comment peut-il dire cela ? c'est quelque part un non sens, peut-être voulu.


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