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Réalisme/Historique
nanardbe : Un poilu dans la boue. Partie 1
 Publié le 12/02/08  -  3 commentaires  -  39073 caractères  -  17 lectures    Autres textes du même auteur

Le début de la 1re guerre mondiale raconté par un soldat belge.


Un poilu dans la boue. Partie 1


Je sais ce que vous direz en lisant ces lignes "Il a survécu, LUI, alors pourquoi il se plaint". C’est vrai, je suis vivant ! Et compte tenu des circonstances, en relative bonne santé. Je n’ai pas perdu de membre, mes poumons sont sains et je ne suis pas aveugle. Donc oui, physiquement je suis en bonne santé ! Mais mentalement, je vais beaucoup moins bien. Je me demande si je ne devrais pas rendre visite à ce fameux docteur Freud dont tout le monde me parle. Il parait qu’il interprète les rêves. Franchement, je me demande comment il interpréterait les miens.


Mes souvenirs, mes rêves et ma vie sont tourmentés par des images atroces. Les membres arrachés de mes compagnons, les têtes arrachées à leurs corps, l’odeur du gaz, de la boue des tranchées, le sifflet de notre lieutenant avant la charge, et bien d’autres. Il me suffit de fermer les yeux et je m’en souviens. J’ai eu des moments de joie, de fierté aussi lorsque je me rappelle que le sergent me doit la vie. Mais croyez-moi, j’échangerais volontiers ces médailles trop lourdes contre des images d’enfants joyeux, de belles femmes, de moments de franche camaraderie avec mes amis disparus.


Si j’écris aujourd’hui, c’est pour que vous sachiez, pour que vous partagiez avec moi cette part de monstruosité qui me hante. Je vais vous parler de la guerre ! La Grande Guerre, celle qui sera la dernière. Je vais vous en parler, mais à ma façon, je vais vous présenter ma vérité, la vraie, celle que l’on entend rarement dans les récits romancés. Certains me traiteront de menteur, d’autres de fou. Ou tout simplement vous pleurerez avec moi sur le sort de tous ces malheureux, mort pour la nation.


Tout a commencé le 1er août 1914. Ce jour-là j’ai rejoint ma garnison à Liège. L’état-major prévoyait une invasion allemande du côté d’Aix-la-Chapelle. J’étais donc incorporé à la 3e division armée en renfort à la défense de notre frontière. Rapidement, nous reçûmes notre tenue de "campagne" et notre instruction fut bâclée en quelques heures.


- Tu vises et tu tires. Si tu es encore vivant après, tu recommences.


On nous dirigea ensuite dans des baraquements de fortunes, des écoles, des hôtels de ville, des hangars... et des fermes. Je fus affecté au baraquement 3 à la compagnie 18 ! Ce dernier était composé d’environ cinquante personnes. Je crois que ce jour-là personne ne savait vraiment ce que nous devions faire. Les gradés donnaient des ordres, car c’est cela qu’ils étaient censés faire, les soldats les exécutaient et étaient, le plus souvent, contredits par d’autres officiers. Finalement, la journée se passa entre distribution du matériel et découverte des camarades qui viendront au feu avec moi.


Mon voisin de chambrée ou plutôt de "litée" s’appelait Gaston Lisac, un jeune homme costaud et grand, d’environ vingt ans. Il était fermier dans la région d’Arlon, c’était la première fois que je voyais un homme venant de si loin. Gaston était sympathique, il riait d’un rien et souriait toujours tout le temps. Ce jour-là, nous étions l’un à côté de l’autre occupés à installer notre "lit" pour passer notre première nuit loin de nos proches.


- Quelle chierie cette guerre !


Gaston avait de ces expressions qui pouvaient choquer le plus ancien maquereau de Paris. Pourtant, il était charmant.


- Vous ne pensez pas que Sa Majesté" a eu raison de mobiliser ses troupes ?


Gaston se retourna vers moi et me posa la main sur l’épaule.


- Camarade, je serai toujours contre celui qui m’éloigne de ma famille. Roi ou pas, guerre ou pas, je suis bien trop loin de chez moi.


Il y eu un long silence entre nous, un silence qui signifiait beaucoup. Je décidai qu’il avait raison et soutins donc son discours


- Vous avez raison monsieur... Au fait, je n’ai pas l’honneur de connaître votre nom.

- T’emballe pas comme ça, je ne suis pas le pape ! Je m’appelle Gaston Lisac et toi ?

- Lucien Willem ! Enchanté !

- Moi aussi l’ami cria-t-il en me serrant la main. Mais, je vais te dire, chaque fois que tu ne me tutoieras pas, tu auras mon pied aux fesses.


Nous partîmes dans un éclat de rire franc et bon-enfant qui me donne aujourd’hui encore, des années après, la chair de poule.
Ce jour-là, environ vers 22h, un capitaine entra dans nos quartiers entouré de deux sergents. Il circula un moment entre nos lits. C’était un homme de taille moyenne d’une quarantaine d’années, les cheveux bruns, clairs, une grosse moustache et de petites lunettes rondes. Son allure et sa démarche un peu sautillante prêtaient à rire. Soudain il s’arrêta et croisa les mains dans le dos.


- Je suis le capitaine Van Pettegem ! Je serai votre commandant pour les prochaines semaines.


