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Réalisme/Historique
marogne : Londres
 Publié le 24/09/07  -  13 commentaires  -  5530 caractères  -  56 lectures    Autres textes du même auteur

Un chaud après-midi d'été


Londres


Le ciel est comme figé, d'un bleu pâle, clair, immaculé, lourd et pesant. Vide aussi, si ce n'est l'impression parfois de quelques insectes si petits que l'œil ne peut les fixer, comme une poussière animée alors qu'aucun souffle d'air ne vient troubler la quiétude de l'instant. Lourd et pesant comme le soleil qui darde ses rayons sans aucun obstacle, noyant sous une lumière uniforme les reliefs de la terre et des arbres, chassant même sous les feuilles épaisses du mûrier tout espoir de fraîcheur. L'eau du bassin frémit de la marche des demoiselles et du vol des libellules, elle est comme fumante, elle aussi abattue, résignée, devant le soleil qui imperturbable continue à monter au firmament. Ces insectes sont les seuls à essayer de vivre, ils ne parviennent pas à atténuer le silence, silence qui s'étend depuis le sommet des collines blanches jusqu'aux pièces de la bastide qui essaye de se cacher dans son bouquet d'arbres. Les pins sur la colline, au milieu des rochers de calcaire, semblent avoir perdu leur couleur, le vert a disparu pour laisser la place à un gris résigné. On imagine à leur pied l'odeur de résine et de brûlé se répandant de pentes en pentes, inquiétante et entêtante. Les pignons s'ouvrent pour laisser apparaître, dans leur fine chemise de soie brune, la chair des amandes ; mais ils le font doucement, sans bruit, comme s'ils se retenaient de se faire remarquer. Il fait chaud. Le soleil là-haut ne semble pas avancer, il paresse et sa force ne fait qu'augmenter. Les blés eux-mêmes courbent la tête sous l'assaut ; mûrs et pesant de la vie de la terre, les épis attendent la faux, ce matin, fiers, maintenant résignés. Vague après vague, ils transforment le champ en océan d'or, océan sans vents, sans souffle d'air mais ondulant au gré de ses profondeurs. Océan de tiges sèches, de poussière de jour en jour accumulée. Le soleil les emprisonne, se joue d'eux comme du reste, une vague brume les surmonte comme un dernier soupir. Il fait chaud.


Sous le mûrier, on est assis devant un verre d'eau qui ne tente même plus. La tête posée sur les bras, sur la table, on attend, on attend que le sommeil vienne, ou que le temps passe, que la fraîcheur revienne. Le silence est partout, dans les blés, dans les vignes, dans la maison. La chaleur a tout noyé dans une mélasse impalpable. Il faudrait aller couper les pointes des vignes avec la longue lame d'acier affûtée des deux côtés, dangereuse comme une arme. Mais, comment seulement s'imaginer avancer dans les rangées, dérangeant la terre tiède tant elle a été soumise au soleil, faire le geste, tant de fois répété, de trancher la vigne et de voir tomber, sur la terre rouge, comme un sang vert, entendre la vigne protester de l'agression, déranger le silence, brouiller le calme qui s'étend sur toute la vallée. Non, autant attendre encore un peu, il fait trop chaud, il fait chaud.


Dans la maison le petit a été couché, dans la chambre du bas, celle qui est fraîche. Étendu sur le lit, il est comme gisant, luisant de sueur, souffrant dans son sommeil de la chaleur, et peut-être, il a bougé, rêvant d'un bassin d'eau fraîche. Non il est trop petit pour cela, il souffre, il souffre de la chaleur qui pénètre la maison, passant au travers des larges murs, des portes et des volets fermés. Tout le monde est comme abattu à cette heure, tout le monde attend. Les tuiles sur le toit font comme un four, emmagasinant la chaleur pour qu'elle se continue même la nuit. Rien ne bouge sur le toit, les tuiles sont bien trop chaudes, les toucher c'est se brûler. Il fait chaud, il n'y a pas d'espoir que cela cesse.


