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Humour/Détente
Nobello : "Il faut marcher droit", disait l'ancien
 Publié le 27/01/09  -  7 commentaires  -  52174 caractères  -  142 lectures    Autres textes du même auteur

Il y a bien des façons pour un homme d'être en accord avec sa culture intime...
Une histoire de maîtresse peu douée pour l'amour, peut-être ? Et qui ne tiendrait pas la comparaison, bien sûr.


"Il faut marcher droit", disait l'ancien


Aubin suivait son pas sur le chemin grossièrement pavé qui mène au château. Brésil, sur ses talons, pointait son museau hirsute partout à la fois, soucieux de ne pas manquer la plus légère des odeurs qui parfumaient cette délicieuse fin de matinée. Ou le prochain lézard que le pas du marcheur ferait détaler dans la pierraille, ou autre chose, n'importe quoi de ce qui rend la vie des chiens passionnante.

Quelques mètres en arrière, Spock tentait une fois encore de se laisser distancer, histoire de vérifier en toute quiétude si l'herbe des pelouses tenait ses vertes promesses.


- Spock, je sais à quoi tu penses et c'est non. Tu sais parfaitement que la châtelaine ne nous donne pas le droit de goûter à son herbe. C'est son droit, et il faut respecter le droit des autres.


L'homme ne s'était même pas retourné, parlant comme pour lui-même. Mais l'âne, après une hésitation, rejoignit sans hâte le milieu de l'allée. Aubin fit en silence un pari avec l'animal, sûr qu'il savait déjà le lieu de sa prochaine tentative. Spock était philosophe, fataliste et patient comme seuls savent l'être les ânes.


« Un droit, c'est un droit », disait l'ancien ! Et l'ancien savait ce qu'il disait, ça, oui...


Brésil approuva d'un bref jappement. Un papillon un peu trop familier s'était entiché de sa truffe, et le vol saccadé du lépidoptère inopportun le faisait loucher. Mais l'ancien n'avait laissé à la postérité aucune maxime relative à l'agacement des chiens du fait des papillons.


À quelques centaines de mètres, le château baignait voluptueusement dans la lumière d'été, semblant dire au passant qu'on l'accueillerait bien, ainsi qu'on l'avait toujours fait ici.

Aubin eut un léger pincement au cœur qui le fit s'arrêter.


Il se souvenait de ce temps, qui paraissait ne devoir jamais finir, où la châtelaine - sa châtelaine, l'ancienne - attendait ses visites en taillant les rosiers. Elle semblait chaque fois s'en réjouir comme d'une surprise inattendue, même si l'orangeade fraîchie de glace pilée qui attendait le promeneur en disait assez sur sa capacité à se laisser surprendre.

La vie avait coulé en plusieurs décennies, et ils avaient été l'un à l'autre de bons voisins, s'aidant quand le besoin se montre.

Aubin était resté vieux gars, par la faute à personne, et il était aussi le dernier au hameau, à prêter de sa vie pour y garder une âme. S'il n'était pas parti à la mort de l'ancien, alors qu'il était jeune et curieux, c'était un peu pour elle.


Elle avait fait les premiers pas d'amour en y venant, au hameau, ce jour d'il y a longtemps où sa mère était morte. Doucement, elle avait enlevé le bébé qui pleurait des bras de cet homme devenu père trop tard et veuf trop tôt, qu'elle avait trouvé figé dans sa peine au milieu de la pièce, vêtu pour la première fois de ce noir qu'il ne quitterait plus.

Elle avait couvert l'enfant de quelques mois avec un pan de son châle, puis elle s'était assise, prête à l'être longtemps. Épuisé de sanglots, le nourrisson s'était noyé dans le nid apaisant fait de bras, de giron, de rassurants murmures, d'odeurs de femme tendre. Alors, celui qui deviendrait l'ancien avait laissé venir les seules larmes que sa rude existence ait pu lui soutirer.


L'ancien l'avait élevé comme un épi de seigle, qui prend sa force et son goût d'avoir poussé dans une terre pauvre. Pour faire une vie d'honnête homme, disait l'ancien, il faut marcher droit et s'y tenir.

Les sourires de la châtelaine, ses caresses légères, si douces à l'enfant qu'Aubin avait été, tempéraient largement l'aspect parfois rugueux de l'amour véritable que lui portait l'ancien. Elle n'avait pas cherché à être pour l'enfant une seconde mère et Aubin, d'aussi loin qu'il puisse se souvenir, ne l'avait jamais appelée que "Châtelaine", parce qu'il avait toujours entendu l'ancien la nommer ainsi. Dans son cœur, cependant, ce nom s'était fait singulier, et le prononcer faisait résonner en son âme de gosse des chants qui racontaient une fée généreuse, et les lutins-malins qu'elle savait lui montrer aux lisières du bois, juste avant qu'ils ne disparaissent.


Châtelaine était partout dans ses souvenirs. Elle avait guidé ses premiers pas, et lui avait appris à monter un bonhomme de neige en riant de plaisir malgré le froid qui mord et les doigts qui protestent.

Alors il avait, à son tour, soutenu son amie quand son pas s'était mis à se faire hésitant, et il avait parlé bien plus qu'à l'habitude, pour donner un prétexte aux dernières promenades, aux derniers bons moments. Il l'avait bien fait rire en évoquant l'ancien et sa bonté bourrue, ou en lui racontant comment Brésil thésaurisait les os, biscuits, balles et bâtons que Châtelaine lui lançait en riant : le tas de ses précieux trophées avait envahi la presque totalité de l'espace disponible dans son chenil, et il n'y dormait plus. Aubin avait toujours eu, à cet égard, la délicate faiblesse de remettre au lendemain le déchirant mais néanmoins légitime nettoyage de l'endroit.


Châtelaine avait lancé ses friandises de moins en moins loin, puis de plus en plus près, pour finir par laisser à Brésil le soin de les prendre lui-même dans sa main devenue si froide. Il savait faire cela avec toute cette attention, cette délicatesse dont les chiens sont capables lorsqu'ils aiment, ou qu'ils craignent.

Puis Châtelaine s'en fut, et le château se trouva fermé, proposé à la vente par un lointain neveu qui n'avait pas seulement daigné le visiter.


Un jour de mai de l'année suivante, le château s'anima à nouveau.


Le cœur d'Aubin fit un saut de cabri en observant, de loin, les volets qui s'ouvraient. Il lui semblait voir les paupières d'un géant qui s'éveille, étonné de s'être assoupi.

Il patienta deux semaines avant d'aller rendre visite aux nouveaux occupants : l'ancien disait qu'un bon voisin sait montrer un intérêt qui ne puisse être pris pour de la curiosité.


Devant celle qui ouvrit la porte, il ôta son chapeau comme un autre aurait tendu la main. L'ancien y voyait une manière honnête de saluer sûrement tout en restant certain de ne pas se montrer maladroit.

Le premier coup d’œil lui confirma, sans doute possible, qu'il avait devant lui la nouvelle châtelaine : elle affichait cet air, ce ton si particulier de ceux qui s'attendent à être obéis.

Il jugea ses cheveux trop blonds, trop pâles pour un regard si sombre, et son hâle trop soutenu pour que la faute en soit au soleil de printemps. Sans doute, elle aurait dû être belle, mais quelque chose d'indéfinissable empêchait qu'elle le fût.


Pour ce qu'il en avait connu ensuite, elle déploya ce jour-là une relative bienveillance. Il s'était présenté après qu'elle l'eut toisé d'un regard soupçonneux, lâchant un bref « Monsieur ?... » qui signifiait aisément le peu d'agrément que lui inspirait son visiteur. Il expliqua qu'il était le voisin, que leurs prés se jouxtaient, et qu'il était content de savoir le château à nouveau habité.

Il indiqua le hameau, et la ferme qu'il occupait, pour le cas où les nouveaux venus auraient besoin de lui, et qu'il ne fallait pas hésiter à le solliciter. Le cas échéant.

