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Fantastique/Merveilleux
marogne : La maison à côté de la rivière
 Publié le 12/06/08  -  6 commentaires  -  11153 caractères  -  49 lectures    Autres textes du même auteur

Sophie a décidé de tirer un trait sur le passé et de vivre pour le bonheur de sa fille.


La maison à côté de la rivière


Sophie savourait le plaisir d’être dans sa nouvelle maison. Une page était tournée, elle avait décidé d’un nouveau départ.


Sa maison !


Assise sur la terrasse, un verre de chablis à la main, admirant les allées bien nettes de son jardin, elle pouvait enfin se sentir chez elle après toutes les épreuves qu’elle avait vécues.


Trente ans, brune, l’air décidé, elle avait un air frêle de jeune fille trop tôt confrontée à la vie. Pour la première fois depuis longtemps quand elle était seule, ses yeux n’étaient pas illuminés de larmes, elle se sentait bien. Depuis la disparition de Jean, seule sa fille avait pu l’empêcher de sombrer. Trois ans déjà, et du haut de ses six ans, Anne-Marie était toujours sa seule bouée. Elle était couchée maintenant ; fatiguée de l’excitation de la journée. Elle n’avait pas cessé de s’agiter, essayant, dans un tourbillon, d’aider sa mère, de participer à leur installation, explorant toutes les pièces, courant dans le jardin, faisant mine de se diriger vers la rivière. Ses rires résonnaient encore dans les larges couloirs et les pièces encore vides.


Jean avait disparu lors d’une expédition au Guatemala. Archéologue, il avait entrepris la fouille d’un temple découvert à côté de Tikal malgré les mises en garde des autorités ; l’attrait de la découverte était trop grand. Un passage avait été découvert menant certainement à des chambres souterraines, il fallait l’explorer.


Dans le dernier message qu’elle avait reçu de lui, il lui décrivait une incroyable statuette d’obsidienne très finement sculptée, alors que ce verre volcanique est connu pour son extrême dureté. Il ne s’expliquait pas comment les bâtisseurs de ce tombeau y étaient arrivés avec les outils rudimentaires dont ils disposaient. Les indigènes qui l’aidaient en avaient peur, et tout en en riant, il devait avouer que la face noire du dieu, aux yeux exorbités, au rictus menaçant, l’impressionnait lui-même plus qu’il ne l’aurait voulu.


Une semaine plus tard, l’équipe de ravitaillement découvrit le campement vide. Seule la statuette restait, posée au milieu de la tente de Jean, sur un piédestal de pierre.


Personne ne reçut de demande de rançon, le corps de Jean ne fut jamais retrouvé. Disparu, il laissait dans l’angoisse, et dans l’espoir toujours renouvelé mais vain, son épouse et sa fille.


Mais maintenant tout irait mieux. Elle avait eu le courage, après des mois, de s’arrêter pour visiter cette maison devant laquelle elle passait tous les jours, et qui paraissait désertée. Dans un coude de la rivière, face au sud, en haut de la vallée, c’était l’endroit idéal pour se ressourcer et réapprendre à vivre. Peintre, elle avait craqué pour la grande serre attenante au corps principal du logis ; elle pourrait ici travailler à ses propres œuvres, et à l’intérieur exécuter ses travaux de rénovations de peintures anciennes.


Les criquets avaient commencé leur chorale nocturne, quand Sophie, lasse, l’esprit réchauffé par le breuvage, gagna sa chambre, sans oublier d’aller embrasser son enfant, endormie le sourire aux lèvres.


Elle se réveilla au petit matin en plein cauchemar, comme d’habitude, croyant être blottie dans les bras de Jean, serrant convulsivement dans ses bras l’enveloppe de plumes qui, à côté d’elle, restait désespérément froide, humide de ses larmes.


Il était déjà tard quand les appels de l’enfant la décidèrent à sortir du lit. Anne-Marie était dans la grande salle à manger, regardant fixement le dessus de la cheminée.


- Maman ! Viens voir, vite ! Regarde le grand tableau noir, il me fait peur, il est méchant !


Au-dessus de la poutre délimitant l’âtre, était posé un tableau. Des années de fumée l’avaient complètement recouvert d’une suie noire, empêchant de distinguer ce qu’il représentait.


- Ce n’est rien ! Il est sale. La fumée de la cheminée l’a complètement noirci. Je vais le nettoyer, et nous pourrons voir ce qu’il représentait. Je suis sûre que c’est une image joyeuse. Il ne faut pas avoir peur. Si tu veux, après le petit-déjeuner, on le descend, et tu m’aideras à le nettoyer ; mais il faudra du temps pour bien le faire.


