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Sentimental/Romanesque
Napthaline : Amour Sans Frontières
 Publié le 24/03/12  -  5 commentaires  -  7055 caractères  -  126 lectures    Autres textes du même auteur

De l'effet de la courbe du menton sur la mondialisation…


Amour Sans Frontières


Elle observe son profil pendant qu’il parle. Elle ne l’écoute pas, elle suit la courbe qui relie son menton à son cou, arabesque mobile qui forme et déforme l’espace.


Lui (continuant à taper sur son clavier, debout, légèrement penché en avant) : Tu vois, tu ne m’écoutes pas.

Elle (englobant d’un regard sa personne, sorte de silhouette détourée et comme plaquée sur un décor de cinéma) : C’est vrai, je suis ailleurs.

Lui : Ailleurs où ?

Elle : Dans un autre pays.

Lui (caustique et théâtral) : Reviens parmi nous, pose-toi sur le tarmac du réel. Ne sens-tu pas la matérialité de ta chaise sous tes fesses ? N’entends-tu pas l’appel du travail qui te supplie de l’achever ?

Elle (sans l’écouter) : J’ai envie d’amour.

Lui (amusé) : Tout le monde a envie d’amour. Mais comme dit le proverbe, « L’amour ne fait pas bouillir la marmite. » Et j’en ai un autre : « Quand la misère entre par la porte, l’amour s’esquive par la fenêtre. » Alors, au boulot !

Elle (insistante) : J’ai envie d’une étreinte amoureuse.

Lui (se mettant en colère) : Si tu es là pour ça, tu peux partir tout de suite !

Elle (détournant le regard) : Je ne suis pas là pour ça, mais c’est venu ensuite. C’est à cause de l’assurance de ton menton, je crois.

Lui (ne pouvant s’empêcher de rire) : Qu’est-ce que mon menton vient faire là-dedans ?

Elle (chuchotant presque) : Il est arrogant. (Comme pour elle-même.) Dans le désir, il sera plus fragile.

Lui (criant presque) : C’est n’importe quoi ! Débrouille-toi toute seule !

Elle (relevant la tête et le regardant sévèrement pour sa remarque) : Merci pour ta suggestion, mais j’ai envie d’une étreinte (insistant sur la fin de la phrase) avec toi.


Il ne sait quoi répondre tant elle a mis de conviction dans ses deux derniers mots.

Maintenant, ils se font face à quelques mètres l’un de l’autre. Ils ne disent plus rien, elle, soucieuse de ne pas le brusquer davantage, lui, sans la regarder, se laissant le temps d’évaluer le possible de la chose. Il respire vite, il croit que d’avoir crié l’a essoufflé. Tout doucement, leurs deux respirations se mettent en phase. Il pose enfin les yeux sur elle, sur une femme qu’il n’a jamais vue, il la connaît pourtant depuis dix ans, mais celle-ci ne ressemble pas à l’autre, elle a un regard étrange, intense ou vide, il ne sait pas, et maintenant, au coin de ses lèvres, il y a une expression un peu moqueuse peut-être.


Elle : Bonjour. Je ne crois pas vous connaître.

Lui : Non, je suis nouveau dans la région.

Elle : Vous voyagez ?

Lui : Oui, je vagabonde. J’aime changer d’horizon.

Elle (espiègle) : J’ai une idée. Vous pourriez visiter mon pays. Je vous servirais de guide. Vous verrez, c’est un endroit charmant, doux mélange de déserts et d’oasis, de plaines et de collines.

Lui : Presque des montagnes, me semble-t-il.

Elle (ignorant sa remarque) : Et je visiterai le vôtre.

Lui : Un monde sauvage… mais hospitalier.


Imperceptiblement, ils se rapprochent l’un de l’autre.


Elle : Et si chacun de nous se plaît chez l’autre, nous pourrions peut-être envisager une… (hésitant)

Lui (inspiré) : Une réunification ?

Elle : Nous n’avons jamais été séparés.

Lui : Une réconciliation ?

Elle : Nous ne sommes pas brouillés.

Lui : Une coalition alors ?

Elle : Contre qui ?

Lui (frappant dans les mains) : Je sais… une fusion !

Elle : Oui… c’est ça, c’est exactement ça.

