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Horreur/Épouvante
Malitorne : Islande : de glace et de feu
 Publié le 04/05/24  -  8 commentaires  -  32400 caractères  -  76 lectures    Autres textes du même auteur

Il y a des voyages inoubliables.


Islande : de glace et de feu


L’avion d’Icelandair, arrivé à destination, commença l’amorce de sa descente. Mélanie sentit la décélération, releva le nez du livre dans lequel elle était plongée et regarda à travers le hublot. Après des heures au-dessus d’une étendue marine monotone, on voyait enfin les prémices de l’île tant attendue. Soudain remplie d’excitation, elle donna un léger coup de coude à son voisin de siège endormi.


— Réveille-toi, on arrive !


Samir releva le masque de sommeil qui lui occultait les yeux, esquissa un sourire.


— L’aventure commence ma chérie.


L’Islande, enfin, elle l’avait tellement rêvé ce bout de terre mythique ! Les premières images vues de ce pays avaient tout de suite provoqué une fascination, puis la promesse qu’elle y poserait un jour les pieds. Objectif sans cesse repoussé à cause de l’éloignement, du prix et de la disponibilité nécessaire pour en profiter sans retenue. À force de persévérance elle avait réussi à organiser ce voyage, qui plus est avec l’homme de sa vie. Elle savait que ce serait avec lui qu’elle aurait un enfant, il était donc urgent qu’elle réalise son rêve avant d’être accaparée par la maternité. Elle lui saisit la main, les atterrissages elle n’aimait pas ça…

L’air était frais mais tout à fait supportable en cette fin juin. Un couvercle épais de nuages cachait le soleil mais cependant ne gâchait en rien la joie du couple. Ils récupérèrent leurs valises, passèrent les formalités administratives et se dirigèrent vers le grand hall d’accueil. Des gens étaient massés, dévisageant les arrivants, un grand gaillard brandissait un écriteau avec l’inscription Gunnar en lettres capitales.


— Là, c’est lui ! s’exclama Mélanie.


Leur guide, soigneusement choisi sur les réseaux sociaux, promettait une visite de l’île hors du commun. De plus maîtrisant le français car ancien étudiant à Paris. Il leur serra la main d’une poigne énergique :


Velkomin, vous avez fait bon voyage ?

— Un peu long, mais on le savait, l’Islande ça se mérite !

— Oui, oui, c’est pas à côté, approuva-t-il en prenant la valise de Mélanie.


Il les mena vers un parking où était stationné son véhicule. Un 4x4 imposant, indispensable pour qui voulait arpenter ces terres sauvages en toute liberté. La sortie de Reykjavik se fit en discutant à bâtons rompus, Gunnar pour la plus grande satisfaction du couple se montrait d’une humeur joyeuse et loquace. Des fautes de français dans son discours mais qui n’empêchaient pas d’aborder des sujets variés. La trentaine, blond comme il se doit, coiffé d’un bonnet qu’il avait l’air de ne jamais quitter. Une légère barbe finissait de lui donner l’apparence du parfait scandinave.


— Alors Mélanie, tu as demandé voir des choses originales ?

— Tout à fait. On ne veut pas suivre les circuits classiques avec la masse des touristes. On recherche l’Islande authentique.

— Authentique…


Une expression indéfinie se dessina sur le visage de Gunnar.


— Je comprends. Mais d’abord il faut que je montre les beaux endroits : Myvatn, Dettifoss, Arnarfjordur… Ensuite j’ai surprise pour vous, finit-il mystérieux.


Mélanie se tourna ravie vers son compagnon.


— On va éviter Blue Lagoon si vous voulez tranquille !


Et il lança un rire sonore qui remplit l’habitacle. Pour avoir feuilleté maints guides touristiques, ils savaient que ces sources d’eaux chaudes étaient assaillies par les étrangers. Très peu pour eux.

Leur guide prit la direction de l’est pour filer en direction de la réserve naturelle de Fjallabak.

Collés aux vitres, les deux voyageurs buvaient les paysages qui défilaient sous leurs yeux, matérialisation d’images tellement espérées. Des landes rases de bruyères alternaient avec des collines verdoyantes, au loin se dressait une barrière de monts sombres d’aspect volcanique. On voyait beaucoup de moutons, parfois quelques chevaux de petites tailles. La route étroite empruntée par Gunnar serpentait entre lacs et tourbières, l’activité humaine encore visible. Après une rivière aux eaux abondantes, le paysage changea du tout au tout, perdit ses belles couleurs pour prendre les teintes sévères d’un sol tourmenté. Les maisons se firent rares, les troupeaux disparurent, ils entraient dans le premier secteur sauvage de leur périple. Zone aride où rien ne semblait pousser sinon des espèces naines. Les nuages effilochés, poussés par un vent fort, renvoyaient un contraste saisissant entre le blanc et le noir.


— Landmannalaugar, prononça le conducteur en désignant du doigt un imposant massif montagneux. Beaucoup de promenades, mais on peut pas tout faire !

— Malheureusement, regretta Mélanie qui s’émerveilla des flancs de rhyolite colorée.


Gunnar stoppa le 4x4 à un endroit élevé de la route afin que le couple puisse satisfaire son envie de photographies. Dès qu’ils descendirent, une bourrasque leur frappa le visage, affola les cheveux de Mélanie qui se hâta de ficeler la capuche de son anorak. Elle se sentait vivre par tous les pores de sa peau, vivifiée par ce vent puissant qui balayait une géologie incomparable. Ils riaient, parlaient fort, euphorique Samir l’enlaça pour lui déposer un baiser fougueux.

Le trio repartit pour une vingtaine de kilomètres, jusqu’à un modeste chalet blotti au bord d’un lac glaciaire. Gunnar les avait prévenus : les lieux où ils dormiraient appartenaient à son réseau de connaissances, loin des standards touristiques, qu’ils ne s’attendent pas à du grand confort ni à des chambres coquettes ! Ça leur allait parfaitement.

L’homme qui les accueillit semblait descendre tout droit d’un drakkar, taillé dans un chêne, sa longue barbe tressée en deux pointes maintenues par des anneaux. De son bonnet s’échappait une chevelure rousse recouvrant les épaules. Il salua curieusement Gunnar, leurs avant-bras collés, mains au niveau du coude, accompagnés d’un mouvement de tête pour que les fronts se touchent. Quant à Mélanie et Samir, ils eurent les doigts broyés dans un étau…

Bien que ne parlant pas un mot de français ni d’anglais, l’hôte se montra chaleureux. Il leur servit un repas copieux à base de poisson, puis sortit d’un air complice une bouteille de Brennivin, l’eau-de-vie emblématique du pays aussi rude que son climat. Trop pour le couple, fatigué par l’avion et une première demi-journée intense. Terrassés, ils s’effondrèrent sur un sommier grinçant tandis que les natifs faisaient allègrement défiler les verres.


