Page d'accueil   Lire les nouvelles   Lire les poésies   Lire les romans   La charte   Centre d'Aide   Forums 
  Inscription
     Connexion  
Connexion
Pseudo : 

Mot de passe : 

Conserver la connexion

Menu principal
Les Nouvelles
Les Poésies
Les Listes
Recherche


Sentimental/Romanesque
mirgaillou : Prise d'otage
 Publié le 07/10/19  -  7 commentaires  -  9006 caractères  -  62 lectures    Autres textes du même auteur

Une jeune femme indépendante, mariée à un médecin affecté par une maladie qui évolue, doit faire un choix.


Prise d'otage


Il n’en finissait décidément pas de s’installer cet été.

Après avoir provoqué toutes les impatiences, à peine commencé, devant des caprices climatiques inhabituels, on tremblait d’en voir les signes de fin. À la mi-juillet, les orages de la soirée semblaient déjà annoncer ceux de la mi-août.

Comme souvent, en visite chez sa mère, Marion travaillait maintenant à l’écriture d’une pièce. Accoutumé à ses fréquentes absences je me chargeais d’Olympia, notre fille, encore toute petite.

Mon état de santé, sous contrôle strict entraînant de nombreuses contraintes, restait stable depuis l’allègement de mon emploi du temps.

En ce début de juillet, Marion avait quitté Toulouse sous la tiédeur de l’autan. Elle trouvait à Avignon le mistral qui, comme souvent, rudoyait la ville et la région durant les premières semaines de l’été. Épuisée par une nuit sans sommeil pour cause de hululements venteux, à son réveil, le matin, elle m’annonçait son retour. L’après-midi même, elle regagnait Toulouse en larmes.


Sur le quai de la gare, un bien étrange totem l’attendait : moi-même, sous assistance respiratoire, portant sur mes épaules Olympia, serrant contre elle ma bouteille de maintenance préventive. Cela eut pour effet de redoubler ses sanglots éperdus en se jetant dans nos bras. Déconcerté, et tanguant légèrement sous la charge je tentais d’assurer.

La bronchite obstructive pulmonaire chronique dont je souffrais sournoisement depuis plusieurs années s’était aggravée ou, plutôt, sa prise de conscience.

Au retour de ma femme, un dimanche, il régnait une quiétude estivale.

En cette fin de matinée, la terrasse ouverte sur la léthargie de la ville dans son repos dominical résonnait étrangement, en raison de leur récente implantation dans la région, la mélopée envahissante des cigales. Elles avaient pris possession des platanes urbains obéissant à on ne sait quel ordre collectif et migratoire.

Dans notre magnifique maison, Olympia régnait en délicieuse petite sorcière et Marion, radieuse, me trouvait beau.


Je fus surpris de la voir subitement traversée par un frisson, une angoisse palpable, métallique. Comme si le temps de l’insouciance lui semblait tout à coup révolu. Pourquoi ce dimanche estival lui paraissait-il aussi étouffant ? Elle en avait toujours adoré les jours interminables, la lenteur silencieuse où, tous les trois, nichés dans le dédale des escaliers tortueux des coursives et des terrasses d’un ancien couvent, nous nous évadions du monde, coupions nos téléphones, faisions croire à notre absence. Tous les trois, dans un inaccessible, impartageable bloc amoureux nous nous gorgions du bonheur d’être ensemble.


***


Ce jour-là, Marion, un peu distraite, faisait semblant de participer avec notre fille au jeu de cache-cache. Elle restait, bien après le décompte, immobile devant la niche de la vierge située à l’entrée des appartements privés.

Une rotonde blottie sous la double spirale des marches dessert la suite parentale et la chambre d’Olympia. L’endroit recèle suffisamment de cachettes pour dérober, à un regard naïf ou bienveillant, le joueur dissimulé. L’espace offre un terrain d’amusement idéal.

Tirée par le pan de son sari, son seul vêtement ce dimanche, Marion sursautait, surprenant l’enfant qui fondait en larmes. Je paraissais aussitôt. En sortant nonchalamment un mouchoir de ma poche, j’essuyais le nez de la statuette.


— Qu’avez-vous donc aujourd’hui, mesdames, à faire pleurer la madone ?


Dans un éclat de rire un peu forcé, nous nous dirigeâmes vers la cuisine pour le goûter.

Ce fut ce jour-là que, pour la première fois, je perçus un changement dans le cœur ma femme.