Elle eut un sourire aussi soudain qu'inattendu, et il discerna, avec un léger inconfort, l'ironie qui croyait se cacher derrière. « Méfie-toi, disait l'ancien, de celui qui méprise : il cherche sûrement plus sale que lui. »


Elle s'était ensuite immergée dans un presque-monologue, l'entraînant vers le parc qu'il connaissait si bien, et qu'elle paraissait vouloir lui découvrir à force de grands mouvements des bras.


- Vous comprenez, monsieur... Monsieur ?... Aubin, oui. Vous comprenez, monsieur Aubin, j'ai un mode de vie et des occupations professionnelles sans doute un peu moins... rustiques que la précédente occupante des lieux. J'ai certainement aussi plus de relations, et d'une tout autre catégorie.

Mon décorateur s'est mis en quatre pour accoucher d'un projet susceptible de donner à cette vieille demeure un peu de la classe qui lui manque, et les ouvriers seront là dès la semaine prochaine. Le parc, par contre, reste mon affaire, et je veux qu'il soit à la hauteur, je veux du prestige, de l'impeccable. Et pour commencer, je fais monter un bassin en cartouche à la place de cette mare gluante qui offense la vue que l'on a des jardins, depuis le salon d'apparat. Un bassin avec des tritons, et des naïades.


Aubin ne connaissait au château aucun salon d'apparat, et n'avait jamais envisagé sous l'aspect d'une mare gluante le calme étang semé de cresson et de nénuphars, dont une très ancienne source artésienne garantissait la limpidité. Le ru qui s'en échappait ne s'asséchait jamais, pas même quand l'été et le vent du sud faisaient craquer la terre.


- Voyez-vous, monsieur Aubin, j'ai l'intention de faire une pelouse de cette prairie. Un gazon ! Un gazon anglais ! Je veux la netteté d'un green de golf, et des bosquets nettoyés : que mes invités puissent s'ébattre sans arrière-pensée dans une nature enfin propre et accueillante, qu'ils soient saisis dès leur arrivée, ensorcelés par le calme majestueux du Domaine...


Elle fit la moue, en se tournant vers lui.


- Mais vous comprenez bien que ce pré, qui longe mon allée et dont vous me dites qu'il vous appartient, constitue un obstacle.


Aubin fut surpris, presque interloqué.


- Un obstacle ? Mon pré ? Mais de quelle manière, grands dieux !?


Elle pinça les lèvres et s'approcha de lui, investissant son espace intime plus qu'il n'aurait cru séant au vu des circonstances. Il trouvait malvenus les lourds effluves d'un parfum trop capiteux et qui lui volaient les odeurs de l'été naissant.


- Forcément ! En l'état, tout au moins. Vous devez comprendre que toute cette... ruralité - dont nous savons tous qu'elle reste un pis-aller incontournable, je vous l'accorde - imprègne fatalement le regard des arrivants, et sabote tous les efforts consentis en aval pour imposer un cachet raisonnable à ma propriété. Évidemment, si vous aviez la gentillesse de me vendre ce pré, le problème serait réglé. À condition, bien sûr, que vous ayez des prétentions raisonnables.

Aubin se prit à sourire du culot déployé par cette petite femme si visiblement décidée.

Elle crut y voir un acquiescement avant qu'il ne la détrompe.


- Ce pré n'est pas à vendre, Madame.


Elle marqua le coup en reculant d'un pas.


- ... Mais si vous m'expliquez la façon dont vous comptiez en rendre la vue supportable, je pourrais peut-être m'y atteler. À moins, bien sûr, que seul un changement de propriétaire sache lui obtenir cette vertu, auquel cas...


Elle ne releva pas l'ironie, mais ses yeux s'allumèrent comme ceux des enfants qui voient s'effriter, à force de harcèlement, l'obstacle qui les sépare de leur désir.


- J'étais certaine d'avoir affaire à un homme intelligent ! Vous avez raison d'être accommodant, monsieur... heu... Aubin ! Aubin, oui. Parce que, voyez-vous, j'ai certaines influences... qu'il m'arrive parfois de faire jouer pour rendre service à mes amis les plus fidèles. Mais laissons cela, nous avons du pain sur la planche ! Je vais vous expliquer ce qu'il convient de faire...


Elle avait saisi Aubin par le bras et l'entraînait vers les frondaisons, dos au château et baissant la voix, comme si elle craignait qu'un indélicat ne profite indûment d'une conversation réservée à l'élite. Bon garçon mais pas dupe, il se laissa faire.

S'ensuivit une litanie d'observations impératives et d'indications rédhibitoires quant à la "petite barrière champêtre mais de bon goût" qui seule pourrait éviter au regard du visiteur innocent l'offense que constitue un troupeau de moutons - sales, de surcroît - qui mâchonnent bêtement l'herbe inélégante d'une quasi-friche.


Estomaqué, Aubin lui objecta presque timidement que les frais à engager dans un tel ouvrage ne se justifiaient peut-être pas au regard de la satisfaction attendue. L'expression de la châtelaine le découragea d'approfondir. D'une voix réfrigérante, elle lâcha qu'elle assumerait pleinement cette opération, et qu'il n'aurait qu'à lui en reparler dès qu'il l'aurait menée à son terme. Elle ajouta qu'elle avait confiance en ses capacités, qu’elle s'en remettait à lui et qu'il ne devait pas la décevoir. Puis elle rebroussa chemin, le plantant là.


Il la regarda s'éloigner, puis murmura :


- ... Ben, mon vieux..., avant de sourire au chemin qui le ramènerait chez lui, le prenant à témoin de l'étrangeté des gens, parfois.


Amical, le chemin en avait convenu.


Aubin était homme de bonne volonté. Il avait accepté un marché dont il se savait la dupe parce qu'il estimait pouvoir payer ce prix pour assurer une base saine à cette nouvelle relation de voisinage.


Il avait creusé les trous ; cinquante, à la pelle. Puis il avait fiché bien droit au fond de chacun d'eux l'un des cinquante poteaux qu'il avait achetés selon les indications de la châtelaine. Pas des méchants poteaux de châtaignier épointé, non : de beaux poteaux carrés, taillés et rabotés dans un bon acacia, et qu'il avait couvert de trois couches de la meilleure peinture blanche qu'il ait su trouver.

Il avait scellé chaque poteau à sa place en coulant dans les trous un solide béton, puis avait tiré deux cordeaux pour être bien certain de clouer le plus précisément possible les belles planches délignées avec soin qui termineraient son ouvrage.


Il y mit onze jours de labeur acharné, sans compter le débours, mais quand il recula sur le chemin afin d'envisager son travail, il sourit et s'assit, s'autorisant à présumer que sa nouvelle voisine en serait satisfaite.


Étrangement, plusieurs jours s'écoulèrent sans qu'il la croisât.

Il se rendit alors au château, afin de présenter les factures et recevoir son dû, voire même un éventuel témoignage de contentement.


Parce qu'elle ne pouvait cette fois l'éviter, la châtelaine vint à sa rencontre d'un pas décidé. Son regard, cependant, se détournait par à-coups, comme si elle cherchait d'urgence un mensonge crédible. L'ancien avait appris très tôt à son fils la signification de tels regards qui, d'après lui, étaient signe de timidité, d'inconfort ou de duplicité.

Sans la connaître bien encore, Aubin doutait de l'hypothétique timidité de sa voisine. Il pressentit le désagrément à venir avant même qu'elle ne s'adresse à lui, d'une voix doucereuse.


- Monsieur Aubin... ! Qu'est-ce donc qui me vaut l'honneur de votre visite ?


Son regard, ostensiblement arrêté sur les bottes d'Aubin, croûteuses d'un mélange durci de fumier et de boue, semblait un déni absolu de l'allusion à l'honneur prétendu qui lui était fait.

Aubin n'éprouvait pourtant aucune sensation de malaise : il se savait certain du devoir accompli, et sûr de la légitimité de sa démarche.