On revient sous le mûrier, demain matin il faudra sans doute aller couper le blé, si on attend quelques jours encore comme celui-ci, les grains vont tomber tout seul. Ensuite il faudra les écraser sur l'aire et les battre, dans la chaleur de l'après-midi, pour bien séparer le grain de l'ivraie, dans la poussière et la sueur, dans l'effort et la souffrance. Demain, oui demain il sera temps. Il fait chaud. Attendre encore, oui ça va baisser. C'est bon pour les raisins cette chaleur, le sucre se forme qui donnera l'alcool, les grains se gorgent de soleil, protégés par les larges feuilles qui les empêchent de brûler. Cette alchimie se passe en silence, sous le vert foncé de la vigne ; vert qui semble être le seul à pouvoir affronter le soleil sans perdre de sa vigueur. Le chien a bougé ! La tête seulement, il l'a passée de la patte droite à la patte gauche. Il n'a plus même la force de lever les yeux pour demander grâce à son maître. Il fait chaud. Les poules là-haut, toujours à piailler se sont tues elles aussi, perchées sur l'échelle, les ailes grandes ouvertes, comme si elles étaient prêtent à dormir rêvant de longs voyages. Le soleil écrase tout, les couleurs, les odeurs, les formes, annihile tout espoir.


Bleu, jaune, vert, rouge, blanc, toutes ces couleurs mélangées sur une toile font comme un voyage dans le temps. L'odeur de la terre, des blés, de la coupure fraîche de la vigne, de la résine, des pignons est là dans cette pièce, loin de tout cela, à Londres, en hiver. Magie de la peinture, magie de l'imagination, ce sont les couleurs qui avaient attiré le regard au sortir de la dernière pièce du musée ; un petit cadre comme coupé en grandes taches. Un petit cadre perdu oublié à côté de la porte. Mais un regard, un regard seulement, et il faisait chaud, oui le soleil était là, palpable, la Provence assommée en ce début d'après-midi d'août était là, à Londres, dans cette pièce de musée.


 
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   Bidis   
24/9/2007
 a aimé ce texte 
Passionnément ↓
Magnifique !
Une belle écriture, une langue impeccable, des descriptions superbes et jamais ennuyeuses, du suspense -- que vient faire Londres dans ce texte ? -- et une chute inattendue.
Une petite critique : deux fois "cadre" à la fin du texte alors que "cadre" signifie encadrement -- il faut, je crois, dire "tableau"
Et un petit regret : celui de ne pas savoir qui est le peintre. Ca me fait penser à Van Gogh...

   Anonyme   
24/9/2007
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'aime bien....Il y a indéniablement une ambiance, on sent la chaleur étouffante....j'aime bien aussi que finalement cela se passe dans un musée à Londres, mais ce pourrait-être aussi bien Paris ou New-york, être touché par un tableau, son ambiance, cela nous parle tous forcément un peu, si l'on est sensible...Juste une hésitation, sur la répétition, trois fois, du fait "qu'il fait chaud", c'était évident non ?, mais cela était peut-être important pour toi, cette répétition....

   guanaco   
2/10/2007
 a aimé ce texte 
Bien
Texte sans surprises, on comprend rapidement qu'il s'agit de la description d'un tableau.
On aurait aimé avoir plus d'infos sur le tableau voire carrément poster le tableau dans le forum adéquat comme cela a déjà été fait.
Je pense que le choix de Londres se justifie pour une question de contraste climatique, non?
D'un autre côté, la technique de la description me paraît maîtrisée dans son ensemble, on entre dans le tableau sans problème avec un gros travail lexicologique
Merci de nous avoir proposé ce texte ;)

   i-zimbra   
16/1/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
J'ai d'abord cru qu'il s'agissait d'un voyage dans le temps comme celui de HG Wells, ce qui ne serait pas de la science-fiction vu le changement climatique.
Et puis la fin m'a rappelé que c'est à Londres que Monet a inventé l'impressionnisme en découvrant Turner.
Le mot toile arrive trop tôt. Il était possible de faire venir la perplexité du lecteur pendant quelques lignes jusqu'à la révélation.
Une légère remarque : cela fait beaucoup de détails pour un petit tableau, on voit même l'intérieur de la maison... Mais ça doit être la puissance évocatrice de la peinture !
√ Réponse à jeansairien en dessous : je n'ai pas dit ça, j'ai dit que Marogne était un impressionniste.

   jensairien   
16/1/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une nouvelle très bien écrite. Quelques petites imperfections mais je commence à comprendre que même les bons textes ont besoin d’être améliorés. Le titre est parfait et entretient l’énigme. Vraiment subtil à tout point de vue. Apparemment I-Zimbra qui ne semble pas le dernier des cultureux a trouvé qu’il s’agissait d’un Monet. Mais tu pourrais quand même nous dire lequel (si tu étais poli)

   Anonyme   
16/11/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un vrai bonheur cette lecture, par un soir de novembre, en Bretagne, alors que le ciel est sans doute ainsi triste qu'à Londres.

