Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
Mare : Le confus chaos du cœur
 Publié le 20/04/17  -  6 commentaires  -  65640 caractères  -  57 lectures    Autres textes du même auteur

Fugue au 19e siècle.


Le confus chaos du cœur


Un beau matin, Sidney Clare, duc de Leeds, fut saisi de l’impulsion proprement absurde et pour le moins saugrenue de rentrer à Londres faire la cour à sa femme. Étonnamment, aucun évènement dramatique ni poussée de fièvre délirante n’était à l’origine de cette décision insensée. Sa Grâce était tranquillement assise à son bureau, répondant à sa correspondance, lorsque cette envie déraisonnable l’avait frappé au cœur.


Il est vrai que Clare était un aristocrate. L’extravagance, chez lui, n’aurait donc pas dû surprendre. Certains, cependant, n’auraient pas manqué de lever un sourcil perplexe s’ils avaient su ce qui se tramait dans l’esprit de Sa Grâce. Après tout, si on pardonnait bien des choses à un duc, il y avait tout de même des limites. Courtiser son épouse était fichtrement peu à la mode. Où allait-on si l’un des pairs du royaume, chevalier de l’ordre de la Jarretière de surcroît, commençait à enfreindre outrageusement la tendance, maîtresse absolue de la bonne société, en déposant son cœur désespéré d’amour aux pieds de sa propre femme. C’était tout bonnement inconcevable.


Heureusement, le duc de Leeds était très loin d’en être réduit à cette désolante extrémité. Sa décision de prendre le chemin de la capitale pour tenter de séduire sa jeune épouse ne devait rien à une folle passion. Après avoir examiné avec attention une longue et sérieuse série de faits, Lord Clare avait conclu qu’il était temps pour lui d’être père. À la lumière de cette froide logique, il lui était également apparu que sa femme était la personne la plus indiquée pour lui permettre de parvenir à cet état. Si quelques sentiments avaient par mégarde influencé ses réflexions, il ne pouvait s’agir que du sens du devoir, de la responsabilité et de l’honneur. Et rien de plus.


Voilà, certainement, ce qu’aurait répondu, sans mentir, cet auguste personnage si d’aventure quelqu’un avait trouvé le courage de l’interroger sur l’excentricité de son comportement. La réalité, toutefois, se révélait un peu plus complexe que cela…


OooO


Quinze mois plus tôt, le duc de Leeds avait, sans grand enthousiasme, uni sa destinée à celle de la ravissante Miss Evangeline Sinclair, fille du baron Carbery, l’une des plus riches héritières du royaume. Des yeux rieurs où brillait une intelligence amusée, un sourire mutin que creusaient deux fossettes espiègles, la demoiselle était adorable. Même Clare avait dû en convenir. Mais, à dix-sept ans, elle était aussi affreusement jeune. Or, Sidney n’avait aucun goût pour les fillettes tout juste sorties de la nurserie.


S’il n’avait tenu qu’à lui, le duc aurait patienté quelques années de plus avant de transformer l’enfant en duchesse. Si la jeune fille avait été à moitié moins jolie, à moitié moins riche ou si son père avait été à moitié moins pressé de s’embarquer vers les Amériques pour y étendre son empire commercial, Clare se serait certainement conformé à ce souhait. Malheureusement, à peine Miss Sinclair avait-elle fait son entrée dans le monde qu’une horde de célibataires s’était irrésistiblement vue attirée dans son orbite. Leeds et Carbery étaient amis de longue date et partenaires en affaires depuis plus longtemps encore, mais le baron avait été formel. Si sa fille chérie tombait amoureuse d’un gentleman respectable avant que son ami n’eût officiellement fait sa demande, il ne s’opposerait pas à un mariage d’amour. Une alliance avec un duc, semblait-il, ne pesait rien face au bonheur d’Evangeline.


Sidney avait toujours su qu’il devrait se marier un jour. Il était de renommée publique que les bâtards n’étaient que modérément qualifiés pour être duc. Pour transmettre son nom, son titre et sa fortune, il devait donc se trouver une épouse qualifiée pour concevoir un héritier légitime. Evangeline était petite-fille de comte par sa mère, fille du plus ancien et fiable de ses associés et sa dot, plus que généreuse, avait l’avantage d’inclure un lopin de terre fertile qui permettrait au duc de réunir deux de ses propriétés les plus rentables. Bien qu’ils n’aient pas dû échanger plus de quatre mots en dix ans, elle le connaissait depuis toujours et savait ce qu’exigeaient de lui ses affaires. Son âge était un obstacle, mais, grâce au ciel, celui-ci ne pourrait aller qu’en s’améliorant.


Ainsi, aucune réserve sérieuse ne pouvant être soulevée contre la jeune fille, le duc de Leeds s’était résigné à demander sa main à son père. Sa requête ayant été favorablement accueillie, le mariage avait été célébré peu après. Les goûts de Lord Clare, cependant, n’avaient pas évolué. L’idée de déflorer une enfant ne lui plaisait pas plus qu’auparavant. Le soir même de la cérémonie, il avait donc ordonné qu’on prépare ses malles et, une fois cela fait, avait officiellement pris congé de sa nouvelle épouse. Peu désireux de se justifier, le duc n’avait pas fourni d’explication à son départ précipité. Du reste, Evangeline n’en avait réclamé aucune. Tout juste avait-elle demandé s’il l’autorisait à apporter quelques améliorations à leur foyer pendant son absence.


Après avoir jeté un regard surpris à l’élégant hôtel londonien que la jeune fille venait d’appeler leur « foyer », Sidney avait haussé les épaules.


– Faites comme il vous plaira, milady. Je ne me suis jamais senti chez moi à Londres. Notre maison se trouve dans le Bedfordshire. Hartland Abbey est le refuge de mon enfance. Je vous y emmènerai à mon retour, si vous n’avez pas souhaité vous y rendre seule d’ici là.


À ces mots, un sourire éblouissant avait illuminé le visage de sa petite épouse. Elle lui avait alors saisi la main et l’avait portée à ses lèvres, lui promettant d’attendre son retour pour découvrir Hartland Abbey en sa compagnie. C’était la première fois que les fossettes malicieuses de Lady Clare se creusaient pour son mari. La dernière aussi. Peu après cette conversation, le duc de Leeds avait quitté Londres, sans un regard en arrière.


Un an plus tard, n’y avait toujours pas reparu.


OooO


Chawton Manor, Hampshire


Levant les yeux de son courrier, Lord Clare posa un regard agacé sur les deux lettres décachetées qui trônaient depuis ce matin sur son bureau. Leur lecture l’avait plongé dans un état d’humeur exécrable et sa concentration s’en ressentait. En deux heures, il n’avait pas réussi à traiter une seule affaire.


La première des deux missives avait été écrite par son avoué et homme de confiance à Londres, Mr Thompson. A priori, rien dans cette lettre n’aurait dû altérer à ce point l’impassibilité naturelle du duc. Après tout, Clare recevait une lettre de son avoué chaque semaine depuis son départ de la capitale et, jusqu’ici, son calme légendaire n’en avait jamais été ébranlé. En réalité, cette correspondance soutenue permettait surtout à Mr Thompson de transmettre à Sa Grâce les dernières nouvelles politiques et mondaines, de le renseigner sur l’état de ses finances et, accessoirement, de le tenir informé des agissements de sa jeune épouse.


Car, enfin, Clare avait beau avoir fui la présence de sa duchesse avant même la nuit de noces, il ne l’avait pas totalement chassée de son esprit pour autant. Par ailleurs, il n’était pas stupide au point de laisser une jeune fille de dix-sept ans, tout juste libérée de ses chaperons, vivre en toute indépendance dans la ville de Londres sans prendre un minimum de précautions. Le temps et l’expérience avaient appris au duc de Leeds à avoir, en l’opinion de son avoué, une confiance absolue. Celui-ci lui avait donc paru être la personne la plus indiquée pour veiller sur la jeune Lady Clare. Or, à la grande surprise de Sidney, le portrait que le perspicace homme de loi avait, lettres après lettres, dressé de la nouvelle duchesse s’était toujours révélé extrêmement satisfaisant.


Depuis le départ du duc, Evangeline avait partagé son temps entre l’hôtel particulier des Leeds à Londres, le manoir de sa mère, la baronne Sinclair, et la spacieuse villa où résidait sa sœur. Lorsqu’elle se trouvait à Londres, la jeune femme sortait peu ; une fois par semaine pour se rendre à l’opéra ou au théâtre et, exceptionnellement, à un bal. Elle savait recevoir, cependant. Un cercle restreint d’amis et de parents semblait se disputer le privilège d’assister aux rares, mais délicieuses réceptions qu’elle organisait une fois par mois. Quant à ses dépenses personnelles, elles se limitaient à la participation à quelques œuvres de charité et à l’achat d’un petit nombre de robes et d’accessoires qui, selon Mr Thompson, lui donnaient un charme tout en pudeur parfaitement exquis.


D’après l’avoué, la duchesse avait également réorganisé en profondeur la domesticité et le fonctionnement de la maison. Ainsi, Clare avait-il récemment appris que les dépenses liées à son hôtel londonien avaient été réduites de près d’un tiers au cours de l’année écoulée. Il en était resté abasourdi. Un aristocrate, en effet, peut être préparé à bien des choses, mais certainement pas à ce que son mariage lui permette de faire des économies. C’était là, vraiment, trop en demander à un homme ayant fréquenté toute sa vie les femmes de la noblesse britannique.