Non que sa beauté commençât à s’altérer, bien au contraire, elle était en train de se densifier. Jusque-là, il émanait d’elle cette sorte d’assurance quasi adolescente qui s’attarde longtemps parmi ceux qui sont comblés, dès la première heure de leur existence, par l’amour. Ce mélange de transparence, et d’un peu de fatuité, prenait de la consistance. J’avais été rendu fou par ce cristal intact, exempt de toute souffrance. J’étais déchiré par cette intensité nouvelle, elle traversait son regard par éclairs. Je ressentais combien l’angoisse se faufilait en elle, atteignait des couches encore innocentes, ignorantes de l’adversité.

Alors que mon état de santé restait acceptable, je lisais sur son visage la lutte sourde entre ce désir de se protéger et celle de cette insinuante inquiétude. Moi, je supportais de moins en moins ses va-et-vient entre deux trains.

En son absence, tout se tait. Elle me prive cruellement du tintement de ses bracelets.

Il faut dire que Marion est une musique.

J’y vois l’expression de son bonheur. Son sillage est jalonné des accords qu’elle génère. Ils emplissent l’espace d’une trace qui ne ressemble qu’à elle. Aux joncs d’or de ses poignets, elle ajoute toute une panoplie. Simple pacotille ou cercles ouvragés de laiton, tout la pare et accompagne ses mouvements de cette signature chantante. Lorsqu’elle vide le lave-vaisselle, il se produit une sorte de séisme quotidien. Elle a pour coutume de se débarrasser de la tâche à toute vitesse, parfaitement inconsciente du fracas des assiettes transitant à toute allure du panier au placard où elles atterrissaient sans précaution les unes sur les autres.

La dernière fois que je l’ai accompagnée au train je me suis traité de fou. J’ai eu envie de devenir barbare, régressif, macho ou tout simplement assez angoissé pour lui interdire, la supplier, la cloîtrer que sais-je, mais ne pas la laisser partir avec sa légèreté habituelle.

Elle est intermittente du spectacle je suis un mari alternatif. Je ne supporte plus le doute qui s’est insinué en moi. Qu’allait-elle chercher au juste loin de moi ? Je vais encore tenter de remédier au silence. Rien pourtant ne peut remplacer son élan dans la montée ou la descente des degrés de l’escalier. Lorsqu’elle grimpe à l’étage dans les plis de son sari, elle me fait penser à l’envol d’une libellule dans ses grandes ailes. Frr, frr, ses pieds nus effleurent les marches et une sorte de brise soulève, à son passage de flèche, le pan flottant derrière elle. Frr, frr...

Après avoir entendu ma fille pleurnicher le soir du départ de sa mère je me suis rendu complice d’une transgression.

Pour la consoler, je l’ai installée sur la méridienne de notre chambre. J’avais envisagé les risques de chute, et je me suis appliqué à les amortir suffisamment. Aux pieds du sofa, la soie des chers, vraiment chers, tapis de ma femme étendent leurs champs moelleux. Je ne m’explique pas son goût pour les carpettes. Bien entendu, je n’en nie pas les qualités esthétiques, mais pourquoi cette femme possédant un don véritable du bruitage dispose-t-elle ces sortes d’éponges à étouffer les sons ?

Le meuble en osier est dépourvu de coussins. C’est sans doute ce qui contribue à son charme, pour moi en tout cas. Lorsque Marion s’y installe, n’en éprouvant pas la relative dureté, il tressaille et chuchote ce qui lui confère beaucoup d’agrément selon mon échelle d’appréciation.

Ainsi, la nuit, j’entendais mon bébé pousser quelques couinements propres aux rêves enfantins et, bercé par le rythme de sa respiration et le chuintement de la paille tressée, je parvenais à mon tour à m’endormir.

Mais pourquoi, ou sur qui sur quoi Marion pleurait-elle en revenant l’autre dimanche ? Sur elle ou sur moi ? J’ai enveloppé de l’immensité de mon amour sa cristalline beauté. Enfin, je trouve un peu de consolation, quand elle veut bien séjourner chez nous, dans la cadence des touches qu’elle frappe en rafale durant de longues heures.

Marion est économe en paroles. Elle ignore l’usage du verbiage courant. Un clignement de paupière, une ombre de sourire, un effleurement font partie de son vocabulaire le plus démonstratif. C’est la raison, sans doute, pour laquelle je me suis attaché à ce point à la qualité sonore de sa présence. De son absence aussi. Hélas.

Olympia ne semble pas souffrir de cette économie vocale. Elle réserve à sa fille des roucoulements, gazouillis et autres langages codés.