Le mois d’août touchait à sa fin. La canicule, dont toute la région avait souffert, avait épargné Sophie et sa fille. La rivière leur apportait sa fraîcheur.


Les cauchemars s’étaient petit à petit espacés. Pour rester ensemble le plus longtemps possible, Sophie n’avait pas recommencé à travailler, à l’exception de la restauration du tableau de la cheminée. C’était une tâche plus difficile que ce qu’elle avait prévu. La couche noire qui le recouvrait ne semblait pas être seulement de la suie, mais constituée d’une espèce de vernis, comme si le tableau en avait été recouvert à dessein. Il fallait trouver les bons produits permettant de l’enlever sans abîmer la peinture sous-jacente.


Dans le coude de la rivière, à quelques mètres du bord, elles avaient fait d’une petite île, un royaume enchanté. Il était facile d’y aller à gué, le courant était très faible, mais elles en avaient fait toute une aventure. Elles avaient rassemblé quelques vieilles branches pour construire une cabane, et amené d’une des remises une table tout abîmée et deux chaises dépareillées. Elles y allaient presque tous les jours, et s’imaginaient fées, princesses, heureuses, et même, parfois, osaient invoquer la présence d’un prince ou d’un roi sans que cela ne fasse apparaître entre elles la figure du père et du mari. Pendant que Sophie lisait, Anne-Marie souvent s’amusait dans une petite anse où l’eau, surchauffée, venait comme une mer tropicale emporter ses bateaux de feuilles vers d’incroyables aventures, et peut-être rejoindre son père par-delà les océans.


Le tableau reposait sur un chevalet dans la salle à manger. Ce jour-là, elle avait réussi à nettoyer une partie de la surface grâce à un diluant qu’elle avait elle-même concocté. Il faudrait sans doute le passer plusieurs fois, mais, comme au travers d’un voile, on distinguait déjà une partie de la maison. Elle appela sa fille.


- Anne-Marie ! Viens voir !


Elle répondit depuis sa chambre, et l’écho de ses pas dans le grand couloir résonna jusque dans la pièce.


- Regarde, j’ai trouvé comment faire. Tu vois, dans le coin on voit un bout du toit. Ce doit être un tableau représentant la maison.

- Je peux essayer moi aussi s’il te plaît ?


Et presque en même temps elle prit le chiffon imbibé de produit, et le passa délicatement au milieu du tableau. C’était comme une brume qui se levait, laissant apparaître petit à petit le visage d’une femme.


- Elle est triste. Tu crois que la maison était à elle avant ?

- Je ne sais pas, on en saura peut-être plus quand tout aura été nettoyé. On continuera demain, on va aller manger maintenant, il est tard.


Sophie ne pouvait pas savoir qu’Anne-Marie ne pourrait plus l’aider, et qu’elle devrait, elle seule, finir le travail.


Dans la nuit, elle fut réveillée par des cris et des pleurs. Anne-Marie se plaignait d’un mal au ventre, et avait déjà vomi plusieurs fois. Affolée, elle la conduisit aux urgences de l’hôpital le plus proche, à une dizaine de kilomètres.


- Ne vous inquiétez pas madame, ce n’est qu’une gastro-entérite. On va la garder cette nuit, la réhydrater, et demain elle pourra retourner chez vous. Vous pouvez rester ici cette nuit si vous le voulez, il y a un second lit dans la chambre.


Le lendemain matin Anne-Marie se plaignait toujours de maux de ventre atroces. En fin de journée, les médecins décidèrent de faire faire des examens détaillés. Il faudrait sans doute quelques jours pour en avoir les résultats.


La petite ne mangeait plus, alimentée uniquement par des perfusions. Au grand désespoir de sa mère, elle semblait comme fondre de jour en jour. Sophie ne pouvait venir que les après-midi, et dépérissait en même temps que sa fille. Celle-ci lui avait demandé de continuer à nettoyer le tableau, elle voulait savoir ce qui y était peint.


- J’ai pu nettoyer presque la moitié de la surface maintenant. La dame que l’on a vue la première fois a été peinte devant l’entrée avec ses cinq enfants, deux garçons et trois filles, qui doivent avoir entre trois ans et dix ans. Je suis en train de nettoyer la partie où on devrait voir la rivière.

- Est-ce qu’elle toujours aussi triste ? Et les enfants ?

- Les enfants sont peints dans des poses très sérieuses, sauf la plus petite, assise sur une chaise, qui a un air coquin. La mère n’est pas vraiment triste, sévère plutôt.

- Tu me diras ce qu’il y avait sur notre île ?