* * *


Standið upp vinir !


Mélanie ouvrit un œil trouble, distingua Gunnar penché par la fenêtre de leur chambre en train d’ouvrir les volets.


— Allez mes amis, Ísland n’attend pas !


Un léger mal de crâne, pourtant elle n’avait bu qu’un verre. Samir eut aussi du mal à se réveiller, il aurait bien récupéré davantage de la veille. L’esprit embrumé devant un bol de café et des œufs au bacon, ils écoutèrent leur guide plein d’enthousiasme décrire l’itinéraire de la journée. Après les adieux au viking, ils laissèrent derrière eux le lac nimbé d’une brume matinale.

Fjallabak continua de les enchanter par ses panoramas, sublimés d’un ciel bleu qui les regonfla d’énergie. Le véhicule traça ensuite vers l’est, en direction de Lakagígar et sa célèbre chaîne de cratères. À l’intérieur les discussions allaient bon train, chacun apprenant à mieux se connaître. Samir et Gunnar rejouaient la dernière coupe du monde de football quand, soudain, ce dernier écrasa les freins, projetant ses accompagnants vers l’avant.


Af guðunum !


Visiblement contrarié, il observa un groupe au bord de la route, de toute évidence des touristes, perchés sur les concrétions d’un amas volcanique de curieuse forme. Hilares, ils prenaient des poses grotesques face à un des leurs qui tenait un portable.


— Qu’est-ce qu’il se passe ?


Gunnar ne répondit pas, les traits durcis par la colère, descendit en claquant la portière. Ils le virent s’approcher du groupe, les apostropher en faisant de grands gestes. Il désigna un panneau explicatif des lieux, posa un doigt sur les lignes écrites en anglais. Penauds, les figurants abandonnèrent leurs perchoirs, s’excusèrent plusieurs fois avant de remonter dans leurs voitures. Seul, Gunnar baissa la tête devant la formation minérale en marmonnant quelque chose puis il rejoignit ses clients médusés.


— Excusez-moi, je suis colère, ces Américains croient tout permis !


Légèrement refroidie par l’emportement d’un homme jusqu’ici jovial, Mélanie tenta de comprendre :


— Mais qu’ont-ils fait ?

— Ça c’est landvættir, c’est pourtant écrit !


Il tapa le volant du poing.


— On doit les respecter, pas déranger !


Devant les mines effarées, Gunnar prit conscience de son état et fit un effort pour se radoucir.


— Pardon, désolé, les landvættir sont importants pour Islandais. Nous vivons avec eux depuis toujours.


Samir s’y mit à son tour.


— Parce que… heu… c’est habité ?

— Bien sûr. On ne les voit pas mais ils sont là.


Le couple ne creusa pas un sujet qui lui échappait, craignant de vexer Gunnar qui ne prenait pas ça à la légère. Tous les peuples avaient des endroits sacrés mal mesurables par les étrangers, ce qui était sûr c’est que leur guide était animé par des croyances vivaces. Ils purent le confirmer plus tard dans la journée, arrivés au champ de basalte crépusculaire du Lakagígar.

Gunnar abandonna alors la route pour s’engager sur une piste chaotique qui mit les suspensions du 4x4 à rude épreuve. Secoués dans tous les sens, les jeunes Français eurent l’impression de débarquer sur la Lune tant l’environnement devint âpre, dénudé, tapissé de pierriers noirs comme du charbon à perte de vue. Le ciel s’était en partie couvert et les rayons solaires qui filtraient rajoutaient un jeu saisissant d’ombre et de lumière. L’autochtone s’immobilisa au pied d’un cratère parmi des dizaines d’autres, sa bonne humeur retrouvée.


— Aujourd’hui, on grimpe !


Balade convenue le matin qui enchantait les tourtereaux. Pleine d’entrain, Mélanie enfila un petit sac à dos tandis que Samir s’emmitoufla dans un cache-cou, jumelles en bandoulière sur la poitrine. Chaussures adéquates, ils suivirent leur guide parti d’un pas vigoureux vers les hauteurs du volcan en sommeil. Un sentier balisé de cairns sinuait entre des rocs noirâtres tachés de lichens, se perdait dans des éboulis que seul un œil exercé pouvait repérer. Le dénivelé, faible et régulier, permettait au couple de profiter des lieux sans s’épuiser dans l’effort physique. Il n’y eut que les derniers mètres de raides, vite franchis par l’impatience de toucher au but. Gunnar fit un large geste du bras pour embrasser l’horizon :


— Voilà.


Souffle coupé, les voyageurs purent apprécier l’immensité d’une beauté farouche, comme l’impression de revenir aux premiers âges de la terre. Toute la singularité de l’île s’exprimait ici, son caractère unique sur la planète, mélange de glace et de feu. Ils marchèrent sur l’arête du cratère déchiqueté, distinguèrent le fond qu’ils pressentaient sourdre de lave bouillonnante. Entre deux photos Mélanie essayait d’imprimer ces images fantastiques dans son esprit, les conserver à jamais pour qu’elles illuminent la grisaille du quotidien. Elle se dit bêtement qu’elle pouvait mourir après avoir vu ça.

La redescente fut tranquille, Gunnar expliquant la géologie du Lakagígar car assailli de questions. Une fois en bas, plutôt que de regagner tout de suite le véhicule, il bifurqua sur la droite.


— Suivez-moi, vous allez voir, dit-il coquin.


Les pentes laissèrent place à une étendue plane, parcourue de failles qu’il fallait prendre soin d’éviter. Quand le couple sentit une odeur de soufre, des fumerolles s’élever devant eux, ils devinèrent où Gunnar les emmenait : des sources d’eaux chaudes ! Plus précisément une grande vasque, entourée de saules arbustifs et de rhododendrons qui trouvaient là les conditions pour s’épanouir, où l’on percevait la différence de température rien qu’en se tenant sur le bord. Sous leurs yeux ébahis, ils virent alors leur guide se dévêtir, garder uniquement son boxer et s’avancer les pieds dans l’eau.


— Allez les Français ! La récompense du guerrier !