Pendant un bref moment nous nous regardâmes tous, hébétés, ne sachant que faire. C’est alors que l’un des sergents hurla :


- QUAND UN OFFICIER ENTRE, C’EST LE GARDE-À-VOUS POUR TOUT LE MONDE !


Il se précipita vers nous, nous forçant à rester droits comme des piquets. Ceux qui avaient du mal à comprendre recevaient des coups de crosse de leurs fusils. Le capitaine Van Pettegem attendit que notre instruction soit finie pour reprendre la parole.


- Bien, je sais que vous êtes fatigués et que vous n’avez pas tous l’habitude de ce genre de choses. Mais il est très important que vous compreniez bien ce que je vais vous dire.


Bien que d’origine flamande, le capitaine s’adressait à nous en français. Certains d’entre nous se faisaient traduire au fur et à mesure.


- L’empire d’Allemagne va probablement nous envahir d’un jour à l’autre, notre Roi Albert 1er a encore confirmé ce matin au parlement qu’il ne tolérerait pas que l’armée allemande foule le sol belge.
Tout porte à croire que, d’ici un jour ou deux, vous serez amenés à défendre notre pays face à l’ennemi. Afin de vous préparer au mieux à ces combats futurs, demain, vous irez à l’exercice avec les sergents Mathieu et Van Messelen ici présents. Dormez bien et à demain !


Le Capitaine nous quitta comme il était venu, en sautillant jusqu’à la sortie, les deux sergents derrière lui. La porte avait à peine claqué que Gaston et moi éclations de rire entraînant une bonne partie de nos camarades.


- Il a dû avoir un balai coincé dans son arrière pour marcher comme ça ! s’écria Gaston.


Un autre soldat au fond du dortoir s’écria :


- Normal quand on s’appelle Van Pettegem d’avoir mal au fion !

- Messieurs, criai-je, je crois quand même que nous devrions suivre son conseil et dormir tant que nous le pouvons, qui sait quand nous pourrons dormir à nouveau ?


À ma grande surprise, presque tout le monde me donna raison.


- C’est quoi ton nom ? me demanda un fusilier proche de moi

- Je m’appelle Lucien Willem lançai-je à toute l’assemblée.

- Eh bien Lulu, moi c’est Rémy, enchanté de te connaître et... bonne nuit !


La soirée se passa dans le calme, mis à part les ronflements de mes camarades. Durant cette première nuit, je repensai à ce que m’a dit mon voisin avant mon départ : "Cette guerre ne devrait pas durer très longtemps, notre pays va recevoir l’aide des Anglais et des Français, ils n’ont aucune chance les boches".
Secrètement j’espérais qu’il ait raison. Je n’avais pas envie de me battre, ni pour protéger la France ni pour le roi.


Le lendemain, comme promis, le capitaine Van Pettegem et les deux sergents Mathieu et Van Messelen sont venus nous réveiller vers six heures du matin, tout en douceur, comme vous pouvez l’imaginer.
On nous fourra un fusil entre les mains, nous expédiant les règles d’engagements et surtout, nous expliquant notre mission.


- Vous avez été affectés au fort de Liège et à sa défense. L’état-major, comme je vous l’ai dit hier, pense à une invasion à partir d’Aix-la-Chapelle. Votre mission sera de surveiller notre frontière et de repousser toute invasion.


Pendant le discours du capitaine, je remarquai une agitation du côté du QG du général Léman, le vieux comme certains l’appelaient. Rapidement le discours du capitaine Van Pettegem passa complètement inaperçu quand un soldat sorti du QG en criant "C’est la guerre ! ". Rapidement le bon ordre qui régnait dans notre compagnie fit place au KO le plus total. Même les sergents et le capitaine se précipitèrent vers le soldat. Finalement, pour ramener l’ordre au sein de la compagnie, le général Léman fit une déclaration. C’était un homme de taille moyenne, assez âgé, presque chauve avec une longue moustache blanche qui se terminait en pointes arrondies vers le haut.


- Mes amis, restez calmes, je vous prie. Il n’est pour l’heure nullement question de guerre. Son Altesse Impériale a posé un ultimatum à notre pays. Nous devons laisser passer l’armée allemande sur notre territoire faute de quoi ils attaqueront.

- Mais si le gouvernement refuse ? demanda un soldat, anxieux.

- Pour le moment, je n’ai pas d’autres informations. Je peux simplement vous dire que je suis certain que le roi sera fidèle à son serment et que vous ferez votre devoir quel qu’en soit le prix. Retournez à vos baraquements, j’accorde quartier libre à tous pendant deux heures.


L’autorité du général était indiscutée et indiscutable. En donnant ces deux heures de repos aux hommes, il venait de s’assurer de leur soutien en cas de coup dur. En déclarant que le roi resterait fidèle à son serment, les plus malins d’entre nous avaient compris. Nous étions en guerre. La seule chose que nous devions attendre c’était l’affrontement avec l’armée ennemie...


Gaston Lisac et moi avons profité de cette pause pour faire plus ample connaissance. Je le conduisis dans un petit recoin calme à l’abri du bruit et de l’agitation. Il me présenta une cigarette, à cette époque-là je ne fumais pas encore. Je la lui refusai poliment.