Par ailleurs, autre point de satisfaction pour Sa Grâce, les fréquentes lettres qu’écrivait Evangeline étaient toujours venues confirmer les informations rapportées par l’avoué. Plein d’humour et de gaieté, le style de la petite duchesse était certes à l’opposé de celui de Mr Thompson, mais jamais les évènements dépeints dans ses lettres n’avaient divergé de ceux décrits par l’homme de loi… Jusqu’à aujourd’hui.


Ce matin, en ouvrant la lettre envoyée par son avoué, Clare avait été étonné d’apprendre que, au cours des dix derniers jours, son épouse était sortie presque tous les soirs et que, durant ce laps de temps, elle avait dépensé plus d’argent qu’au cours des trois derniers mois. Mr Thompson indiquait aussi que la jeune femme avait invité divers gentlemen célibataires à dîner durant la semaine qui venait de s’achever. Face à ces révélations, le duc avait ressenti plus de curiosité que d’inquiétude. Il était persuadé que le message reçu d’Evangeline viendrait l’éclairer sur les raisons de tous ces étranges changements. Il se trompait. Si la lettre de la duchesse était aussi enjouée et amusante que d’ordinaire, il n’était fait ni mention, ni allusion à des sorties plus fréquentes, des dépenses exceptionnelles ou des dîners avec des messieurs célibataires. Pour la première fois en plus d’un an, le contenu des deux lettres était aussi radicalement différent que l’était leur style. Et c’était là, bien entendu, la raison de l’humeur épouvantable dans laquelle se trouvait actuellement le très noble duc de Leeds…


S’arrachant à la contemplation des deux billets qui occupaient toutes ses pensées depuis l’aube, Lord Clare bondit soudain de sa chaise.


– Il se trame quelque chose et que je sois damné si je ne découvre pas de quoi il s’agit ! Murray, faites savoir à l’intendant qu’il doit préparer nos bagages. Que nous soyons prêts à partir avant midi.


Bien que complètement ébahi par ce soudain éclat, Mr Murray, le secrétaire particulier du duc, s’inclina docilement.


– Comme il plaira à Votre Grâce. Puis-je vous demander où nous nous rendons ?

– Où voulez-vous aller, pardieu ? Nous rentrons à Londres. Et le plus tôt sera le mieux.


Sur quoi, il quitta la pièce d’un pas furieux, laissant derrière lui un bureau en désordre et un secrétaire pour le moins déconcerté.


OooO


Hôtel de la famille Clare, Londres


Deux jours de voyage sur des routes détrempées n’avaient en rien amélioré l’humeur du duc de Leeds lorsqu’il franchit les portes de son hôtel londonien pour la première fois en plus d’un an. Sans même jeter un regard autour de lui, il demanda à s’entretenir avec son épouse dès que le valet eut terminé de lui ôter ses gants et de lui retirer son manteau.


– Milady se trouve actuellement dans le petit salon, lui répondit le domestique avec prudence. Souhaitez-vous que je l’informe de votre retour et lui demande de vous rejoindre dans votre bureau ou dans la bibliothèque ?

– Ce ne sera pas nécessaire, merci.


De son grand pas souple, le duc se dirigea aussitôt vers le petit salon, bien décidé à obtenir les explications qu’il était venu chercher. Cependant, à peine eut-il passé la porte entrouverte que, frappé par la scène improbable qui se déroulait sous ses yeux, il oublia instantanément ce qu’il était venu y faire.


Penchés au-dessus d’une grande table ronde, quatre jeunes gens – deux hommes et deux femmes pour autant qu’il puisse en juger – se trouvaient absorbés dans la contemplation de ce qui, de loin, ressemblait vaguement à une sorte de plan. Complètement plongés dans leur discussion, aucun d’entre eux ne l’avait entendu entrer.


– La fenêtre du premier étage me semble la solution évidente. Elle donne directement sur les appartements de Lady Mawgrey. C’est notre meilleure chance.


La voix, indéniablement masculine, était trop familière à Lord Clare pour que, même sans voir son visage, il n’en identifie pas immédiatement le propriétaire. La raison pour laquelle son frère se trouvait à disserter au-dessus d’une carte dans son petit salon au lieu d’être à Oxford à réviser ses examens, en revanche, était un mystère.


– Jesse, tête d’andouille, rétorqua sans ménagement une des deux dames qui l’entouraient. Réfléchis une seconde. Comment comptes-tu atteindre le premier étage sans te briser la nuque ? Il n’y a aucun moyen d’escalader le mur extérieur sans se faire remarquer depuis la rue.


La désinvolture avec laquelle la jeune femme s’adressait au cadet de la maison Clare ne laissait aucun doute sur son identité. Bien que beaucoup en aient certainement éprouvé l’envie au fil des ans, seule leur sœur, Victoria, osait insulter ainsi Jesse. Sauf que Victoria était censée se trouver à une centaine de lieues de là, avec leur mère, dans leur maison à Bath…


– Non, le plus simple, poursuivit la jeune fille, c’est d’entrer par la fenêtre de la nurserie. Elle se trouve au rez-de-chaussée et la pièce donne directement sur les escaliers des domestiques. Nous pourrions facilement atteindre les appartements de cette garce de comtesse en entrant par là.

– Quitte à emprunter l’escalier de service, autant directement entrer par la fenêtre de l’office, répondit un second gentleman que, cette fois, le duc ne parvint pas à reconnaître. Elle a l’avantage d’être très bien dissimulée.

– Non, c’est trop risqué. Il y a du monde à toute heure à l’office, Tim. La fenêtre de la nurserie est parfaite.

– Enfin, Vicky, tout cela nécessiterait trop de déplacements dans la maison. Avec une bonne corde, en pleine nuit, la fenêtre du premier étage offre de bien meilleures perspectives !

– Bien sûr que non ! Ta sœur a raison, Clare. L’escalade est beaucoup trop risquée. Avec les domestiques, au moins, on peut toujours s’arranger. La fenêtre de l’office est bien plus adaptée.


Le sérieux imperturbable avec lequel cet absurde échange était mené fini par arracher le duc de Leeds à l’effarement qui avait brutalement stoppé sa progression lors de son entrée dans la pièce. Il décida d’intervenir.


– Et depuis quand, pour entrer quelque part, la porte n’est-elle plus une option ?


À ces mots, prononcés d’un ton aussi sec que sarcastique, quatre visages ébahis se tournèrent d’un même mouvement vers la porte. Les réactions des jeunes gens, lorsqu’ils découvrirent à qui appartenait la voix qui venait de les interrompre, n’auraient pas pu être plus contrastées. Même si celles-ci ne durèrent qu’une fraction de seconde, vite remplacées par l’expression impassible que des années d’éducation aristocratique leur avaient tous appris à revêtir, aucune d’entre elles n’échappa à l’œil exercé de Sidney.


Sur le visage taché de rousseurs du gentleman inconnu se lisait surtout de la curiosité et un rien d’embarras, comme il convenait évidemment à quelqu’un ayant offert à un pair du royaume l’image de son postérieur penché sur une table basse. Dans les yeux de son frère, en revanche, il y avait bien plus qu’un simple embarras. Une bonne dose de honte et de culpabilité transparaissait dans chacun de ses regards. Quant à sa petite sœur, toute la décontraction étudiée de sa posture ne suffit pas à dissimuler l’inquiétude qui crispait le bord de ses lèvres. Clare ignorait la raison de la présence à Londres de son frère et de sa sœur, mais une chose était certaine : aucun des deux n’était ravi de son arrivée intempestive. À vrai dire, de toutes les personnes présentes, la seule qui semblait sincèrement heureuse de le revoir était celle-là même qui était restée obstinément silencieuse durant toute la conversation précédente.


Le dos bien droit, les mains sagement posées sur son giron, Evangeline semblait rayonner d’une joie sans mélange tandis qu’elle fixait sur lui ses grands yeux innocents. D’ailleurs, lorsque le regard du duc croisa celui de sa petite épouse, celle-ci accentua encore son sourire et s’inclina en une profonde révérence.


Dieu qu’elle était belle ! Il avait oublié à quel point. Dans sa délicieuse robe bleue au décolleté discret, mais assurément suggestif, la duchesse offrait un spectacle tout à fait charmant. Malheureusement, Clare n’eut guère le loisir d’en profiter. Dans l’immédiat, deux problèmes plus urgents requéraient son attention. Rivant ses yeux gris-bleu à ceux, vert pâle, de sa sœur cadette, il demanda, posément :


– Victoria, puis-je savoir ce que vous faites ici ? Non que je m’en plaigne, comprenez bien, mais aux dernières nouvelles, vous et maman vous trouviez à Bath avec l’intention d’y rester jusqu’à la fin de l’automne.


La turbulente Miss Clare avait bien des défauts, mais le manque de courage n’en faisait assurément pas partie. Bien que le regard scrutateur et infiniment perspicace de son frère ait, par le passé, fait trembler le cœur d’hommes et de femmes bien plus expérimentés qu’elle, la jeune fille ne cilla pas. Redressant le menton, elle s’avança vaillamment pour répondre, presque comme si de rien n’était :


– Bath était à mourir d’ennui, cette année. Comment aurais-je pu y rester ? J’ai bien demandé à maman l’autorisation de traverser la Manche pour effectuer un petit séjour en France, mais elle a refusé. Quelle idée aussi d’aller s’enterrer dans une ville d’eau en pleine saison ! C’est absurde, n’est-ce pas ? Alors je me suis enfuie !


Au crédit du duc, cette révélation fracassante – et un rien décousue – fut seulement accueillie d’un haussement de sourcils curieux.