L’atmosphère était fraîche, mais ce qui paralysait les voyageurs c’était d’abord la surprise devant le corps de Gunnar. Il avait le torse, recto verso, entièrement tatoué de motifs celtiques ! Des nœuds, des entrelacs, des boucles, de couleur bleue, s’enchevêtrant dans un ensemble fouillis et complexe. Sa peau ressemblait à un véritable parchemin orné d’enluminures. Il ignora la sensation provoquée et répéta ses encouragements :


— Venez, meilleur que Blue Lagoon !


L’Islande, c’était aussi ça, se baigner dans un froid polaire même si en cette fin juin ce n’était pas vraiment le cas. Ils s’arrachèrent donc à leur fascination et rejoignirent à leur tour l’enfant du pays. Combien de fois Mélanie en avait rêvé ? Barboter dans l’eau chaude au sein d’un milieu qui a priori ne s’y prêtait pas, hostile aux êtres vivants. Elle s’amusait d’être en soutien-gorge et petite culotte dans une eau géothermique, en compagnie de son chéri et d’un scandinave pur jus, sans personne à des kilomètres à la ronde. Voilà l’aventure telle qu’elle la concevait ! Moments exceptionnels, inoubliables.

Tout le monde détendu, elle entreprit d’interroger leur barbu.


— Gunnar, tes tatouages, ça signifie quelque chose ?

— Ah, oui, ça surprend. C’est parce que je suis Ásatrúar.


Devant l’incompréhension, il poursuivit :


— Ásatrú religion du Nord. Nous croyons aux Ases, aux Vanes, surtout Vanes qui sont plus proches de nous, tout autour.

— Ce sont des dieux ?

— Si tu veux. Mais pas Thor avec gros marteau ou Loki très méchant. Ça c’est cinéma !


Il explosa de rire, redevint vite sérieux, grave dans la voix.


— Les Vanes sont esprits de la terre, de l’air que respires toi. Si tu les… comment on dit biðja en français ?

— Aimer ?

— Non.

— Prier ?

, c’est ça ! Si vous priez Vanes ils protègent. Si vous moquez d’eux ils tuent !

— Ils tuent !

— Ou attirent malheur, ça dépend.


Mélanie et Samir échangèrent un bref regard qui voulait dire la même chose : sous des apparences bonhommes leur guide avait tout l’air d’un fanatique, féru de religion. Jamais très bon. Pour la suite du séjour, il valait mieux éviter ce domaine. Ceci rangé dans un coin de la tête, ils passèrent à un autre sujet avant de regagner le 4x4.

Celui-ci rugit d’aise une fois le macadam retrouvé, monta les rapports pour foncer vers de nouveaux paysages. Sur le bas-côté de la route, ils dépassèrent le groupe d’Américains en train de changer une roue avec difficulté.


* * *


Les jours se succédèrent, conformes aux attentes du couple. L’Islande se montrait à la hauteur de sa réputation, façonnée par des puissances titanesques qui ne pouvaient que susciter l’émerveillement.

Ils avaient la chance d’être conduits par un guide qui évitait les sentiers battus, privilégiait des lieux peu connus aux cartes postales, les faisait dormir dans des endroits improbables. Mélanie et Samir se souviendraient longtemps de cette grand-mère sans âge, perdue au fond de nulle part, qui salua Gunnar de la même façon étrange : avant-bras et front collés. Mélanie en vint à se demander si le réseau de leur guide n’était pas constitué uniquement d’Ásatrúar, tous avaient quelque chose de particulier. Outre le fait d’être totalement isolée, la grand-mère vivait avec un loup, de la race des loups arctiques. D’un pelage blanc comme neige il ne cessa de fixer les invités d’un regard insondable.

Cascades, glaciers, geysers, les beautés du pays défilaient jour après jour. Après une diagonale Gunnar leur fit longer la côte Nord, garnie de sable noir, pour les mener aux fjords de l'Ouest. Situés sur l’excroissance de l’île la plus rapprochée du Groenland. La météo jusqu’ici clémente se gâta, retrouva les caprices d’un climat océanique. Des averses alternèrent avec des éclaircies, rendirent obligatoires bottes et cirés et assombrissant quelque peu l’humeur des touristes. Ce fut dans ces conditions maussades, le pare-brise balayé par l’essuie-glace, que Gunnar dévoila la surprise qu’il avait préparée :


— Tu as dit vouloir de l’authentique Mélanie.


Elle ôta son casque musical des oreilles.


— Oui, mais c’est déjà super ce qu’on a vu !

— Vous avez vu paysages, là je vous amène à Flateyri, dans communauté typique. Ce sont Islandais qui vivent avec traditions très vieilles.

— Wah, génial !

— C’est grand privilège pour vous, ils reçoivent jamais personne. Ils ont accepté parce que je connais bien, puis je veux les sortir de l’isolation.

— De l’isolement, tu veux dire ?

, de l’isolement. Si ça se passe bien, je mettrais leur village dans mon circuit aux clients.

— Donc on est des pionniers.

, les tout premiers !


Mélanie leva un pouce victorieux vers son petit ami, davantage dubitatif. Samir n’était pas un être très sociable, les grandes étendues désertes lui convenaient parfaitement et il s’en serait volontiers contenté. Mais puisque ça la rendait heureuse…

La route principale dessinait de grands lacets pour contourner les innombrables fjords. Dès que le 4x4 emprunta une voie secondaire, celle-ci plongea rapidement pour se diriger dans le creux de ces bras de mer enfoncés dans la terre. Descente étroite, aux à-pics vertigineux. On apercevait des colonies de macareux perchées sur les falaises, en bas les vagues venir fouetter le rivage dans un bouillonnement d’écume.


— Y a des gens qui habitent ici ? s’étonna Samir.


Enfin le conducteur relâcha les freins, stationna sur une plate-forme herbeuse surmontée de monolithes de basalte. Il avait l’air tendu, appréhendait-il cette initiative importante pour son métier ?

Le couple ne repéra aucun signe de vie, réalisa que le village était plus loin lorsque Gunnar leur désigna un chemin. Ils s’équipèrent, sacs aux dos le suivirent sur un tracé rocailleux qui franchissait un promontoire. L’obstacle passé, Mélanie et Samir restèrent bouche bée.

Bordant une anse où la mer était moins agitée, des dizaines de maisons de gazon s’étalaient en arc de cercle, les fameux torfbær. Habitats rudimentaires des premiers colons islandais, peuple opiniâtre qui sut s’adapter aux maigres ressources disponibles.

Un sifflement perçant retentit alors, juste le temps de voir une forme juvénile s’éclipser de la cache où elle se dissimulait. Un signal, car les habitants apparurent, de plus en plus nombreux.

