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Sentimental/Romanesque
marogne : Tania
 Publié le 14/05/08  -  7 commentaires  -  12073 caractères  -  17 lectures    Autres textes du même auteur

C'est le printemps, les arbres en fleur attendent que l'on dépose sur leurs ramures les Martinitsa des amoureux qui s'inventent un futur de bonheur. Mais les fleurs de pruniers, magnifiques en leur épanouissement, sont éphémères....


Tania


Les murailles prétentieuses de la vieille ville, surplombant les méandres de la rivière Yantra, formaient un arrière-plan majestueux au panorama qui s’ouvrait devant Andreï. En ce début du mois de mars, la végétation faisait comme une tapisserie déployée sur les collines qui descendaient jusqu’à Veliko Tarnovo, la ville du roi. Le soleil de mi-journée jouait sur les feuilles encore tendres, et en parait d’une infinie variété de jaunes et de verts les versants, éclairés de-ci de-là par des touches claires de rose et de blanc, les premiers arbres en fleurs qui laissaient éclater le renouveau du printemps. Andreï était assis à proximité de l’église de la nativité, mais pas plus que la beauté du paysage, la féerie des fresques qui s’y trouvaient, ne pouvait le détourner du travail qu’il avait entrepris. Il finissait de nouer les deux rubans, le rouge et le blanc, pour pouvoir offrir, tout à l’heure, à Tania, sa Martinitsa.


Il entendit soudain retentir sur les pavés de la rue, le bruit de la course de Tania. Elle apparut, souriante, essoufflée, magnifique, dans toute la splendeur de ses dix-huit ans, au débouché de la rue ; elle hésita un instant, passa les mains sur les plis de sa jupe à fleurs, et puis voyant Andreï, se précipita dans ses bras, une Martinitsa à la main. Et c’est devant ce magnifique paysage printanier, devant l’église de la nativité, qu’ils s’échangèrent, pour la première fois en amoureux, les deux rubans noués.


Ils avaient décidé d’attendre de voir ensemble, une cigogne, avant de déposer leurs cadeaux sur les branches d’un arbre comme le voulait la tradition. Ils descendirent la main dans la main vers l’arrêt de l’autocar qui les mènerait à la ville médiévale, passant à côté d’une magnifique chapelle, pas très loin de l’Hôtel, éclatante de couleurs sous sa coupole, comme un joyau dans un écrin de verdure, une image impressionniste du bonheur et de la beauté.


Les lions immémoriaux du pont qui enjambe le gouffre protégeant le premier rempart souriaient à leur vue. Plusieurs autres couples les avaient précédés, et ces vieilles pierres revivaient devant tant de jeunesse et d’espoir. Comme si un sang nouveau les parcourait elles aussi, les faisant resplendir, oubliant les scènes macabres dont elles avaient été témoins, elles reflétaient les joies du temps passé. Les colonnes grecques, aux chapiteaux fleuris, d’une blancheur aveuglante faisaient comme une haie d’honneur alors qu’ils montaient à l’église tout là-haut. Ils savaient que souvent les cigognes aimaient à se poser au sommet de la colline, sensibles peut-être elles aussi à la beauté du lieu.


Ils s’assirent sous le prunier en fleur, ombre incertaine, et sous ce ciel pourpre, s’abîmèrent dans les yeux l’un de l’autre, oubliant la réalité et le monde autour d’eux.


C’est le son de la cloche de l’horloge de la ville en contrebas qui les fit revenir à la réalité, du moins Tania.


- Il va falloir que nous retournions à Arbanassi, il est tard déjà !

- Mais nous sommes bien ici, et puis nous n’avons pas encore vu de cigogne.

- De toute façon, on n’en aurait pas vu même si elles s’étaient posées à côté de nous, répliqua dans un éclat de rire cristallin Tania. J’ai du travail ce soir. Des officiels de Sofia sont arrivés à l’Hôtel ce matin, et devaient être rejoints cette après-midi par des grands chefs de Moscou. Il y aura fête ce soir, et on m’a demandé d’y aller comme extra.

- Tu vas peut-être voir le premier ministre, ou le chef du parti !

- Peut-être ; mais ça veut dire aussi beaucoup de travail, et je finirai tard, on ne pourra pas se voir ce soir.

- Et demain, tu seras aussi prise ?

- Non, on pourra sortir, et puis il faudra que l’on trouve notre cigogne. Je vais garder ce soir, sur mon uniforme, la Martinitsa que tu m’as offerte, tu seras ainsi à mes côtés.