Lui (agité) : Il faut absolument fêter ça.


Il s’absente un instant et revient avec une bouteille et deux verres. La Veuve Clicquot se livre dans un claquement sec. Elle porte ses deux mains à son cœur, feignant d’avoir été touchée et se laisse tomber dans un mouvement lent et gracieux sur le sol. Il s’agenouille à son côté, remplit les coupes et lui tend la plus pleine.


Elle (se redressant) : Levons nos verres et portons un toast.

Lui : À la conquête de nos territoires !

Elle (sévère) : Odieux impérialisme.

Lui : À l’exploitation de nos richesses !

Elle : Affreux colonialisme.

Lui : À la souveraineté de nos désirs alors !

Elle : Dangereux totalitarisme.

Lui : Je sais… à l’ouverture de nos frontières !

Elle : Oui… c’est ça, c’est exactement ça.


Ils vident les coupes d’un trait. Il les remplit à nouveau.

Tout en parlant, chacun commence à dévêtir l’autre, avec délicatesse, mais sans y prêter attention, comme si leurs corps savaient qu’ils étaient destinés à s’unir bien avant leurs esprits.


Lui : Nous inventerons de nouveaux pays.

Elle : La Flandronnie, la Grèquie…

Lui : L’Israéline…

Elle (s’amusant beaucoup) : La Rutchékrainie…


En riant, il lui attrape l’épaule, comme pour lui faire savoir qu’il a trouvé un autre nom. Et il sent sous ses doigts la douceur de sa peau, l’élasticité de sa chair.


Lui (comme découvrant un tableau) : Mais… vous êtes nue.

Elle (tournant son regard vers elle-même comme pour le vérifier) : Oui… on dirait.

Lui : Votre nudité me trouble.

Elle : Et… votre trouble me trouble.


Son regard s’attarde sur sa bouche entrouverte, invitation discrète à une exploration. Elle sent un fil qui se tisse entre ses yeux à lui et sa bouche et elle joue avec. Elle tend le fil, elle détend le fil, en resserrant légèrement ses lèvres puis en les rouvrant plus ou moins, au rythme de leurs souffles. Comme une pulsation. Lui se laisse prendre au jeu. À un moment, elle passe sa langue furtivement sur la lèvre inférieure et cette humidité laissée sur la rive l’émeut. Maintenant, elle enroule doucement le fil autour de sa langue pour l’amener à lui. Et lui se laisse attirer, et là, ils se touchent presque.


Tel le serpent qui meurt s’il ne mue pas, ils déposèrent leur peau, mélangèrent leurs tracés, leurs langues, leurs reliefs, atteignirent des sphères inattendues. Formidable symphonie d’humanité s’achevant en un point d’orgue qui vibra bien au-delà de la résidence des dieux.


Quand elle s’éveilla, elle était seule. Elle le chercha, mais il ne restait que les traces de son passage. Dans l’obscurité, la lumière bleutée de l’ordinateur scintillait et sur l’écran plasma, elle put lire :


« Pendant que tu dormais, j’ai fini notre projet. Je suis retourné à mes plans, mes croquis, mes traits. Car je suis un homme de lignes. Elles dessinent ma vie, elles me rassurent, elles me guident. C’est pourquoi je m’en vais renouer avec le cordeau raide de mon existence. Mais ce n’est que pour pouvoir mieux l’infléchir par endroits. Je préfère m’exiler pour mieux te revenir, m’éloigner pour mieux me rapprocher, retomber pour mieux me relever. C’est ainsi que j’aime la vie, par bouffées excentriques, qui m’emmènent hors de mon axe. Nous fusionnerons à nouveau. L’incandescence enflamme les sens, ébouillante le sang, dévore les contours, incinère les limites, mais gare à la bourrasque imprévisible qui peut tout consumer. Aussi, quand nous nous serons brûlé trop fort les ailes à ce soleil, il nous faudra inventer d’autres rapprochements, moins ardents, d’autres alliances moins risquées. Que penserais-tu d’une fédération ? »


Elle sourit, heureuse, car elle sait que la première attente sera courte.