La première chose qui frappait était leur courte taille, compensée par une apparence râblée. Une homogénéité des anatomies pour le moins surprenante. Leurs habits n’étaient pas de la dernière mode, à croire qu’ils sortaient tout droit d’un film médiéval.

Les femmes portaient une longue robe d’étoffe grossière, ceinturée haut, foulard sur les cheveux ; les hommes pantalons rêches et chemises paysannes tombant sur les cuisses. Leurs chaussures, curieuses, paraissaient confectionnées dans de la peau de mammifères marins, liées par des tendons. Mélanie remarqua qu’ils avaient les yeux légèrement bridés sous des arcades sourcilières proéminentes. N’eût été le sérieux réclamé en ces circonstances, elle aurait pouffé devant la mine déconfite de Samir. Elle, continuait d’être enchantée ; l’aventure, l’exotisme !

Rituel immuable, Gunnar les salua de sa méthode particulière. Ensuite il désigna ses deux protégés en utilisant une langue différente de l’Islandais, comme une espèce de parler régional.

Les regards lourds que le couple sentit sur lui prouvaient les dires de leur guide, ces gens n’avaient pas l’habitude de visiteurs. Mélanie essaya de sourire à une petite fille hirsute qui aussitôt se cacha dans les jupes de sa mère. Loin d’un accueil enjoué tel qu’ils avaient connu jusqu’ici… Même Gunnar ne donnait pas l’impression d’être très à l’aise, un peu embarrassé il s’adressa aux Français :


— Bon… heu… j’ai négocié et les Síðasta sont d’accord pour faire visiter torfbær. Mais surtout pas photos !

— Síðasta, c’est comme ça qu’ils se nomment ?

— Oui, ça veut dire « Les derniers ».


Le ciel gris déversa alors un trop-plein qui leur fit rabattre les capuches, en opposition avec des autochtones manifestement insensibles aux gouttes. Un homme les conduisit à la maison de gazon la plus près, à demi enterrée, ses murs et toit recouverts de mottes d’herbe et de terre. Ils durent se pencher pour rentrer dans une pièce longue, sombre, scindée par une rangée de piliers. Un foyer central dégageait une fumée âcre de tourbe en combustion. Ajouté à ça une écœurante odeur de poisson et Mélanie crut un moment qu’elle allait rendre le porridge du matin. Elle se reprit, fascinée par cette maison invraisemblable, hors du temps, ses occupants au mode de vie si fruste. Une vieille assise sur un tabouret, près du feu, tisonnait la tourbe, elle ne se retourna pas pour saluer les visiteurs empruntés. Des cordes en hauteur traversaient la salle, y pendaient des filets de morue en train de sécher. Au fond, des fourrures disposées sur une couche de fougères devaient être la partie nuit. Rien dans cette demeure, plus que rustique, ne venait rappeler la civilisation. Le jeune couple ne parvenait à se concentrer sur les explications architecturales de leur guide tant il restait saisi par l’ambiance. Mélanie arrêta la main de Samir, subjugué, qui malgré les consignes voulut immortaliser l’insolite.


— Surprenant, n’est-ce pas ? termina Gunnar, sûr de son fait.

— Carrément !

— Nous allons passer nuit ici mais je préviens, pas de chambres individuelles. Les Síðasta dorment ensemble.

— Ah ? Super… grogna Samir.


Ils ressortirent, des rémanences odorantes accrochées à leurs habits, prolongèrent l’exploration du village sous des regards fuyants. En allant vers la mer où des barques de pêche se balançaient mollement, ils virent sur la grève de galets deux hommes fendre un phoque en son milieu. À bonne distance, des gamins à la figure sale ne lâchaient pas le trio, attirés par cette intrusion exceptionnelle.

Alors qu’ils contemplaient les flots, Samir glissa à l’oreille de sa compagne :


— T’as vu leurs tronches à ces gens ? On dirait des Néandertaliens.

— Arrête, t’es con.

— Franchement, je suis sûr qu’ils sont consanguins.


Elle ne répondit pas, à l’approche de la nuit elle préférait apprécier la luminosité qui baissait faiblement mais jamais ne s’éteignait en ce mois de juin ; lueur spectrale des hautes latitudes.

Les touristes furent conviés au repas collectif de fin de journée, ce qui les étonna au regard du manque d’amabilité. Après tout, sous des abords réservés, cette communauté était peut-être plus sympathique qu’elle n’y paraissait.

Pour ce dîner, il fallait se rendre dans une maison plus élevée et plus grande que les autres, une skáli précisa Gunnar, descendante des salles vikings où se déroulaient les banquets. Quand ils franchirent la porte surmontée de dragons en bois entrelacés, le brouhaha qui régnait s’interrompit d’un coup. Situation quelque peu gênante qui ne dura pas car un homme se leva, d’une façon polie les invita à prendre place sur un banc.

— C’est le chef ? questionna Mélanie.

— Non, pas de chef chez Síðasta, décisions à l’uma… l’uni…

— L’unanimité.

Já ! Trop compliqué pour moi ce mot, rigola Gunnar.


Ils étaient assis en face de personnages patibulaires, ce n’était en effet pas la finesse des traits qui caractérisait les Síðasta. Et ces yeux bridés, l’absence de pilosité chez les hommes hormis des barbiches discrètes. Mélanie crut même voir des joues scarifiées chez certaines femmes mais n’osait les épier. Quel drôle de peuple, songea-t-elle.

Toute discussion impossible, le couple se contenta d’avaler la soupe épaisse qu’on leur servit. Puis arriva un plat de pommes de terre et de poisson à l’issue duquel un silence religieux se fit.


— Hommage aux dieux, chuchota Gunnar, transporté d’émotion.


Un convive se redressa de son banc, une femme à une autre table en fit de même. Dans son dialecte le premier entama un discours d’une voix forte, se tut pour laisser parler la femme à son tour. Quand elle acheva ses paroles, l’assemblée se mit à scander à l’unisson en frappant des poings sur les tables :


— Ahou ! Ahou ! Ahou !


Les invités sursautèrent, pris au dépourvu par ce mouvement collectif et bruyant.


— Ça surprend hein ? Moi pareil la première fois !

— Je ne m’y attendais pas ! répondit Mélanie, la main sur le cœur.

— C’est un hommage aux dieux, ça ?


Gunnar prit un ton solennel.


— Oui Samir, hommage à Nerthus, déesse-mère.


Il se lança alors dans une description détaillée de la généalogie des Vanes, écoutée avec attention par Mélanie, moins par Samir qui la vessie pleine scrutait à droite et à gauche dans l’espoir vain d’apercevoir des toilettes. Comprenant qu’il n’en trouverait pas, il s’éclipsa avec discrétion, couvert par le brouhaha dense qui avait repris.