- Eh bien Lucien ? commença-t-il. Tu viens d’où exactement ?

- Je suis originaire de Charleroi, mais je vis à Tamine avec mes parents. Mon père était mineur à Couillet, mais il a réussi à faire quelques économies pour ouvrir une épicerie à Tamine. Je l’aide au magasin depuis.

- Cré non, un bourgeois ! me cria-t-il en tapant dans le dos. Moi je viens d’Arlon, je suis forgeron. Je travaille le fer depuis mes 10 ans, me dit-il, manifestement fier de ces prouesses.

- Dis-moi Lucien ? enchaîna-t-il. Que penses-tu de tout ceci, tu crois que les boches vont attaquer ?


Je ne savais quoi répondre à cette question. Je ne comprenais pas grand-chose à ce qui se passait. Car pour moi, l’assassinat d’un archiduc à Sarajevo ne pouvait concerner un épicier à Tamine. Pourtant, on en était là ! Gaston et moi, réunis par les hasards de la mobilisation pour protéger notre pays d’une invasion du pays d’origine du grand-père de notre roi. Après une ou deux minutes de réflexion, je finis par lui dire


- Tu sais, je suis un simple épicier, je ne comprends rien à tout ceci. Et toi tu en penses quoi ?


Gaston me regarda, il sembla tout à coup triste. Il espérait peut-être une autre réponse de ma part. Il prit dans la poche de sa tunique un petit couteau et un bâton de saucisson. Il en coupa un morceau et me le présenta.


- C’est du bon ! Il vient de chez mon beau-frère, il a une petite ferme du côté de Bastogne.


J’acceptai volontiers le petit bout de saucisson, j’étais d’autant plus heureux que je n’avais pas mangé grand-chose depuis mon arrivée à Liège.


Tout en faisant honneur à ce festin, il me fit la conversation. Je l’écoutai pratiquement sans rien dire !


- Tu sais Gaston, ils ne nous auraient pas fait venir s’ils n’avaient pas la certitude que la guerre était inévitable. Un général comme Leman a bien trop d’expérience pour mobiliser autant de troupes pour rien.

- Que crois-tu qu’il va se passer ? lui demandai-je

- À mon avis d’ici un jour ou deux on va nous envoyer détruire les ponts de la Meuse. En cas d’invasion, nous forcerons ainsi l’ennemi à passer par la nationale 3 ou la ligne de chemin de fer. Ces mêmes accès sont gardés par nos forts. À mon avis tout se décidera à Loncin.


J’étais abasourdi par les connaissances de Gaston. Il maîtrisait l’art de la stratégie militaire aussi bien que n’importe quel soldat de carrière.


- Comment se fait-il que tu en saches autant ? lui demandai-je

- C’est simple ! répondit Gaston. Mon grand-père était lieutenant dans l’armée française durant la guerre franco-allemande. Ensuite il est venu s’installer à Arlon. Il m’a enseigné quelques petites choses.

- C’est donc une tradition la guerre, dans votre famille ?


Gaston éclata de rire à nouveau et me tapa dans le dos. Cette manie qu’il avait de me donner des coups amicaux dans le dos, commençait sérieusement à m’énerver. Fort heureusement, il n’en restait pas moins un garçon fort sympathique.


Finalement, nos deux heures de repos filèrent et le Capitaine Van Pettegem nous rappela en faisant sonner le rassemblement. Au bout d’une ou deux journées à l’armée, vous apprenez vite certaines choses de base. Par exemple, quand le clairon sonne le rassemblement, vous devez courir et vous mettre au garde-à-vous, juste à côté de lui. Ce que Gaston et moi fîmes dans une certaine résignation tant il nous était agréable de parler.


Le Capitane Van Pettegem arriva d’un pas pressé et prit la parole, pour une fois il fit son discours en flamand et en français.


- Messieurs, le général Leman nous demande de détruire les ponts de Liège. C’est ce que nous ferons dès demain, soit le 3 août dès l’aube. Il s’agit ici d’une mesure préventive en cas d’invasion de l’armée ennemie. Dès le dernier pont sauté, vous irez fortifier les différents forts autour de Liège. Je compte sur vous pour faire Honneur au 14e de ligne. D’ici là, le Sergent Mathieu vous donnera vos ordres. Rompez.


Le sergent prit de suite la parole. Le sergent Mathieu était un homme grand et costaud, les cheveux noirs, de grands yeux ronds et verts, un nez fin et allongé et une belle bouche gourmande. Il portait bien évidemment l’uniforme réglementaire, mais avait rajouté un petit drapeau national, qu’il avait cousu sur la poche de sa veste, côté cœur.
Étant donné le contexte, personne ne lui avait fait la moindre remarque.


- Soldats, vous partez sur l’heure rejoindre vos camarades dans la ville de Liège. Certains iront au renforcement des fortifications sous le commandement du sergent Van Messelen, les autres iront sous mon commandement rejoindre le capitaine Naessens au fort de Loncin. Mais avant, nous irons détruire quelques ponts.


Contrairement à ce que j’aurais cru, personne n’a protesté, personne n’avait l’air effrayé à l’idée de sortir et de potentiellement rencontrer l’ennemi.


- Ceux dont les noms suivent, prépareront leur paquetage et partiront avec moi : Albin, Berchaud, Boulard, Bienot, Carima, Cranenbrouck, Delisse, Fievet, Marsoin, Lisac et Willem !