- Bonjour, Madame. Vous avez pu voir que j'ai travaillé à ce dont nous avions convenu. Cela vous plaît-il ?

- Mais oui. C'est très bien, oui. Je suis très satisfaite. Avouez tout de même que cela découvre bien plus d'allure ainsi !... Ne dirait-on pas une allée cavalière ? Sincèrement, je vous félicite...


Ils restèrent un moment à se considérer en silence avant qu'Aubin ne reprenne, paisiblement.


- Je vous porte les factures. Vous verrez que j'ai ménagé vos intérêts.

- Certainement, certainement. Je n'en doute pas. Mais de quelles factures me parlez-vous ? Qu'ai-je à voir avec ça ?


Aubin soupira. Un sentiment fugace l'avait traversé, fait de la comparaison entre la boue de ses bottes et celle qui semblait devoir imprégner l'instant.


- Vous m'avez demandé d'effectuer ce travail à votre goût, et de faire l'avance des frais, ce à quoi je n'ai pas rechigné, pour vous être agréable. J'attends donc que vous me remboursiez, comme prévu.


Elle fronça les sourcils, pour paraître surprise.


- Que me racontez-vous là ?! Je vous aurais affirmé, moi, que je participerai financièrement à l'édification de votre clôture ?

- Oui, Madame. À l'évidence, c'est ce que vous vouliez faire comprendre.

- Non, mais je rêve... Ce serait trop facile, ça, monsieur Aubin. Il ne suffit pas de prétendre n'importe quoi : à moins que vous ne puissiez me produire un écrit signé de ma main et qui confirmerait vos prétentions, je vous serai reconnaissante de ne pas insister.


Malgré le ton devenu péremptoire, Aubin répondit calmement, en paix avec lui-même.


- Vous savez bien qu'il n'a jamais été question de signer quoi que ce soit. Vous n'en savez pas moins me devoir cet argent, que je vous prie de me remettre. Je vis chichement et il me ferait défaut.

- Si vous avez besoin d'argent, je vous achèterai peut-être ce méchant bout de pré qui semble devoir semer la discorde entre nous. Ça ne vaut sûrement pas bien cher, mais si je peux ainsi vous tirer d'embarras...

- Le pré n'est pas à vendre. Vous me devez cet argent, et vous perdez votre temps à tenter de donner le change. Vous devriez plutôt changer d'attitude : en me volant, vous vous feriez bien plus de tort que vous ne pouvez m'en causer.


Ce disant, Aubin pensait à l'ancien, qui affirmait que les coquins n'ont pas d'amis sincères, vivent sans amour et meurent de même. Il semblait à son âme claire d'homme simple qu'aucun dommage ne pouvait être pire.

La châtelaine en fit une autre interprétation. Elle se redressa vivement, comme un serpent prêt à frapper.


- Vous me menacez ? Allez-vous-en, et vite, avant que... je ne vous fasse reconduire par mon personnel !


Elle paraissait hors d'elle-même, criant de plus en plus fort.


Le personnel disponible se résumait au jardinier, sourd, et à une vieille gouvernante presque grise d'être trop discrète, qui se prénommait Mireille mais que sa patronne avait décidé d'appeler Léone. "Pour la rime", moquait-elle. Aubin ne présumait pas que l'un ou l'autre puisse représenter un risque sérieux. Il remit son chapeau.


- Je ne vous ai pas menacé, et vous êtes bien assez capable de vous nuire sans mon aide. Vous devriez cesser de vous agiter, ça ne vous embellit pas.

Il tourna les talons. Brésil, qui avait sagement attendu le cours des évènements au pied de son maître, lui emboîta le pas en remuant doucement la queue.


- Comment osez-vous me parler sur ce ton, espèce de… de… pousse-mottes ! Sortez ! Sortez de chez moi !


Brésil comprenait mal le français - sans, d’ailleurs, s’en vouloir plus que ça. Décidant qu’il s’agissait d’une invitation, il leva la patte avec application contre l’un des angelots de pierre qui ornaient de fraîche date les allées de la propriété.


- Et rappelez votre chien pouilleux ! Si vous le laissez faire ses besoins dans mon allée, je porterai plainte contre vous !


Aubin ne se retourna pas, mais Brésil mit un point d’honneur à apposer sa signature olfactive après chaque chérubin rencontré, opposant aux invectives un flegme tout canin.


Ensuite fut une période de calme relatif. Aubin, lorsqu’il rencontrait la châtelaine, ne manquait pas à relever son chapeau, dans cette esquisse de salut inachevé que tout homme digne doit à celle qu’il croise, tant méprisable qu’elle ait pu se montrer. Ainsi disait l’ancien qui, bien que taciturne, passait pour savoir se conduire.


Un jour, cependant, Aubin retrouva le chemin du château. L’automne avait apporté la nécessité de labourer les quelques parcelles qui allaient donner l’orge d’hiver dont il nourrirait ses brebis l’année suivante. L’une de ces parcelles, sans être réellement enclavée, se trouvait bordée par un chemin en surplomb, et le dénivelé interdisait d’envisager raisonnablement y ménager un accès.

Pour y parvenir aisément, il avait jusque-là emprunté un chemin de terre appartenant au château. À la campagne, entre gens de bonne compagnie, ces choses vont d’elles-mêmes.


Il préférait cependant se garantir contre d’éventuelles tracasseries, jugeant qu’il valait mieux exploiter une autre terre qu’ajouter un sujet de fâcheries à la tiédeur des relations qu’il partageait encore avec sa nouvelle voisine. Il allait donc, de son pas sûr et tranquille, demander à la propriétaire l’autorisation d’emprunter, pendant quelques secondes, quelques mètres de sa propriété.


Elle l’accueillit avec une réserve attentive. Ses paupières se plissèrent un peu alors qu’elle répondait à la question qu’Aubin avait posée, usant du naturel qui lui était coutumier.


- Ainsi, il vous faut impérativement passer chez moi pour labourer ce champ ?

- Oui, Madame.

- Et vous venez expressément en solliciter l'autorisation ?

- Oui, Madame. S'il vous plaît.


Aubin ne s'agaçait pas, parce qu'il ne s'abaissait pas : il ne se ressentait aucunement concerné par le sourire ironique qui relevait les lèvres trop minces de son interlocutrice.

Elle releva la tête, gorgée de magnanimité triomphante.


- Soit, je vous en donne la permission.

- Merci, Madame. J'aimerais cependant, afin que les choses se fassent selon vos habitudes, que vous me l'écriviez sur un bout de papier que vous aurez la bonté de signer. S'il vous plaît.


Elle cilla un peu plus, mais son sourire s'agrandit.


- Chat échaudé craint l'eau froide, dirait-on ?


Il sourit à son tour.


- Ne pas craindre la pluie n'interdit pas de se mettre à l'abri…


Elle rit, puis rentra dans la demeure. Un moment après, elle en ressortait, tenant du bout des doigts une feuille pliée qu'elle tendit à Aubin comme certains tendent une aumône.


- Cela vous convient-il, monsieur le matois ?


Aubin déplia le papier avec application, et lut à haute voix :


- Je soussignée… certifie accorder à… le droit de passer par ma propriété afin de labourer le champ qui la longe, ce aussi longtemps et autant de fois qu'il lui plaira… date, signature. C'est en ordre. Merci, Madame, et au revoir.


Lorsqu’il disparut à l'angle d'une haie, la châtelaine souriait encore, d'un étrange sourire.


Aubin laboura sa terre, puis la prépara à recevoir la semence. Au jour des semis, il attela son vieux semoir à son tracteur hors d'âge et se rendit à la parcelle, dont la terre attendait la graine comme une jeune mariée attend son époux.

À l'entrée du chemin se tenait la châtelaine, qui lui intima de s'arrêter. Il coupa le contact, descendit sans hâte, et releva son chapeau sur sa tête.


- Bonjour, Madame. Y a-t-il un problème ?