Une cigogne peut-être les survola ensuite, on se plait à l’imaginer, mais seul le soleil, veillant sur leur baiser, pourrait alors le dire, ou alors les quelques pétales, détachés par un léger souffle de vent, qui délicatement se posèrent sur leurs visages.


***


L’Hôtel avait été construit au début des années cinquante, sur une petite colline surplombant le village d’Arbanassi, et jouissait d’une vue sans pareil sur la vallée dans laquelle avait été édifiée l’ancienne capitale du royaume. Il était placé de telle façon que l’on ne pouvait pas ne pas le voir, quel que soit l’endroit où l’on se trouvait ; il rappelait constamment le pouvoir du parti à Sofia, le pouvoir du gouvernement qui avait l’œil sur tout. Les gens du village n’avaient que peu de contacts avec l’élite qui fréquentait l’établissement. Ils voyaient de temps en temps passer, à toute vitesse, dans leurs rues, de grandes voitures aux vitres teintées, et il fallait alors faire attention à se tenir à l’écart, il n’y aurait aucun recours en cas d’accident, ils étaient trop puissants. Il fallait aussi ne pas donner l’impression de chercher à savoir qui se trouvait dans ses berlines, on pouvait être facilement accusé d’espionnage ici ! Néanmoins, il fallait des serviteurs, et une dizaine de personnes y travaillaient à temps plein, vivant sur place. Quand des réceptions étaient données, ils faisaient appel, en tant qu’extra, à quelques jeunes ; refuser était impensable.


Le bâtiment avait été construit en béton, une architecture constituée de cubes et de parallélépipèdes emboîtés les uns dans les autres, coupés par de grandes baies vitrées. Les murs nus y donnaient une apparence d’inachèvement, ou d’abandon, malgré la volonté affichée d’en faire un symbole de la puissance du pays. Si le modèle en avait été l’architecture stalinienne, le résultat montrait encore que ce pays ne pourrait jamais atteindre le niveau de son maître, et qu’il ne pourrait que vainement essayer de le singer, à part peut-être dans ses comportements extrêmes. Il reposait là, entouré de prairies et d’arbres en fleur, comme une insulte à la vie qui renaissait après un hiver long et rude.


Les officiels venant de Sofia étaient arrivés en début d’après-midi ; ils devaient être rejoints le soir par des invités venant de Moscou, et qui avaient atterri directement à Varna, sur les côtes de la mer Noire. Il fallait bien les recevoir, cela était important pour leur carrière politique en ces temps troublés. La fête du soir devait être grandiose. Les Russes étaient de sacrés fêtards, et alcools et divertissements devraient être offerts sans ménagement.


Ils s’installèrent sur la terrasse qui surplombait la piste d’atterrissage construite pour des hélicoptères, et les restes d’un minigolf auquel le manque d’entretien avait donné un air de fin du monde. Discutant de politique et de femmes - ils avaient amené leurs maîtresses, et quelques prostituées de luxe - ils préparaient ce qu’ils allaient dire à leurs maîtres, en ingurgitant des quantités impressionnantes de raki. Ils avaient fait préparer les bains, connaissant le goût de leurs hôtes pour des séances de jeux dans l’ambiance chaude et humide des bains turcs.


Vers six heures de l’après-midi, le service de protection de l’ambassade russe arriva pour vérifier l’ensemble du dispositif, et placer ses hommes aux points névralgiques. C’est eux qui devaient vérifier que l’ensemble du personnel était fiable, en particulier les extras que l’on ne pouvait pas aussi facilement contrôler en dehors des périodes où l’Hôtel était utilisé. Tania, qui avait été déjà appelée plusieurs fois par le passé, fut rapidement acceptée par le responsable. Elle sourit des remarques du Lieutenant qui louait sa beauté et sa fraîcheur, pensant à Andreï.


Alors qu’elle se préparait à aider à installer les tables dans la grande salle de restaurant, le responsable lui demanda d’aller s’occuper du service de boissons et d’apéritifs dans la salle de bain turque. Il lui demanda de revêtir une tenue plus légère, car là-bas, la température était élevée. Elle se dépêcha, car la séance avait déjà commencé.