Chacun d’entre nous, à l’appel de notre nom, répondait par un "Oui sergent". Nous quittâmes ensuite le peloton pour aller chercher nos armes et nos sacs de voyage.


Les préparatifs ne traînèrent pas. Nous n’avions pas encore pris nos aises et les sacs étaient à peine déballés. Pendant ce temps mes camarades débattaient dans des discussions parfois sans le moindre sens. Chacun allait de son petit scoop, croyant détenir une information officielle.


- Tu sais Delisse ? dit l’un des soldats à côté de moi.

- Non, quoi Marsoin ? répondit-celui-ci.

- Le cousin de ma femme travaille à Anvers et a pu me faire parvenir un message. Il paraît que les boches vont attaquer par le nord. Nous n’aurons donc pas à craindre une invasion pour le moment.


Delisse lui sourit poliment et ne continua pas la conversation. Ce qui sembla déplaire à Marsoin qui continua à préparer ses affaires dans un silence boudeur. Gaston, qui n’avait rien manqué de la scène, voulut intervenir.


- Alors, comme ça ton cousin travaille à Anvers ?


Marsoin qui n’attendait qu’une occasion pour reprendre la conversation et se faire valoir auprès de ses camarades, saisit la balle au bond et enchaîna.


- Oui, il est docker ! Et il rencontre pas mal de gens de tous les pays. Il est certain que l’attaque se fera par là.

- Eh bien souhaitons-le, lui fis-je.


Nous continuâmes à nous préparer en silence. Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvions dans la petite cour pour former notre escadron fort de douze hommes.
Notre sergent ne tarda pas à donner l’ordre de marche et nous partîmes la joie au cœur vers la Meuse et ses ponts.


Arrivé aux abords de la ville, la population nous acclama en masse. C’était incroyable, malgré le fait qu’il était passé minuit, des femmes, des enfants, des vieux, des jeunes nous accueillaient avec enthousiasme. Le sergent dut même repousser certains civils qui voulaient se joindre à nous. En voyant cette ferveur et ce patriotisme, je me suis dit qu’il était hors de question de laisser qui que ce soit violer notre neutralité. Notre nation était tellement belle qu’elle mériterait de durer éternellement. C’est probablement à cet instant que je suis rentré en guerre pour la première fois.


Cette soirée-là, la nuit était fort sombre, mes yeux, probablement à cause à la fatigue, ne distinguaient plus les silhouettes. Je ne vis donc pas l’ingénieur qui se présenta à nous et qui nous donna les ordres pour la destruction des ponts.


- Bonsoir à tous ! dit-il. Je suis Monsieur Delattre, je suis l’ingénieur qui a reçu la mission de barrer la route aux Allemands. Vous allez me couper tous les arbres que vous voyez et les mettre en travers de la route où vous vous trouvez. Ensuite vous y placerez des mines et de la poudre. Il est impératif que vous mettiez le maximum de pièges de ce genre entre la frontière et les forts. Le sergent me dit que vous serez affectés à Loncin, vous n’aurez donc pas l’honneur de faire partie de la première ligne. Il est de votre devoir de les protéger.


La nuit du 2 au 3 août se passa donc ainsi ! Nous avons placé des mines et de la poudre partout. L’ingénieur Delattre avait donné ses ordres de telle sorte que la moindre petite étincelle pouvait produire un vrai carnage. Secrètement, j’espérais que ce dispositif allait faire reculer voire renoncer les Allemands.


Au début nous n’étions pas vraiment organisés, chacun voulant trop bien faire pour être efficace. Comme j’avais de l’expérience dans l’organisation, après tout n’étais-je pas épicier ? Je proposais à mon Sergent de le seconder dans sa tâche de commandement. Celui-ci commença par refuser puis, voyant que mes conseils s’avéraient judicieux, il s’approcha de moi et m’appela en me tapotant l’épaule.


- Hé bien soldat, on dirait effectivement tu as le sens pratique. Tu es un meneur d’hommes toi !

- Sergent, vous savez dans mon métier on doit avoir le sens de l’organisation. Si tout le monde agit n’importe comment, on n’avance pas.


Le sergent Mathieu garda un moment le silence. J’étais un peu mal à l’aise, je voulais rejoindre mes camarades à l’ouvrage. Puis, il chercha un calepin dans sa poche et y griffonna quelques lignes.


- C’est quoi ton nom ? me fit-il d’un air distrait.

- Lucien Willem ! lui répondis-je perplexe.

- He bien Willem te voici donc caporal. Je ferai valoir ton grade dès que nous serons à Loncin. Mais considère que c’est acquis !


Gaston, qui comme de coutume n’avait pas perdu un mot de notre conversation, attendit que je salue militairement le sergent pour venir me parler, le sourire aux lèvres.


- Alors caporal ! me cria-t-il en me serrant la main. Félicitations !

- Je devrais peut-être refuser. Je n’y connais rien moi aux trucs militaires

- T’en fais pas me dit-il en me donnant une tape dans le dos. Si les caporaux étaient intelligents, ça se saurait. Contente-toi de faire de ton mieux.


Tous les camarades furent aussi unanimes. À leurs yeux j’étais le meilleur choix possible.


