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Fantastique/Merveilleux
Ombhre : Sang Lumière
 Publié le 16/02/18  -  6 commentaires  -  10582 caractères  -  63 lectures    Autres textes du même auteur

Offrir des cadeaux à Noël est une tradition. Le but est, la plupart du temps, de faire plaisir.


Sang Lumière


— Alors bonhomme, tu te décides ?


Sans oser regarder l’homme en costume noir, Yannick se tortille gauchement. Il ne répond pas, et continue à regarder l’étal où brillent une multitude de lampes dites « d’ambiance », dans ce style des années 70 que ses parents aiment tant. Son regard parcourt une nouvelle fois la rangée de luminaires alignés comme des soldats à la parade sur le rouge profond d'une nappe de velours.

Et comme à chaque fois depuis son arrivée, ses yeux sont irrésistiblement attirés par la lampe qui trône au centre, celle dont les paillettes d’aluminium qui tournoient au sein du liquide pourpre renvoient des reflets or et écarlates. Il est fasciné par le ballet obsédant des petits carrés de métal qui tour à tour s’enflamment et s’éteignent derrière le verre brûlant.

Il hésite encore. Cela ferait tellement plaisir à ses parents, mais trente euros, cela fait beaucoup d’argent pour un petit garçon de douze ans.


— Ça s’appelle une lampe d’ambiance, petit.

— Je sais ! lâche Yannick d’un ton sec.

— C'est une reproduction exacte d'un modèle phare des années 70. Elle te plaît on dirait ?

— Oh oui ! Elle est très belle !


L’homme sent la partie presque gagnée et sourit. Hypnotisé par la danse des paillettes, Yannick ne voit ni son air presque avide, ni l’inquiétante lueur de son regard où semblent danser des étoiles sanglantes. Sans doute juste un reflet de la lampe…

Mais il est un peu mal à l’aise. L’homme paraît approcher de la soixantaine, ou peut-être juste une petite cinquantaine, ou bien… En fait, il est impossible de déterminer son âge. Sa voix est atone et semble venir de très loin, comme si ce n’était pas vraiment lui qui parlait. Ses mains ridées, légèrement tavelées, ont des doigts trop longs, mobiles et souples comme des serpents. Sous son front bombé, rendu plus immense encore par une calvitie prononcée, ses traits sont figés, et semblent comme manquer de vie, excepté sa bouche aux lèvres presque pulpeuses. Ce sont sans doute ses yeux bleu pâle qui gênent le plus Yannick : fixes et vides, ils ne cillent pratiquement jamais.

Yannick ne sait que faire, pris entre l’envie de partir, et l’attrait qu’exerce sur lui cette lampe qu’il veut offrir à ses parents pour Noël. Il regarde le vendeur à la dérobée, se rappelant les conseils de sa mère concernant les hommes qui aiment les jeunes garçons. Mais le camelot n’a eu aucun geste déplacé, aucune parole ambiguë. Il semble ne rien vouloir d’autre que vendre les lampes qu’il expose au milieu d’autres étals sur ce marché de Noël. Et puis, bien trop de monde se presse tout autour pour qu’il puisse lui arriver quelque chose. Rasséréné, Yannick fixe à nouveau la lampe. L’homme pose ses mains autour du tube de verre, sans visiblement être incommodé par la chaleur qui s’en dégage. Et la lampe est pourtant diablement chaude. Yannick le sait, il s’y est légèrement brûlé tout à l’heure quand, fasciné par le spectacle de ce microcosme de pourpre et de feu, il s’est approché sans s'en rendre compte au point de laisser son nez effleurer le verre.


— Allez petit, on ne va pas coucher là. C’est ce soir Noël. Je te la laisse à vingt-cinq euros, mais c’est maintenant ou jamais.


Yannick hésite un instant encore, puis sort de sa poche deux billets froissés de dix euros et cinq pièces d’un euro qu’il tend au marchand. Presque toute sa fortune. L’homme s’en empare prestement, ses doigts effleurant au passage la peau de Yannick qui frissonne. Puis il éteint la lampe, la soulève et la tient un court instant devant lui, à hauteur de son visage. Ses lèvres marmonnent des mots que le jeune garçon ne comprend pas, tandis que son regard semble soudain infiniment triste, fatigué. Yannick a presque l’impression que ce vendeur étrange ne veut plus lui vendre cette lampe, qu’il va revenir sur sa décision.


— Vous me l’emballez s’il vous plaît monsieur ? Elle est à moi maintenant.