– Je vous demande pardon ? Vous vous êtes enfuie, dites-vous ?

– C’est exact. Mais ne vous inquiétez pas, nous n’avons pas fait cela comme des sauvages. Tout a été parfaitement organisé. C’était l’idée d’Evangeline, en fait. Maman était tout à fait au courant. Elle a donné son autorisation pour qu’Evie vienne me chercher à Bath et me ramène à Londres avec elle. Personne d’autre n’en savait rien, c’était tout à fait excitant.

– Certes. Un tout nouveau concept de fugue, à ce que je vois. Puis-je encore vous demander pourquoi vous teniez à vous rendre sur le continent au point de… hum… fuir à Londres sans avertir personne ?

– Enfin, Sidney, pour trouver un mari français, voyons. Cela va de soi.


Face à cette réponse parfaitement saugrenue, son frère se trouva un instant désemparé.


– Grand Dieu, Victoria, pourquoi vous faut-il donc un mari français ? Depuis quand nos braves petits Anglais ne font-ils plus l’affaire ?

– Voilà que vous recommencez à être absurde. Épouser un Français est parfaitement à la mode, Sidney ! Vous le sauriez si vous viviez comme un individu civilisé et non comme un indigène perdu dans la cambrousse. La preuve, même la reine va en épouser un. Et elle porte le même prénom que moi.


Au grand étonnement du duc, les hochements de tête entendus de son frère et de l’autre gentleman vinrent ponctuer la fin de ce nouvel argument invraisemblable.


– La reine ? Vous voulez parler de la nôtre ? Celle qui est fiancée à un Saxe-Cobourg Gotha ? Un Bavarois pure souche ? Eh bien ! Je l’ignorais portée sur la bigamie…

– Oh, mon frère, ne soyez pas si tatillon. Un Français, un Bavarois, qu’est-ce que cela change ? L’important c’est qu’Evie m’héberge à Londres le temps de me faire préparer une nouvelle garde-robe à la française. Après cela, je m’embarque ! Sotte que j’étais, je m’apprêtais à me rendre sur le continent habillée comme une souillon. Heureusement qu’Evangeline était là pour me ramener à la raison.


Le prénom de son épouse ayant été prononcé à plusieurs reprises, le regard de Lord Clare se porta vers celle-ci. Les yeux baissés, Evangeline mordait cruellement sur sa lèvre inférieure, ne contenant manifestement qu’à grand-peine son amusement. D’un mouvement discret, elle parvint néanmoins à faire comprendre à son époux qu’elle lui fournirait des explications plus détaillées sur la « fugue » de sa sœur lorsqu’ils seraient seuls. À cette perspective, le pouls de Sidney s’accéléra involontairement. Pressé d’en finir, le duc orienta donc rapidement son attention vers le deuxième membre de son incontrôlable fratrie.


– Le mystère de la présence de Victoria ayant été élucidé, peux-tu me dire, Jesse, ce qui me vaut le plaisir de te trouver au beau milieu de mon salon ? Ne devais-tu pas être à Oxford jusqu’à la fin du mois de juin ?

– Et j’y étais, Sid, je t’assure ! J’y étais jusqu’à ce que… Eh bien, jusqu’à ce que…

– Jusqu’à ce que tu n’y sois plus. Indubitablement.

– Ne te fâche pas, Sidney. Je ne parvenais pas à me concentrer suffisamment pour bien préparer mes examens. Je me sentais beaucoup trop tendu et dissipé, c’était un calvaire. En rentrant de chez Mrs Lyton, Evangeline s’est arrêtée à Oxford pour me saluer et je lui ai… hum… fait part de mon problème. Elle m’a immédiatement proposé de venir m’installer à Londres pour réviser au calme.

– Et il est bien connu que Londres est un endroit tellement plus tranquille qu’Oxford pour étudier…


Cela ne tenait absolument pas la route et Lord Clare n’était pas dupe. Il y avait là-dessous une histoire bien différente de celle que venait de lui servir son jeune frère, il en était certain. Mais, pour l’instant, il s’en contenterait. Quelque chose lui disait que sa petite épouse avait également des informations très intéressantes à lui transmettre à ce sujet. En attendant, il se tourna vers le jeune homme qu’il ne connaissait pas et lui tendit la main.


– Toutes mes excuses, monsieur. Je ne pense pas avoir déjà eu le privilège de vous rencontrer ?

– Non, Votre Grâce, en effet. Timothy Lyton, je suis enchanté.


Prenant la parole pour la première fois, Evangeline compléta les présentations avec délicatesse.


– Mr Lyton est l’époux de ma sœur aînée, Roxana. J’ai appris par Roxie qu’il devait se rendre à Londres, aussi ai-je pris sur moi de l’inviter à séjourner parmi nous.


La voix de Lady Clare était comme ses lettres, enjouée et chantante. Le duc se souvint qu’il avait eu très peu l’occasion de l’entendre au cours des longues soirées qu’il avait passées à discuter avec son père. Il songea qu’il serait agréable de corriger ce manquement à l’avenir. En attendant ce moment, il se contenta de s’incliner légèrement devant elle avant de répondre :


– Vous avez très bien fait, milady. Mr Lyton, je vois que vous faites partie de la famille. Vous êtes ici chez vous. Cependant, maintenant que les présentations sont faites et les mystères éclaircis, puis-je vous demander à tous les trois de m’excuser ? J’ai fait un long voyage et, si elle le permet, j’aimerais m’entretenir avec ma femme. En privé.


Sur quoi, il offrit son bras à Evangeline et, lorsque celle-ci y eut délicatement posé les doigts, il prit congé.


OooO


– Je vous écoute, milady. Qu’avez-vous à me dire sur le comportement plus qu’étrange de mon frère et de ma sœur ?


Ils étaient tous deux confortablement installés face à face dans les fauteuils de la bibliothèque. Une tasse de thé à la main, Clare s’apprêtait à écouter Evangeline lui narrer la succession d’évènements qui l’avait conduite à accueillir ses trois parents sous son toit.


– Tout a commencé avec Miss Victoria, en fait. Votre maman m’a écrit pour me dire que son obsession pour les Français devenait de plus en plus incontrôlable. Songez que votre sœur l’avait tranquillement informée de son intention de s’enfuir sur le continent à la première occasion ! De mon côté, j’avais surtout l’impression que Vicky s’ennuyait à mourir. Avec l’accord de votre mère, je me suis donc rendue à Bath et je l’ai convaincue de « fuguer » avec moi. L’un dans l’autre, c’était vraiment très drôle ! Nous avons préparé ses malles en pleine nuit et nous sommes parties à l’aube en mettant des coussins sous les sabots des chevaux. Vous auriez dû voir comme ses yeux brillaient. Elle en a parlé pendant des jours. Une fois à Londres, seulement, plus question de fuir. Il fallait tout faire pour lui ôter cette idée de la tête. Sous prétexte d’attendre que la confection de ses nouvelles robes soit terminée – ce qui, vous pouvez me croire, va encore prendre un temps considérable – j’ai emmené Victoria à tous les bals convenables que j’ai pu trouver. Cela a très bien fonctionné. Je vous assure qu’elle parle de moins en moins souvent de se rendre sur le continent.


Eh bien, voilà qui expliquait déjà l’augmentation du nombre de sorties signalée par son avoué. Victoria adorait les bals. Evangeline voulant la distraire, elle ne pouvait pas mieux trouver. Déjà partiellement rassuré, le duc attendit sereinement la suite du récit de son épouse.


– Miss Victoria est charmante, mais elle déborde d’énergie et je n’ai qu’une petite année de plus qu’elle… Je me suis vite rendu compte que, seule, je risquais de ne pas être un chaperon à la hauteur de la tâche.


Les cernes discrets sous les yeux de la jeune femme confirmaient ses propos. La pauvre devait être complètement épuisée si elle avait chaperonné sa sœur dans toutes ses soirées…


– Je m’apprêtais à demander à votre mère de me rejoindre pour m’épauler lorsque Vicky a reçu une lettre de votre frère. Je… Il… Enfin… Jesse demandait de l’argent à sa sœur. Une grosse somme. Apparemment, il se serait laissé prendre dans une partie truquée et aurait perdu beaucoup d’argent. Beaucoup trop pour que votre sœur puisse l’aider. Elle est donc venue me voir. J’aurais certainement dû vous en avertir, mais j’avoue que… Eh bien, Votre Grâce, pour être honnête, vos jeunes parents ont beau être deux parfaits écervelés, je les aime beaucoup. Jesse semblait craindre votre réaction et il m’a promis de vous informer dès qu’il aurait remboursé ce qu’il devait. Alors…

– Vous avez payé les dettes de mon frère…


Au moins, cela expliquait la somme importante dont Mr Thompson avait noté la disparition. Clare se serait attendu à plus d’honnêteté de la part de Jesse, mais il connaissait son frère. Il n’aurait pas l’esprit tranquille tant qu’il n’aurait pas remboursé jusqu’au dernier centime emprunté. Evangeline semblait d’ailleurs l’avoir parfaitement compris, car elle reprit :


– Dans l’état de culpabilité dans lequel il se trouvait, votre frère aurait été capable de tout pour me rembourser au plus vite. J’ai donc jugé plus prudent de le ramener avec moi à Londres. Sous prétexte d’une visite amicale, je lui ai expliqué la situation de votre sœur et lui ai demandé de venir m’assister dans mon rôle de chaperon. Il a eu l’air enchanté de pouvoir commencer à me dédommager de cette manière.