Au petit matin, je donnai mes derniers ordres pour qu’on suive à la lettre le "plan Delattre". Nous étions tous exténués. Nous avions travaillé comme des fous pour pouvoir organiser la défense du royaume. Finalement, au bout d’une longue nuit de travail, le sergent Mathieu organisa le rassemblement de notre section.


- Messieurs ! dit-il d’une voix lasse, je suis content de vous. Vous avez fait honneur à notre régiment. Je vous propose de prendre quelques heures de repos au fort de Loncin. Sachez que vos camarades n’ont pas cette chance, ils sont tous à notre frontière et attendent que l’ennemi la franchisse. Caporal Willem, organisez le rassemblement et la route vers Loncin.


J’obéis donc et ordonnai à tous mes camarades de rassembler leur équipement et de marcher les quelques kilomètres qui nous séparaient du fort. Le trajet, comme la nuit passée fut un triomphe ! Nous étions entourés d’enfants, de femmes, de notables de toute la région. Ils criaient "vive le Roi", "vive la Belgique" "À bas l’envahisseur". Ces exclamations nous donnaient l’envie de mourir pour notre patrie. Certains d’entre nous chantonnèrent la Brabançonne en flamand et en wallon comme des frères d’une même lignée. En quelques heures, nous arrivâmes sans dommage au fort de Loncin.


Peu après notre entrée dans le fort, le capitaine Naessens, le commandant de Loncin, vint vers nous et nous interrogea.


- Qui êtes-vous et que voulez-vous ?


Le sergent prit son air le plus solennel pour parler au capitaine.


- Mon capitaine, je suis le sergent Mathieu. Nous venons en renfort sous ordre du général Léman.

- Êtes-vous brave ? demanda-t-il ?


Le sergent mit sa main sur le cœur et leva l’autre dans les airs, il se retourna un bref instant vers nous, puis regarda à nouveau le capitaine Naessens.


- Mon capitaine, je suis absolument certain que mes hommes vous feront honneur.

- Soit, il me reste encore un peu de place pour des braves. Reposez-vous quelques heures puis prenez vos ordres auprès de l’officier de quart.

- Merci monsieur, enchaîna le sergent. Je tiens aussi vous à proposer au grade de caporal un de mes hommes qui s’est révélé précieux ces derniers jours.

- Et qui est-il ?

- Il s’agit du soldat Willem, mon capitaine.


Le sergent me désigna et je fis quelques pas en avant afin de me présenter. Le capitaine s’approcha de moi me dévisagea un moment. Puis se retournant vers le sergent il dit :


- Je n’aime pas que mes hommes aient un uniforme incomplet. Emmenez-le au magasin et donnez-lui un uniforme de caporal.


Deux barres ! Un statut social déterminé par deux barres. Je les reçus du soldat en charge des fournitures. On y trouve tout ce dont un bon soldat a besoin pour survivre. Des munitions, quelques uniformes et certaines médications de bases. Il fournissait aussi parfois quelques morceaux de chocolats.


Pas question d’entrer dans ce lieu saint sans un ordre écrit d’un officier. Les munitions, bien qu’en nombre suffisant étaient hyper contrôlées. Une fois mes galons reçus, j’ai profité du repos accordé pour faire le tour de notre fort. Je voulais me familiariser le plus possible avec tout ce qui composait le fort de Loncin, vu qu’il était très clair que je devrais livrer combat dans ces lieux, il était impératif que j’en connaisse ses moindres recoins.


La forme globale du fort était triangulaire. L’activité principale du fort se déroulait dans la cour, un grand espace où tous les soldats pouvaient se retrouver à l’abri approximatif du feu ennemi.
Autour on retrouvait naturellement les corps de garde et les tourelles de défense. Les saillants, sorte de grandes tranchées séparant le cœur du fort aux abords extérieurs de celui-ci, étaient larges d’une dizaine de mètres et fort intimidants quand on regardait les hauts murs qui nous serviraient de protections lors de l’attaque de l’ennemi.
Nous étions répartis en équipe de telle sorte que les saillants étaient toujours occupés par une poignée d’hommes. De même que les tourelles étaient toujours occupées pour pouvoir agir rapidement en cas d’attaque.


Le capitaine Naessens était petit, trapu, avec une tête très énergique et des yeux bleus d’acier, au regard scrutateur. Il était adoré de ses soldats. Même moi, qui le connaissais depuis quelques heures seulement, j’éprouvais pour lui un profond respect. Il donnait ses ordres comme si nous étions à la veille d’une grande kermesse, sans alarmer ses hommes, mais en n’oubliant pas de leur rappeler qu’en le servant ils servaient le roi et tout le peuple belge.


Le capitaine envoyait régulièrement des soldats en mission à Liège, afin d’être tenu au courant des mouvements des troupes. Il était ainsi en contact presque direct et journalier avec le général Léman. En tant que caporal, une mission me fut rapidement confiée. Je devais me rendre au fort de Barchon avec deux hommes et escorter un convoi de munitions. J’étais ravi de cette mission, j’allais enfin pouvoir agir. Je pris comme second mon camarade Gaston ainsi que le soldat Albin, un charmant compagnon qui s’était tout de suite porté volontaire. Trois hommes, une voiture et un chauffeur et mon escorte était formée.


