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Sentimental/Romanesque
Malo : Jean-Marie-Stella [Sélection GL]
 Publié le 18/08/16  -  10 commentaires  -  9916 caractères  -  47 lectures    Autres textes du même auteur

Silhouette androgyne penchée sur le plan de ligne accroché au fond de l'abribus… Il ou elle…


Jean-Marie-Stella [Sélection GL]


Silhouette androgyne penchée sur le plan de ligne accroché au fond de l’abribus. Un chapeau mou posé sur de longs cheveux auburn tombant sur les épaules. Un imperméable battant les chevilles d’une paire de jeans délavés. Fille ou garçon ? Le personnage m’attire. Une grâce qui ne peut être que féminine dans le maintien : la position des hanches, du buste et même de la tête légèrement penchée sur le côté. L’assurance d’un corps qui tient toute sa place dans l’espace me donne à penser qu’il s’agit plutôt d’un jeune homme.


Il ou elle se retourne, plonge dans mon regard ses grands yeux noirs. Je baisse les miens, gêné, puis ose le regarder de nouveau. Elle s’est assise sur le banc en plastique souillé de graffitis, une jambe chevauchant l’autre. Émotion érotique. Il me sourit. J’approche. L’absence de poitrine me conforte dans l’idée qu’il s’agit bien d’un garçon. Sa voix qu’aucune mue n’a gauchie m’assure du contraire.


« Jean-Marie-Stella », se présente-t-elle en me tendant une main délicate aux longs doigts fins, se terminant par des ongles manucurés. Je tombai aussitôt amoureux du feu qui habitait son regard, un feu couvant dans l’eau baignant ses pupilles.


Le bus. Chuintement de l’ouverture de la porte avant. Pendant qu’elle se lève, j’ai juste le temps de glisser mon numéro de portable dans le creux de sa paume. Un mouvement de main, comme un « au revoir » à travers la vitre arrière. Le bus disparaît.


J’aurais dû le suivre, grimper derrière elle… Mais peut-être ai-je mieux fait de ne rien entreprendre, de laisser au destin le choix de me permettre ou non de poursuivre la partition.


Je rentre chez moi. L’image de Jean-Marie-Stella me poursuit. Je n’ai pas faim, je n’arrive pas à lire. J’allume la télé, zappe, aucun programme ne retient mon attention. Seul, elle ou lui. J’aimerais trouver un article qui le, la définisse. C’est en m’anéantissant dans le souvenir de son regard, que je réussis enfin à m’endormir.


Lendemain matin. La sonnerie de mon portable. Sa voix.


– Est-ce vous que j’ai rencontré hier à l’arrêt Clémenceau ?


Je réponds par l’affirmative.


– J’aimerais vous revoir.

– Je serai libre après dix-sept heures.

– Au même arrêt ?

– D’accord.

– À ce soir.


Je me rends au travail à pied. J’ai besoin de remettre de l’ordre dans ma tête. Rien de tel qu’une marche rapide. Je croise des hommes qui ne me procurent aucune sensation particulière. Pas plus d’attirance que d’habitude. Les femmes elles, me semblent plus fades. Il leur manque aujourd’hui ce petit quelque chose indéfinissable qui, habituellement, aimante mon regard. Je trouve le temps très long, cloué à mon bureau. Je saute la pause-déjeuner. Je n’ai pas faim et surtout je n’ai aucune envie de retrouver mes collègues autour d’un plat garni. Rien à leur dire. Un sandwich fera l’affaire.


Dix-sept heures enfin. J’éteins mon ordinateur. La station de bus. L’arrêt Georges Clémenceau. Elle est assise, les yeux dans le vague. Décidément ce sera « elle », d’autant qu’elle porte aujourd’hui une jupe longue, évasée, qui caresse des bottes à talons hauts.


– Jean-Marie-Stella ?


Elle sursaute, me regarde, se lève, me tend la main. Je la garde un moment dans la mienne, petit animal tiède, si fragile. Nous faisons quelques pas. Aucune parole échangée. Je me sens timide comme un adolescent lors de son premier rendez-vous.


– Vous ne m’avez pas dit comment vous vous appeliez ?


Un léger accent que je n’avais pas remarqué. Impossible pour moi de le cataloguer.


– Maxime.

– J’aime bien.