Avec un sourire timide, elle ajouta presque aussitôt :


– J’avoue qu’en cela, j’ai également pensé à mon intérêt. Je n’aime pas beaucoup les bals, ils me fatiguent. Que votre frère puisse me relayer de temps en temps auprès de votre sœur a été un vrai soulagement.

– Dans ce cas, répondit le duc avec une douce sincérité, je lui pardonne presque d’avoir été assez idiot pour se laisser convaincre de jouer plus que ce que son revenu ne le lui permettait.

– Oui, c’était très bête de sa part, n’est-ce pas ? J’essaie de régler ce problème aussi.

– Quoi donc ? La bêtise innée de Jesse ? Je vous souhaite bien du courage…

– Non, voyons. Je parle de son problème avec le jeu. Peut-être ne le savez-vous pas, mais Mr Lyton est véritablement un excellent joueur de cartes. C’est un peu scandaleux, mais une bonne partie de sa fortune vient de là.

– Le grand escogriffe roux ? Un joueur professionnel ? Est-ce la raison pour laquelle vous l’avez fait venir ? Pour qu’il apprenne à tricher à mon frère ?


Evangeline rit de bon cœur face à ce résumé implacable de ses intentions.


– Pas à tricher, non. Je n’en attends pas tant ! À jouer, en revanche, oui, j’espère qu’il pourra. Par ailleurs, cela arrangeait bien ma sœur. Comme je vous l’ai écrit dans une de mes lettres, Roxie est enceinte et… enfin… disons qu’elle n’a plus autant de patience qu’auparavant. Je crois qu’elle m’a presque étouffée de gratitude lorsque je lui ai demandé si elle acceptait que j’éloigne son époux pour quelques semaines. Cela dit, Mr Lyton est vraiment efficace. Il a déjà organisé plusieurs soirées avec des amis afin d’apprendre à jouer à Jesse. Je suis sûre que celui-ci a déjà fait des progrès épatants !


Devant tant d’innocence, Sidney eut un sourire amusé. En son for intérieur, cependant, il était stupéfait. La façon dont ce petit morceau de femme avait géré, simultanément et à la satisfaction de chacun, trois situations qui semblaient inextricables le laissait confondu. Il n’en revenait pas. Comment un tel bijou d’intelligence pouvait-il seulement exister ? Et comment avait-il pu rester caché juste sous son nez pendant aussi longtemps sans qu’il s’en aperçoive ? Finalement, séduire son épouse et la convaincre de lui donner des enfants pourraient se révéler bien plus amusant que Sidney ne l’avait escompté au départ…


Avant d’entamer ce jeu de conquête, toutefois, il restait un dernier point que Clare souhaitait voir élucidé.


– Je vous remercie, milady, la situation est bien plus claire ainsi. J’aurais simplement une dernière question, si vous le permettez.

– Bien sûr, milord. Mais vous pouvez m’appeler Evangeline, ou même Evie. Votre frère et votre sœur ne se gênent pas, vous savez.

– Je n’en doute pas. Et je les imiterai, à l’avenir, si vous acceptez de m’appeler Sidney…


À peine eut-il terminé sa phrase que deux fossettes espiègles vinrent creuser les joues d’Evangeline, illuminant son visage et laissant le jeune Lord complètement pétrifié. Cette paralysie temporaire – du moins, fallait-il l’espérer – se révéla néanmoins une bénédiction. S’il avait été en pleine possession de ses moyens, il est fort probable que Sa Grâce aurait franchi la distance qui séparait les deux fauteuils et aurait cédé à l’impulsion ridicule de prendre sa femme dans ses bras pour l’embrasser. Heureusement, grâce à sa statufication passagère, il n’en fit rien et put même reprendre un semblant de conversation en demandant à Evangeline pourquoi, à son arrivée, il les avait trouvés tous les quatre s’évertuant à déterminer le meilleur moyen d’entrer par effraction chez la comtesse de Rutland.


Il ne reçut jamais de réponse. Alors que, rougissante, la duchesse ouvrait la bouche pour lui expliquer la situation, ils furent interrompus par l’entrée d’un valet.


– Toutes mes excuses, Votre Grâce. Le comte de Surrey vient d’arriver. Il attend dans le vestibule. Puis-je l’introduire dans la bibliothèque ou dois-je lui demander de patienter dans le petit salon ?

– Charley ? s’exclama Sidney avec enthousiasme. Vraiment ? Je vais le recevoir, mais nous n’en avons pas encore tout à fait terminé. Dites-lui de…


Secouant doucement la tête, Evangeline l’interrompit aussitôt.


– Non, je vous en prie. Ne le faites pas attendre pour moi. Recevez-le. Je vais en profiter pour aller voir Mrs Annable, je dois apporter quelques changements au menu de ce soir. Nous pourrons poursuivre juste après.

– Certes, mais…

– Ne vous en faites pas, Sidney. Vous ne risquez rien. Je ne fais pas partie de la famille Clare depuis suffisamment longtemps pour avoir déjà envie de fuguer sans raison. Je serai là lorsque vous aurez terminé avec Lord Graham, je vous le promets.


OooO


Clare et Graham se connaissaient depuis leur entrée à Eton. Cette année-là, leurs pères les y avaient envoyés presque par dépit, lassés de les voir pousser à la fuite tous leurs précepteurs les uns après les autres. Avec le recul, inscrire les deux garçons à Eton s’était avéré être la meilleure décision que les vieux Lords avaient prise pour leurs fils. La compétition avec les autres garçons convenait bien mieux aux deux jeunes aristocrates que le calme des cours particuliers. Dès l’instant où ils pouvaient s’asseoir côte à côte dans une salle de classe, Charley Graham et Sidney Clare devenaient aussi brillants qu’ils étaient inséparables.


À l’âge de vingt-deux ans, les deux jeunes hommes avaient été contraints, à quelques mois d’intervalle seulement, d’affronter la perte de leurs pères et l’imposant héritage de responsabilités qui en avait découlé. Depuis, un lien presque fraternel s’était tissé entre eux, renforçant encore l’amitié qui les unissait. Compte tenu de l’intimité qui était la leur, le duc de Leeds ne fut donc pas surpris lorsque, entrant dans la pièce, la première chose que fit le comte de Surrey fut d’aller se servir un verre de brandy et de s’allonger sur le sofa.


– Bonjour, Charley. Ravi de voir que tu te sens toujours autant chez toi…

– Comme tu vois. Même si ce n’est pas vraiment grâce à toi. Tu es devenu un vrai courant d’air, ces derniers temps.

– Je suis venu te voir l’été dernier à Littleton Park.

– Il y a dix mois de cela, Sidney ! J’ai failli tomber à la renverse quand ton majordome m’a dit que tu étais ici. Cela dit, ne te méprends pas, je suis ravi d’apprendre que ton séjour dans la cambrousse est enfin terminé.


Soudain épuisé, Leeds se laissa lourdement tomber dans un des fauteuils qui faisaient face à celui de son ami tout en se massant les tempes.


– Voulez-vous tous cesser avec cela. La campagne anglaise n’a rien d’une cambrousse, pardieu.

– Campagne, cambrousse, savane. À ta guise. C’est toi le duc après tout. Qu’as-tu ? Tu ne te sens pas bien ?

– Ça va. Deux jours de voyage dans des conditions abominables et j’arrive ici pour trouver un quatuor de jeunes inconséquents en train de comploter un cambriolage. J’ai connu des matinées plus reposantes.

– Ah, ils sont toujours avec cette idée ? Lorsque je les ai quittés hier, ils semblaient sur le point d’y renoncer.


D’abord interloqué, Clare dévisagea ensuite son ami avec un soupçon de méfiance. Les cheveux ébouriffés, la cravate dénouée, Lord Graham sirotait innocemment son verre sans paraître remarquer le regard inquisiteur que son hôte braquait sur lui.


Que le comte de Surrey vienne de temps en temps rendre visite à l’épouse de son meilleur ami n’avait, en soit, rien de particulièrement étonnant. D’ailleurs, lors de leur dernière rencontre, Lord Clare avait expressément demandé à Charley de veiller sur sa duchesse. Deux visites en deux jours, cependant, relevaient d’un zèle un peu inquiétant. Suffisamment, en tout cas, pour pousser le duc à demander :


– Puis-je savoir, Graham, à quelle fréquence exactement tu honores ma demeure de ta présence ?

– Assez pour savoir que nous sommes mardi et qu’il y aura certainement du canard pour le dîner, s’amusa le comte. Pourquoi, cela ? Tu trouves que j’abuse de ton hospitalité ? Lady Clare ne semble pas y voir d’inconvénient pourtant.


À la mention d’Evangeline, Leeds sentit un pincement désagréable lui enserrer le cœur. Furieux, sans en saisir la raison, il serra brusquement les mâchoires et contracta le poing. Bien que lui-même n’en comprenne pas la nature, les sentiments qui l’agitaient devaient être assez évidents pour les autres car, posant les yeux sur lui, le comte de Surrey se redressa instantanément sur son siège.


– Grand Dieu, mon vieux, que t’arrive-t-il ? Tu n’es tout de même pas en train d’imaginer que je viens ici pour faire la cour à ta femme ?

– Je… me pose la question.


L’expression indignée et franchement horrifiée qui se peignit sur les traits de Lord Graham fit plus pour rassurer le duc que toutes les dénégations que celui-ci aurait pu prononcer. Imperceptiblement, l’étau autour de sa poitrine se relâcha.


