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Otoot : Une semaine bizarre
 Publié le 22/07/22  -  6 commentaires  -  10041 caractères  -  43 lectures    Autres textes du même auteur

Une semaine sur une île bretonne entre la mer et la mort.


Une semaine bizarre


Drôle de semaine pas drôle

Histoire courte


Sur la couverture rouge, j’écris « Journal intime de Jean ». Il sera mon marathon dont le kilométrage n’est pas défini au départ. Je commence aujourd’hui.

Je ne sais pas où sera sa ligne d’arrivée mais peu importe. J’ai envie de raconter des trucs et des machins sans importance. La vie, la couleur des fleurs ou le flou d’un ciel de lit. En réalité, j’ai envie de raconter pourquoi, quand je mange un tourteau-mayonnaise, ma vie devient aussi incertaine que celle d’un marin au milieu d’une tempête. C’est bête mais c’est comme ça. Ma vie ressemble à un crabe à grosses pinces coincé dans une marmite. C’est un état assez curieux et très inhabituel.

Ce matin deux visiteurs ont débarqué sur mon île, je les distingue à peine. Ils sont grands. Ils ont un corps menteur comme des oncologues. Ils portent un costume bleu clair couleur de froid. Leurs bottes blanches me font mal aux yeux. Ils marchent à travers champs au bord d’une rivière. À travers mon champ, mon eau, mon île. Je suis le seul habitant de ce bout de rêve. Ces hommes m’inquiètent un peu. Que veulent-ils ? Ils sont repartis très vite sans me dire bonjour, sans me regarder. Pourquoi cette indifférence ? Affaire à suivre…


Lundi matin

La présence de ces deux étrangers m’a mis mal à l’aise.

Je vis sur cette île certainement bretonne. Elle est toute petite et je vis seul. J’ai une maison de carte postale. Elle est simple avec des volets bleus. Dans mon jardin poussent des hortensias violets et quelques roses trémières. Elles serpentent le long de mes murs blancs. Ma boîte aux lettres est rouge, mais il n’y pas de facteur. Cette boîte aux lettres existe pour sa couleur, pour faire comme tout le monde et peut-être pour recevoir du courrier, un jour, une lettre pour de vrai, avec des nouvelles de ceux du continent.

Derrière ma maison, il y a mon champ où il ne pousse rien. Derrière ce champ de rien, ma route déserte se promène en liberté. Derrière ma route, il y a ma mer. Derrière la mer, je ne sais pas. Je n’ai pas le droit de traverser. Devant la maison, il y a aussi un champ, une route libre et la mer qui pleure à grosses vagues les matins gris.

Pour faire le tour de l’île, je fais 12 680 pas d’homme. C’est suffisant. C’est un beau domaine. Quelquefois, je marche vite et mon île devient plus petite. Mais je n’aime pas ça. J’ai l’impression d’être moins riche, de perdre mon temps. Le jour de mon anniversaire, j’en fais le tour très lentement. C’est mon cadeau d’anniversaire. Mon île devient géante et j’y fais de nouvelles découvertes. Une pierre blanche en forme de bateau, un oiseau en forme de facteur. Alors je rentre à la maison et je me chante un bon anniversaire.

Je ne travaille pas pour gagner de l’argent. Sur l’île, cela ne sert à rien. Je travaille parce qu’il le faut, comme tout le monde, pour être vivant. Dès l’aube, je peins le jour qui se lève. Il faut faire vite. À chaque fois je m’améliore. Le soir, je peins le soleil qui tombe et puis je m’endors. J’aime mon travail. Le lendemain, je recommence la même toile avec d’autres couleurs. J’aime les soleils bleus.

Comme tout le monde, je mange trois fois par jour. Enfin, je crois. Je ne me souviens pas de mes repas. Je sais que je dévore des tourteaux-mayonnaise et c’est tout. Je n’ai jamais faim. Je dois manger, c’est tout.

Et puis je dors. Je dors beaucoup. Cela m’évite de penser. Quand je dors, je rêve à une autre vie. Une vie bizarre en blanc et noir avec des gens autour de moi, des tempêtes dans leurs yeux. Je suis coincé sur un bateau qui ne quitte pas son port d’attache. J’en suis le capitaine, mais je ne commande rien. Ni les autres, ni mon corps, ni cet avenir fragile qui ne tient qu’à un fil de pêche.

Je n’aime ni ce rêve, ni ce bateau. Il y a trop de gens en blanc, trop de regards noirs, trop de filets de pêche si fragiles.