– Vous préférez marcher, ou nous allons boire un verre ?

– Il y a un parc un peu plus loin.


Le silence de nouveau entre nous. Plus léger. Je sens qu’en ce moment les mots seraient de trop. Seules les ondes qu’elle émane et dont je me nourris. Cela me suffit. Et la douceur du soir de ce printemps finissant. Le parc. Des allées couvertes de gravier. La fraîcheur tombant des arbres bruissant sous la brise. Nous nous asseyons sur un banc. Elle tourne son visage vers moi, me regarde longuement.


– Maxime, c’est joli.


Ses yeux errent à gauche, à droite, puis se posent sur un petit étang où des canards s’ébrouent.


– Hier, lorsque tu m’as regardé, j’ai senti d’abord chez toi de l’intérêt, puis de la surprise. J’ai l’habitude qu’on me considère comme un animal bizarre, une incongruité. Rien de tel chez toi. Tu m’acceptais tel que je suis. J’ai voulu mieux te connaître.


Je lui prends la main. Elle la retire, puis je la sens investir ma paume, en confiance. Je caresse ses longs doigts fins, les porte à ma bouche. Elle se lève vivement, me tourne le dos, s’enfuit.


Trop brusque. J’ai dû l’effrayer. Je reste perplexe. C’était bien une femme que j’avais près de moi. Je le sens dans tout mon corps. Et pourtant… Je me lève, rentre chez moi. Je me rends compte qu’il m’est impossible de la contacter. Elle seule peut me rappeler si elle le désire. Je passe la soirée devant Internet à lire tout ce que je trouve sur l’hermaphrodisme. Des descriptions, vulgarisation de textes scientifiques. Rien sur ce que je voudrais réellement savoir : ce qu’il y a dans sa tête, ce qui nourrit son cœur. J’éteins l’ordinateur, me couche.


Le lendemain, nouvel appel. C’est bien sa voix, et pourtant les intonations me semblent plus masculines. Elle s’excuse de s’être ainsi sauvée. Elle souhaiterait que l’on se revoie. Même heure au même arrêt. J’acquiesce. La journée sera encore très longue. Malgré tout je reste plus calme. Mon travail peu à peu m’absorbe. Le soir se profile.


Personne à l’arrêt. Un lapin ? Je n’y crois pas trop. Puis sa silhouette qui se rapproche. Un petit signe de la main.


– Excuse-moi, un empêchement de dernière minute.


Surprise, c’est un garçon que j’ai aujourd’hui devant moi. Il porte un costume très classe avec gilet et cravate, une paire de chaussures de marque. Il sourit devant mon étonnement.


– Allons boire un verre.


Nous nous asseyons à la terrasse d’un café. Il commande un demi, je fais de même. Nous parlons de tout et de rien. Il semble très à l’aise, lève son verre comme un homme. Sa scansion est virile. Malgré tout je sens qu’il se force. Une féminité naturelle sous-tend tout ce qu’il fait. Je reconnais Jean-Marie-Stella lorsqu’il tousse délicatement dans sa main effleurant sa bouche. Je remarque que ses ongles ne sont pas peints. Ils sont même coupés assez courts quoique manucurés.


Je suis embarrassé. Elle m’attire toujours, même s’il s’agit aujourd’hui de Lui. Le jeune homme me subjugue.


Nous marchons vers le parc. Il me prend la main. Veut-il me mettre à l’épreuve ? Cette même sensation de fragilité et la douceur-tiédeur du prolongement de son corps, à elle, à lui. Tant d’intimité dans une main qui en épouse une autre ! Des gens se retournent sur nous. Leurs regards ne sauraient m’affecter. Nous parcourons les allées, sans nous presser. J’adopte son pas.


– J’ai passé ma tendre enfance dans une petite ville près de Varsovie. Puis mes parents ont dû fuir. Nous nous sommes retrouvés à Paris. En fait je me sens surtout d’ici.

– Peu commun, ton prénom…

– Mon père désirait un garçon. Ma mère, une fille. Ils ont eu moi, Jean-Marie-Stella. Et toi, je te connais si peu.

– Oh moi, rien de très intéressant. Une enfance en province. La montée classique à Paris pour trouver du travail.


Nous nous asseyons sur le banc.