– Sérieusement, Sidney, tu me blesses. D’autant que je suis peut-être un des seuls hommes de Londres à ne pas tourner autour de ta femme ! Ne te vexe pas, évidemment. Lady Clare est parfaitement adorable, mais elle n’est vraiment pas mon style.

– J’oubliais, répondit Clare en se remémorant quelques-unes de celles qui avaient, un jour, attiré l’attention de son ami. Trop sage pour toi, sans doute ?

– Sage ? Tu es parti depuis trop longtemps, Sid. Ta charmante épouse est tout sauf sage. Douce et aimable, certainement. Intelligente, indéniablement. Subtile. Jolie comme un ange, oui. Mais certainement pas sage ! Sais-tu que lors de sa réception du mois dernier, elle a organisé un concours de tir au beau milieu de ta salle de bal ? Elle a gagné la compétition féminine sans aucun effort. Tout Londres en parle encore. En fait, pour être franc, si elle n’est pas mon style c’est que, contrairement à d’autres, je n’ai pas l’âme d’un ver de terre admirant les étoiles. Le cœur de ta femme est une forteresse, mon vieux. Je me traînerais à ses pieds, désespéré d’amour, qu’elle ne broncherait pas. Je plains sincèrement celui qui se lancera à sa conquête.


Les dernières paroles du comte firent apparaître un sourire sur les lèvres du duc, toutefois, celui-ci refusa de se laisser distraire. Son ami ne rendait peut-être pas visite à son épouse dans le but de la courtiser, mais il n’en restait pas moins que la fréquence de ses allées et venues restait éminemment suspecte. Scrutant le comte des pieds à la tête, Lord Clare s’arrêta finalement quelques secondes sur la coupe inhabituelle de son habit. Aussitôt, une lueur rieuse s’alluma dans ses yeux. L’instant d’après, il riait à gorge déployée.


– Que je sois maudit, Charley, j’aurais dû le voir tout de suite. Ce n’est pas ma femme que tu tentes de séduire. Grand Dieu, c’est Victoria ! Et si tu en es réduit à paraphraser Victor Hugo et à couper tes vêtements à la française, j’imagine que le succès ne doit pas être au rendez-vous.


Les joues colorées d’embarras, le comte de Surrey grogna :


– Heureux de voir que cela te divertit. Ta sœur me rend fou, Clare. Dans son genre, elle est presque pire que ta duchesse. Je la demanderais en mariage qu’elle penserait que je lui fais une blague. Elle ne me prend pas du tout au sérieux.


Face à cet aveu, le rire joyeux de Leeds repartit de plus belle. Il n’aurait jamais pensé que Charley, qui connaissait Vicky depuis son enfance, pourrait la voir un jour autrement que comme une amusante petite sœur. Que ce soit le cas et que Victoria, d’ordinaire si prompte à déceler des romances là où il n’y en avait pas, y reste aveugle rendait la situation incroyablement comique.


– Oh, cesse donc, veux-tu ! Evie m’assure qu’elle finira par s’apercevoir que je suis sincère si je me montre suffisamment constant. Résultat, je me retrouve embarqué dans cette histoire abracadabrante avec ta chère comtesse de Rutland et l’acte de propriété d’Hartland Abbey !


Le rire du duc s’éteignit instantanément.


– Que viens-tu de dire ?

– Eh bien, quoi ? N’es-tu pas au courant pour le cambriolage ? Que crois-tu que ta famille souhaite récupérer au point d’envisager sans se troubler de forcer l’entrée de la maison de Lady Mawgrey ?

– Bien sûr que je l’ignorais, rugit Clare en se levant d’un bond.


Une main dans ses cheveux sombres, il commença aussitôt à arpenter la pièce d’un pas nerveux.


– Un peu de bon sens, Charley ! Crois-tu que tu m’aurais trouvé calmement assis dans ma bibliothèque si j’avais su ?

– Euh… Non, répondit le comte en le regardant passer et repasser devant lui. Il semblerait bien que non, en effet.

– Bon sang ! Et comment l’acte de propriété de ma maison s’est-il retrouvé chez la comtesse, en premier lieu ?

– Si j’ai bien compris, ton avoué a apporté des documents à signer à Evangeline. L’acte de propriété y était mêlé par erreur. Lorsqu’elle s’en est aperçue, Evie a demandé à Jesse d’aller le rapporter à l’étude. Malheureusement, lorsque ton frère s’est présenté au bureau de l’avoué, Mr Thompson était absent. Ce jour-là, Jesse devait accompagner Victoria à un pique-nique. Il était en retard et ne s’est donc pas changé avant de partir. Le reste est pure conjecture de ma part. Le document a pu tomber de la poche de Jesse et la comtesse, qui se trouvait au pique-nique, en a profité pour s’en emparer. Je l’imagine mal faire les poches de ton frère, mais cela reste une hypothèse également. Toujours est-il que, voici trois jours, Evangeline a reçu un billet de Lady Mawgrey. Elle affirme être en possession de l’acte et refuse de le rendre à moins que tu ne viennes le réclamer toi-même. Quant à la raison pour laquelle la comtesse de Rutland agit comme elle le fait… Eh bien, tu es mieux placé que moi pour le savoir…


Stoppant net ses déambulations, le duc s’approcha de son ami avec, sur le visage, une expression alarmée que Graham ne lui avait jamais vue.


– Et ma femme, Charley. Sait-elle pour Lady Mawgrey ?

– Si la comtesse ne le lui a pas appris elle-même, je ne vois pas qui l’aurait fait. Pas moi en tout cas. Parbleu, Sid, je ne suis pas indélicat au point d’aller révéler à ta femme l’identité de ta maîtresse.


Un petit son plaintif, presque douloureux de retenue, vint ponctuer la fin de cet échange. Surpris, les deux hommes tournèrent vivement la tête. Evangeline se tenait dans l’encadrement de la porte. Une main posée sur ses lèvres. Les yeux écarquillés. Elle semblait perdue et tremblait de tous ses membres. Sidney se précipita vers elle.


– Milady, je…

– Non, c’est… Pardonnez-moi. Je n’aurais pas dû entrer… Je n’ai pas l’habitude… C’est ma faute, certainement. C’est que… Non. J’aurais dû m’en douter, bien sûr. Quinze mois, c’est infiniment long… J’aurais dû savoir. Je… C’est ma faute, je suis tellement sotte.


Elle semblait lutter avec tant de peine pour retenir les larmes qui perlaient au coin de ses yeux que Sidney en fut bouleversé. Délicatement, il saisit son bras.


– Ma dame, je vous en prie, laissez-moi vous expliquer…

– Non… Il… Il n’y a rien à expliquer. C’est moi. Je… J’aurais dû comprendre. Pardonnez-moi. S’il vous plaît. Cela ira mieux au dîner.


D’une légère pression, elle se dégagea alors de son étreinte et sortit en refermant doucement la porte derrière elle. Dans le dos du duc, Lord Graham poussa un soupir.


– Sidney… Je suis navré. Je t’assure que je ne l’avais pas entendue entrer.


Le duc secoua faiblement la tête, les yeux toujours fixés sur la porte par laquelle son épouse avait disparu. Lorsqu’il parla enfin, sa voix était rauque.


– Tu n’y es pour rien, Charley. Cela aurait fini par arriver. C’est ce que Winifred voulait, bien entendu. J’imagine seulement qu’elle ne s’attendait pas à ce que ma femme s’excuse en découvrant que j’entretenais une maîtresse.


Toujours aussi gêné, le comte de Surrey se rapprocha de son ami.


– Non, en effet. C’est une réaction… pour le moins inattendue. Que vas-tu faire, maintenant ?

– Je vais récupérer l’acte de propriété. Hartland Abbey est ma maison. Cette harpie ne restera pas en sa possession une heure de plus.

– Je t’accompagne, dans ce cas. Je te dois bien ça. Connaissant Lady Mawgrey, la situation va sans doute dégénérer. Tu te souviens de ce que racontait son mari à propos de ses crises de rage ? Je sais que, par certains côtés, Lord Mawgrey est plus prude qu’une nonne, mais quand même…


Étonnement, cette dernière remarque fit naître un sourire sur les lèvres du duc. Une lueur presque malicieuse brillait dans son regard gris-bleu lorsqu’il se tourna vers son ami.


– Non, Char. Reste ici et fais la cour à ma sœur, ordonna-t-il avec une bonne humeur inattendue. C’est la meilleure idée que tu aies eue depuis des lustres.

– Tu ne vas quand même pas y aller seul ? Tu vas avoir besoin d’aide. Tu n’es pas parti assez longtemps pour avoir oublié que Winifred peut être une véritable furie quand elle est en colère.

– Ne t’en fais pas. Je ne vais pas y aller seul. Mais ce n’est pas d’aide que je vais avoir besoin… C’est d’un chaperon.


Sur quoi, il ajouta dans un clin d’œil :


– Jesse viendra avec moi. Il paraît qu’il a d’excellentes références en la matière.


OooO


Hôtel de la famille Mawgrey, Londres


Le salon de la comtesse de Rutland n’avait pas changé depuis la dernière visite du duc, dix-huit mois plus tôt. Une grande baie vitrée inondait toujours de lumière une pièce chaleureuse, décorée avec un goût parfait. Malheureusement, les deux visiteurs qui patientaient ce jour-là dans le petit salon de Lady Mawgrey n’étaient pas d’humeur à admirer le subtil équilibre de luxe et de simplicité avec lequel celle-ci avait aménagé sa maison londonienne.