Mardi matin

Je me suis levé tôt. Pour changer, je vais peindre le ciel avant le lever du soleil. J’ai préparé mon tube de peinture noire, un peu de bleu de Prusse et un poil de rouge couleur de sang. Je suis sorti dans le jardin, j’ai installé mon chevalet devant le champ de rien et j’ai attendu le moment où le soleil ouvre un œil et se met au travail. Et puis rien. Pour la première fois, le soleil est en retard. Alors j’ai patienté en chantant des chansons à boire. Ce matin, le soleil s’est levé très tard et très vite. J’ai raté mon tableau. Le noir ne m’a servi à rien. Pour passer le temps, j’ai peint ma boîte aux lettres en vert. Je l’ai faite débordante de courriers de toutes sortes. Il y a des factures, des publicités, des lettres d’amour et un grand dossier rempli de mots que je ne comprends pas. J’ai jeté les factures, j’ai lu les publicités, j’ai répondu aux lettres d’amour et j’ai rangé dans ma table de nuit le dossier et ses mots curieux. Décidément, cette journée n’est pas comme d’habitude.


Mardi soir

En rangeant mon chevalet, j’ai trouvé un fil de pêche suspendu au plafond. Un gros fil blanc qui se balance au-dessus de mon lit. Il est assez joli et ne sert à rien mais je vais le garder. Il va me chatouiller le bout du bras quand je dors. Si j’en ai plusieurs, je ferai un filet de pêcheur. Ce fil est pourtant étrange, et même inquiétant. J’ai le sentiment qu’il ne va m’apporter que des ennuis. Je n’ai pas envie de jouer avec lui. Il m’a gâché la journée. Je crois même qu’il est responsable du retard du soleil ce matin.


Mercredi matin

Je me suis levé tard ce matin ; un peu fatigué sans doute. Il faut dire que j’ai passé ma soirée d’hier à décrocher ce fil de pêche. Je n’y suis pas parvenu. J’ai essayé la manière forte à la pince et au cutter et je me suis coupé le bout du doigt. J’ai essayé la ruse en me cachant derrière un masque de clown blanc. Je crois que le fil m’a reconnu. J’ai tenté la corruption, je lui ai promis la lune sur un bateau à pêcher les sardines. J’ai même essayé la tendresse en lui disant mon amour pour les fils de pêche. Cela n’a servi à rien. Cette nuit nous avons dormi ensemble.

Et j’ai refait ce rêve d’hommes en blanc et en regards noirs. Ils ne me parlent pas. Ils discutent à voix basse, regardent les photos de mon île. Il y a aussi quelques femmes qui viennent pendant la journée tresser des fils de pêche. Les mêmes que celui qui pousse dans ma maison aux volets bleus. Décidément, je n’aime pas ce rêve. Il me met mal à l’aise. Je sais qu’il n’est qu’un rêve mais il prend de plus en plus de place.

Ce matin, je suis parti marcher. Comme tous les jours, j’ai fait le tour de l’île. Mais il n’a pas la même saveur que les autres jours. La pierre en forme de bateau est devenue noire et les oiseaux ne chantent pas. Mon île est plus petite que les autres jours. J’ai fini mon tour en 9 753 pas. Je perds de l’espace et cela m’agace. Décidément plus rien ne va. Je me sens fatigué. Mon corps me demande une pause. J’ai dû attraper froid. Je tousse comme un fumeur de gauloises que je ne suis pas.

Maudit fil pêche. Il doit disparaître. Il n’a rien à faire dans mon univers. Ma journée est fichue. Je vais me recoucher.


Jeudi matin

Je me suis à nouveau levé tard. Le soleil est déjà haut dans le ciel. Tant pis pour mon tableau.

Au-dessous de mon lit, le fil a fait un petit. Ils sont maintenant deux, en parallèles, l’un plus court que l’autre. J’ai le sentiment qu’ils rigolent en me regardant. Je crois qu’ils se moquent de moi avec un brin de tendresse, un brin d’amour, un petit bout de tristesse. Ils se balancent lentement et me chatouillent le corps avec infiniment de douceur. Je voudrais m’en débarrasser, comment faire ? Et puis ils me tiennent compagnie. Amis ou ennemis, je ne sais pas encore. Ils sont là. On va voir.

J’ai décidé de leur donner des noms. Le plus grand s’appellera Léon comme mon grand-père mort à la guerre au milieu des barbelés rouillés. Le petit s’appellera Marie comme ma grand-mère morte à l’hôpital de je ne sais quoi. Ma maison manque d’une présence féminine. Marie fera l’affaire.