 
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   matcauth   
6/3/2012
 a aimé ce texte 
Un peu
une pensée intéressante sur la mondialisation, oui, mais plutôt, à mon avis, une définition charmante des liens entre les hommes, leur similitude avec les liens entre les pays.

malheureusement, tout cela reste en surface, je ne sens pas de conclusion "creusée" permettant de justifier ce texte autrement que par l'effet de style.

sauf à la fin :
« Pendant que tu dormais, j’ai fini notre projet. Je suis retourné à mes plans, mes croquis, mes traits. Car je suis un homme de lignes. Elles dessinent ma vie, elles me rassurent, elles me guident."

là, on rentre un peu plus dans le sujet, avec la comparaison "pays-être humain" mais on reste toujours sur notre faim. Est-ce une tentative pour attribuer des attributs humains à une nation? si oui laquelle?

Un peu avant, j'ai noté :
"J’ai une idée. Vous pourriez visiter mon pays. Je vous servirai de guide. Vous verrez, c’est un endroit charmant, doux mélange de déserts et d’oasis, de plaines et de collines."
j'ai trouvé ça trop facile, pas assez original.

Voilà, une histoire qui part d'une très bonne idée, l'écriture est bonne, mais l'auteur ne fait qu'effleurer un sujet, ne donne pas d'indices, de références, ne cherche pas à pousser loin son idée. Il y avait tant à dire, tant de comparaisons possibles entre pays et humains.

Et, pour la fin, j'aurais bien vu un "protectorat"!

   jeanmarcel   
6/3/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Un texte qui dégage beaucoup de charme, qui séduit le lecteur.
L’amour, la tendresse, la complicité, l’unité, tout ce qui fait un couple fusionnel est remarquablement développé avec finesse et humour.
Ces fragments d’un discours amoureux, pleins d’imagination, sont un régal et j’en reprendrais bien une portion si l’auteur veut bien rajouter encore quelques lignes. Splendide.

   macaron   
24/3/2012
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Une fantaisie joliment poétique et sensuelle. On se laisse emmener sans regret dans ce voyage au bout du désir. Un long dialogue tendre et inspiré en plat de consistance, voilà qui renouvelle un peu le genre sentimental/ romanesque. Au départ une idée simple et originale bien traitée, avec une écriture sensible et mature. Une lecture idéale en ce début de week-end!

   littlej   
6/4/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Napthaline,

Un très beau texte, qui commence avec un ton mélancolique, se continue dans un lyrisme délicat, et se termine comme il a commencé, dans la mélancolie. C'est donc une jolie ballade à travers le sentiment amoureux, qui sonne juste et vraie.

Les dialogues sont, d'après moi toujours, la grande qualité de cette nouvelle. Etrangement, malgré des formes interrogatives rares, voire absentes, dans les conversations de tous les jours ("Ne sens-tu pas la matérialité de ta chaise sous tes fesses ? N’entends-tu pas l’appel du travail qui te supplie de l’achever ?"), les dialogues sonnent justes, une émotion se communique à travers eux. A la question inévitable : "comment bien écrire ses dialogues en perdant le moins possible en vraisemblance ?", vous avez trouvé une bonne réponse. Les dialogues foisonnent de très agréables répliques.

Le seul bémol de ce texte, selon moi, se trouve au niveau du récit.
Je le trouve moins percutant émotionnellement, parce qu'on voit à ce niveau un soucis de bien écrire qui détonne avec la sobriété, la délicatesse des dialogues. C'est particulièrement vrai pour la scène de sexe, je trouve.

Pour ce qui est du fond, j'ai quelques questions à vous poser :

1) Je ne comprends pas la transition, ou plutôt la coupure, qui survient après le "un peu moqueuse peut-être" et qui s'ouvre sur un dialogue entre, je suppose, deux nouveaux personnages.

2) Quel est le sens du message de l'homme, à la fin ?

Bonne continuation.

   AntoineJ   
9/4/2012
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Superbe !
j'aime beaucoup cette transition chimique et organique par étape, cette découverte par le jeu de l'autre ... cette magie discrète évoquée avec pudeur ... et l'espoir de vie, d'une relation adulte en deux êtres qui se dessine au final ...
style parfaitement adapté au fond, ...
Manque peut-être juste un élément de contexte pour se situer au départ ...


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