- Effectivement, on pourrait dire qu'il y a un problème. Que comptez-vous faire avec ça ?

Elle désignait l'attelage.


- Semer, Madame.


Encore une fois, les yeux de la châtelaine se plissèrent.


- Je crains que non, monsieur Aubin. Si vous examinez avec attention l'autorisation que je vous ai remise, vous constaterez que je ne vous ai autorisé à user de mon chemin qu'afin de labourer votre champ. Il s'agit d'une exclusive clairement formulée : vous pouvez labourer autant qu'il vous plaira, sans que cela vous autorise quoi que ce soit d'autre. Pour semer, vous devrez passer ailleurs que par ma propriété.

- Vous savez bien que c'est impossible. Pourquoi faites-vous ça ?

- Parce que cela m'amuse et que j'en ai le droit. Vendez-moi le pré que je veux et nous reparlerons de vos semis. Sinon… achetez-vous un hélicoptère !


Sans un mot, Aubin regagna son siège grinçant, démarra l'antique machine et fit effectuer un demi-tour à l'attelage. Il ne se retourna pas, mais leva son chapeau un peu plus haut que d'habitude à l'adresse de celle qui, bras croisés, le regardait partir en gloussant de mépris.


À quelque temps de là, la châtelaine éprouva un désagrément inattendu : la gouvernante - qu'elle appelait aussi "la bonne", en y prenant un plaisir égal à l'humiliation qu'elle discernait parfois chez la vieille servante - vint la solliciter jusque dans son bureau, où la maîtresse des lieux interdisait qu'on la dérangeât. La femme était pâle, et aussi agitée qu'il est possible à quelqu'un d'aussi insignifiant.


- Madame, Madame… Madame devrait venir voir, Madame !


Le visage sévère, la maîtresse avait froncé les sourcils.


- Léone, j'espère que vous me dérangez pour de bonnes raisons. À la longue, je pourrais présumer que vous êtes trop vieille pour assurer convenablement votre service !


La pauvre femme eut un mouvement de recul.


- Oh, Madame ! Oh, non, Madame. Mais Madame devrait venir voir à la fenêtre…


Agacée, la châtelaine referma d'un geste brusque le dossier qu'elle consultait. Le claquement sec fit sursauter la domestique, mais sa maîtresse l'ignora, gagnant d'un pas d'officier les hautes baies vitrées qui donnaient sur ce qu'elle avait pompeusement rebaptisé "la Cour d'Honneur".

Elle-même justifiait cette appellation hasardeuse par les sommes dépensées à y faire installer le fameux bassin en cartouche, dont les angles étaient occupés par quatre tritons cracheurs. Une naïade à l'air songeur, juchée sur ce que le dix-huitième siècle croyait être un dauphin, s'ennuyait au centre. L'ensemble aurait presque pu être gracieux si ses dimensions, étriquées au regard de la bâtisse, ne l'avaient rendu ridicule.


La châtelaine frôla l'asphyxie en découvrant le spectacle inhabituel qu'offrait l'endroit : autour de son précieux bassin s'abreuvaient un âne, un chien et une trentaine de brebis. Celles-ci, en manière de remerciement pour leur soif étanchée, s'employaient également à fertiliser avec conscience le sol de la cour. Récemment couvert de petits cailloux d'un blanc immaculé, ledit sol aurait peut-être pu se passer de tant d'attentions, mais l'enthousiasme des généreuses bêtes ne semblait pas devoir se démentir.


La propriétaire du lieu mit quelques secondes à accuser le choc, à accepter d'insérer dans sa propre réalité la scène surréaliste qui se déroulait sous ses yeux incrédules. Cette sorte de stase fut interrompue parce qu'Aubin, avec un large sourire à son adresse, avait levé son chapeau aussi haut que son bras pouvait l'autoriser.


Alors, elle explosa.

Enragée, elle tentait avec frénésie d'ouvrir la fenêtre, trop fébrile pour être efficace, vitupérant des fragments d'invectives inintelligibles. Léone vint la secourir, toute d'humble empressement, et parvint à libérer la crémone. Sa maîtresse l'écarta avec brusquerie, sans un regard, et s'abandonna aux imprécations qui lui brûlaient les lèvres comme lave débordant d'un cratère.


Ce déluge d'insultes n'eut qu'un effet mitigé sur l'étrange troupeau. Spock avait un peu plié l'oreille gauche, et Aubin en avait profité pour tourner la tête vers lui, semblant éprouver un intérêt soutenu pour cette scène probablement rarissime.

Les brebis, soumises à leur nature farouche, avaient eu un bref mais sensible mouvement de recul, dans une houle de toisons. L'absence de réelle menace les fit revenir à leur nouvel abreuvoir avec la placidité qui caractérise ces animaux craintifs mais nourrissants.

Brésil, approbateur, avait salué l'oratrice d'un jappement qu'accompagnaient quelques mouvements d'une queue nonchalante, avant d'entreprendre sa révision personnelle de l'aura olfactive imprégnant les angelots de pierre. Visiblement, il éprouvait le sentiment d'en être en charge.


La furie hurlante qui était une femme un instant plus tôt, aux limites extrêmes de l'apoplexie, se mit à jeter au chien ce qui lui tombait sous la main : ce fut d'abord une revue, décevante, qui ne parcourut que quelques mètres sur sa trajectoire avant de retomber en une chute molle et brouillonne, dans un feulement de papier froissé. Brésil, compatissant, leva la tête de son ouvrage pour un regard d'encouragement.


Elle saisit alors un lourd cendrier de grès et le lui lança.

L'objet, trop pesant, ne dépassa qu'à peine la revue et vint se fracasser sur le plus proche des chérubins, qui laissa dans l'affaire un fragment de nez. Le chien, avec tact, fit semblant de n'avoir rien vu.


En hululant de manière particulièrement singulière, elle jeta vers lui l'une de ses chaussures, qu'il fit l'effort de venir flairer malgré un évident désintérêt. Elle lui lança une petite lampe de chevet dont le fil, encore branché, stoppa net la trajectoire, l'invitant à s'écraser avec force contre la lanterne du porche. À court de munitions, elle ouvrit le tiroir d'une petite coiffeuse, dont le contenu offrit à sa fureur un large éventail de projectiles potentiels : ainsi Brésil eut-il le loisir d'observer avec intérêt une pluie d'objets divers enrichir son environnement immédiat.

Il délaissa le tire-comédons, dont le tintement l'avait d'abord attiré, examina en trois coups de truffe un pot d'une crème qui le valait bien, et finit par jeter son dévolu sur une brosse à cheveux très visiblement d'occasion : sale à souhait, il lui trouvait du charme. Comblé, il retourna, la brosse à la gueule, finir de gratifier les angelots de sa bienfaitrice.


La châtelaine, écumante, décida soudain de réfréner un peu de sa rage, parce que le regard goguenard d'Aubin, et ceux - effarés ! - que Léone lui coulait en exposaient clairement la puérilité. Reprenant un peu d'emprise sur elle-même, elle se figea, glaciale.


- Je vous poursuivrai. Mes avocats vont vous traîner en justice pour ce que vous avez fait ! Vous paierez pour le saccage que vos bêtes ont perpétré chez moi. Comptez sur moi pour vous faire cracher un maximum : je ne vous lâcherai pas avant de vous savoir exsangue. Cette folie va vous ruiner, vous entendez ? Je vais vous saigner ! Vous saigner à blanc, vous entendez ?


Aubin releva la tête.


- Je ne suis pas sourd, voisine. Seulement, j'essaie de ne pas trop entendre, pour ne pas me souvenir que tant de saleté puisse naître d'une bouche de femme. Maintenant, pour ce qui est d'aller en justice, je ne suis pas bien certain que vous y trouverez votre compte. Mais si vous voulez essayer, ça passera le temps…


Il semblait si sûr de lui que la harpie sentit un doute lui mordre le ventre. Elle reprit néanmoins, sur le même ton.