Vers midi je fais le tour de mon île en pensant à tout cela. Elle ne fait plus que 8 786 pas. Il faut que je fasse attention. Cette histoire de fil me perturbe et me réduit le cerveau. Mon île devient petite. Je ne trouve plus la pierre blanche devenue noire. Elle s’est envolée avec l’oiseau facteur.


Vendredi matin

Je me lève de plus en plus tard. Le rêve prend trop de place dans ma nuit. Et puis je ne peux plus peindre, j’ai perdu mes couleurs. Le fil continue de se multiplier. Ils sont maintenant une bonne dizaine à se balancer au rythme de mes battements de cœur. Léon et Marie sont mes préférés. J’ignore les autres. Ils n’auront pas de noms, ils me font peur. Ils ressemblent à des vers de mer. Mon île est minuscule. Elle a perdu presque 2 000 pas. Pourtant je marche par petites enjambées en longeant la mer le plus près possible du rivage. Je suis essoufflé. Je tousse et crache de la peinture rouge. Le soleil me regarde de travers. Je crois qu’il est triste que je ne le croque plus. Ce soir je me coucherai tard pour ne pas voir dans le noir de mon rêve les hommes en blanc et leur drôle de regard.


Samedi

Il est 14 heures passées et je viens de me lever. Ma nuit a été perturbée. Moi qui voulais me coucher le plus tard possible, je me suis endormi brutalement dans mon fauteuil. Et le rêve est entré sans invitation. Je n’ai pas envie d’en parler. Il me reste juste le temps de faire le tour de l’île ou plutôt de ce qu’il en reste. En quelques heures, elle est devenue si petite que je n’ai besoin que de quelques pas pour en faire le tour. Mais je ne les ferai pas. Le soleil n’est pas là. Je crois qu’il est parti pour de bon. Je retourne me coucher.


Dimanche

Les hommes en blanc couleur de mort sont venus tout à l’heure, ils m’ont fermé les yeux. Ils ont décroché les fils de pêche… Ils ont rangé mon île dans le tiroir de la table de nuit. J’avais raison. Ces hommes ne valaient pas grand-chose.

Demain, couché dans une boîte aux lettres, je prendrai le bateau pour le continent. Je crois que je vais dormir longtemps.


 
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   Anonyme   
1/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↓
En cours de lecture j'ai pensé à « L'écume des jours », l'appartement qui se réduit en même temps que la vie de Colin et Chloé. Ici l'ambiance est plus immédiatement anxiogène, le bonheur initial dure peut-être deux phrases.
J'ai un faible pour les histoires décalées où on ne sait trop ce qui relève de la réalité et de l'univers intérieur des personnages ; ici je suis amplement servie, et certainement j'adorerais votre nouvelle…
… Si elle ne me laissait une impression dommageable de hâte. Tout se dégrade tellement vite ! Je n'ai pas le temps de m'installer, de tâcher de saisir la cohérence interne de l'univers personnel du narrateur, des correspondances plus ou moins ténues entre cet univers et la réalité objective : déjà le pauvre embarque dans une boîte à lettres et se prépare à gagner le continent. S'agissait-il de la silhouette figée, lointaine, aperçue sur une carte postale ? Je n'en aurai pas idée et à vrai dire, à présent que tout est consommé, je m'en fiche. Dommage, c'était bien parti pour moi, mais pas abouti parce que trop rapide, superficiel.

Je parcours de nouveau le récit après avoir commenté, je crois comprendre que le narrateur, à la fin, est mort, ramené sur le continent dans un cercueil. Le rétrécissement de son monde, dans ce cas, correspondait-il à l'amenuisement de ses forces ? J'entrevois ainsi les correspondances dont je parlais plus haut, mais je maintiens que l'histoire ne me fournit pas assez de durée ni d'indices pour bâtir une structure narrative qui me satisfasse. Et puis peut-être cette hypothèse n'a-t-elle aucune pertinence par rapport à vos intentions d'auteur ou d'autrice.

   Vilmon   
6/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour,
Une histoire triste. Un monde imaginaire dans la tête d'un incompris ou un monde réel vue par une personne au regard déformant. Je crois comprendre que le nombre de pas qui réduit est la liberté de cette personne, les nuits qui s'étirent la maladie qui prend place, les fils de pêches qui apparaissent, des hameçons du paradis pour le tirer vers la mort. Les personnes en bleu aux bottes blanches, des techniciens venus sondé l'épidémie de la maladie ?
Un récit intrigant et bien mené. J'ai apprécié sa lecture.

