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Sentimental/Romanesque
Palocace : L'e-mail codé
 Publié le 31/08/08  -  3 commentaires  -  73458 caractères  -  25 lectures    Autres textes du même auteur

Une clé USB oubliée, et un message qui ne vous est pas destiné tombe entre vos mains. Rien d’anormal, sauf si celui-ci cache une énigme. Que vous reste-t-il à faire ?


L'e-mail codé


I


Ah, cette informatique ! On lui avait pourtant dit et répété que rien ne valait une bonne vieille machine à écrire, mais il savait aussi que la correspondance à papa était d’une autre époque. Et puis, comment tenir les fiches clients à jour si on ne pouvait pas se payer les services de tout un secrétariat ? Xavier s’était donc lancé dans l’investissement d’un système informatique et, régulièrement, il venait à Avignon pour se le faire réparer. Autrefois, les maths lui causaient de gros problèmes, maintenant c’était Windows… Mais bon, il avait économisé le coût d’une secrétaire supplémentaire. Suzanne, l’ancienne collaboratrice de son père lui était fidèle depuis longtemps. Tant bien que mal, elle s’était mise à l’ordinateur.


Xavier avait donc apporté le PC à son réparateur et il disposait de plusieurs heures avant de retourner le chercher. Quand il venait à Avignon, s’il n’avait pas à plaider, il en profitait pour effectuer ses grands achats car, à St Rémy, certains commerçants lui faisaient défaut. Il n’allait pas attendre le lendemain pour adresser ses e-mails urgents. En qualité d’avocat, il avait appris que le courrier était de plus en plus important et toujours urgent. Il entra chez « @venir 84 », un point d’accès public à Internet.


Dans la grande salle, silencieuse telle une bibliothèque universitaire, il chercha un PC disponible. Beaucoup de monde, en effet, assis devant les claviers disposés sur les tables qui formaient un cercle. Il sortit la clé USB de sa poche et se pencha vers l’arrière de l’unité centrale. Surprise ! Il y en avait déjà une de fixée. Xavier la retira, introduisit la sienne et reposa sur la table la clé probablement oubliée. En quelques minutes, il avait envoyé ses différents courriers. Il s’apprêtait à se lever et repartir lorsque ses yeux tombèrent de nouveau sur la clé inconnue. La curiosité était trop forte, personne n’avait levé le nez de son écran, il réintroduisit la clé. Un certain nombre de fichiers apparurent. Des icônes Excel, probablement comptables, d’autres de Word. Il en ouvrit quelques-unes et jeta un coup d’œil rapide. Une lettre de remerciement, un courrier adressé à un entrepreneur, une note concernant un projet d’urbanisme. Toutes émanaient de la même personne : Jérôme Orsoni, agent immobilier à Eygalières. Il le connaissait de nom et l’avait aperçu plusieurs fois. Il avait été maire de la petite localité. Tiens donc… Il y avait aussi la copie d’un e-mail envoyé que Xavier ouvrit, toujours par curiosité. Il réajusta ses lunettes et, d’instinct, s’approcha de l’écran. L’e-mail était vierge à part une série de lettres :


BJPIZ OKSON PGVER YATOW IMREN OKDTE GTAIH EKBIN GNOZA UVOPQ YZINH DEMEX XULOC GCOTB UVIZM AKSTU DPIER OCYAL FNUAB GUREIV ZQINI


De plus, un certain nombre de fichiers Word figuraient en pièces jointes. Des noms grecs. Curieux. Il cliqua avec sa souris sur le premier. Il était vierge… Totalement. Il en ouvrit un second : idem. Vraiment bizarre tout ça, se dit Xavier. Pour être perplexe, il l’était. En quelques secondes, il prit la décision de sauvegarder le contenu de la clé. Il créa un dossier : ORSONI, le plaça sur le bureau du PC, puis le transféra sur sa clé USB personnelle. Ce n’était pas très élégant, même impoli, mais sa curiosité était piquée à vif. Il allait réfléchir à ce message. Cette fois, Xavier se leva et se dirigea vers le comptoir pour régler la prestation.


- Ah dites donc, je pense que quelqu’un a oublié cette clé…

- Merci. Oh, la personne qui l’a laissée là reviendra. Elle n’a pas dû l’utiliser dans beaucoup d’endroits.


Il faisait chaud sur la route de St Rémy. Depuis plusieurs jours le mistral ne soufflait pas et la chaleur était devenue accablante. Xavier songea qu’il lui fallait absolument faire recharger sa clim. Le ciel virait au rouge lorsqu’il descendit son ordinateur pour le réinstaller. Les hirondelles volaient bien haut, il n’y aurait pas d’orage.