Les mains serrées dans le dos, Lord Clare se tenait face à la fenêtre et regardait sans la voir l’agitation qui, comme toujours, régnait aux abords de Hyde Park. Jesse, quant à lui, s’était installé dans le fauteuil le plus en retrait qu’il avait pu trouver. Croisant et décroisant les jambes, il jetait sans cesse des regards anxieux vers son aîné. Dans la voiture qui les avait emmenés de Berkeley Square à Mayfair, Leeds avait eu tout le loisir d’expliquer la situation à son frère. Sachant désormais dans quoi il avait été embarqué, celui-ci avait toutes les raisons d’être mal à l’aise.


Lorsque Clare avait rencontré Lady Mawgrey pour la première fois, il venait tout juste de fêter son vingt-quatrième anniversaire. Étouffé par l’ampleur des responsabilités qu’il assumait depuis la mort de son père, le jeune duc s’était vu irrésistiblement attiré par la fièvre de vivre et le mépris des convenances affichés par la comtesse. Elle était jeune, spirituelle, incroyablement belle. Un mois après leur rencontre, les deux jeunes gens avaient entamé une relation passionnée qui s’était poursuivie durant presque deux ans. Évidemment, même durant cette période, la présence de Lord Mawgrey et les nombreux voyages que Clare devait effectuer pour ses affaires avaient rendu leurs rencontres plutôt sporadiques. Aujourd’hui, Sidney ne savait pas s’il devait s’en réjouir ou s’en désoler. Après tout, s’ils s’étaient fréquentés plus souvent, peut-être aurait-il mis moins longtemps à percer à jour le véritable caractère de sa maîtresse ?


Car, si l’esprit de Lady Mawgrey était effectivement brillant, son cœur, lui, était dépourvu aussi bien de compassion que de pitié. Bientôt, Clare s’aperçut qu’il éprouvait pour la comtesse plus de mépris que d’affection. Avec cette constatation, le désir vint également à le quitter. Lentement, le duc commença à espacer ses visites. Ainsi, le soir où Miss Sinclair fit son entrée dans le monde, Clare cherchait depuis longtemps déjà un moyen de mettre un terme à sa relation avec Lady Mawgrey. Ses fiançailles furent un prétexte tout trouvé. La veille du jour où Sidney demanda la main d’Evangeline à son père, il rompit avec la comtesse de Rutland. À cette époque, l’aversion qu’il ressentait pour elle était si grande qu’il aurait été heureux de ne jamais la revoir. Il semblait, malheureusement, que la comtesse ait eu d’autres projets pour lui…


L’entrée de Lady Mawgrey, majestueuse dans une robe écarlate brodée de dentelles flamandes, arracha le duc de Leeds à ses souvenirs. Alors qu’il reportait son attention vers l’intérieur de la pièce, Clare vit la comtesse détailler Jesse d’un œil moqueur.


– Eh bien, Votre Grâce, je vois que vous avez amené votre petit chiot pour nous surveiller. Ainsi, vous avez peur de ne pas être capable de vous maîtriser en ma compagnie ?

– Votre mémoire laisse à désirer, comtesse. Comme vous le savez fort bien, de nous deux, ce n’est pas moi qui éprouve des difficultés à conserver le contrôle de mes nerfs.


Le coup porta mieux que le duc ne l’avait espéré. L’effort que fit la comtesse pour ne pas exploser de colère était visible. S’installant dans un des fauteuils, il lui fallut quelques instants avant de reprendre la parole.


– Bien, puisque c’est ainsi. Puis-je savoir ce qui vous amène dans mon humble demeure, Votre Grâce ? Sitôt après votre retour en ville, je suis flattée.


Malheureusement pour Lady Mawgrey, Clare n’était pas d’humeur à jouer. L’image d’Evangeline, si vulnérable dans sa détresse, ne l’avait pas quitté un seul instant depuis que la duchesse avait refermé derrière elle la porte de la bibliothèque. Il avait des explications à fournir et des excuses à présenter à son épouse et il ne pourrait le faire avant d’avoir définitivement soldé ses comptes avec la comtesse de Rutland. Dans l’état d’esprit dans lequel il se trouvait, le duc de Leeds ne comptait pas perdre un seul instant en faux-semblants inutiles.


– Cela suffit, Winifred. Vous avez souhaité me voir, je suis ici. Dites-moi ce que vous avez à me dire ou rendez-moi directement le titre de propriété que vous avez volé à mon frère. Je n’ai pas de temps à perdre avec cette histoire absurde.

– Ah bon ? Et qu’avez-vous donc de plus urgent à faire, mon cher ? Après tout, n’avez-vous pas mis un terme à votre exil précisément dans ce but ? Sincèrement, je suis même surprise que vous ayez accouru si vite. À croire que vous n’attendiez que cela… venir me rejoindre…


L’intonation de la comtesse était à la fois hautaine et aguicheuse. Du coin de l’œil, Leeds vit son frère lui jeter un regard interrogateur. Il semblait que la présence de Jesse n’allait pas empêcher Lady Mawgrey de se livrer à son petit numéro.


– Je suis rentré à Londres parce que ma femme me manquait, répondit Lord Clare avec une sincérité qui l’étonna lui-même. J’ignorais tout de cette affaire avant mon arrivée ce matin. Cela dit, vous avez raison, je souhaite récupérer ce qui m’appartient. Je vous recommande donc de me remettre l’acte de Hatland Abbey maintenant. Si je sors de cette maison sans lui, ce sera pour me rendre directement au tribunal.


Le rire railleur de Winifred s’éleva en réponse à cette dernière remarque.


– Voyons, mon amour, vous n’en ferez rien. Vous savez, comme moi, le scandale que cela susciterait. Le noble duc de Leeds qui, après avoir fait cadeau de sa demeure ancestrale à sa maîtresse – car c’est cette version que je raconterai, soyez-en certain – lui intente un procès pour le récupérer. Vous seriez la risée de tout Londres.

– Et alors ? Quel inconvénient cela me causerait-il ? Serais-je contraint de vivre à la campagne pour le restant de mes jours afin de fuir les ragots ? Vous m’en verriez ravi. Je viens d’y séjourner quinze mois sans que la vie citadine me manque le moins du monde. En fait, ma chère, je crains que vous n’ayez plus à perdre que moi dans cette histoire. Vous aimez la vie à Londres. Y renoncer vous serait bien plus douloureux qu’à moi. De plus, à moins que je ne me trompe, votre mari n’est pas informé de notre petite aventure. Et même s’il est au courant, je doute qu’il apprécie de vous voir étaler vos ébats extraconjugaux devant toute la bonne société.


Cette fois, la comtesse eut vraiment l’air déstabilisée. Évidemment, jusque-là, elle avait pensé qu’il tiendrait trop à sa réputation pour prendre le risque de porter l’affaire devant les tribunaux. Certes, il n’apprécierait pas de voir des étrangers s’intéresser à sa vie privée, mais il préférait encore cela au chantage que la comtesse n’allait pas manquer de lui imposer.


Braquant sur lui un regard teinté de doutes et d’appréhension, Winifred tentait visiblement de trouver des signes indiquant que les paroles de son visiteur relevaient d’un simple bluff. La détresse, puis l’effroi se peignirent tour à tour sur son visage tandis qu’elle ne décelait aucune trace d’hésitation ou de mensonge dans les yeux de son ancien amant. Avec un mouvement de recul, elle finit par porter une main horrifiée à ses lèvres.


– Vous le feriez ! Vous perdriez votre réputation et accepteriez que le nom de votre famille soit traîné dans la boue, plutôt que de passer une dernière nuit avec moi pour récupérer discrètement votre domaine. Comment avez-vous pu changer à ce point, mon amour ?

– Cessez de m’appeler ainsi, répondit simplement Sidney. Une seule personne au monde a désormais le droit de me donner ce nom, et ce n’est pas vous.


Un éclair d’épouvante passa alors dans le regard de la comtesse de Rutland qui, sonnée, se mit debout tant bien que mal.


– Vous aurez votre domaine, milord, dit-elle finalement. Je le vois maintenant. Là où vous êtes, je ne peux plus vous atteindre…


Dix minutes plus tard, les deux jeunes aristocrates passaient la porte de la maison de Lady Mawgrey, l’acte de propriété d’Hartland Abbey fermement serré dans la main du duc. À peine sorti, Jesse tira son mouchoir de sa veste et s’en servit pour éponger la sueur qui perlait à son front. Le soupir qui s’échappa alors de ses lèvres était de pur soulagement.


– Bon sang, Sid ! Quand je pense que Victoria et moi pensions que tu ne commettais jamais de fautes de goût. Comment as-tu pu t’enticher de cette harpie ? Sincèrement, la prochaine fois que tu choisis une maîtresse, prends-en une moins effrayante. Cette femme est glaçante. Je te jure que je préfère encore accompagner Vicky à tous les bals de la saison que de revivre une seule seconde de cette visite.


À ces mots, un rire tonitruant gagna Lord Clare.


– Je vais faire mieux que ça, Jesse. Je ne vais plus prendre de maîtresse du tout. Après tout, j’ai une charmante épouse qui m’attend à la maison. Or, j’ai vaguement cru comprendre qu’elle n’approuvait pas l’idée de me partager avec une autre.


OooO


Hôtel de la famille Clare, Londres


Pour la seconde fois ce jour-là, les premières paroles de Lord Clare lorsqu’il franchit le seuil de son hôtel particulier furent pour demander où il pouvait trouver sa jeune épouse. Après s’être entendu répondre que celle-ci se reposait dans ses appartements, le duc remercia son frère de l’avoir accompagné chez la comtesse de Rutland et se dirigea d’un pas rapide vers l’un des doubles escaliers qui menaient à l’étage. Il ne ralentit sa course qu’un instant quand, passant devant la porte du salon, il reconnut la voix de Victoria qui s’élevait avec un accent désespéré.