- J'ai deux témoins qui confirmeront mes accusations : vos sales bêtes vont vous coûter cher, Aubin ! Vous me provoquez et vous allez payer pour ça !

- Quand vous aurez fait le tour de vos nerfs, vous m'expliquerez ce que vous me reprochez. Lentement, parce que je suis un pousse-mottes, donc pas trop futé. Vous avez le temps d'y réfléchir : je reste encore un moment, au cas où l'une ou l'autre de mes copines se trouverait une petite soif cachée dans un coin.


Elle parvint à conserver un calme relatif.


- Je vous interdis de laisser vos animaux plonger leur mufle répugnant dans mon bassin. Par votre faute, ils ont vandalisé les allées et l'avant du château ; je ferai changer à vos frais la totalité des graves blanches, et vous allez comprendre votre douleur ! À cause de votre corniaud hirsute, l'une des statues de mon parc a été sérieusement endommagée, et d'autres ont été souillées. J'exigerai réparation ! D'autant plus que je vous ai déjà expressément défendu de pénétrer dans ma propriété. Vous avez donc agi avec l'intention de nuire !

- D'agacer, tout au plus. Allons, voisine ! Vous me prêtez une haine que je ne me connais pas, et une perversité inaccessible aux gens simples… comme vous le savez sans doute. Je ne parlerai pas de votre statue si maladroitement abîmée, parce que j'ai trente moutons prêts à jurer que Brésil en est tout à fait innocent : si quelqu'un se sent morveux, qu'il se mouche. Pour le reste, il doit y avoir un malentendu.


Elle faillit s'en étrangler.


- UN MALENTENDU ?!


Aubin restait imperturbable. Olympien, avec un petit quelque chose de candeur narquoise. Il opina tranquillement.


- Savez-vous ce qu'est une servitude, en matière foncière ? Le notaire a bien dû vous le dire, au moment d'acheter le château…

- Me dire quoi ? Expliquez-vous !


Le timbre cassant de la châtelaine se voilait d'inquiétude naissante.


- Avec plaisir. C'est simple à comprendre, même pour moi. Votre mare - pardon : votre bassin - provient de l'unique source artésienne du pays. L'eau en a toujours été renommée pour ses vertus curatives, qui ont longtemps profité à bêtes et gens.


Un éclair d'intérêt alluma l'œil de la mégère.


- Et que soignerait donc cette eau miraculeuse ?

- La soif. Elle a aussi pour qualité de réveiller les ivrognes, lorsqu'on leur en jette un seau. Mais l'important n'est pas là. Ce qu'il vous faut savoir, c'est que cette source, la pièce d'eau qu'elle forme, ainsi que les voies pour y accéder sont grevées depuis la révolution française d'un droit de passage. Inaliénable, accordé aux habitants du hameau afin qu'ils y mènent boire les troupeaux.

Le seigneur du lieu avait ainsi remercié ceux qui lui avaient évité d'être raccourci d'une tête. En fait, c'est seulement parce qu'il était aussi bon qu'un seigneur pouvait l'être à l'époque… On sait ce qu'on perd, pas ce qui viendra !

Pour faire court - parce que je vous sens fébrile - : j'habite le hameau, et j'ai décidé de mener mes bêtes s'abreuver ici quotidiennement.


Elle était livide.


- C'est… c'est odieux ! Comment pouvez-vous… ?!


Aubin rassemblait ses brebis, et Brésil éprouvait un plaisir évident à répondre aux ordres brefs de son maître. Le petit troupeau s'engagea dans l'allée à la suite de Spock, qui avait anticipé le mouvement. Avant de les suivre, Aubin se tourna vers son hôtesse forcée, qu'agitait un irrépressible tremblement nerveux.


- À vrai dire… c'est que cela m'amuse. Et que j'en ai le droit. Si cela peut vous consoler, vous pourrez vous vanter d'avoir été pour moi une bonne maîtresse.


Saluant brièvement, il partit de son pas paisible, en évitant avec ostentation les petites masses sombres qui attestaient du passage de ses bêtes. Il s'arrêta même un instant devant la production de Spock, qui avait tenu à participer à l'élan général. Bien qu'une colique momentanée lui ait interdit les œuvres denses, l'étendue du résultat faisait de lui le champion incontesté de cette joute atypique.

Bien après avoir passé les limites du domaine, Aubin entendait encore les hurlements de rage de sa voisine. Brésil se tournait parfois en direction des cris, semblant réprouver ce comportement indigne.

Cela fit sourire son maître, d'un sourire sans joie.


Quelques jours après cet événement - et autant de visites, de moutons assoiffés, de chiens placides, d'Aubins goguenards et de trépignements convulsifs -, la châtelaine quitta le château. On fut un temps à croire que la demeure serait à nouveau proposée à la vente, mais l'épouse du notaire se dit formelle : rien de tel n'était envisagé. Cela semblait confirmé par l'attitude des deux domestiques, qui s'y livraient à leur routine dans un calme inhabituel et soigneusement entretenu.

Il se dit un moment, au bourg, que "la Dame" était allée de l'autre côté du monde, soigner sur une île paradisiaque la petite dépression due à quelques récentes contrariétés.


Quoiqu'il en fut, quelques mois s'écoulèrent paisiblement pendant lesquels Aubin s'abstint de mener ses bêtes au château.

D'abord, il ne voulait pas nuire à la gouvernante ou au jardinier, présumant que le quotidien leur apportait déjà leur compte de reproches.

« N'ajoute pas à la misère des humbles » : l'ancien était un homme juste.

Ensuite, l'absence de la principale intéressée à ces visites ôtait une bonne part de l'agrément qu'il en retirait. Enfin - et surtout ! -, il y avait devant sa bergerie un abreuvoir toujours plein d'une eau limpide et saine…


Un matin, sans que personne n'ait eu le loisir de s'en faire l'augure, la châtelaine était revenue. Aubin avait présumé qu'elle serait déçue de ne pas s'entendre souhaiter la bienvenue, et avait rameuté ses troupes, puis s'était ravisé. Peut-être un peu parce que les brebis n'aiment pas s'agiter au soleil d'été, déjà haut dans le ciel. Mais plus sûrement parce qu'Aubin était vraiment, foncièrement un homme de paix.


Au titre de la dissuasion, il avait décidé de s'adjoindre malgré tout Spock et Brésil, mais les avait auparavant entretenus avec gravité sur la nécessité d'une certaine continence, indispensable à l'épanouissement de rapports humains cordiaux. Il lui avait semblé surprendre, dans un regard entre le chien et l'âne, une sorte d'évidence tout à fait désobligeante à l'égard des humains et de leurs lubies.

Ça, c'était le matin même.


Le bref tiraillement qui avait arrêté Aubin sur le chemin brûlant s'était évaporé, et il reprit son pas. Le papillon s'était lassé du manque d'enthousiasme que Brésil montrait à se laisser butiner la truffe, et Spock avait profité de la rêverie de son maître pour chaparder une touffe de l'herbe interdite qu'il mâchonnait sans le moindre remords.


Lorsqu’ils parvinrent au château, ils se savaient depuis un bon moment épiés avec attention par la maîtresse des lieux qui, immobile, les regardait venir depuis l'un des balcons du premier étage.

Le chien et l'âne semblaient indifférents, mais Aubin s'interrogea sur la signification de cette attitude inattendue : ce calme inhabituel lui plaisait. Il s'était promis de saisir la moindre tentative de conciliation pour déposer les armes. Le sourire qu'il vit, en s'approchant, sur les lèvres fardées de la châtelaine, lui fit penser un instant qu'il avait eu raison.

Il sut qu'il avait eu tort au timbre de sa voix.


- Alors, monsieur l'enquiquineur, on a mangé ses moutons ?


Elle prenait visiblement du plaisir à la visite, mais un plaisir malsain, comme empreint d'une certitude de revanche.

Aubin leva son chapeau, malgré l'insulte.