A chaque phrase on ressent le cagnard. Il ne se passe rien.
"La tête posée sur les bras, sur la table, on attend, on attend que le sommeil vienne, ou que le temps passe, que la fraîcheur revienne."

J'aime.

   Flupke   
11/12/2008
 a aimé ce texte 
Passionnément
WOW ! Je suis époustouflé. J’adore les nouvelles à chute et je trouve qu’ici l’idée très originale est extrêmement bien traitée. Quelle poésie ! Quel Style !
Quel régal de fin gourmet. Quel tour de force d’écrire avec autant de dynamisme sur une image supposée statique. Quelle poésie de donner autant de vie à un tableau !
Ayant vécu 10 ans à Londres, dès les prémices de la canicule mes yeux ont fait plusieurs allers et retours entre le titre (suis-je dyslexique ? ai-je mal lu ? Quel rapport ? File not found : abort, cancel or retry ?)
Ca me rappelle les tournesols de Van Gogh que j’allais mater dés que je passais près de la National Gallery. Si le tableau n’est pas imaginaire, j’aurais bien aimé une mention du titre, en annexe pour prolonger le plaisir.
Une très belle réussite ! Bravo.
Dithyrambiquement, Flupke

   Anonyme   
23/12/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Plus j'avançais dans ma lecture et plus je me disais : quel rapport avec Londres ? Donc je ne m'attendais pas à cette chute.
L'idée est excellente. Les descriptions bien rendues, le style agréable.
Et puis par ce froid de décembre, un été provençal
me dirait assez.
Je connais la région de Grasse et Fayence dans le Var.
On y mange sous le mûrier et on y boit un bon petit rosé...
Très bon texte.

   widjet   
23/12/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Un texte de "sensations". Comme souvent, c'est précis, finement observé et millimétré dans le choix des mots, descriptif mais jamais chiant (l'auteur a su s'arrêter à temps en faisant un texte court mais concentré) ou élitiste. Fait de petites touches, d'odeur et d'une variété de couleurs, c'est une nouvelle picturale. J'aimerai être capable d'écrire ce genre de tableau.

Je rejoins les autres. Du bon marogne en somme.

Widjet

   Menvussa   
18/3/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un très bon texte. Transmettre ainsi les sensations à travers une toile, c'est de l'art et l'auteur a fort bien rendu ce que ressent l'observateur, seul, devant la toile.

   Selenim   
9/4/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Une écriture impeccable pour un texte sans intrigue.

Une toile faite de lettres, en somme.

Expérimental et saisissant.

   liryc   
3/5/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Superbe magie de l'art retransmise avec un descriptif riche et une palette d'écrivain inépuisable.

Comme d'autre je ne voyais pas du tout le rapport et je me demandais comment le lien allait se concrétiser.

J'ai connu cette magie lors d'une rétrospective de Monet, dont les tableaux étaient animés par un éclairage qui plongeait le spectateur dans des décors fabuleux des falaises d'Etretat en Normandie. Des souvenirs qui frappent encore avec la même vigueur l'esprit des années plus tard.

Félicitations donc pour cette nouvelle pleine de tact, de finesse descriptive (dépeinte aus poils de martre sans doute :-) et cette chute très originale.

   carbona   
11/10/2015
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour,

Très chouette chute, vraiment elle me plaît. Le contraste est saisissant, j'aime beaucoup. Il est vrai que je me posais beaucoup de questions pendant la lecture avec ce titre et cet incipit qui trottaient dans ma tête.

Je trouve le premier paragraphe trop dense, trop chargé. Il fait chaud, c'est vrai mais on étouffe ici. Il gagnerait à mon sens à être allégé.

Merci pour votre texte.


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