Xavier vivait seul à la périphérie du petit bourg. Il avait fait restaurer un mas au décès de son épouse et c’est dans une nouvelle aile qu’était installé son bureau. Il déjeunait le plus souvent à la terrasse d’une brasserie de St Rémy en lisant les nouvelles et cuisinait quelque peu au moment du dîner. C’est ainsi qu’il faisait le vide avec ses problèmes. Ce soir-là, Xavier n’avait qu’une envie : regarder de plus près le dossier informatique « ORSONI ».


Il s’assit à son bureau qui avait été une desserte de cuisine de ferme. On pouvait encore y voir sur le côté une planche tirée, dépassant du meuble : une planche à découper les volailles. Les derniers rayons du soleil traversaient les petits carreaux de la vitre et s’étiraient sur les tommettes. Xavier recommença les mêmes manœuvres que l’après-midi, ouvrant, refermant les fichiers qui s’étalaient sur l’écran. Que pouvaient bien signifier ces chiffres disposés par groupes de cinq ? Nul doute qu’il s’agissait là d’une clé. Une clé pour ouvrir un logiciel ? Xavier se souvenait qu’il avait dû en utiliser une du même genre lorsqu’il avait installé son ordinateur pour la première fois. Possible. Mais pourquoi ces fichiers Word vides ? Xavier se rendit compte qu’il était en train de se ronger très sérieusement un ongle. Il avait pris cette mauvaise habitude depuis qu’il avait cessé de fumer. Il se leva et ouvrit le placard où il rangeait ses accessoires informatiques. Il retrouva le CD d’installation Windows et lut l’étiquette : DE-0JW763-41351-73J-4298. Cette clé était constituée d’un mélange de chiffres et de lettres alors que le message, lui, ne comportait que des lettres disposées par groupes. Pourquoi, également joindre 23 fichiers vides ? Car un à un, il les avait ouverts et alignés les uns à côté des autres. Xavier remarqua qu’ils portaient des noms de sites, de dieux et de monuments grecs : Niké, Acropole, Ségeste, Zeus, Poséidon, Amphitrite, Éole, Métis, Apollon, Léto, Érechthéion, Dionysos, Delphes, Daphni, Agora, Parthénon, Olympiéion, Paros, Pronaia, Osios, Agamemnon, Epidaure, Esculape. Qu’est-ce que tout cela pouvait bien signifier ?


Il ouvrit le fichier Excel et constata, à sa lecture, qu’il avait eu raison : il s’agissait bien d’un tableau d’immobilisations. Y figuraient des immeubles, des terrains, des liquidités sur certains comptes, bref, rien de surprenant.


De nouveau, il ouvrit l’e-mail. Il était destiné à un certain Bruno Glorian de Lyon. Il vérifia sur l’annuaire informatique, mais ce nom ne figurait pas.


La nuit fut longue…

Une chose était sûre, ce message n’avait rien à voir avec un courrier immobilier. Quoique… Xavier avait bien entendu parler de certaines copropriétés qui donnaient des noms du même type aux différents immeubles qui la composaient. Cette hypothèse n’était pas à écarter. Et les fichiers étaient prêts à être remplis. Possible.

Lorsque le jour apparut entre les lames des stores, Xavier se mit à penser que son premier rendez-vous était à 9 h et qu’il était temps de se préparer. Il ouvrit grand les fenêtres. Une bonne odeur de terre et d’herbes fraîches lui remit les idées en place et le ramena à la réalité.


II


Xavier avait mal vécu le décès de son épouse. D’autant plus que c’est lui qui conduisait lorsque l’accident s’était produit. Bien sûr, il n’avait rien à se reprocher, un rocher était tombé sur la voiture alors qu’ils revenaient d’Aix-en-Provence par un temps pourri et sous une pluie diluvienne. Ils ne s’étaient rendu compte de rien, la voiture, sous l’effet du choc, avait quitté la route et dévalé un ravin. Mais Isabelle était morte sur le coup. C’est lui, également, qui n’avait pas voulu d’enfant. De ce fait, il s’était retrouvé seul et avait noyé son chagrin dans le travail. La solitude lui pesait de temps en temps et il hésitait à adopter un chien. Parfois, le dimanche, il visitait un chenil mais ne parvenait jamais à se décider.


Ses quarante ans étaient maintenant dépassés et Xavier s’accommodait de son isolement. Souvent invité chez des collègues du barreau, il prenait plaisir, les soirs d’été, à participer à de vastes tablées entre amis. Grand, brun, bel homme à la fine moustache, il avait l’allure sportive sans pour autant pratiquer un sport en particulier. Certains lui trouvaient un air de ressemblance avec Errol Flynn ou Antonio Banderas. Son sourire, peut-être. Il adorait, en hiver déposer une bûche sur les chenets de la cheminée et s’installer confortablement dans son vieux fauteuil en cuir, un bon polar entre les mains.