- Pas tous, madame, pas tous. Dites-moi, vous tenez absolument à ce que nos relations restent exécrables ?


Les yeux de la femme brillaient de feux ardents, elle vibrait de joie mauvaise et mal contenue.


- Si j'y tiens ?


Elle émit un rire grinçant.


- Pauvre bouseux, tu n'es pas en mesure de faire la paix. Regarde-moi : je vais te détruire, t'écraser comme une larve visqueuse !


Aubin prit soudain conscience de ce que ces quelques semaines d'absence les avaient vus suivre des cheminements intérieurs rigoureusement opposés : il était stupéfait de la haine féroce qu'elle lui découvrait.

Elle se montrait, à l'évidence, possédée d'un désir forcené de lui nuire.


Il secoua la tête, comme pour se débarrasser de pensées désagréables.


- Cessez donc vos enfantillages. Sauf à me passer un coup de fusil, vous ne m'empêcherez pas d'exister, et vous êtes bien trop attachée à vos futilités pour supporter vingt années de prison. Vous ne croyez pas qu'il serait plus raisonnable de supporter votre voisin ?

- Mes enfantillages… !


Son regard semblait une fournaise. "Des futilités, hein... ?"


Elle observa brièvement les alentours, vérifiant que personne d'autre ne pouvait entendre leur conversation, et sa voix baissa d'un ton, comme feulant.


- Pauvre crétin misérable, tu veux savoir ce que j'ai fait de ces mois d'absence ? Je suis allée me perfectionner en magie noire auprès des meilleures sorcières et jeteuses de sort de l'hémisphère sud ! Et la science que je possède maintenant va me permettre de t'éliminer, de te rayer de ma vie ! Je vais lâcher sur toi les démons les plus abjects, les plus cruels que l'on puisse invoquer, et tu pourras constater la portée de mes enfantillages…


Un instant, Aubin resta bouche bée. Il était en même temps atterré et amusé, et sentait monter en lui une vague de pitié qui recouvrît bientôt tout autre sentiment.

Il répondit doucement, avec une réelle compassion.


- Madame, ces fariboles ne sont que des mômeries tout juste bonnes à dérégler l'esprit… Vous êtes une femme intelligente, vous vous doutez bien que si ces gesticulations à la noix portaient le fruit qu'elles promettent, les envoûteurs domineraient le monde… Et n'auraient, surtout, aucun besoin de monnayer leur prétendue science pour subsister !

Sans vouloir vous contrarier, j'ai bien peur de n'être pas assez crédule pour donner prise à ces bêtises. C'est bien dommage, mais on n'obtient pas toujours ce qu'on veut : moi, par exemple, j'aurais préféré vous trouver dans de meilleures dispositions. Tant pis, je vous laisse à vos incantations.


Il leva son chapeau et retourna sur ses pas, tournant le dos à la châtelaine qui haussait le ton, sans plus se préoccuper d'éventuels spectateurs.


- Monsieur Aubin est un esprit fort ! Il est hors de portée d'une science affinée pendant des millénaires, notre psychologue de bazar ! Ne pars pas ! Reste là, puisque tu n'as rien à craindre ! Parce que tu n'as pas peur, n'est-ce pas ? Tu n'as pas peur de mes enfantillages ? Alors, je te mets au défi ! Donne-moi une mèche de tes cheveux, si tu ne me crains pas ! Une seule mèche, et moi, dans une semaine, je te donne le domaine, le château, tout !


Aubin s'arrêta, sans se retourner encore. Satisfaite, elle précisa, dans un sourire mauvais.


- … Si tu es encore capable de me le réclamer…


Aubin pivota lentement sur lui-même.


- Vous seriez prête à vous engager là-dessus ?


Fébrile, elle tentait de dissimuler son excitation, mais le triomphe lui rosissait les joues.


- Bien sûr ! Viens ! Viens donc, je vais te signer un papier tout de suite !


Aubin ne bougea pas.


- Si vous insistez pour aller au bout de votre folie, je vous offrirai volontiers quelques cheveux. Mais je veux être sûr de recevoir ce que vous m'offrez en gage, et une feuille griffonnée sur un coin de table n'y suffira pas, étant donnée la valeur de l'enjeu. Je reviendrai dans trois jours : si vous me présentez un document notarié qui vous engage dans ce sens, vous aurez l'ingrédient qui vous manque pour épicer votre soupe. Au revoir, Madame.


La châtelaine exultait.


- Tu l'auras, et cochon qui s'en dédit, pas vrai ? On ne revient pas dessus ! Si tu te dégonfles, je ferai en sorte que tout le monde le sache !


Aubin s'arrêta à nouveau, se tournant juste le nécessaire afin de capter le regard de son interlocutrice.


- Vos menaces sont inutiles, voisine. Je n'ai pas l'habitude de revenir sur un marché lorsqu'il est conclu.


Puis il reprit son chemin. « Qui marche droit sait qu'il a raison », disait l'ancien.


Le jour dit, il fut au rendez-vous. La châtelaine lui présenta un feuillet officiel, revêtu des cachets légaux et de la respectable signature du notaire du bourg. Le texte en était conforme à ses attentes, et Aubin, abandonnant le document à la main qui ne le lâchait pas, recula d'un pas, ôtant son chapeau qu'il déposa sur la tête de pierre de l'angelot au nez meurtri.

Sans un mot, il prit dans sa poche les petits ciseaux d'argent qu'il avait apportés, puis trancha calmement une mèche de ses cheveux noirs et indisciplinés, qu'il présenta du bout des doigts à sa voisine. Le souffle raccourci de la femme dénonçait sa tension.


- Ça suffira ?


Il avait posé la question avec naturel. Elle y répondit d'une voix basse, vibrante d'un triomphe attendu et glacé.


- … Largement !


Elle semblait hypnotisée par la maigre touffe qu'elle reçut avec avidité dans sa main tendue. Abandonnant le document à Aubin, elle se replia vers la demeure, mains jointes autour de son étrange trésor. Avant de refermer derrière elle la lourde porte de chêne, elle cracha à l'adresse de son voisin, d'une voix fielleuse et convaincue :


- Tu es mort… !


Aubin, resté seul, plia avec soin le papier qu'il envoya rejoindre les ciseaux dans sa poche. Spock et Brésil avaient pris de l'avance. Après un dernier regard à la bâtisse silencieuse, il haussa les épaules avant de s'en retourner.


Quand vint le soir, Aubin n'eut guère plus de difficultés que d'habitude à trouver le sommeil. Son repos fut cependant troublé, cette nuit-là, par un cri lointain. Un long cri de terreur et de désespoir, comme seuls savent se l'arracher du plus profond d'eux-mêmes les animaux acculés par leur prédateur le plus sanguinaire. Il ne connaissait pas de proie susceptible d'émettre une telle plainte, et c'est l'étrangeté même de ce cri inconnu qui avait éveillé Aubin.

Il connaissait depuis l'enfance la rumeur nocturne de la forêt, dont l'ancien lui avait appris à déchiffrer les voix : il écoutait les bois ainsi qu'un chef d'orchestre écoute une symphonie, et la forêt s'était tue un moment encore après que l'étrange appel se fut éteint.


Puis la vie sauvage avait retrouvé ses droits, investissant à nouveau l'espace sonore, et Aubin s'était rendormi.


Le lendemain, comme chaque jour, il était habillé au premier chant du coq. Fidèle à ses habitudes, il avait attendu que les bêtes fussent nourries avant d'en faire autant, d'une tranche de pain gris dans un bol de lait frais, en envisageant la suite à donner à la journée naissante.

Ce jour-là, l'inhabituel décida à sa place : une voiture de gendarmerie avait stoppé dans la cour, et Aubin connaissait bien celui qui en était descendu, pour avoir été son condisciple à l'école du bourg. Ils bénéficiaient l'un et l'autre de l'estime mutuelle que se réservent ceux qui se savent entre honnêtes gens.