L’homme baisse la lampe et fixe Yannick, un sourire étrange, comme mélancolique sur les lèvres.


— Oui, tu as raison, elle à toi maintenant.


Il emballe soigneusement la lampe, ses lèvres déroulant dans un souffle d’incompréhensibles paroles, puis lui tend le paquet.


— C’est un beau cadeau que tu vas faire. Je te souhaite un joyeux Noël. Profites-en bien avec ta famille.

— Merci monsieur, bonne soirée.


L’homme lève un peu la main, comme s’il voulait caresser les cheveux de Yannick. Ce dernier recule d’un pas. D’une voix très douce, l’homme lui répond.


— Bonne soirée à toi aussi petit.


Yannick saisit la lampe et s’éloigne rapidement. Quel drôle de bonhomme. Il se retourne pour voir s’il ne le suit pas. Mais ce dernier semble occupé à ranger son étal, bien qu’il ne soit que 16 heures et que le marché de Noël batte encore son plein.




Le sapin est perché tout en haut d’une montagne de paquets de toutes les couleurs. Des bougies brillent dans la pièce, des guirlandes clignotent joyeusement, la table dressée avec soin attend les cinq membres de la famille pour le très attendu repas de Noël.

Le bouchon de champagne qui saute, les rires des enfants, la stéréo qui diffuse des negro-spirituals… La soirée commence bien. Et Yannick bout intérieurement. Il n’a jamais encore fait un aussi beau cadeau – un cadeau aussi cher – à ses parents. Et il sait à quel point ils aiment ces objets des années 70 qui constituent l’essentiel de la décoration de leur appartement.

Vient enfin le moment où son père se lève et où, comme chaque année, il lâche la phrase rituelle :


— Et si on ouvrait tous ces jolis paquets ? Qu’en pensez-vous les enfants ?


Aussitôt, c’est la ruée des deux plus jeunes frères sur les cadeaux, le bruit des emballages déchirés, les cris de joie, les mercis, les baisers en rafales. Mais Yannick ne va pas vers le sapin chercher ses cadeaux. Il patiente un peu en retrait, puis, l’air grave, prend le paquet doré entouré d’un joli ruban carmin qu’il a rapporté du marché de Noël, et le tend à ses parents.


— Joyeux Noël, c’est pour vous.

— Merci mon chéri. Tu n’ouvres pas tes cadeaux ?

— Ouvrez le vôtre d’abord.


Attendris, les parents échangent un regard entendu. Là, Yannick veut les impressionner. Ils ouvrent le paquet, sortent la lampe du carton.


— Tu es fou mon chéri ! Elle est magnifique. Elle a dû te coûter une fortune.


Le père fait de la place sur la table basse, la mère y pose la lampe avant de prendre Yannick dans ses bras et de le serrer fort contre elle en l’embrassant.


— C'est la reproduction d'un des modèles les plus vendus dans les années 70, m'a dit le vendeur.

— Elle est superbe, répond son père tout en branchant la lampe sur la prise multiple.


Il actionne l’interrupteur. Aussitôt, le liquide pourpre s’éclaire et teinte de rouge la table de bois sombre, le canapé en cuir, les murs. La mère éteint les autres lumières de la pièce. Il ne reste plus que les guirlandes et les bougies.


Et la lampe.


Rapidement, sous l’effet de la chaleur, le liquide commence à tournoyer dans le tube de verre. Les petites paillettes d’aluminium se mettent en mouvement, remontent peu à peu du fond de la lampe, et entament leur ballet d’éclats de lumière. Tout le monde vient s’asseoir à genoux autour de la table basse et contemple cette danse hypnotique…


— On dirait un petit cosmos avec ses milliers d’étoiles et de soleils, dit le père.

— Oui, c’est vraiment envoûtant, renchérit la mère.


Et les conversations meurent.


La musique s'arrête, et le silence s'installe, oppressant. Aucun des cinq regards ne parvient plus à se détacher de cet univers en bouteille, pas un des spectateurs n'ouvre la bouche pour parler. Les visages sont blêmes, balafrés de rouge. Chaque éclair de lumière dessine sur leurs traits figés des cicatrices sanguines et fugaces.

Le silence est total, rompu uniquement par le lent glissement des corps sur la moquette qui, sans que personne en prenne conscience, se rapprochent centimètre par centimètre de la lampe. Insensiblement, inexorablement, les cinq visages avancent vers le tube brûlant. Dans le cendrier, une cigarette a achevé de se consumer seule. Dans le four, le rôti noircit, se racornit.