Le trajet vers le fort de Barchon n’était pas très long. La ligne de défense de Liège étant prévue pour faire un barrage efficace sur une ligne d’une vingtaine de kilomètres. J’ai suivi les conseils de Gaston et nous suivîmes un trajet légèrement courbé si bien que nous arrivâmes au fort par Dalhem. Le voyage se passa sans incidents et peu avant 22 h ce 3 août nous demandions l’autorisation d’entrée dans le fort de Barchon.


La sentinelle de garde nous laissa entrer, après avoir vérifié nos papiers et notre ordre de mission. Il nous indiqua le centre du fort ce qui nous obligea à passer par les logements de nos camarades.


Ce fut l’Adjudant Verdcourt, le responsable du matériel, qui nous reçut. C’était un homme méticuleux et très charmant.


- Alors ? nous dit-il en souriant Qu’apportez-vous là ? De la bonne bière ? Du fromage de Herves ? Des jambons d’Ardennes ?

- Hélas non, chef ! lui répondit Gaston d’un ton tout aussi amical.

- Ce sont des munitions du fort de Loncin que nous vous apportons conformément aux ordres de Monsieur Naessens, enchaînai- je de la voix la plus douce et respectueuse possible.


Il nous regarda d’un air étonné puis s’approcha de notre voiture afin d’examiner le contenu de notre coffre. Il commença par prendre un pied-de-biche pour faire sauter les clous qui gardaient la planche du couvercle solidement attaché à la caisse. Quand il eut terminé de retirer la moitié des clous, il eut suffisamment d’espace pour soulever la planche sans pour autant ouvrir totalement la caisse. Il y jeta un rapide coup d’œil à l’intérieur et en sortit une bottine.


- Eh bien, me dit-il, vous avez fait tout ce chemin pour m’apporter des bottes ?


Il se retourna vers Gaston et Thierry Albin et leur donna l’ordre de mettre la caisse dans le dépôt. Il les regarda un instant pour s’assurer que les deux camarades s’exécutaient bien, puis il revient vers moi.


- Caporal ! dit-il. Suivez-moi chez le Général Léman.


Je n’avais pas remarqué qu’il avait gardé une botte. Elle était grise et pleine de boue. Je ne connaissais pas ce modèle.


Arrivé devant la porte du bureau du général il m’ordonna d’attendre et entra seul la bottine à la main.
Je ne restai pas seul longtemps, un lieutenant entra à son tour dans le petit hall vient vers moi l’air interrogateur.


- Dites-moi caporal, le général Léman est-il dans son bureau ?

- Oui mon lieutenant je crois, j’attends les ordres qu’il me donnera.

- Comment ça « vous croyez » ? Qu’attendez-vous là alors ?

- L’adjudant Verdcourt qui est entré mon lieutenant.


Il me dévisagea un instant, puis reprit son questionnement.


- D’où venez-vous ? Je ne vous ai jamais vu dans le fort !

- Je viens du fort de Loncin d’où j’ai reçu l’ordre du capitaine Naessens d’apporter une caisse de munitions, qui s’est avérée contenir des chaussures.


Le lieutenant devint pâle, il voulut être certain d’avoir compris ce que je lui disais. Une fois qu’il s’en fut assuré, il entra précipitamment dans le bureau du général. Quelques instants plus tard, le lieutenant ouvrit la porte et me demanda d’entrer. J’entrai donc dans une pièce assez grande par rapport au reste du fort et plutôt confortable. Le général Léman était assis dans un fauteuil de cuir noir, le lieutenant et le sergent debout de part et d’autre du bureau, ils étaient droits comme des "i". Tous regardaient ma chaussure grise et semblaient fort perturbés. Ne sachant pas quoi faire je restai en plein milieu de la pièce à attendre une hypothétique intervention d’un de mes supérieurs présents dans le bureau.


Ce fut le général Léman qui me posa la première question. J’étais très surpris de son contenu.


- Caporal ! dit-il en me fixant. Savez-vous ce que signifie cette chaussure ?


J’hésitai un petit moment à lui répondre ne comprenant pas très bien le sens de la question


- Mon général, lui répondis-je. Je ne comprends pas ! J’ai reçu les ordres du capitaine Naessens en personne. Il m’a dit que je devais transporter des munitions jusqu’ici.


Le général croisa le regard du lieutenant et sourit. Visiblement, ils ne pensaient pas que j’avais détourné les munitions. Cela me rassura quelque peu.


- Caporal, dit le général. Rassurez-vous ! Je ne vous accuse de rien.


Il prit la botte et la retourna. Il en tomba une petite boule de papier et sur laquelle on pouvait lire quelques inscriptions.


- Voyez-vous, dit Léman. Nous avons trouvé un moyen discret de communiquer. Le Capitaine Naessens ne vous a pas mis au courant pour éviter les fuites.


Le lieutenant arriva près de moi et me mit sa main sur l’épaule


- Te voilà dans le secret des dieux caporal ! hurla-t-il.


Soudain le ton redevint sérieux et le général commença à me donner ses ordres.


- Bien, je vais écrire mes ordres et les remettre dans cette chaussure, vous les donnerez en main propre au capitaine.


Je ne résistai pas à l’envie de lui poser une question. Une question qui devait probablement trotter dans les têtes de milliers de mes camarades sur toute la frontière belge.