Dehors, malgré l’heure tardive, il faisait encore clair. Les falaises qui dessinaient le fjord étaient baignées d’une teinte blafarde, entre jour et nuit. On entendait le bruit régulier du ressac venir s’échouer sur le rivage puis repartir, inlassable. Il y avait comme une tranquillité éternelle de ces lieux. Samir s’éloigna des habitations pour son besoin pressant, trouva un endroit dégagé, jonché de grosses pierres à demi enfouies. Davantage observateur, il aurait remarqué que chacune était gravée d’inscriptions runiques. L’urgence le fit passer à côté de ce détail et il arrosa d’un long jet la pelouse. À peine sa miction terminée, il se sentit empoigné au niveau du col, soulevé dans les airs par une force prodigieuse et projeté à plusieurs mètres ! Un miracle si dans son roulé-boulé il évita les pierres. Étourdi, il aperçut un Síðasta qui le fixait de ses yeux ardents, ouvrit la bouche d’où luisaient des canines proéminentes pour pousser un hurlement. Cri bestial, ininterrompu, si puissant qu’il s’introduisit dans la salle de banquet. Mélanie et Gunnar virent alors les gens se figer, d’un même élan se précipiter à l’extérieur.


— Qu’est-ce qu’il se passe ?

— J’en… j’en sais rien.


Ils emboîtèrent les pas de la communauté prise d’effervescence pour atteindre l’endroit où se tenaient Samir et son agresseur.

Celui-ci s’adressa à ses pairs, désigna le garçon avec colère, pointa la pelouse humide d’urine que quelques-uns vinrent flairer pour être sûrs. Des expressions d’indignation se lurent sur les visages. Au fur et à mesure, un cercle hostile se referma sur le malheureux, lequel envoya un appel suppliant à Gunnar. L’Islandais, attentif aux paroles qui s’échangeaient, avait l’air catastrophé. Inquiète, Mélanie le pressa :


— Mais enfin qu’est-ce qu’il se passe Gunnar ?

— Samir pissé sur les morts.

— Quoi ?

— Grave, très grave, Síðasta ont culte des ancêtres.


Le jeune homme qui avait entendu tenta de se défendre.


— Comment je pouvais savoir, moi, que c’était un cimetière ?

— Bon sang Samir, tu vois bien que ce sont des pierres tombales ! s’emporta sa copine, angoissée.

— Non… non… j’ai pas fait gaffe, s’excusa-t-il piteux.

— Je vais essayer expliquer, rassura Gunnar. Vous êtes étrangers, pas votre faute, tu vas demander pardon.


Mais alors qu’il voulut franchir le cercle pour s’adresser au plus virulent des Síðasta, il fut repoussé sans ménagement. Un ordre guttural claqua dans la nuit, aussitôt des bras musclés se saisirent du guide et de sa cliente. Avant qu’elle ne puisse esquisser un geste, la jeune femme fut maintenue solidement par deux femmes. Gunnar chercha à se débattre, invectiva furieux ses gardiens dans leurs langues. Ils ne répondirent pas, ne relâchèrent pas leur poigne de fer.

Quant au fauteur de troubles, il eut droit non pas à deux mais quatre individus, agrippés à une cheville ou un poignet. Ensemble ils le soulevèrent, ce qui suspendit Samir dans les airs, à plat, écartelé comme un X.


— Qu’est-ce que vous faites ? protesta-t-il, laissez-moi putain !


Il gigotait en tous sens, gagné par la panique.


— Mélanie ! Gunnar ! Gunnar ! Au secours !


Son guide avait l’air tétanisé, conscient qu’il n’avait plus aucune prise sur la situation.


— Mais dis-leur d’arrêter, ils sont fous !


Il tourna un visage livide vers Mélanie.


— Je peux pas, je peux pas. Les Síðasta… ce sont des trolls2.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Ce sont trolls, les derniers trolls. Moi et amis Ásatrúar les protégeons. Ils sont pas vraiment humains, je peux rien faire Mélanie… rien faire. Rage de trolls trop forte.


Elle n’eut pas le temps d’intégrer les propos incroyables de Gunnar qu’elle vit un Síðasta s’approcher de Samir. Un second, derrière lui, portait une torche incandescente qui illuminait de flammes le cercle de figures primitives. Le premier attrapa l’entrejambe du condamné à travers l’étoffe du pantalon et tira, tira.


— Aaaahhhhh !


Mélanie se crut dans le pire des cauchemars, la plus insoutenable des horreurs, quand d’une ultime traction le Síðasta arracha l’organe coupable du sacrilège pour le brandir vers une voûte sans étoiles. Le poing levé, ruisselant de sang. L’assemblée conclut son geste par un murmure approbateur avant qu’il ne lance au loin la bouillie informe. En suivant, le deuxième Síðasta appliqua sa torche contre la plaie béante afin de la cautériser. Samir avait déjà perdu connaissance, alors ses tourmenteurs le lâchèrent et il s’affala en croix dans l’herbe. Une odeur tenace de chair rôtie flottait au-dessus du cimetière.

Pétrifié par l’atrocité, Gunnar reprit ses esprits, hurla menaces et conséquences irréparables pour la communauté. Des paroles qui ne produisirent aucun effet, sinon de provoquer la réponse d’un Síðasta à la voix lente et rocailleuse. Un moment il désigna Mélanie, choquée, plongée dans un état d’hébétude dont elle ne parvenait à émerger. La réplique de son interlocuteur amplifia le désarroi de Gunnar :


— Mélanie ! Mélanie !


Semblable à un mannequin de vitrine, elle demeurait inexpressive.


— Oh je suis tellement désolé, jamais j’aurais vous emmener ici !


Les larmes d’une détresse sans nom coulèrent sur ses joues.


— Síðasta punir Samir et donc te priver d’enfant. Nerthus ne veut pas ça, alors Síðasta remplacer Samir… pour… pour bonheur de mère.


Les mots cheminèrent péniblement dans le cerveau traumatisé de la jeune femme, furent décryptés un à un, au final se traduisirent par une grimace épouvantée.


— Non !