Vient le moment où il ne leur est plus possible d’approcher davantage. Les cinq corps à genoux semblent en adoration devant une idole païenne, figés dans une prière qui n’aurait pas de fin.

Les visages sont maintenant à quelques centimètres de l’étroit tube de verre brûlant. Leurs yeux sont écarquillés, teintés de rouge comme s’ils allaient saigner. Et, malgré leur terreur, malgré l’impossible folie qui est en train de se passer, ils ne peuvent ni faire un geste, ni dire un mot. Ils ne sentent pas la chaleur, même à l’instant où leurs visages, doucement, très lentement, pénètrent le verre. Après la tête, ce sont les épaules, les bras et le buste, les hanches, les jambes, les pieds…

Il n’y a plus aucune trace humaine dans l’appartement. Par ironie, le coucou sort de l’horloge et chante neuf heures du soir…

Dans le four, le feu a pris. Il s’étend rapidement à la cuisine, puis au reste de l’appartement. Arrivés trop tard, les pompiers mettront des heures pour éteindre cet incendie dont les flammes avides étaient d’un étrange rouge profond.




Île de la Cité, tard dans la nuit. Dans la cave d’un vieil immeuble bourgeois, un bruit étrange ricoche entre les murs de pierre. Une des portes de bois est entrouverte. Assis à même le sol de terre battue, un homme d’une trentaine d’années vêtu d’un costume noir incroyablement poussiéreux pleure, la tête entre ses bras. Ses gémissements deviennent rires, puis larmes encore.

Il rejette la tête en arrière, et crie, la bouche tordue entre sourire et grimace. Ses lèvres pulpeuses sont trop rouges, on les dirait maquillées. Il se lève souplement, rejette en arrière d’un mouvement de tête ses cheveux longs et brillants, et se dirige vers une planche sur tréteaux recouverte d'une nappe de velours rouge posée dans un coin de la cave où sont posées des lampes des années 70. Ses doigts trop longs et mobiles effleurent la froideur du verre et du métal, et saisissent un des luminaires. De ses yeux noyés, d’un bleu trop pâle d’où toute vie semble absente, il fixe la lampe qui s’allume sans même être branchée. Le ballet des paillettes de métal commence rapidement. Les éclats de lumière, comme des gouttes de sang, l’éblouissent, mais il suit, d’un regard qui oscille entre gourmandise et désespoir, certains petits morceaux de métal où de minuscules formes humanoïdes semblent attachées, tournant et virevoltant sans trêve dans ce petit cosmos rouge sang.


 
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   Tadiou   
21/1/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↓
(Lu et commenté en EL)

Ce récit me reste largement hermétique. L’écriture est suffisamment bien maîtrisée pour faire monter la tension de façon intéressante et ménager le suspense.

Mais on reste largement à l’extérieur des personnages. Que devient le vendeur au sourire inquiétant ? Pourquoi est-il ainsi ? Sans autre approfondissement, sans suite le concernant, cela me paraît artificiel.

Les manques de réactions des membres la famille lorsqu’ils vont vers le danger et leur mort me semblent non crédibles, en l’absence d’autres précisions sur leur manière d’être.

La nature de cette lampe maléfique me semble bien mystérieuse ; comme me semble incompréhensible la fin. Qui est cet homme de 30 ans qui pleure et qui rit ? Les mini-personnages dans la lampe sont les membres de la famille ????

Il me semble que ce texte aurait besoin de clés et d’approfondissements avec des personnages bien campés, peints, incarnés, pour que le(la) lecteur (trice) puisse pénétrer dans le drame et faire corps avec le récit.

En tout état de cause, merci pour cette lecture et à vous relire.

Tadiou

   Jean-Claude   
17/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,

L'histoire est bonne, c'est du pur fantastique.
J'ai juste quelques remarques à faire dans l'hypothèse où vous voudriez travailler cette nouvelle.

La partie achat est intéressante mais elle vend un peu trop la mèche. Le vendeur doit être reconnaissable pour la suite, mais le gamin ne devrait penser qu'à la lampe et, pour qu'on devine moins vite, pas trop s'inquiéter de l'homme.

Je trouve que la partie Noël/cadeaux/fusion va trop vite. Il faut prendre le temps de placer l'ambiance (ce qui a été fait en première partie même si je pense qu'il faut nuancer) de décrire ce qui se passe. Je l'ai compris mais je n'ai pas eu le temps de le voir avant la chute.