   Puzzle   
22/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup
Cette carte postale qui sert de support à un rêve, un peu tristounet,
a de belles envolées qui comme certains rêves finissent parfois dans un tiroir. Belle imagination sur un support statique.

   Perle-Hingaud   
22/7/2022
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Le crabe, et tout de suite après, l'oncologue... le fond est clair pour moi. Un homme à la dérive, dans une fin de vie onirique. Il y a un peu d'Ecume des jours dans votre nouvelle.
J'ai bien aimé le cheminement, je n'ai pas tout compris (les fils de pêche ? des fils de transfusion ? je pense me tromper...), mais les éléments développés sont évocateurs et bien choisis. L'importance des couleurs est frappante.
Une lecture en douceur, merci pour cette nouvelle !

   Cyrill   
24/7/2022
 a aimé ce texte 
Beaucoup ↓
Bonjour Otoot,

Une écriture que j’ai trouvé très poétique, bien servie par l’absurdité auquel le regard du narrateur nous convie.
Son travail de peintre lui permet d’être vivant. J’ai bien aimé sa réflexion fantaisiste et volontiers labile, que je suis grâce à des fils ténus qui relient les pensées les unes aux autres. Et vous, auteur, mêlez habilement le réalisme au surréalisme. Une impression de flottement. Plusieurs leitmotivs pourtant, émaillent le récit : la taille de l’île, la visite de ces hommes ( l’étrangeté de leur aspect physique, on ne sait formellement pas grand chose de leurs intentions ), les fils qui prolifèrent au fur et à mesure que les jours passent, les couleurs, très présentes dans la qualification des choses. C’est ainsi que j’imagine penser un peintre : en fonction du tableau qu’il pourrait faire de ce qu’il voit.
Ce narrateur, au début de ma lecture, me semble heureux malgré l’ombre qui se profile très tôt avec ces hommes au « corps menteur comme des oncologues ».
Il paraît à certains moments « hors de lui » au sens propre, lorsque par exemple il décrit son île comme « certainement bretonne ».
Son univers mental se rétrécit de jour en jour. La relativité de la taille de l’île devrait être fonction de la mesure de ses pas ou de la proximité du rivage, car on s’imagine que le mot devrait faire advenir la chose, mais ça ne fonctionne pas ou plus, l’île rétrécit malgré ses efforts pour se berner lui-même.
La maladie prend de plus en plus de place dans cet univers rétréci, les oncologues paraissent gagner en importance.
La mort se préfigure avec ce rétrécissement de l’univers du narrateur, géographique et l’on suppose aussi mental.
J’ai l’impression que le fait de ne nommer la maladie et la mort prochaine que par allégories, le fait aussi de n’attacher d’importance aux visiteurs qu’en les rejetant, permettent au narrateur de survivre mentalement.
C’est un bon texte que j’ai pris plaisir à lire, aux images très évocatrices.
Un petit bémol pour le titre, pas à la hauteur. Je l'aurais volontiers remplacé par une partie de l’exergue : « entre la mer et la mort ». Juste mon avis.

   Lulu   
2/8/2022
 a aimé ce texte 
Bien
Bonjour Otoot,

J'ai trouvé l'idée de cette nouvelle bien sympa.

Pour le fond, j'ai pensé au Horla de Maupassant quand le narrateur découvre le filet sur son lit, de même que pour la forme, celui du journal intime.

Cependant, cette nouvelle courte, comme annoncée au départ, d'une certaine façon, avec "Histoire courte", se lit sans trop grande surprise puisqu'on sait l'issue avec les mots mis en exergue dans la présentation qui précisent : "Une semaine sur une île bretonne entre la mer et la mort".

Au départ, j'ai trouvé le style d'écriture très relâché avec le mot "machin" par exemple, mais au fil de la lecture, j'ai trouvé que l'ensemble fonctionnait bien et, finalement, sonnait juste car on se représente assez bien ce récit.

Le jeu des couleurs, du jour qui passe avec le temps sont fort bien racontés. On comprend bien vite que les pas s'amenuisent avec à la fois la fin de la nouvelle et la fin de cette "semaine bizarre". Une belle façon de nous interroger sur le temps qui file et de notre façon de parcourir chacun de son côté dans l'existence notre propre vie sur Terre, que l'on soit seul ou pas d'ailleurs.

Ce texte a aussi une belle résonance sur la solitude. Le cadre superbe type "carte postale" ne suffit pas. Les autres deviennent finalement ceux qui sauvent ou pas, en blouse blanche.

J'ai trouvé de très beaux passages liés au cadre de vie et à cette boîte aux lettres débordantes, par exemple.

Merci pour la lecture, et bonne continuation !


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