- Oui, bientôt, sans doute demain, j’y arriverai.


Les premiers examens n’avaient pas permis de comprendre ce qu’avait Anne-Marie. Ce n’est que quand on s’aperçut que plusieurs cas analogues étaient signalés dans la région, que l’on eut l’idée de rechercher une possible épidémie. La canicule était la responsable. Dans l’eau chaude des rivières, des germes de leptospirose s’étaient développés, venant des ragondins qui infestaient la région. C’était une maladie grave si on ne la soignait pas, mais une forte dose d’antibiotiques devait permettre de l’éradiquer très vite.


- Tu sais, on a trouvé ce que tu as. Tu vas vite guérir, et on rentrera à la maison.

- Est-ce que tu as vu ce qu’il y a sur l’île ?

- Oui, il y avait plus d’arbres à l’époque, et le peintre y a dessiné des cygnes. De magnifiques cygnes aux longs cous, qui se promènent sur notre plage, et se baignent dans l’eau.

- Est-ce que l’on pourra avoir des cygnes quand je rentrerai ?

- Oui, j’irai en acheter, et dès que tu seras à la maison, on ira leur faire une maison.

- Tu crois que papa va revenir ?


Une dizaine de jours plus tard, il était clair que le traitement ne faisait pas effet. Les reins semblaient avoir été atteints, et une hémorragie pulmonaire avait été détectée.


C’est vers la fin de l’année que Jean put enfin rentrer en France. Son séjour dans les geôles des ravisseurs l’avait profondément changé. C’était anxieux de ne pas reconnaître sa fille qu’il arrivait à Paris, mais en même temps rempli d’un amour qu’il avait cru ne plus pouvoir exprimer.


Le commissaire André l’attendait à la sortie de l’avion.


Il n’avait pas osé aller directement dans la maison, et s’était attardé près de la rivière. Dans le coude, sur une petite île, des cygnes se prélassaient au soleil de cette froide après-midi d’hiver.


La porte d’entrée s’ouvrit en grinçant. Le bruit, comme un pleur, résonna dans la maison abandonnée. Tout était en ordre, propre, comme si elle avait été quittée la veille. Il ne pouvait pas aller encore dans la chambre de sa fille, et se dirigea là où avait été trouvé le corps de Sophie, là où elle s’était suicidée.


Un chevalet était posé devant la cheminée, le tableau qui y reposait représentait la maison. Jean s’approcha, quelque chose l’intriguait. Une jeune femme, souriante, se tenait devant la maison. Devant elle, se tenaient des enfants, les siens sans doute, deux garçons et quatre filles. Celle qui était le plus à droite de la composition lui arracha une larme, il crut y reconnaître, un instant, un instant seulement, le visage de Sophie.


Montesson, le premier juin 2008.


 
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   David   
12/6/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Marogne,

J'ai bien aimé cette histoire, les deux héroines sont presque veuve et orpheline et ça a joué a plein, je ne m'attendais pas à cette chute, de la statue au tableau, bravo.

   strega   
12/6/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Je vais commencer par ce qui m'a le plus "gênée" si tu veux bien. L'ellipse faite par rapport à l'arrivée du père, qu'il se retrouve devant la nouvelle maison, sans que nous ne sachions comment il en est arrivé là m'a un peu dérangée quand même, je n'ai pas bien compris pourquoi son personnage revient après tant de temps, comme ça. Mais bon, il fallait bien un tiers pour nous raconter la chute alors...

La chute d'ailleurs, excellente en ce qui me concerne, même si un peu classique aussi. Mais le style fait oublier ce côté un peu "déjà-vu". Rapide juste ce qu'il faut, un peu timide aussi, simple et très juste. L'alternance de dialogue et de passages narratifs et très agréable et bien proportionnée pour moi.

Il me semble avoir déjà dit ça pour un autre texte (pas de toi mais bon), ça m'a fait penser à Rose Madder de Stephen King, peut-être son roman le plus classique, à la fois terriblement plongé dans la réalité et fantastique aussi. (oui, comme presque tous ses romans en fait), mais avec une dose de féérie (même triste).