La salle dans laquelle les bains avaient été installés donnait plein sud, une grande baie vitrée laissait pénétrer le soleil de cette fin d’après-midi. La salle était toute recouverte de marbre, dans un style emprunté au grec ancien ; des colonnes décoraient le fond de la pièce ; on descendait par quelques larges marches, sur lesquelles étaient installés des tables et des fauteuils, vers la pièce d’eau. Celle-ci, d’une dizaine de mètres de long, n’était pas très profonde, et permettait tout juste de nager dans sa partie la plus proche de la baie vitrée, alors que du côté opposé on pouvait installer des tables de jeu pour pouvoir jouer aux échecs tout en étant dans l’eau. L’atmosphère était chaude, de la vapeur s’élevait de la surface de l’eau qui devait être à plus de quarante degrés ; les vitres embuées faisaient de cet espace clos comme un monde à part.


Quand Tania pénétra dans la salle, elle fut d’abord incommodée par la chaleur et la vapeur d’eau, ainsi que par les voix fortes qui s’exclamaient en russe et qui témoignaient déjà d’une griserie bien avancée. Elle se dirigeait vers une des tables en marbre pour y déposer son plateau de zakouski, quand elle nota que tous étaient nus, que ce soit dans l’eau ou autour des tables, sur les fauteuils, hommes et femmes. Elle repartait quand un homme s’approcha d’elle, elle reconnut un responsable russe de rang très élevé ; elle l’avait déjà vu sur des journaux et avait entendu sa voix à la radio. Il lui demanda de l’accompagner. Là-haut, au pied des colonnes, des couples gisaient par terre, sur des coussins.


***


Andreï avait mal dormi, rêvant de Tania dans sa robe à fleurs, telle qu’elle avait été durant l’après-midi. Mais toujours le rêve se terminait avec Tania qui s’éloignait, pleurant, dans la nuit, et lui, immobile, ne pouvant courir vers elle, comme enchaîné, devait la regarder s’éloigner, devenir de plus en plus indistincte ; c’est alors qu’il s’éveillait.


Dès dix heures du matin, il courut chez elle. Elle n’était pas rentrée. Ses parents étaient étonnés, mais il était déjà arrivé, lorsque les réceptions finissaient tard, qu’elle restât passer la nuit à l’Hôtel.


Il revint en début d’après-midi. Tania n’étant toujours pas rentrée, il décida d’aller à l’Hôtel. Il connaissait le régisseur, un lointain cousin, il pourrait sans doute le rencontrer. Le service d’ordre à l’entrée ne voulut rien entendre ; il était interdit de pénétrer dans l’enceinte de l’établissement. Ils ne pouvaient pas transmettre de messages au personnel.


En fin de soirée, il y retourna. Il pouvait voir au loin, se détachant sur la terrasse, les silhouettes des personnalités. Il crut, un instant, reconnaître Tania. Il eut le temps de l’appeler trois fois alors qu’il essayait de forcer le passage, avant que de tomber inconscient aux mains des militaires.


***


La dernière image que Tania eut du pays de son innocence fut, alors qu’elle passait sur le dernier pont enjambant la Yantra, porte de la vallée, la coupole du monastère de la Sainte Trinité. Ses murs de pierres de différentes couleurs, au pied de la falaise blanche illuminée de soleil, mêlaient le blanc de l’innocence au noir du granit. Sur le pont, entrevoyant un filet d’eau, elle repensa à la cigogne qu’ils auraient dû voir, et dans sa main serra la Martinitsa offerte par Andreï, Martinitsa qu’ils n’accrocheraient pas à un arbre en fleur en guise de vœux de bonheur pour l’année à venir.


Un peu plus bas, dans une anse où l’eau faisait comme une halte, une cigogne s’était posée. Son attention avait été attirée par des couleurs flottant sur l’eau. Délicatement elle saisit dans son bec ce qui s’avéra être deux rubans entrelacés, un rouge, l’autre qui avait dû être blanc, mais qui était maintenant sali par on ne sait quoi. Dépitée, elle le laissa retomber et s’envola, alors même que l’eau claire se troublait. Un filet rouge, provenant d’un corps échoué sur une des piles du pont, se diluait, se perdait, disparaissait sous les pétales de fleur des pruniers de la rive.


Montesson, le 9 mai 2008


 
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   widjet   
16/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Marogne nous donne encore la preuve de son talent de conteur délicat. L'auteur, on le sait, aime travailler ses extérieurs et cette fois encore la description des paysages est particulièrement soignée. Mais à cela s'ajoute une histoire tendre et innocente dont la pureté finira par être entachée. Au milieu du récit, on sent venir inéluctable, la tragédie subtilement esquissée. Elle arrive, sans bruit, sur la pointe des pieds mais elle n'en est pas moins poignante à l'image des dernières lignes.