Impuissante elle fut couchée à terre, le bas des vêtements retiré par l’une des femmes. Gunnar eut alors un sursaut de résistance, faillit se dégager pour voler à son aide mais un violent coup de gourdin l’envoya face contre terre. Seule ! Seule face à une meute archaïque, adoratrice d’une déesse de fécondité, qui ne pouvait laisser un ventre stérile du fait de ses agissements. Le cercle, maintenant resserré autour de Mélanie, se mit à répéter sur un ton très bas :


Vǫrð nafjarðar hvat's troll nema þat3. Vǫrð nafjarðar hvat's troll nema þat. Vǫrð nafjarðar hvat's troll nema þat…


Ce fut l’instant choisi par le soleil d’Islande pour qu’il se décide à disparaître, bref interlude d’obscurité où l’on entendit monter un hurlement d’effroi.



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1. Landvættir : esprits de la terre dans la mythologie nordique, dans le néopaganisme germanique, et les traditions du druidisme écossais. Ils protègent et permettent l'épanouissement des endroits précis où ils vivent, qui peuvent être aussi petits qu'une roche ou un coin d'un champ, ou gros comme une partie d'un pays.

2. Troll : être de la mythologie nordique, incarnant les forces naturelles ou la magie, caractérisé principalement par son opposition aux hommes et aux dieux.

À partir du Moyen Âge, le troll apparaît comme une créature surnaturelle des légendes et croyances scandinaves. Peu amical ou dangereux pour l'homme, le troll reste lié aux milieux naturels hostiles comme les mers, les montagnes et les forêts. Diabolisée par le christianisme, la croyance du troll perdure néanmoins dans le folklore scandinave jusqu'au XIXe siècle.

3 : "Vǫrð nafjarðar hvat's troll nema þat" : Gardien du fjord-du-cadavre, qu'est-ce qu'un troll si ce n'est pas ça (vieux norrois).


 
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   cherbiacuespe   
14/4/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Longtemps on se croirait dans un film destiné aux touristes aventureux, ces trucs pour appâter le client friand de découvertes inédites, inhabituelles. Et ça fonctionnerait à merveille car, si on ne se souvient pas être dans un récit d'horreur/épouvante, on plonge la tête la première dans le monde improbable de cette Islande féerique. Bien écrit, le style se prêterait tout à fait à l'oubli total du sujet. Et puis patatras! Nous y arrivons à ce passage d'horreur. Il est juste dommage que l'on s'y attende fatalement, tôt ou tard, à cause du thème choisi qui neutralise malheureusement l'effet surprise qui va si bien à ce type d'histoire.

Cherbi Acuéspè
En EL

   Vilmon   
24/4/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Bonjour, un très long et intéressant descriptif touristique de l’Islande (dont j’ai visité et beaucoup apprécié y lire ici la description des paysages). Une petite intrigue à la toute fin avec un revirement subit un peu difficile pour le lecteur un peu bercé de descriptif d’un guide touristique. Selon ce que j’avais compris, les trolls sont des êtres difformes, gigantesques, qui se nourrissent de chaire humaine et se pétrifient en pierre au soleil. D’où plusieurs formations rocheuses en Islande sont perçues comme des trolls pétrifiés. J’ai plutôt décroché pour la conclusion du texte et je l’ai trouvé déséquilibré entre descriptif touristique et récit. J’ai assez apprécié et j’ai trouvé le texte bien rédigé.
Vilmon en EL

   Cox   
29/4/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime bien
Bonjour !
Un texte qui a des éléments intéressants et qui montre une capacité à planter une ambiance bien foutue… Mais qui n’est pas sans sa part de maladresses. Si j’ai bien aimé l’histoire, je me permets de commencer par quelque critiques de forme, pour mentionner des choix qui desservent vraiment ce texte.


Le problème principal pour moi c'est que le texte se divise en deux parties. La deuxième (commençons par la fin, c’est un bon début) travaille une ambiance fantastique et inquiétante que je trouve réussie, et qui fait tout l’intérêt de la nouvelle à mes yeux. La première partie, en revanche, se résume à une longue brochure touristique que j’ai trouvée, en toute franchise, assez ratée voire caricaturale. Il m’a fallu m’accrocher pour ne pas perdre complétement mon intérêt en cours de route, mais je ne regrette finalement pas d’être allé jusqu’au bout.

Il y a plusieurs raisons qui ont affaibli mon intérêt pour le carnet de voyage qui ouvre le texte. D’une part, je trouve que les personnages ont cette attitude crispante de bobo qui voyage en disant « attention, nous on n’est pas comme tous ces cons de touristes, on est différents, on veut du vrai, de l’authentique ». Le vrai et l’authentique, ça ne se trouve pas en deux semaines de randonnées, et j’ai trouvé cet aspect assez mal rendu. D’autant plus qu’ils se comportent tout à fait comme des touristes bêlants, sans vraie curiosité ou respect apparents pour la culture locale :
- Leur guide a le bon sens d’ignorer royalement leurs demandes d’originalité en leur servant de la grosse attraction touristique très prisée et populaire (Dettifoss, Myvatn…)
- Ils dévisagent leur guide comme des merlans, « paralysés de surprise » pour quelques tatouages traditionnels. Ils ne cherchent pas à comprendre (« Le couple ne creusa pas un sujet qui lui échappait »). C’est un net hiatus avec leur intention affichée de connaître une Islande authentique : les croyances ne sont pas un tabou, et quelqu’un qui a de l’intérêt pour la culture locale devrait être beaucoup plus curieux (et respectueux).
- Aucune curiosité non plus à la mention des « derniers », quand ils arrivent dans le village des trolls. Ça devrait soulever des questions. Encore une fois, ça ne colle pas : dans les faits on a bien à faire à du touriste primaire qui est juste là pour voir des jolis Fjords et qui se fout du tiers comme du quart de la culture sous ses yeux.

Bref, je n’aimerais pas voyager en compagnie de ce couple aux prétentions snobs, dont l’intérêt de façade pour un tourisme alternatif m’agacerait assez vite.
Leur voyage assez cliché au cœur d’une Islande très fidèle aux images d’Épinal a donc suscité peu d’intérêt chez moi. Il y a d’autre part plusieurs bizarreries d’écriture au cours de cette partie qui rendent la lecture cahotante souvent par leur syntaxe un peu bancale. Par exemple :
- « Les premières images vues de ce pays avaient tout de suite provoqué une fascination, puis la promesse qu’elle y poserait un jour les pieds » -> « puis la promesse » me paraît bizarrement amené, pas évident de voir à quel verbe ça se rattache, au niveau de la syntaxe ou du sens.
- « Elle se sentait vivre par tous les pores de sa peau »
- « peu connus aux cartes postales »
- « On apercevait des colonies de macareux perchées sur les falaises, en bas les vagues venir fouetter le rivage dans un bouillonnement d’écume. »
- « Même Gunnar ne donnait pas l’impression d’être très à l’aise, un peu embarrassé s’adressa aux Français »