Bref, je dis bravo, j'ai vraiment accroché malgré ces remarques du débuts qui sont pour moi importantes quand même.

   widjet   
13/6/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Au dela d'être son dernier opus publié, ce texte de marogne est une nouveauté pour une raison assez majeure : Pour la première fois (ou une des premières fois car je n'ai pas tout lu encore de cet auteur), Marogne a clairement orienté son texte du côté des personnages. Ce changement - tout à fait intéressant - est trop criant pour ne pas être une volonté farouche et audacieuse de son auteur de s'impliquer au coeur de la nature humaine, des émotions de ses héros. Alors bien sûr, la nature (l'eau - la rivière) est également présente mais son apparition est mise clairement en retrait.
Cette différence notable est comme je l'ai dis bienvenu mais, hélas ne convainc pas totalement. Sans faire injure à l'auteur et à son talent (reconnu depuis longtemps), ici, je ne l'ai pas senti à l'aise avec ses personnages (surtout la femme), un peu embarassé, prit entre l'envie de développer leur caractère, leurs intériorités, leurs intimités, leurs vécus et une sorte de gêne sur le "comment s'y prendre". Marogne a t-il soudain eu peur au point finalement d'en dresser un portrait si non lisse, du moins assez peu approfondi ? Même a forme (les mots étonnamment plats) n'est pas aussi travailléé qu'à l'ordinaire. Assez d'accord avec un des commentaires, le père (personnage pourtant essentiel dans la vie des deux femmes est totalement sacrifié dans son traitement.

C'est assez dommage car l'histoire en elle-même dégage ce parfum de mystère (la découverte progressive du contenu du tableau) où plane aussi une mélancolie profonde. On retrouve par fulgurance la patte Marogne car il y a bien entendu de jolis passages. Mais reste ce sentiment de "trop peu".
Mais ma grande frustration reste ces personnages dépourvues de substance consistante et ce manque d'étoffe m'a empêché d'avoir cette empathie nécessaire à la bonne appréciation de leur histoire et leur devenir.

Ceci est juste MON ressenti et non pas une certitude.

Déception relative donc mais déception quand même :-)

La prochaine sera meilleure, j'en suis convaincu ! :-)

Widjet

   Togna   
2/7/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Je me permets, en étant très conscient qu’il m’est plus facile de voir des imperfections dans le travail d’autrui que dans le mien, de relever des « petites choses » que ton talent d’auteur mérite de ne plus faire.

Dissonances :
« tout en en riant ».
« Les premiers examens n’avaient pas permis de comprendre ce QU’avait Anne-Marie. Ce n’est QUE QUAND on s’aperçut QUE plusieurs cas analogues étaient signalés dans la région QUE l’on eut l’idée de rechercher une possible épidémie. »
Cela, par exemple aurait pu être dit ainsi :
« Les premiers examens n’avaient pas révélé l’origine des maux d’Anne-Marie. Plusieurs cas analogues signalés dans la région incitèrent alors les médecins à envisager la possibilité d’une épidémie. »

Je pense que tu peux améliorer ton style en sortant le narrateur d’un langage souvent trop familier.
Exemple :
« C’était anxieux de ne pas reconnaître sa fille qu’il arrivait à Paris. »
« Il arrivait à Paris anxieux de ne pas reconnaître sa fille. » ou encore, « En arrivant à Paris, l’anxiété de ne pas reconnaître sa fille le perturbait. »

Attention aussi aux répétitions : « bras » deux fois dans la même phrase.

Ces « petites choses » ne m’ont pas empêché d’apprécier ta nouvelle, Marogne, mais je sens que tu peux tellement faire mieux…

   xuanvincent   
21/9/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Le côté fantastique, bien présent dans cette nouvelle, m'a plu. Egalement la description de la mère jouant avec sa fillette au bord de la rivière.

Un tableau doté - sans doute (le narrateur laisse au lecteur la possibilité d'une explication rationnelle) - de pouvoirs maléfiques, le sujet m'a intéressée.

De manière surprenante, peu après la femme de sa fille, le mari, que l'on pouvait croire mort, revient, bien vivant, de son expédition guatémaltèque.

L'histoire, comme souvent dans les nouvelles de marogne, finit tragiquement.

Détail :
. « parfois, osaient invoquer la présence d’un prince ou d’un roi sans que cela ne fasse apparaître entre elles la figure du père et du mari. » : l'idée m'a intéressée, moins la formulation de la deuxième partie de la phrase (à partir de "sans que ...").

   Milwokee   
18/1/2010
 a aimé ce texte 
Bien
Eh bien, en effet ça m'éclaire sur ton autre texte, Les bêtes de l'herbe, je comprend enfin qui sont ces trois personnages.
Quant à l'histoire, elle me plaît. Oui ça me plaît ce côté "mais pourquoi donc l'a-t-elle classée dans Fantastique/merveilleux ??" qui ne se dévoile qu'à la fin du texte, et l'idée aussi que les morts ne sont pas ceux qu'on croit, que le père défunt revient alors que femme et fille partent. Et puis son tableau dont on sent qu'il est la clef sans savoir pourquoi...
Vraiment, un bon texte !


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