On suppose que le vendeur a récupéré la lampe vendue mais ce ne peut être qu'une supposition. Il manque peut-être un détail explicite.
Hormis cela et le fait que la première est un peu téléphonée, la double chute est bonne.

Remarque : les commentaires peuvent être différents de la part de lecteurs moins imbibés de fantastique que je le suis ; ce sont ces lecteurs qui vous diront s'il y a des problèmes de compréhension (j'ai déjà les codes).

Des détails entre {}
"de lampes dîtes{dites} »d’ambiance »{« d’ambiance »}, dans ce style des années 70 que ses parents aiment tant. Son regard parcoure{parcourt} une nouvelle fois la"
"Yannick ne sait que faire, pris entre l’envie de partir, et{pas de virgule avant le et} l’attrait qu’exerce sur lui cette lampe qu’il veut offrir à ses parents pour Noël."

Au plaisir de vous (re)lire
JC


EDIT : lu et commenté en EL ; j'ai corrigé une mienne coquille :-)

   Anonyme   
16/2/2018
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Bonjour

Bien que cette nouvelle soit bien écrite et s'annonçait bien avec le souvenir de ces fameuses lampes à paillettes que nous avions presque tous dans les années 70, je reste complètement sur ma faim concernant sa fin.
Qu' a voulu nous dire l'auteur ? Que ces fameuses lampes auraient
aspiré les personnages du texte. Serait-ce le diable ?
Même en thème fantastique, je trouve ce final vraiment abracadabrant.

Dommage, je m'attendais à beaucoup mieux après un bon début.

   hersen   
20/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien ↓
Bonjour,

je vais être franche, j'avais lu la première partie et je n'avais pas été convaincue. j'ai trouvé l'enfant trop distrait de l'achat de sa lampe, qui est pour lui si important, par le vendeur. je pense que seule la fin de cette partie, quand le vendeur remballe étonnamment son étal alors que ce n'est pas l'heure, aurait suffit pour me mettre la puce à l'oreille, sans que ce soit trop insistant.
Ensuite, la description de la fête de famille et la disparition de celle-ci est bonne. mais peut-être aurait-il été bon, d'une façon ou d'une autre, d'y lier l'enfant. Que ce ne soit pas un hasard.
car ceci nous amène à la troisième partie; J'aime bien ces petits humanoïdes prisonniers dans la lampe. Mais bien que nous soyons en fantastique, il me manque une raison, une explication. Fantastique ne veut pas dire gratuité des évènements mais plutôt une logique hors de notre mode de pensée. Et c'est cela qui manque à mon avis.

Sinon, une écriture bien adaptée. Qui justement aurait pu percuter davantage dans cette histoire étrange.

merci de cette lecture,

hersen

   MissNeko   
19/2/2018
 a aimé ce texte 
Bien
Bonsoir
Je trouve l idée de la lampe qui aspire les êtres humains pour devenir des paillettes scintillantes géniale. On est bien dans le fantastique et c est très original. Mais je trouve Qu il manque un le pourquoi du comment ! Trop de questions restent en suspens et c est dommage. Je pense qu il ne manque pas grand chose pour que votre texte soit excellent.
La plume est maîtrisée, le style également. Peut être rajouter quelques éléments narratifs pour expliquer pourquoi la lampe, dans quel but la lampe les hape...
Un bon moment dans l ensemble

   Donaldo75   
28/2/2018
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Bonjour Ombhre,

J'ai mis du temps avant de venir lire cette nouvelle; le fantastique n'est pas forcément ma tasse de thé.

Eh bien, voilà de quoi me rassurer avec le genre. D'abord, c'est très bien écrit, je tiens à le souligner. Ensuite, le lecteur rentre vite dans l'ambiance, voit le petit garçon acheter le cadeau de Noël à ses parents, sent qu'il y a quelque chose de bizarre dans cette boutique, avec ce vendeur. Enfin, il assiste, impuissant puisqu'il n'est qu'un pauvre lecteur, au maléfice qui se réalise dans cette maison un soir de Noël.

Je ne fais pas partie de ceux qui veulent à tout prix qu'on leur explique le pourquoi du comment avec moult arguments. La fin est suffisamment esquissée pour que mon cerveau d'homo sapiens puisse imaginer une explication à tout ça. Sinon, ce n'est pas du fantastique, du merveilleux, juste du Pierre Bellemare.

Bravo, Ombhre.

Don


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