Quelques expressions convenues également (genre « l’homme de sa vie »
« elle pouvait mourir après avoir vu ça. »
, etc…), et puis une étrange surabondance de phrases nominales qui m’ont souvent fait tiquer, parce que plusieurs d’entre elles appelaient logiquement un verbe principal selon moi, surtout vers le début :
- « Leur guide, soigneusement choisi sur les réseaux sociaux, lequel promettait une visite de l’île hors du commun. »
- « De plus maîtrisant le français car ancien étudiant à Paris. »
- « Des fautes de français dans son discours mais qui n’empêchaient pas d’aborder des sujets variés. »
- « Zone aride où rien ne semblait pousser sinon des espèces naines. »
- « Un léger mal de crâne, pourtant elle n’avait bu qu’un verre. »
- « Chaussures adéquates, ils suivirent leur guide »

Elles ne sont pas forcément toutes fautives, mais elles ne m’apparaissent pas toujours judicieuses, et c’est la grande concentration de ces structures qui fait tiquer au bout d’un moment.


Bref, je n’ai pas été conquis par cette partie, et le peu d’enthousiasme que j’ai eu pour la brochure touristique assez stéréotypée m’a sans doute fait relever plus de maladresses que je ne le ferais d’habitude. L’histoire n’avance pas d’un iota au cours de ce début qui paraît franchement dispensable.
Heureusement, à mesure qu’on progresse, on commence à trouver quelques indices de l’ambiance fantastique (la grand-mère avec le loup de Game of Thrones, les touristes américains qui tombent en panne karmique après avoir manqué de respect au lieu sacré, etc…).
Une fois arrivé dans le village des trolls, j’ai beaucoup plus apprécié ma lecture. L’ambiance oppressante est bien rendue (même si la transition avec le prosaïsme des randonnées précédentes n’est pas forcément heureuse). C’est seulement à partir de là que je me suis trouvé investi dans le récit, mais j’étais dans le décor, et curieux de lire plus à propos de cette tribu inquiétante. La modernisation des trolls qui se détache de leur version traditionnelle me plait bien, j’aime quand les figures mythologiques sont revisitées pour les ancrer dans un cadre plus « normal ».
J’ai trouvé que la montée du mystère, l’escalade du danger était bien menée, quoi qu’encore une fois elle souffre de la transition depuis la partie touristique, qui la fait apparaître presque précipitée en comparaison. La chute proprement dite verse un peu trop dans une violence facile et peut-être légèrement racoleuse à mon goût. Mais c’est un style ; disons que ça aide à marquer les esprits même si ça me paraît un peu cheap.

En gros : quel dommage qu’il y ait cette première partie ! Pour ma part, j’ai trouvé qu’elle a vraiment gâché ma lecture d’un texte qui, autrement, pourrait être très bon. Si seulement ce texte avait été présenté sans cette très longue introduction qui ne lui apporte rien d’évident, j’aurais sans doute hésité entre « aime bien » et « aime beaucoup ». En l’état, j’hésite entre « un peu »et « bien »… Comme je me dis qu’il est facile d’amputer la chronique de voyage pour se focaliser sur la partie plus réussie, je me laisse aller à un peu d’enthousiasme !

Au plaisir,
Cox

   Robot   
4/5/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Je n'ai pas détesté la première partie même si quelques longueurs aurait pu être évitée.
Par exemple l'introduction avec l'arrivée de l'avion. le récit pourrait commencer à "l'Islande enfin (en ajoutant: Samir et Mélanie) l’avait tellement rêvé ce bout de terre mythique ! "
Certains dialogues futiles et peu utiles qui n'apporte rien à l'histoire. Le récit ne perdait rien à leur suppression.
"— Là, c’est lui ! s’exclama Mélanie."
"— Velkomin, vous avez fait bon voyage ?
— Un peu long, mais on le savait, l’Islande ça se mérite !
— Oui, oui, c’est pas à côté, approuva-t-il en prenant la valise de Mélanie."

La partie touristique permet en même temps qu''une découverte de l'Islande, d'immerger le lecteur petit à petit et de montrer tout d'abord
"Toute la singularité de l’île (...) son caractère unique sur la planète, mélange de glace et de feu."
C'était une bonne idée qui permet de plonger insensiblement le lecteur dans les croyances et légendes locales pour préparer la seconde partie "horreur" qui tranche par le dynamisme de son écriture.

Mis à part ma remarque sur certaines longueurs et dialogues, je n'ai pas détester la lenteur de la découverte de cette ile, une exploration géographique et humaine dans la première partie qui m'a parue nécessaire.

Au final, une nouvelle qui m'a vraiment intéressé, autant par la découverte initiatrice du début que par le final dramatique.

   Donaldo75   
12/5/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
L’Islande ! Un beau pays parait-il. Cette nouvelle, du moins dans sa première partie, me permet d’avoir une idée plus précise de certains aspects de cette contrée lointaine. Il y a du travail de précision (et je ne serai pas tatillon à chercher la petite bête vu que je ne suis jamais allé sur cette île). Le style est propre, comme souvent chez toi, ce qui rend la lecture aisée. Les dialogues ne pèsent pas des tonnes, ce qui repose également. Bon, c’est quand même un peu long cette partie découverte touristique. J’ai patiemment attendu d’entrer dans le vif du sujet lors de ma seconde lecture parce que la première fois j’avais abandonné rapidement devant le style parfois presque anthropologique. Ceci dit, tu n’es pas le seul sur Oniris à écrire de la sorte quand les histoires se passent à l’étranger. Ensuite, le pitch dramatique prend gentiment forme mais j’avoue qu’après ma seconde lecture et dans le but d'écrire ce commentaire j’ai du revenir sur certains passages pour percevoir que la progression narrative conservait une partie de la tonalité du début. Le côté terreur ne s’exprime que sur la fin et c’est bien dommage ; il aurait mérité un découpage plus favorable, du genre 1/3 de tourisme et 2/3 d’épouvante avec une progression dans la peur, de l’indicible, le ressenti, au tangible, l’effrayant, avec un style moins propre, plus impactant. Ici, le vecteur de la peur est plus visible dans les dialogues, comme si l’être humain parlait quand il avait peur, ce que je ne crois pas dans la situation que cette histoire raconte. Je reste donc sur ma faim.

   Cornelius   
4/5/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Bonjour,

J'ai bien aimé ce texte même si ce voyage touristique a pu paraître un peu long. Malgré tout cette plongée dans les sources d'eaux chaudes et dans la culture islandaise reste intéressante.