- Bonjour, adjudant. Quel bon vent m'amène la gendarmerie de si bon matin ?


Le militaire répondit avec un sourire las.


- Un vent de folie, qui nous a tenus une partie de la nuit, et ne m'emmerde pas avec tes « adjudant ». Bonjour, Aubin.

- À ton aise. Veux-tu entrer boire un café ?

- Sincèrement, je préférerais un bain chaud, avec mon lit à proximité, mais je crois devoir y renoncer encore un temps.


Il redevint grave, presque soucieux.


- En fait, j'ai juste quelques questions à te poser. Rien d'officiel, mais tu vas peut-être pouvoir éclairer ma lanterne.

- Si je peux, c'est volontiers. Je t'écoute.


L'adjudant prit une profonde inspiration.


- Aubin, qu'est-ce que c'est que cette histoire qui court la ville depuis hier, à propos d'un étrange contrat entre toi et ta nouvelle voisine ?


Aubin lui coula un regard gentiment narquois.


- Ce bruit, il court la ville ou le salon de thé où ta femme papote régulièrement avec celle du notaire ?


L'autre leva les yeux au ciel, avec un haussement d'épaules fataliste. Aubin le prit par le bras, avec amitié.


- Tu as eu raison de venir. Entre quand même un instant, je vais te montrer ce papier, et t'expliquer ce dont il s'agit. Maintenant, je ne suis pas sûr que tu puisses croire une histoire pareille. Alors, pour ne pas que tu doutes de ma santé mentale, il serait bon que tu ailles te faire confirmer tout ça par la châtelaine.


L'autre grimaça.


- Ça ne va pas être facile. Quant aux histoires invraisemblables, je trempe déjà dedans jusqu'aux oreilles. Allons-y.


Devant un café âpre, Aubin présenta le document à son ami, lui contant par le menu les évolutions de sa relation à la châtelaine, pour finir par l'étonnant marché qu'elle avait tenu à conclure.


- C'est une sacrée aubaine, pas vrai ? Mais ne t'en fais pas, va ! Personne ne dira que ton camarade a pu tirer parti des égarements d'une folle, même si elle est riche et désagréable. Je crois, par contre, que ce petit papier me garantira à coup sûr contre les fantaisies de Madame.


L'adjudant se grattait la tête. Il avait pâli.


- Pour ça, tu n'as plus guère à craindre…


Il scruta avec attention le regard d'Aubin.


- Cette nuit, tu n'as rien entendu d'inhabituel ?

- Tu sais, la nuit, je d… Ah, mais si, attends : cette nuit, j'ai été à demi réveillé par un cri pas ordinaire. D'ailleurs, les bruits de la forêt ont mis un moment à reprendre. Vas-tu, oui ou non, finir par me dire pourquoi tu fais tous ces mystères ?

- C'est ce hurlement qui m'amène. Ou plutôt le décès de celle qui a hurlé.


Aubin s'était figé dans un début de compréhension qu'il n'osait pousser au-delà.


- Tu ne vas pas me dire…

- Si. On dirait bien que tu es le nouveau châtelain.


Le front d'Aubin se barra d'un pli soucieux.


- Dis-moi, sincèrement : dans l'optique du gendarme, je ne serais pas un peu dans la panade ? Tout ça est bien surprenant, je sais, mais je te jure que je n'ai pas bougé de mon lit… même si je me rends bien compte que c'est un alibi plutôt maigre pour un mobile aussi évident.


L'autre avait retrouvé son sourire. Il posa sa main sur le bras de son ami.


- Écoute-moi, mon vieux camarade. Même si je ne te connaissais pas assez pour être sûr de ton innocence, je trouverais probablement cette absence d'alibi suspecte : le dernier des imbéciles aurait préparé de quoi se prémunir, et tu es loin d'être un imbécile. De toute façon, il ne peut y avoir de coupable en l'absence de meurtre ou d'assassinat.


Aubin se sentait perplexe, subitement.


- Là, il faut que tu m'expliques.

- D'après les premières constatations, il s'agit d'une mort naturelle. Si l'autopsie le confirme, l'enquête est close.


Aubin fit la moue.


- Ce que j'ai entendu n'avait rien de très naturel, tu sais…


Son ami se relevait, s'apprêtant à partir. Il s'immobilisa.


- Je t'assure que ce que j'ai vu cette nuit n'a pas non plus grand-chose d'habituel. Bon dieu, Aubin, si tu avais vu le visage de cette femme ! Je n'aurais jamais cru… C'est incroyable, un visage humain crispé dans une telle expression de… de terreur absolue, il n'y a pas de mots. Je te jure que j'en ai avalé de dures. Mais là… Aubin : même le légiste était mal à l'aise.


Le gendarme s'était assis à nouveau, un peu, le temps nécessaire à vider ce trop-plein d'inconfort dont l'avait empli un regard de morte, vide de vie et encore plein d'horreur. Et puis Aubin avait parlé d'été, de moutons et de chiens, et son ami était parti en trouvant que l'air était doux.

Châtelaine disait souvent que l'air était doux, même au cœur de l'hiver ; elle y trouvait toujours une bonne raison.


Le chant des premières cigales dilua insensiblement les bruits de moteur, de poussière malmenée. Aubin, en souriant, obéit à une subite envie de s'asseoir à même le chemin, parce qu'il y était bien. Châtelaine lui avait appris ça, aussi.

Elle savait faire un jeu de tresser des paniers, de recoudre une blouse, et il avait préparé avec elle, comme des philtres magiques, les décoctions, macérations, infusions de plantes qu'ils cueillaient ensemble quand la lune était bonne, ou derrière une pluie. Et il avait appris sans s'en apercevoir les secrets de coquettes pour garder les dents blanches, et fabriquer des fards, et teindre les cheveux : il s'en souvenait encore, comme appris de la veille.


Châtelaine avait l'art d'intéresser à tout. Le jour de ses dix ans, elle avait apporté à son "petit ami", ainsi qu'elle aimait dire, un gros livre illustré qui promettait au lecteur de devenir - au moins ! - l'égal de Mandrake ou de Robert Houdin. Il en avait passé, des après-midi pluvieux, à entraîner ses mains aux manipulations qui lui valaient, ensuite, un prestige certain dans la cour de l'école…

La poussière du chemin était douce, et il y était bien, vraiment. C'était si simple : pour vivre heureux, il suffit de règles claires, comprises et acceptées, et de s'y tenir.


Et lorsqu’il avait trouvé, à l'entrée du chenil, la brosse à cheveux que Brésil avait finalement méprisée, il avait cru entendre Châtelaine glousser par-dessus son épaule, comme elle faisait parfois pour souligner une évidence.

Il sentait sa présence tranquille, approbatrice, alors qu'il peignait, puis lavait les cheveux trop blonds soustraits à la brosse. Elle souriait avec lui alors qu'il appliquait sur la mèche ainsi reconstituée sa "teinture-maison", savamment concoctée pour nier ses premiers cheveux blancs. Séchée, puis peignée à nouveau, la mèche fut taillée avec art, à l'aide des petits ciseaux d'argent de Châtelaine. Ensuite, Aubin coupa une mèche de ses propres cheveux, afin de comparer, et les deux mèches étaient presque semblables. Il aurait pu jurer que Châtelaine riait.


C'est cet ersatz de ses propres cheveux qu'il avait proposé à sa voisine, et sa petite mise en scène était si réussie que la harpie ne douta pas un instant de l'origine de son trophée. Les suites de cette substitution, pour surprenantes qu'elles soient, ne l'intéressaient que très modérément.


Il préférait se souvenir d'une journée d'enfance, banale mais singulière parce qu'encore fraîche en sa mémoire.

Pour la millième fois, et pour illustrer l'une ou l'autre nouvelle, l'ancien avait affirmé sa maxime personnelle, celle qui l'avait conduit tout au long de sa vie d'homme : « Pour rester sur le bon chemin, il suffit de marcher droit. »


Pour la millième fois, Châtelaine avait murmuré à l'oreille d'Aubin, avec tout autant de conviction :


- … Sauf quand ça tourne !