- Mon Général tentai-je. Puis-je vous poser une question ?


Le général me regarda avec gravité un long moment. Tous les autres avaient la tête baissée, ils avaient deviné l’objet de ma question.


Le général Léman finit par me répondre


- La guerre a déjà commencé fils. On m’a signalé des bombardements à Lunéville en France. D’ici quelques heures nous devrons nous attendre à une invasion.


Il se leva de son fauteuil et me tendit la botte dans laquelle il avait replacé un bout de papier contenant ses ordres. Je pris congé de lui et du lieutenant et l’Adjudant Verdcourt sortit du bureau en même temps que moi.


Dans la cour, je retrouvai Albin et Gaston Lisac, ce dernier se précipita vers moi pour me poser une série de questions. On aurait dit un enfant qui a vu le grand Saint-Nicolas en personne.


- Alors, tu as vu le général Léman ? m’interrogea-t-il avec l’excitation d’un enfant

- Oui Gaston et il nous demande de retourner à Loncin et de nous préparer à défendre notre position.


Thierry et Gaston me regardèrent avec étonnement. Je crois qu’ils n’osaient pas comprendre ce que je venais de leur dire. Il eut un long moment de silence avant que Thierry Albin ne m’interroge à nouveau.


- Tu veux dire que la guerre est pour bientôt ?


Je pris une bonne bouffée d’air avant de leur répondre sans détour


- Oui mes amis. D’après le général Léman, l’invasion devrait débuter d’ici quelques heures.


Mes amis n’insistèrent pas davantage et le trajet de retour se fit en silence et assez rapidement. Comme il était déjà tard et que nous rentrions de mission, notre sergent nous autorisa à nous reposer quelques heures. Ce fut notre dernière nuit en temps de paix. Il ne nous restait que quelques heures d’insouciance et de jeunesse. La plupart des visages qui se trouvaient autour de moi allaient s’éteindre à tout jamais dans les jours à venir. Rien cette nuit-là ne laissait penser au drame qui allait se jouer dans ce bâtiment quelques jours plus tard.


Je ne vous ai pas encore parlé des petites particularités du fort de Loncin. Par exemple, le fort était conçu de telle façon que les latrines et les cuisines se situaient d’un côté du fossé entourant le fort, les chambres et l’armement se trouvait de l’autre côté. Si bien que nous devions choisir entre manger ou dormir. Durant cette nuit, Gaston et moi avons fait les deux. Nous avons profité de l’autorisation du sergent Van Messelen pour manger un ragoût à la composition douteuse et pour boire une ou deux bières, que nous avons réussi à dérober à la vigilance de nos supérieurs. La première partie de la nuit se passa dans le calme. Jusqu’au moment où plusieurs d’entre nous, dans le dortoir, crurent entendre des explosions. Gaston et moi bondîmes hors de notre lit et nous nous dirigeâmes vers la cour extérieure. Là, le capitaine Naessens et le sergent Van Messelen donnaient des ordres à différents soldats qui, comme nous, eurent la mauvaise idée de se lever.


- Caporal venez ici, hurla le capitaine. Comme vous et votre camarade êtes levés, vous allez pouvoir m’être utiles. Prenez deux hommes et allez renforcer l’aile nord du fort jusqu’à ce qu’on vous relève.


Cette fois c’était parti ; j’allais pouvoir montrer ma valeur et servir mon pays. Une sorte d’euphorie régnait au fort ; chacun d’entre nous était volontaire pour les missions les plus dangereuses. Quelques heures plus tard nous avons reçu la confirmation que l’invasion avait commencé, le général Léman et tous ses braves essayaient tant bien que mal de repousser l’ennemi. Je ne l’appris que bien plus tard, mais les forces allemandes ne reçurent pour ainsi dire, pas d’opposition jusque Liège. Le chaos le plus total régnait entre nos lignes. Certains civils, voyant l’armée allemande s’avancer sans résistance sur le territoire belge, croyaient simplement que le gouvernement avait autorisé leur passage.


À Liège par contre l’état d’esprit était tout autre. Les gens étaient fanatiques, persuadés qu’ils étaient de pouvoir chasser l’ennemi sans difficulté. Les troupes allemandes reçurent leur première riposte assez tôt dans la matinée du 4.


Durant cette journée, ma mission principale était de servir de relai entre les forts de Loncin et de Barchon. Je fis donc plusieurs fois la navette en voiture en compagnie de mon ami Gaston Lisac. À chaque visite je rapportais des nouvelles de l’avancée des troupes allemandes. En général il s’agissait de mauvaises nouvelles. La percée allemande se faisait de plus en plus nette ! Vers midi on pouvait dire sans problème que l’invasion allemande était une réussite, du moins de leur côté. Il ne leur fallut que quelques heures pour réparer des ponts ou déblayer des rues que nous avions mis toute une nuit à détruire. Nous devions nous rendre à l’évidence notre équipement et notre armement avaient au minimum une guerre de retard. Nous aurions pu riposter valablement aux troupes de Napoléon, pas contre la puissance allemande.