Une des plus belles réussites de son auteur.

Widjet

   strega   
14/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Je suis une fois de plus partagée. Partagée car évidemment l'écriture est quasi parfaite, les descriptions réussies, les sentiments et émotions bien rendus, l'histoire en elle-même est évidemment tragique et par cela intéressante du point de vue narration et sentiment du lecteur.

Mais voilà, pour moi, il manque quelque chose. Je ne suis pas contre un style doux, une athmosphère calme et sereine, romantique (au sens de maintenant) au possible, mais alors j'aurais aimé une chute en parfaite contradiction avec cela. Une chute violente, dans le sens de coupure violente, dans le style et le rythme de narration.

J'aime trop être surprise sûrement... Désolée, je n'ai qu'à moitié accroché.

Ceci dit, bien sûr le texte est beau, bien écrit... C'est plus une question de goût personnel finalement....

Donc...

   aldenor   
14/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien
L’écriture est légère et soignée, mais ça me laisse froid. Je trouve qu’il manque l’élément vécu, senti, qui accroche la compassion.

   Anonyme   
15/5/2008
 a aimé ce texte 
Un peu
C'est irréprochable de perfection linguistique, ça c'est certain, mais je n'ai ressenti aucun émotion en lisant ce texte, cela m'a laissé juste une impression de "brochure" de voyage qui nous venterait une jolie Bulgarie, passéiste, encore ancrée dans un moyen-âge idéaliste... et peut-être un peu trop mièvre pour moi...
Les voyages, c'est bien, mais après ? Même si je trouve cela intéressant, passionnant même tout ce que peuvent nous apprendre les autres peuples par leur histoire et leurs rites ancestraux, indéniablement constitutifs de leur identité profonde... Ici, sur ce site, ce n'est pas ce que j'attends, perso, ce que j'attends c'est un autre genre de "transports" que m'ont déjà offerts d'autres auteurs... Mais on ne peut pas plaire à tout le monde n'est-ce-pas ? (je te mets la moyenne pour le français parfait !)

   Anonyme   
21/5/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
De très belles descriptions effectivement... Ici un mélange de réalisme et de poésie. La rudesse du parti et la fragilité d'une fleur de prunier... J'aurais aimé un peu plus de fantaisies dans l'écriture somme toute très maîtrisée (un peu trop?)... Des sentiments retenus, nous ne sombrons pas dans le "violonneux", ça j'apprécie. Un agréable moment de lecture.

   i-zimbra   
26/5/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup
On n'a pas le droit de monter sa note pour remonter la moyenne du texte... ce n'est pas l'envie qui me manque. Je trouve ça très bien. Exceptionnel serait hors sujet.
Pourquoi faudrait-il une surprise quand tout est désespérément morne ? que vient faire le passéisme là-dedans ? Les Bulgares sont les paysans pauvres de l'Europe, quel rapport avec le moyen-âge ?
J'ai trouvé que les éléments de l'histoire étaient bien dosés, et j'ai apprécié de ne pas ressentir de fatalisme.
J'ai l'impression que la dernière phrase est une concession faite aux lecteurs amateurs de "chutes" ou de points sur les i, et je m'en serais bien passé, d'autant que je n'imaginais pas que les corps puissent réapparaître.
La cigogne, dépourvue de sa mythologie, est un oiseau carnassier qui m'a fait penser à ces dignitaires prédateurs, et à leur célèbre parapluie pointu, fleuron de la technologie locale... Tant qu'à lui mettre l'Andreï sanglant sous le bec, elle aurait pu le bouffer...

[On m'avait rapporté une Martinitsa, mais c'était deux pompons rouge et blanc.]

   Flupke   
11/12/2008
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Je ne peux m'empêcher de me poser la question, vu la mortalité statistiquement élevée dans les histoires d'amour malheureuses, de la nécessité du trépas de l'un des protagonistes. Dans certains cas, je concède que cela soit indispensable, mais ici, je me demande si l'histoire n'aurait pas été plus poignante si Andreï n'avait pas été occis par l'auteur. Il aurait pu croiser le regard d'une Tania impuissante dans le bus, et ressentir une douleur poignante à cause du rapt virtuellement irréversible. Mais là, il décède et n'a même plus à se soucier de sa souffrance.
Néanmoins, c'est une très jolie nouvelle, très bien écrite, le style est très agréable. Encore un endroit nouveau à découvrir, et des coutumes que j'ignorais (Martinitsa).
Bravo et merci Marogne !


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