– Oh Charley, c’est épouvantable ! La couturière vient d’envoyer un mot. Ma journée est totalement ruinée. Les tissus qu’elle attendait pour confectionner mes robes lui seront livrés avec un retard de plusieurs semaines. Vous vous rendez compte ? C’est tout simplement une catastrophe… Ne souriez pas, voyons. Je vous assure que je suis dans un état de détresse absolu. À ce rythme, si je veux me trouver un mari avant d’être bicentenaire, il va falloir que je m’embarque pour la France sans aucune robe décente à me mettre !

– Êtes-vous sûre que la situation soit à ce point désespérée, Vicky ? Après tout, vous avez bien attendu jusqu’ici. Pourquoi ne patienteriez-vous pas encore quelques semaines à Londres ? Je suis certain que vous vous occuperez très bien d’ici là.

– Cela va de soi, Charley. Là n’est pas la question. Le problème, c’est que j’ai déjà bien trop attendu. Le temps que j’arrive, tous les célibataires décents seront partis épouser de jeunes Françaises sans rien dans la cervelle ! Non. Je dois partir maintenant. Quand est le prochain bateau pour Paris ?

– Eh bien… hum… pour Paris, ce n’est pas nécessairement évident. En revanche, je crois pouvoir dire sans me tromper que des bateaux pour Calais partent de Douvres tous les jours. Si vous vous mettez en route immédiatement vous pourrez sans doute embarquer à la première heure demain matin.


Un petit cri affolé s’échappa alors de la pièce pour parvenir aux oreilles amusées de Lord Clare.


– Si tôt ! Non, c’est totalement impossible. Lady McCarey organise un bal masqué la semaine prochaine. Je ne me suis jamais rendue à un bal masqué… Et puis… Ah ! Et puis, Evangeline mourait d’envie d’y aller, je m’en souviens maintenant. Je lui ai promis de l’accompagner. Je ne peux pas priver la pauvre petiote de ce plaisir. Elle a si peu l’occasion de s’amuser. Je ne peux vraiment pas lui faire cela. N’est-ce pas, Charley, que ce serait affreusement égoïste ?

– Vous avez parfaitement raison, Victoria. C’est très généreux à vous de repousser votre départ pour faire plaisir à votre belle-sœur. Eh bien, puisque vous restez, j’imagine que vous serez à l’Almack demain soir ?

– C’est certain, comme tous les mercredis.

– Puis-je, dans ce cas, solliciter le privilège des deux premières danses ?


Le duc n’entendit pas la réponse de sa sœur. Souriant des tours et détours que son ami était contraint d’emprunter dans sa quête du cœur de Victoria, Sidney reprit sa propre route vers les appartements de sa femme. Arrivé devant la porte, il frappa deux coups secs avant d’entrer.


La duchesse était endormie, silhouette menue allongée sur son lit. La lumière déclinante de la fin d’après-midi faisait miroiter des reflets roux sur ses cheveux défaits. S’approchant, Clare s’aperçut que les yeux de la jeune femme étaient rouges et gonflés d’avoir trop pleuré. Ému et honteux d’être le responsable de sa peine, il effleura délicatement sa joue pour la réveiller.


Il était revenu pour elle. Il pouvait bien l’admettre maintenant. Pendant quinze mois, semaines après semaines, il avait attendu ses lettres avec de plus en plus d’impatience. Son ton joyeux, le regard amusé qu’elle portait sur le monde, la justesse et la profondeur de ses remarques, l’avaient petit à petit envoûté. Et, comme si cela ne suffisait pas, durant tout ce temps, elle s’était également montrée une épouse exemplaire. Séparée de lui, elle avait adopté un mode de vie calme et discret tout en se débrouillant pour devenir une maîtresse de maison avisée et accueillante. Par ailleurs, elle s’était si bien intégrée à sa nouvelle famille que c’était vers elle que sa propre mère, la duchesse douairière, s’était tournée pour l’aider à gérer les caprices de Victoria.


Lui, de son côté, avait été tout sauf un époux à la hauteur. En prenant la fuite le jour même de son mariage, il avait exposé son épouse aux ragots et aux plaisanteries. Sans le vouloir, il lui avait aussi abandonné la charge de sa famille ainsi que celle de ses relations avec la bonne société. En somme, il l’avait arrachée à un foyer aimant pour la contraindre à une vie de solitude tandis que, cédant à un besoin égoïste, il avait tranquillement mené ses affaires depuis le calme de la campagne. Enfin, lorsqu’il avait fini par revenir, furieux à l’idée que la plus parfaite des femmes ait osé cesser d’attendre son bon vouloir, il lui avait infligé une blessure cruelle et inutile. Comment pouvait-il espérer qu’elle lui pardonne tout cela ? Il l’ignorait. Mais il devait trouver un moyen. Absolument.


Plein de sommeil, le regard bleu et étonné d’Evangeline obligea le duc à revenir à la réalité. Rassemblant tout son courage, il sourit tristement.


– Jusqu’ici, je n’ai pas vraiment été un très bon époux, n’est-ce pas, milady ?


Se redressant sur ses coussins, Evangeline secoua vigoureusement la tête en signe de désaccord.


– Vous n’avez rien fait de mal. Vous m’avez donné votre nom et une maison confortable. Vous m’avez écrit chaque semaine. Vous avez demandé à Mr Thompson et à Lord Graham de veiller sur moi.


Avec un petit sourire, elle ajouta ensuite :


– Et nous ne nous sommes jamais disputés. Citez-moi un seul couple dans tout Londres qui puisse se vanter d’un tel exploit.


Malgré lui, le duc ne put retenir un rire.


– Vous avez raison, c’est certain.


Puis, après une courte pause, il reprit fermement :


– Et je ne vous ai jamais trompée. J’ai rompu avec Lady Mawgrey la veille de nos fiançailles. Je ne l’ai plus touchée depuis. Ni elle, ni aucune autre femme.

– Mais… J’ai entendu Lord Graham. Et… Mrs Annable m’a dit que vous vous étiez rendu chez elle cet après-midi.

– Je devais récupérer l’acte de Hartland… De préférence sans commettre d’infraction. Charley venait de m’expliquer la situation lorsque vous êtes entrée dans la bibliothèque. La comtesse de Rutland ne m’a jamais pardonné de l’avoir délaissée. C’est de ma faute. Mes erreurs de jeunesse vous ont placée dans une situation incroyablement délicate. Je suis désolé.

– Vous… Vous voulez dire que vous n’êtes pas rentré à Londres pour répondre à l’injonction de Lady Mawgrey ? Dans sa lettre de chantage, elle prétendait vouloir vous écrire.

– Bien sûr que non. J’ai quitté le Hampshire voici deux jours. Je n’étais au courant de rien avant que Charley ne me raconte toute l’histoire.

– Mais alors… Pourquoi ? Pourquoi êtes-vous revenu ?


Sidney haussa les épaules avec nonchalance, comme si ce qu’il s’apprêtait à dire n’était pas la chose la plus importante qu’il ait jamais dite de sa vie.


– Mon avoué m’a écrit pour me dire que vous sortiez plus fréquemment ces derniers temps. Et que vous invitiez de jeunes gentlemen célibataires à dîner. J’étais jaloux. Stupidement jaloux. J’ai quitté Chawton Manor le jour même.


Tandis qu’il prononçait cet aveu, deux irrésistibles fossettes se dessinèrent lentement sur le visage d’Evangeline. L’instant d’après, la jeune fille jetait ses bras autour des épaules de Lord Clare avec des cris d’allégresse. Un instant médusé, Sidney referma bientôt ses bras puissants autour du corps gracieux de sa duchesse.


– Mon Dieu, souffla-t-il, riant à demi, tandis qu’il la serrait contre lui. Ma réputation ne s’en remettra jamais.


S’écartant légèrement de lui, Evangeline, sourcils froncés, le dévisagea sans comprendre. Une tendresse inédite et insensée teintait la voix de Sidney lorsqu’il expliqua :


– Un aristocrate fou amoureux de sa femme. Londres n’aura jamais rien entendu d’aussi scandaleux.


OooO


Quelques heures plus tard, Evangeline se réveilla, endolorie, entre les bras de son époux. À ses côtés, le duc semblait toujours profondément endormi. Sans faire de bruit, pour ne pas perturber son sommeil, la jeune femme se tourna légèrement afin de mieux pouvoir l’observer.


Evangeline aimait le duc de Leeds depuis l’enfance. Depuis l’été où, alors âgé de quinze ans, le jeune homme avait passé de longues heures à lui tenir compagnie alors que, pour fuir la scarlatine, elle avait été contrainte d’accompagner son père en voyage d’affaire. Avec le temps, l’adolescent dégingandé et attentionné qui avait pris soin d’elle était devenu un homme singulièrement séduisant et maître de lui. L’admiration de l’enfance s’était alors muée en autre chose. Troublée, Evie n’avait plus su comment se comporter auprès de ce beau gentleman. La jeune fille avait alors mis au point un plan. Puisqu’elle ne savait plus comment agir en présence du duc, elle devait trouver un moyen plus subtil de le conquérir.