– Lorsque j’étais adolescent, ma mère me racontait une histoire. Écoute. Cela se passait il y a très longtemps, avant que le christianisme ne conquière tout le pays. Dans les montagnes vivait un ermite. Mais, était-ce un ou une ermite ? Personne ne le savait. Il était d’un sexe différent. Cela étant, il avait dû partir vivre loin de ses contemporains. On ne l’avait pas chassé. Non, il obéissait seulement à la tradition et était plutôt considéré comme une sorte de divinité. On lui apportait des offrandes, on venait le consulter. En fait il possédait un don inhérent à sa différence et qui faisait sa renommée. On venait le voir de très loin, sans hésiter à voyager de longs jours, bravant brigands et intempéries. Arrivé devant la grotte qui lui servait de refuge, le pèlerin attendait d’être invité à y pénétrer. Cela pouvait durer des heures, une journée entière parfois. Cette antichambre servait en quelque sorte de sas. Le patient y abandonnait toutes ses préoccupations. Ayant enfin obtenu l’autorisation d’entrer, il se mettait nu, puis plongeait son regard dans celui de l’ascète. Alors son corps, peu à peu, se mettait à vibrer jusqu’à ce qu’il soit bouleversé par une extase qu’il ne retrouverait jamais en intensité, même dans une communion parfaite avec celui de l’être aimé. Le sage ne le touchait à aucun moment. Seul son regard parvenait à ouvrir les portes de l’autre monde, celui de l’instant sublimé. Les gens comme moi ont probablement perdu ce pouvoir…


Il se tourne vers moi, avec un sourire troublant. Je reste silencieux. Un baiser léger sur mes lèvres. « À demain, même heure. »


Je ne suis pas allé travailler. Juste l’envie de rêvasser, de me laisser porter par mon imagination. J’erre dans les vieux quartiers, rejoins les bords de Seine. Le soleil pâle chatoie à l’unisson de mon humeur. Je croise des regards, des sourires ou des visages fermés. Je leur invente des histoires autour de Jean-Marie-Stella, la clé de voûte de toutes mes pensées. C’est avec elle, avec lui que je partage un kebab en début d’après-midi. Cette histoire qu’il m’a racontée, vérité, légende ? Je dois avouer qu’elle me poursuit. J’arrive enfin à l’arrêt de bus, impatient comme un enfant.


Elle, il, est bien là, la tête tournée vers il, elle, qui, comme la première fois que nous nous sommes vus, consulte le plan de ligne. Je ne comprends pas. Ils sont deux, ils sont un, vêtus de la même façon. Non, l’un porte une jupe longue à taille basse, l’autre un jean délavé. Mais ce détail même se remarque peu dans l’unicité qui les habite.


 
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   vendularge   
31/7/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,

Voilà un très joli texte, plein de cette délicatesse qui attire le narrateur et le trouble. Peut être sommes nous attirés par ce qui émane d'un être et non par sa représentation sociale ou de genre. De nos jours, l'androgyne n'est pas forcement hermaphrodite (ce qui est rarissime). Les rues sont pleines de femmes ou d'hommes qu'il faut approcher de très près pour connaître le genre exact. Il y a le mythe de l'androgyne, qui expliquerait que nous soyons à la recherche de notre âme sœur, la partie qui nous manque et nous complète...bref, il y a aussi la normalisation qui nous fait apparaître identiques les uns aux autres, peu différenciables.

Dan tous les cas, une lecture agréable, un texte touchant.

Merci

Vendularge

   Anonyme   
31/7/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Outre l'ambiguïté du sexe, Jean-Marie-Stella incarne donc aussi celle de la gémellité... Bon, soit. Je lis cette histoire comme une mise en évidence de l'opacité de l'autre, l'être aimé, qui possède seul la clé de son mystère ; du coup, la révélation qu'il s'agit en fait de deux personnes me déçoit un peu, elle donne une résolution trop prosaïque à mon goût de ce qui fait l'altérité.

Votre choix d'intrigue offre à mes yeux l'inconvénient de rendre anecdotique un récit qui, je crois, aurait pu être beaucoup plus intrigant, où le narrateur serait amené à s'interroger sur ce qu'il est. C'est votre choix d'auteur, rien à dire ; en tant que lectrice, il me laisse sur ma faim, j'en retire l'impression que vous n'avez trop su comment conclure et avez cédé à la facilité de la pirouette.