 
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   Anonyme   
27/1/2009
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Nobello ! De cette nouvelle, par ailleurs fort bien écrite, j'ai aimé la première partie, disons jusqu'au départ de la Dame ;
ensuite ça m'a paru un peu "longuet" et la chute "tirée par les cheveux", sans jeu de mots. Amicalement. Alexandre

   Flupke   
29/1/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Alors là oui ! Remarquablement bien écrit et très agréable à lire malgré la longueur. Un style vraiment mature et maitrisé et une très bonne histoire et je me suis globalement régalé.
Le personnage d'Aubin était vraiment très bien campé, même si on frise parfois le burlesque de par l'exagération de certains traits de la femme.
J'ai bien aimé :"examina en trois coups de truffe un pot d'une crème qui le valait bien" LOL. Excellent.

Du chipotage flupkéen:
1)Orangeade fraîchie un peu précieux (participe passé d'un verbe de toute manière intransitif) Elle n'a pas fraîchi toute seule, mais avec de la glace pilée donc je pense que ça serai mieux d'utiliser un verbe transitif comme rafraichir)
2)"le prenant à témoin de l'étrangeté des gens, parfois". Je trouve ce "parfois" mal intégré dans la phrase.
3)NE LISEZ PAS CECI CI VOUS N AVEZ PAS LU LA NOUVELLE. Dès la requête spéciale de la snobarde, j'ai immédiatement pensé à la brosse crasseuse que le chien avait dans sa gueule. De mon point de vue tu t'es beaucoup trop attardé sur la description de la brosse, car cela a laissé une trace dans ma mémoire et c'est immédiatement remonté à la surface comme une bulle. Par contre, j'avais complètement oublié la blondeur de la femme. Et lors du coupage de la mèche, j'avais imaginé la substitution, présumant que la femme avait les cheveux noirs. Et oui, pfffuit, évaporé de la cervelle marécageuse du Flupke. (Mais 50% de tes lecteurs ont une mémoire inférieure à la moyenne de tes lecteurs. Demande à ton statisticien habituel et il te confirmera sur le champ. Alors, sur un pavé de 50 000 est-il bien sage de présumer d'une mémoire infaillible de ton lectorat ?). C'était clair pour toi puisque tu as tout conçu du début à la fin, mais nous, de l'autre côté de la rive...
Ma suggestion serait donc de diminuer la description de la brosse quand le chien la prend et juste avant le coupage de mèche de rappeler discrètement à 50% de ton lectorat que la femme est blonde. Et hop, un tiers de chipotage flupkéen en moins :-)
4)les explications à la fin sont un peu longuettes et diminuent un peu l'impact de la chute.
5)Tout n'était pas clair dans mon esprit au début (à l'époque où les morts vivaient), qui est qui, mais bon après 50 ans mon cerveau se ramollit, c'est normal.
Mais à part ces détails mineurs, qui m'ont affecté moi et pas forcément tout le monde, cette nouvelle est vraiment très bien. De loin la meilleure (et celle qui m'a apporté le plus de plaisir) que j'aie lui de toi en tout cas.
Bravo.

   Nongag   
10/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Voilà un récit charmant qui a déposé sur mon visage un sourire de plus en plus intense au fur et à mesure de ma lecture. C'est plein d'humour et de finesse; les dialogues sont savoureux. Un style un peu ampoulé qui sied bien à ce conte habile. Les personnages sont bien dessinés, Aubin étant particulièrement réjouissant. Même les personnages secondaires, je pense au chien et à l'âne, possèdent une dimension réelle et viennent ajouter au plaisir de l'ensemble.

Je dois dire cependant que l'introduction ne m'a pas immédiatement convaincu, même si l'écriture me plaisait bien. Il y a aussi quelques phrases moins habiles qui se glissent ici et là dans le récit.

Par exemple:
"Aubin ne se retourna pas, mais Brésil mit un point d’honneur à apposer sa signature olfactive après chaque chérubin rencontré, opposant aux invectives un flegme tout canin." Après chaque fait un peu lourd. Peut-être plutôt "auprès de" ou tout simplement " sur chacun des chérubins"... non?

Mais l'auteur doit comprendre que ce ne sont que de petites coquilles. L'ensemble est très réussi.

C'est une longue nouvelle, et je suggère à ceux qui répugnent à ce lancer dans ces quelques 30 pages de bien reconsidérer leur attitude: ils se privent de tout un plaisir. Un conte de sagesse à la fois humoristique et intelligent.

Bravo

   Anonyme   
11/2/2009
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Merci Nobello pour cette nouvelle bien écrite avec beaucoup d'humour et des relations bien vues entre les personnages (notamment la montée de la haine chez la nouvelle châtelaine face au pragmatisme d'Aubin

J'ai adoré le détournement de la morale
Un très bon moment de lecture donc
Xrys

   Anonyme   
26/2/2009
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Quelle feu d'artifices d'émotions ! Merci Nobello. Merci.
Quelle finesse d'écriture ! Aubin est une merveille, Bresil est à croquer, tes descriptions sont un plaisir continu. C'est fin, c'est espiègle, c'est superbe !
Quel talent ! La construction de cette nouvelle est sans faille. Ca monte, ça descend, ça remonte et ça redescend, quatre étapes que j'aime particulièrment dans une nouvelle. C'est vraiment, vraiment bon.
Les dialogues sont superbes, la psychologie des personnages, leurs émotions au moment M sont superbement décrites.
J'ai adoré !
Un bémol pour "les cheveux". Quand j'ai vu Aubin couper les siens, j'ai failli lui crier de tout, quand j'ai constaté le subterfuge, je me suis dit, coquin, l'auteur, coquin, mais comment diable aurait-il pu s'en sortir autrement ?
J'étais pas d'accord, un peu bancale la ruse, impossible à réaliser dans la réalité, mais emportée par le texte, je me suis dit tant pis, c'est une histoire et elle est... Belle !
Et puis la toute dernière phrase, m'a réconciliée avec cette pirouette, je l'ai vraiment entendue la châtelaine souffler à l'oreille d'Aubin ! J'ai ri, j'ai souri.
J'ai trouvé le temps long, pas parce que la nouvelle est longue, mais parce qu'Aubin en a mis du temps avant de se rebeller.
Vraiment, c'est une nouvelle superbement écrite. J'ai été enchantée du début à la fin. Bravo, félicitations !
Quel talent ! Vraiment.

   Anonyme   
26/3/2010
 a aimé ce texte 
Passionnément ↑
Beaucoup de tendresse et de poésie dans ce texte qui vaut largement le détour. On jubile en lisant :
« à prêter de sa vie pour y garder une âme. » :
« L'ancien l'avait élevé comme un épi de seigle »
Des passages touchants comme : « Châtelaine avait lancé ses friandises de moins en moins loin, puis de plus en plus près,... ».
Mais trêve de commentaires : vous avez un réel talent de conteur.

   placebo   
30/4/2010
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
à cause de la catégorie, je cherchais sans cesse les passages qui pourraient me faire sourire. J'en ai trouvé quelques uns dans les comportements des animaux d'Albin, mais ce gars là est tellement simple (au sens de bon) que ça ne m'a pas fais plus décoller que ça. j'aurais plus vu en réalisme, après même la magie (on ne sait rien en fait) pourrait passer.

il y a des longueurs. Je ne me suis pas ennuyé, mais bon certains passages ne me semblent pas utiles, peut être au début. je n'ai pas relevé... de même que pour le style, un peu lourd à certains endroits j'ai trouvé (peut être le discours d'Albin un poil trop instruit) .

bref, pas ça qui va t'aider à construire d'aussi jolies nouvelles :)
juste un petit bout de chemin fait avec ton texte qui m'a plu

au plaisir de se recroiser,
placebo


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