En silence, elle s’était alors mise à écouter les conversations de son père lors des visites de Lord Clare. Ainsi, elle n’avait pas été longue à découvrir ce que celui-ci recherchait en matière de femmes. Une épouse issue de la noblesse, capable, organisée, respectueuse de son besoin d’indépendance et… détenant des terres qui lui permettraient d’augmenter la productivité de certains de ses plus grands domaines.


À partir de là, convaincre son père d’inclure dans sa dot des terrains touchant aux domaines de Leeds et, surtout, se débrouiller pour que sa mère en informe toute la bonne société avait été facile. En quelques mois, Evangeline avait obtenu ce qu’elle désirait… Malheureusement, elle n’avait pas anticipé que son tout nouvel époux la quitterait si vite après la cérémonie de mariage. Evie avait attendu le duc toute sa vie. Sur le moment, la perspective de l’attendre quelques mois de plus ne lui avait pas paru insurmontable… Sauf qu’il lui avait affreusement manqué. Jamais, depuis qu’elle le connaissait, la jeune fille n’avait passé plus de trois ou quatre mois sans voir Sidney. Au bout d’un an à se languir, elle avait décidé qu’il était temps de trouver un moyen de faire rentrer son époux à la maison…


– Mon ange ?


La voix ensommeillée de Sidney caressa tendrement les oreilles d’Evangeline. Celle-ci lui répondit en mêlant délicatement ses doigts aux siens.


– Dites-moi, vous sentez-vous suffisamment membre de la famille Clare, désormais ?

– Pourquoi ? J’ai l’air de vouloir faire quelque chose de totalement déraisonnable ?


À ces mots, un rire léger cascada joyeusement dans la gorge de Sidney.


– Disons que je l’espérais à moitié… J’ai récemment retrouvé l’acte de propriété d’une délicieuse demeure située dans le Bedfordshire. Je me demandais si vous accepteriez de vous y laisser enlever…


Le ton était désinvolte mais, serrée contre lui comme elle l’était, la tension qui habitait son époux n’échappa pas à la duchesse. Cette fois, ce fut à son tour de rire.


– Une fugue ! Vous me proposez une fugue. Oh, mon amour, je désespérais. Vous en avez mis du temps !


Aucune réponse n’aurait pu autant combler le duc. Fou de joie, celui-ci attira brusquement sa femme contre lui pour l’embrasser.


Toute sa vie, Evangeline avait observé avec étonnement le confus chaos qui semblait régir le cœur de tous ceux qui l’entouraient. Elle n’avait jamais compris. Depuis toujours, le sien était aussi tranquille et immuable qu’une forteresse oubliée. Une forteresse dont, aujourd’hui, l’homme qui y régnait en maître était, enfin, venu prendre possession…


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   Anonyme   
19/3/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Voilà un texte des plus édifiants ! Beaucoup de tenue. Les excentricités de chacun sont aimables, la femme infidèle et méchante est bien punie, la douce Evangeline, comme il se doit, sait tout dénouer avec subtilité. J'ai bien aimé l'ambiance que je m'imagine fashionable en diable, même si j'ai une parfaite ignorance de ce milieu ; on se croirait un peu chez Hercule Poirot, sans meurtre. C'est bien agréable.

Je n'ai pas senti la longueur du texte, tout coulait bien. Un bon moment de lecture, pour moi.

   Tadiou   
20/4/2017
 a aimé ce texte 
Bien
(Lu et commenté en EL)

Jolie histoire délicatement et intelligemment racontée. L’écriture est bien maîtrisée, précieuse comme il se doit s’agissant de la Noblesse anglaise. Avec quelques pointes d’humour (anglais ?) de-ci de-là.

L’élégance de l’écriture rend ce babillage agréable car ce récit ne fourmille pas de rebondissements !!! Ambiance surannée à une époque non indiquée précisément. Peu de renseignements sur les personnages, hormis les « fossettes malicieuses » d’Evangéline.
Le lecteur reste largement à l’extérieur. J’ai l’impression de voir des ombres chinoises…

Le lecteur peut être étonné que le Duc de Leeds refuse au début une fraîche et belle jeune femme… Mais c’est une autre époque, une autre société… Et l’histoire reste malgré tout crédible.

La petite magouille de lady Magrew et le projet de cambriolage sont un peu anecdotiques, décalés.

Les petits calculs rusés d’Evangéline sont bien décrits. Et c’est la fin de ce conte simple et agréable à parcourir, malgré sa longueur…

   Anonyme   
20/4/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour,
Une nouvelle très agréable à lire, bien écrite, un amour SO déterminé, Eve-Ange-Line, portrait psychologique dévoilant peu à peu qui est ce petit Ange espiègle, qui serait elle une excellente joueuse, mais d'échecs, Duc de Leeds, elle avait plusieurs coups d'avance sur vous dans sa forteresse ("Aux échecs, on appelle forteresse une position dans laquelle le camp en infériorité matérielle a construit un rempart infranchissable").
Ah les hommes ! ;-)
J'ai apprécié les personnages secondaires, des états d'âme , mais là où ailleurs , il y aurait pu avoir une souffrance décrite, dettes du joueur (addiction) , recherche de l'amour ( belle-soeur) , tout reste léger, so british ;-)
Deux petits points
- Paragraphe : « Devant tant d’innocence… » , « Petit morceau de femme… » petit bout de femme me paraîtrait plus approprié.
- Paragraphe et ligne : Car si l’esprit de Lady Mawgrey... Bientôt : pour moi c’est très tôt, très vite, il me semble que la prise de conscience n’a pas été aussi rapide …
---
Mawgrey : gueule grise en Français ! Bien trouvé !

Concernant la description d’Evangéline, à part les fossettes, sa beauté donnée tôt à lire, la couleur des cheveux "Reflets roux...", arrive elle très tard dans la nouvelle.

J'ai passé un agréable moment de lecture, merci.

Nadine

   hersen   
21/4/2017
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Pas de surprise dans cette lecture, c'est le moins que l'on puisse dire. On retrouve un peu de Jane Austen, elle semble rôder dans les salons.

Les personnages sont attendus, la douce et gentille Evangeline, puis Victoria l'écervelée, puis la maîtresse-dragon, le mari bien repenti d'avoir négligé son trésor de longs mois, le meilleur ami que finira bien par séduire la sœur du maître du logis.

Cette nouvelle recrée l'ambiance si particulière de la littérature anglaise, maintenant surannée. Je ne peux pas dire que je sois convaincue par la chute, à savoir qu'Evangeline a monté toute cette histoire pour faire revenir ce mari qu'elle aime depuis l'enfance et qui la snobe. Je veux dire que cela ne fait rien rebondir, tout reste un peu sur le même plan.

L'écriture ne pose pas de problème, je pense que l'auteur a voulu l'histoire ainsi et a su l'écrire ainsi. Mais j'avoue que des débordements dans l'écriture, du décalé dans cette ambiance si conventionnelle n'aurait pas fait de mal (selon moi naturellement)

Merci de cette lecture,

hersen

   plumette   
22/4/2017
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Mare,

j'avais un peu de temps ce matin et j'ai passé un bien agréable moment de dépaysement en compagnie du duc de Leeds et de sa charmante et très jeune épouse, déjà rompue à tous les usages de sa classe qui nous paraissent aujourd'hui si "exotiques".
une Evangeline qui porte si bien son prénom, toute en féminité , en intelligence et en douceur angélique dont l'habileté "manipulatrice" la place très au dessus de son balot de mari.Justement, n'est-ce pas un peu trop?

Il se trouve que j'ai vu très recemment le film "The duchess " qui retrace la biographie romancée de la duchesse du Devonshire , dont l'intrigue est fort différente, mais votre personnge d'Evangeline m'a fait penser à cette petite duchesse charmante, assez délurée et adulée de tous.

Votre écriture nous plonge dans ce monde surrané, qui continue de faire rêver si l'on en croit l'incroyable succès des sagas de Jane Austen.

Un très bon moment de lecture , un type de nouvelle peu rencontré sur ce site,

Merci pour ce partage

Plumette

   Perle-Hingaud   
23/4/2017
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Mare,
Je viens soutenir une adepte de Jane Austen. Oui. J'avoue, j'ai tout lu d'elle, et j'ai même les versions vidéo de certaines adaptations (ah, Orgueil et préjugés de la BBC...). La plus marrante: la version Bollywood.
Revenons au sujet:
Votre nouvelle est dans la lignée de ces romans "datés mais modernisés". Régressive et mignonne, une "feel good" nouvelle, qui suit les codes du genre.
Votre style, comme toujours, est alerte et se lit avec plaisir: on rebondit sur les mésaventures. Vous avez une vraie qualité de narratrice, de l'humour, et vous jouez la carte de la complicité avec les lecteurs, ce qui fonctionne bien.
Quelques remarques sur ma lecture:
Les portraits sont tout de même taillés à gros traits, c'est dommage: le genre se prête à plus long. Et je doute que le mari choisisse de s'enfuir avant sa nuit de noces: là, sauf à inventer une histoire d'honneur ou autre (épousée trop jeune, encore amoureuse d'un autre, traumatisée...), cela ne me parait pas adapté aux mœurs. Quelques ajustements aussi dans l'attitude de la mariée seraient nécessaires (son désarroi final m'a semblé surjoué) et l'explication de son amour pour son mari est maladroite, ainsi placée d'un bloc à la fin.
Mais sinon, vous l'aurez compris, j'ai bien aimé et ça change de ce qu'on lit ici d'habitude. D'autant que c'est un exercice qui, à la lecture, semble simple alors que la simplicité est très complexe à écrire, nous le savons. Bravo !


Oniris Copyright © 2007-2023