Dommage que la chute de cette nouvelle perde de sa force suite au choix de la catégorie car le lecteur s'attend évidemment à une fin pour le moins teintée d'hémoglobine.

Néanmoins j'ai apprécié ce récit scandinave dont le dénouement ne donne pas vraiment envie de découvrir des lieux originaux et des contrées peu connues. Donc si vous décidez de vous aventurer hors des sentiers battus prenez garde aux trolls !

   Pouet   
6/5/2024
trouve l'écriture
convenable
et
aime un peu
Slt,

première impression : le titre, on peut difficilement faire plus cliché. Je me dis que c'est peut-être le slogan écrit sur le prospectus de l'agence de voyage. Passons, peut-être fait exprès.
Je lis.

Le début ne m'emballe pas plus que ça, là encore on est un peu dans le ressassé, Islande terre mythique, le voyage incontournable avec « l'homme de sa vie » hors des « sentiers battus », peur des atterrissages, guide avec pancarte à l'arrivée... la panoplie complète.
Mais on nous promet de l'aventure, alors je continue.
Pour moi le texte est long, j'espère que vous apprécierez l'effort.

De l'Islande je ne connais que ce que j'ai pu en lire par exemple dans les romans de Arnaldur Indridason ou dans l'excellent dernier ouvrage de Jón Kalman Stefánsson, "Ton absence n'est que ténèbres".

J'ai commencé à trouver de l'intérêt à ma lecture à partir de l'évocation des Landvaettir, on sait alors qu'on ne va pas tarder à basculer dans le surnaturel et j'aime bien en général, du coup je continue, je note ici et là quelques facilités d'emplois comme "souffle coupé", "grisaille du quotidien" etc etc...mais bon, on a bien le droit d'utiliser des expressions toutes faites.

Dans l'ensemble j'ai trouvé trop long, j'ai apprécié les descriptions, mais pas tout le temps, ce n'est que mon goût, mais pour moi l'écriture manque de fantaisie, de reliefs. Un peu plate.

La fin est sympathique bien qu'un peu abrupte ai-je trouvé.

Au final un texte documenté et pas inintéressant qui m'aura demandé pas mal d'efforts de lecture pour un plaisir mitigé, teinté par moment d'un certain ennui ou flottement.

J'aurais apprécié un texte plus resserré, plus "dynamique" en général, il y a pour moi un "ventre mou" avant l'explosion finale.

Ceci n'est que l'avis d'un simple lecteur, n'étant en rien spécialiste de la nouvelle, ni de rien du tout d'ailleurs.

   Louis   
14/5/2024
trouve l'écriture
aboutie
et
aime bien
Le titre et tout le texte reprennent les clichés sur l’Islande, mais, et c’est ce qui est ici intéressant, pour les détourner.
Ainsi la glace ne sera pas seulement celle des glaciers, mais aussi celle de l’épouvante, celle en conséquence de "l’effroi" ; et le feu ne sera pas seulement celui surgi des volcans, mais aussi le brasier issu de la profondeur des pulsions humaines.

La glace masque le feu, et inversement.
Non seulement dans les terres du pays d’Islande, mais chez leurs habitants.
Les hommes sont à l’image de la terre sur laquelle ils vivent.
Le guide incarne cette dualité d’opposés dans leur coexistence tourmentée : d’apparence bonhomme et chaleureuse, Gunnar s’avère d’un tempérament éruptif dans cette colère qui éclate en lui, révolté par le comportement des touristes américains ; et se révèle dur et froid, « les traits durcis par la colère », dans la manifestation de son « emportement » jusqu’à « refroidir » Mélanie.

Gunnar rassemble en lui d’autres contrastes du monde dans lequel il vit : d’allure et d’apparence "moderne", "occidentalisé" ( parle en français ; roule en 4x4), il partage pourtant les croyances les plus superstitieuses des peuples anciens de son pays ; gai et lumineux, il recèle une part obscure et inquiétante.
S’il est à l’image de sa terre, il l’est aussi de son ciel : « Les nuages effilochés (…) renvoyaient un contraste saisissant entre le blanc et le noir. »

Le personnage de Mélanie est lui aussi pris dans une dualité, un double rêve, deux grands désirs qui vont se briser, confrontés au monde de la glace et du feu.
Elle réalise un rêve ancien dans ce voyage, « elle l’avait tellement rêvé ce bout de terre mythique », avec son compagnon, « l’homme de sa vie », avec lequel « elle savait qu’elle aurait un enfant ».
Tout le drame et l’horreur du récit tient dans ce rêve de voyage qui se réalise, mais s’avère destructeur d’un autre rêve, celui de la maternité et d’une vie de couple.

La scène contée qui se déroule au pays des Trolls, qui ne peut être considérée comme "réaliste", apparaît comme un cauchemar, un fantasme d’allure réaliste, mais produit par l’angoisse de Mélanie, celle de perdre le plus précieux pour elle, un mari, un enfant, en réalisant un rêve capricieux.
Elle a voulu placer « l’aventure » et la part de risque qui lui est liée avant le déroulement programmé, assuré et sans grand imprévu, d’une vie bien rangée de couple et de parent.

Elle cherche « l’authentique », non pas l’apparence pour touristes, non pas le spectacle donné à voir aux consommateurs de voyage, mais le fond même du pays, et de ses habitants.
Or derrière la belle apparence se tient un fond sombre, noir, cruel.
L’"authentique", comme le "naturel", ne s’avèrent pas de véritables valeurs.

Le texte ne semble pourtant pas moralisateur, qui prônerait de ne pas sortir des pistes bien balisées du tourisme et de la vie.
Mais exprime, dans une part fantastique du récit bien amenée, l’angoisse de Mélanie, sa mauvaise conscience d’avoir choisi l’aventure avant l’existence bien cadrée du couple, sa crainte de ne pas réaliser son rêve dans les cadres pour avoir voulu effectuer un parcours "hors-piste".

D’autre part, il est remarquable que l’auteur place la sexualité, dans ce texte comme dans d’autres, entre le feu et la glace. Soit, la glace s’avère le masque, et aussi paradoxalement le stimulant d’une sexualité ardente, de feu, comme dans une précédente nouvelle située dans le Grand nord ( en Laponie, il me semble) ; soit, comme dans ce récit, elle en est la négation castratrice par l’intermédiaire des Trolls.
Ainsi un rapport complexe, qui n’est pas seulement d’opposition, est envisagé entre la glace et le feu, dans la terre, dans les affects humains ; dans la terre des hommes.


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