Mon souffle est un peu court, mais, avec l’aide de la médecine, je l’exerce, je contiens bien mon affection. Depuis quelque temps cependant, j’en rajoute. M’ayant vu m’asseoir un jour assez brusquement, j’ai remarqué sa pâleur subite. Je lui rejoue donc la scène de temps en temps. Cette ruse dérisoire ayant produit son petit effet je me réserve d’en inventer des développements.


Je suis prêt à en payer la contrepartie : voir passer cette sorte de brume au fond de ses yeux.

L’autre jour, j’ai décidé de monter d’un cran en restant longuement couché. J’ai deviné qu’elle pleurait. Depuis, je m’allonge une partie de l’après-midi. Elle s’assoit auprès de moi l’ordinateur sur les genoux.

Maintenant, je suis installé dans un fauteuil roulant.

Marion le pousse et ne part plus. Je suis délivré de la torture du doute.

Tiens, la maison est devenue muette.


 
Inscrivez-vous pour commenter cette nouvelle sur Oniris !
Toute copie de ce texte est strictement interdite sans autorisation de l'auteur.
   ANIMAL   
3/9/2019
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le chantage aux sentiments dans toute sa splendeur… Une nouvelle fort bien observée qui parlera à tous ceux qui ont connu ces personnes se servant de leur maladie/infirmité pour manipuler les autres, proches ou étrangers. Parfois cela fonctionne, comme dans cette nouvelle où le but est, par jalousie, de garder sa femme à la maison en se montrant plus malade qu’on ne l’est. Mais le résultat final peut-être décevant pour celui qui tire les ficelles.

Deux passages résument cela. Tout d’abord ce sentiment d’abandon dans lequel se complait le narrateur et qui va l’inciter à tricher :

« En son absence, tout se tait. Elle me prive cruellement du tintement de ses bracelets. Il faut dire que Marion est une musique.»

Ensuite, après avoir obtenu gain de cause, cet égocentrique qui est même jaloux de l'attention portée par Marion à Olympia, devine déjà qu’il a plus perdu que gagné car en réduisant Marion au rôle de garde-malade il lui a fait perdre toute cette joie de vivre dont il bénéficiait :

« Maintenant, je suis installé dans un fauteuil roulant.
Marion le pousse et ne part plus. Je suis délivré de la torture du doute.
Tiens, la maison est devenue muette. »

Une chute qui dit tout en peu de mots.

Bien vu, donc, pour le fond. Sur la forme je suis plus réservée. Le style ne m’a pas entraînée et je le trouve un peu lourd. Néanmoins, force est de reconnaître que le sujet ne se prête guère aux effets lyriques.

en EL

   maria   
11/9/2019
 a aimé ce texte 
Un peu
Bonjour,

Le poids du handicap dans une famille : thème somme toute banal.

Les points forts :

- le personnage parle très joliment de son épouse
" Il faut dire que Marion est une musique" et les lignes qui suivent sont belles.

- Si l'auteur a voulu dire que la maladie asourdit les bruits de la vie, c'est réussi

Les points faibles :

- " tanguant légèrement sous la charge" : la fillette ? la bouteille ?

- " dans un inaccessible, impartageable bloc amoureux" : avec le mot trio, faire une phrase plus légère, plus douce pour exprimer qu'ils sont trois amours dans l'épreuve ?

- Je n'ai pas compris comment il peut se trouver "délivré de la torture du doute".
Et je trouve ça léger comme chute.

Une lecture agréable, "sans plus" !

P.S:
C'est mon premier commentaire en EL, j'espère avoir aidé l'auteur, mais ne pense pas avoir les compétences pour ce genre d'exercice.

J'apprécierai certainement davantage le texte en publication.

Merci pour le partage.

   cherbiacuespe   
14/9/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Voilà une nouvelle qui me met particulièrement mal à l'aise. Qu'un malade puisse ainsi satisfaire son désir personnel en enfermant sa concubine dans l'insupportable dilemme de sa maladie est à mes yeux impardonnable. Le titre se justifie pleinement.

Sur la forme rien à redire. C'est parfaitement écrit, et la description expliquant que "Marion est une musique" est vraiment un régal, c'est une belle trouvaille.

En conclusion et malgré l'embarras qui en résulte, c'est une excellente histoire très bien gérée de bout en bout.

   Corto   
7/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Décrire et développer ainsi une tranche de vie nécessite un beau talent. L'histoire de cette petite famille respire la tendresse, la complicité attentive, juste un peu de rouerie qui relance l'intérêt en y mettant le piquant évitant la fadeur.