Le Capitaine Naessens, à qui je rendais compte, se doutait déjà bien que notre résistance serait brève et inefficace. Les journées du 4 et du 5 août passèrent comme une sorte de rêve. De partout, le bruit des coups de fusil et de canon résonnait. Nous recevions des rapports de toutes parts indiquant que la percée allemande était un succès. Le général Léman reculait d’heure en heure. Mais nous, le demi-millier d’hommes enfermés au fort, attendions que quelque chose se passe enfin pour nous sortir de cette torpeur. C’est à ce moment-là que Gaston Lisac proposa une idée originale au capitaine. Il voulait que lui et moi, accompagnés par deux autres camarades, nous participions à des missions journalières de reconnaissance. Le 5 au matin, nous étions donc quatre, armés jusqu’aux dents, soit à établir la liaison entre Loncin et les forts qui résistaient encore, soit à patrouiller et à renseigner le commandant sur la présence de l’ennemi. C’est au cours de cette première mission que nous avons reçu notre baptême du feu. J’allais tuer un homme pour la première fois.


Cela se passa à la sortie de la ville de liège, sur la route d’Ans. Une patrouille de Uhlans se dirigeait vers Loncin. Ils étaient quatre, comme nous. Nous les aperçûmes au coin d’une ferme où nous avions décidé de dîner.


Il s’agissait probablement d’une patrouille de reconnaissance. Envoyé sur la route de Loncin afin d’évaluer le danger que pouvait être notre résistance. Ils étaient encore loin et la configuration du champ était telle que nous pouvions les voir un long moment sans être vus. Gaston fut le premier à réagir, il se retourna vers moi, comme pour demander la permission de parler.


- Camarade, l’heure est venue d’entrer en guerre ! Offrons au capitaine Naessens les armes de ces imprudents !


Rapidement, nous nous plaçâmes autour de la ferme. Nous étions en embuscade disposés dans un carré élargi au maximum. Quand Les Allemands entreraient dans la zone de tir, ils n’auraient aucune chance de s’en sortir.


Leur uniforme, composé d’une tunique brunâtre ornée d’une série de boutons dorés disposés en V, de longues bottes de cuir noir et d’un képi mou et rond, était identifiable entre mille. Les quatre militaires chevauchaient quatre magnifiques étalons. Ils étaient noirs, d’une musculature saillante et marchaient au pas de l’air le plus fier qu’un cheval pouvait avoir en temps de guerre.


Pendant que nos futures victimes se dirigeaient vers notre piège, je pensais nerveusement aux consignes de tir que nous avions reçues lors de notre très courte formation : "Regardez droit devant vous, choisissez votre homme et tirez ! »


Dit comme cela, on ne se rend pas bien compte de l’importance et des conséquences de consignes. Comment pourrais-je choisir un homme parmi quatre et décider qu’il allait mourir ? Pourquoi celui-là et pas un autre ? Tandis que les soldats allemands avançaient, je distinguai la silhouette de mon ennemi. C’est un homme assez petit, trapu, avec de longues moustaches noires et de courts cheveux foncés. Son teint semblait pâle et son visage fatigué, pourtant il se tenait droit sur son cheval scrutant l’horizon à la recherche d’éventuels adversaires. Plus je le découvrais et moins j’avais envie de le tuer. Il était peut-être père de famille, ses enfants attendaient certainement inquiet son retour de la guerre. Avais-je le droit de détruire une famille ?


Il était maintenant à quelques mètres de moi. Je voyais Gaston me faire signe de donner l’ordre de faire feu. J’étais désemparé. Un long instant, je pensai laisser filer les quatre hommes et rester en paix avec ma conscience. Puis je repensai à mon devoir envers la Belgique, la mère patrie. Je ne devais pas faillir ! Et pour le roi, le pays et mon honneur, je fis feu. Je fus suivi dans la seconde par Gaston et mes deux autres compagnons.


Les quatre Allemands se couchèrent, certains sur le ventre d’autres sur le dos. Une fois tout danger écarté je m’approchai de ma première victime et le regardai. Il avait les yeux grands ouverts et le regard vitreux. Du sang coulait de son ventre et de sa gorge. Il était mort.


Et moi je me sentais vivant comme jamais.


 
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   Maëlle   
12/2/2008
Un vrai travail sur ce texte, qui s'installe dans la longeur. Le héros à un côté un peu naîf qui n'est pas déplaisant, et ça manque un peu de détails pratiques.
Je n'avais jamais envisagé de regarder 14-18 côté belge (côté allmenad ou français, oui), du coup j'ai même l'impression d'apprendre des choses.

C'est un texte qui vaut 11 sur mon échelle personnel, mais ce ne serait pas reconnaitre la progression remarquable de l'auteur.

   nanardbe   
15/2/2008
merci pour le com.

Mais n'ayez pas peur d'en laisser d'aurtre, votre avis est impotant

   Cassanda   
17/2/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Beaucoup de travail et de recherche pour ce texte qui nous fait voir la guerre côté belge. Je rejoins Maëlle, c'est original et j'adhère.
La progression est lente, les personnages plutôt bien présentés, peut-être un peu trop naïfs à mon goût et manquant un peu de subsistance. Est-ce le fait d'avoir lu une quantité de livres sur le sujet, romans, documents ou journaux de l'époque, je ne sais trop, mais si je l'ai lu avec attention, je ne suis pas rentrée dans l'histoire.
Bravo quand même !


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