Sinon, j'ai bien aimé l'écriture, l'espèce de nonchalance qui la traverse. Je trouve qu'elle convient au sujet.

   Robot   
1/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une superbe écriture pour nous emmener vers l'ambiguïté des apparences. Qui "sont" Jean Marie Stella. Jumeau-jumelle. Qui le narrateur a t-il réellement rencontré ? Les deux ? N'a t-il pas perçu les deux personnalités ? Ou cette vision finale des deux n'est elle aussi qu'apparence, distorsion de l'esprit.
J'aurais aimé tout de même savoir quel était le jeu joué par l'une et l'autre. Nous n'avons pas de réponse et c'est un peu frustrant de ce point de vue.

   bambou   
18/8/2016
J'aime beaucoup cette histoire qui distille habilement un léger trouble et évoque les concepts de 3ième sexe, d'identité de genre.

La fin que l'on peut considérer comme étant rationnelle, ne lève en rien, à mon sens, le mystère du ou des personnages.
Des questions restent posées...

   MissNeko   
18/8/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Quel agréable récit !! La plume est légère et bien maîtrisée.
J ai adoré le thème même si je dois l avouer je suis un peu frustrée par la fin !!! A-t-on devant nous un hermaphrodite ? Un homme androgyne ? Ou sont ils deux comme le laisse supposer la fin ?

Peut être pourrez-vous répondre à mon interrogation !

Merci pour ce partage

   Anonyme   
18/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Belle écriture qui nous fait partager les émois d'un amour naissant mais la fin me laisse un peu sur ma faim.

   Solal   
18/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Je vais commencer par la fin. J'aime bien, brusque, nette, tranchée et je ne m'y attendais pas. Evidemment -comme je l'ai comprise- elle modifie profondément la teneur du texte mais peu importe ; j'apprécie les surprises.
Le thème abordé est, bien sûr, intéressant parce que d'actualité. Amour, sexualité, transgenre, 3ème sexe et tutti quanti.
Par contre, vous n'apportez pas véritablement de vision singulière du phénomène et c'est dommage.
L'écriture légère est suffisamment évocatrice pour nous saisir.
Petite question concernant la phrase : " Un imperméable battant les chevilles d'une paire de jeans délavés ". Peut' on parler de chevilles devant un vêtement de coupe droite ? Oui, oui, je chicane mais la description m'a fait tiqué.
En résumé, une lecture agréable qui, même si elle n'a pas profondément modifié mon regard, recèle une belle surprise.

Merci.

   Jean_Meneault   
19/8/2016
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Votre récit m'a intéressé.
D'abord, il se lit très bien, sans heurt. On suit le déroulement de l'action avec curiosité. Ce que je trouve réussi également, c'est cette balance subtilement équilibrée entre le plaisir qu'a le lecteur à se poser toutes les questions contenues dans votre texte et celui qu'il prend à simplement suivre ce début d'histoire d'amour dont on aime toujours s'imprégner. Pas vraiment de réponse donnée, seulement la voie ouverte à un cheminement, une balade intrigante, légèrement déroutante. Bravo à vous et merci.

   plumette   
26/8/2016
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Malo

j'ai vraiment aimé ce texte, fin, dont l'écriture fluide est plus qu'agréable.

le narrateur nous fait partager son trouble et nous emmène avec lui dans ses hésitations au sujet du genre de Jean-Marie-Stella en passant du il au elle. Ce procédé narratif crée une connivence du lecteur avec le narrateur que je trouve très habile.

la fin ouvre une piste étonnante. Maxime est-il victime d'un jeu un peu pervers de jumeaux ? Jean-marie Stella est-il réellement cet hermphrodite qui navigue d'une identité à l'autre selon son humeur du jour? Au lecteur de choisir? ou l'auteur a-t-il eu vraiment une intention? La lectrice que je suis est restée avec le trouble, l'indécision, qui sont des éléments importants du ressenti de Maxime. Une sorte d'osmose entre le fond et la forme!

bravo

voilà un beau texte sur un sujet qui n'est pas simple à traiter.


Plumette

   bolderire   
3/9/2016
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour, une nouvelle qui se laisse lire, qui nous prend avec elle.
C'est délicatement amené à la réflexion , le coté androgyne est plaisant et humain, bref j'aime!
merci


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