Il ne se passe pas grand chose sauf la vie intime, quotidienne, où tout est suggéré sans s’appesantir mais avec une précision suffisante "En ce début de juillet, Marion avait quitté Toulouse sous la tiédeur de l’autan. Elle trouvait à Avignon le mistral".

Chaque personnage a sa personnalité et Marion reste un peu mystérieuse. On image la femme complexe, à l'esprit dictant son mode de vie, et le regard de son mari est particulièrement complice: "Aux joncs d’or de ses poignets, elle ajoute toute une panoplie. Simple pacotille ou cercles ouvragés de laiton, tout la pare et accompagne ses mouvements de cette signature chantante".

Plus loin une très belle description: "Non que sa beauté commençât à s’altérer, bien au contraire, elle était en train de se densifier. Jusque-là, il émanait d’elle cette sorte d’assurance quasi adolescente qui s’attarde longtemps parmi ceux qui sont comblés, dès la première heure de leur existence, par l’amour."

Je remarque juste un passage maladroit où les sujets se sont confondus: "Olympia ne semble pas souffrir de cette économie vocale. Elle réserve à sa fille des roucoulements, gazouillis et autres langages codés."

Le final bien conçu joue de l'ambiguïté. "Je suis délivré de la torture du doute. Tiens, la maison est devenue muette."

Une victoire ou une perte ?

Bravo à l'auteur pour avoir manié autant d'impressions, d'émotions, de sentiments relationnels.

   Tiramisu   
7/10/2019
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour,

Le thème est intéressant, l'amour possessif et manipulateur qui fait disparaitre la personne aimée, elle n'est plus que l'ombre d'elle même.Son énergie musicale s'est tue. J'aime bien la manière dont Marion est présentée, par sa musique, c'est original. En même temps, je ne parviens pas à la voir réellement, c'est à dire l'épaisseur de sa personnalité. c'est peut être voulu puisque Marion nous est présentée par le narrateur, la voit-il, lui ? Il l'entend, oui. Mais la voit-il vraiment avec la profondeur de son personnage ? Donc, c'est peut être voulu. Mais j'ai le même problème avec le narrateur lui même, à part sa maladie et son amour possessif, qui est-il ? Il manque d'épaisseur, je trouve.Aimer une femme juste pour la présence de sa musique, c'est un peu court quand même...Cela donne finalement des personnages un peu artificiels.
Le style m'a paru haché, les premières phrases par exemple, le narrateur parle de l'été un peu longuement par rapport à d'autres points qui me sembleraient importants de développer, puis de Marion, puis de l'état de santé du narrateur, puis de Marion, cela ne me semble pas fluide...
L'incipit et le titre aident à comprendre, à interpréter, c'est à dire que Marion doit faire un choix entre sa vie, la réalisation d'elle même ou devenir l'infirmière de son mari. Le texte en soi n'est pas éclairant sur ce point, on comprend qu'elle pleure, on peut interpréter mais bon...
En résumé, une idée interessante, mais je trouve que le traitement manque de développement.
Merci pour cette lecture

   JPMahe   
10/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Usure du temps, usure des sentiments, prise en charge de l'amour par l'habitude, triomphe de l'âge sur le visage, voila une nouvelle bien menée, terrible pour qui veut s'y laisser mener...

   Annick   
29/10/2019
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↑
Le choix de Marion n'en est pas un. C'est un choix contraint et forcé. La manipulation est bien présente, en sourdine, empreinte de tendresse et d'amour exclusif. D'égoïsme ? Sans doute !

J'ai aimé le personnage de Marion à travers le regard de son mari : un mélange subtil de légèreté, de souffrance non dite, un combat silencieux, comme ses aller et retour en train où le bonheur et le malheur se croisent ou bien s'expriment alternativement.
J'ai aimé ces mille petits détails savoureux qui font vibrer le texte, comme par exemple :

Il faut dire que Marion est une musique.

"J’y vois l’expression de son bonheur. Son sillage est jalonné des accords qu’elle génère. Ils emplissent l’espace d’une trace qui ne ressemble qu’à elle. Aux joncs d’or de ses poignets, elle ajoute toute une panoplie. Simple pacotille ou cercles ouvragés de laiton, tout la pare et accompagne ses mouvements de cette signature chantante. Lorsqu’elle vide le lave-vaisselle, il se produit une sorte de séisme quotidien..."

Un récit tout en sensibilité, intelligent, qui interpelle.


Oniris Copyright © 2007-2023