17 h venaient de sonner au carillon de sa pendule comtoise. Plusieurs entretiens s’étaient succédé, le dossier de l’affaire Buccoli était parfaitement ficelé et sa plaidoirie de mercredi prochain bien en tête. Suzanne pourrait maintenant reclasser les différents courriers dans les dossiers et Xavier avait l’esprit tranquille. À plusieurs reprises, il s’était surpris à repenser à son fameux e-mail. L’après-midi n’était pas terminé, pourquoi ne pas aller jeter un œil du côté d’Eygalières ? À la périphérie de la petite ville, sa propriété était précisément sur la bonne route.


Sans être grand amateur de vitesse, Xavier prenait plaisir à faire ronfler le moteur de sa Porsche sur la petite route qui serpentait entre les différentes collines calcaires. Il connaissait bien les Alpilles et s’enthousiasmait toujours autant devant ce paysage unique constitué d’oliviers, de pins, de vignes et de genêts. Xavier ne se lassait jamais du panorama qui apparaissait dès lors qu’il se trouvait sur la butte, au ras des Baux, avant de redescendre au milieu des oliveraies argentées et des vignes du Mas de la Dame.


Il appréciait beaucoup le village d’Eygalières. Autrefois, alors qu’il était étudiant, il allait travailler au pressoir à huile pour gagner son argent de poche. Des bons souvenirs. Il se remémorait ses premières amours avec Béa, la fille du moulin du Calanquet. Par contre, reprendre le vélo et gravir la côte interminable pour retourner à St Rémy lui laissait un goût amer et la sensation d’un blocage au niveau des mollets. Il gara sa voiture et s’assit à la terrasse du Bar du Progrès qui n’avait pas changé. Sa salle bien trop grande et son sol cimenté, parsemé de tables vieillottes dont le service à condiments était parfaitement disposé au centre. Un petit restaurant d’ouvriers qui affichait complet à l’heure du déjeuner.


Xavier avança la tête dans l’encadrement des portes battantes :


- Une pression, s’il vous plaît !


Comme il faisait bon à l’ombre, à se laisser bercer par un léger souffle d’air frais. Xavier avait abandonné sa veste dans la voiture et quitté la cravate. Il regarda la belle couleur dorée de la bière fraîche dont les bulles remontaient inlassablement et se mêlaient à la mousse. Il saisit le verre embué, le porta à sa bouche, ferma les yeux et avala une longue gorgée.


Il songeait à ses blocs de lettres, à cette clé inconnue. Peut-être même avait-il entre les mains un message secret. Non, il lisait trop de romans policiers. Pourtant, par son métier, il avait connaissance de tous les scandales financiers qui surgissaient de-ci, de-là, dans le milieu immobilier. Lui-même n’avait jamais été mêlé à une procédure de la sorte, son travail se limitant la plupart du temps à des affaires de mauvais voisinage, de vices de construction et de divorces. Mais, sait-on jamais ?…


Une idée germa dans son esprit au fur et à mesure que le verre de bière se vidait. Il déposa quelques pièces sur la table et se leva. Le cabinet Orsoni n’était qu’à une centaine de pas du bar.


- Bonjour Madame, j’ai vu en vitrine que vous proposiez pas mal de propriétés comportant une piscine. Pourrions-nous en parler ?

- Bonjour Monsieur. Justement, notre directeur vient d’arriver, je vous l’appelle.


Quelques instants plus tard, Jérôme Orsoni accueillait Xavier dans son bureau. Grand, large d’épaules, la soixantaine, la chevelure frisottante et grasse, un nez qu’on n’oublie pas et une bouche déformée probablement par le cigare et les promesses électorales.


- Que recherchez-vous Maître Langlois ?

- J’habite un petit mas à l’entrée de St Rémy qui me convient très bien. Je vis seul et je n’aurais pas besoin de plus grand, mais en été, je souffre de la chaleur et mon jardin ne permet pas la construction d’une piscine. Voilà pourquoi, à tout hasard, je me documentais sur les possibilités dans la région et, naturellement, sur les prix.

- Je vois Maître. Effectivement, je dispose d’un grand choix de produits avec piscine, mais comportant tous de vastes terrains ou des bastides aux innombrables pièces. En y réfléchissant… j’aurais pourtant bien quelque chose…


Orsoni parlait et, en même temps, se grattait le dessous des ongles à l’aide d’un coupe-papier en corne. Xavier s’était avancé et questionna :


- Ah bon ? Pas trop grand, agréable et avec piscine ?

- Oui. Tout à fait. Seulement aujourd’hui je n’ai pas les clés ici. Je vous propose un rendez-vous en fin de semaine, si vous voulez. Disons… Vendredi 16 h. Ça vous irait ?

- Très bien. Merci. Sans engagement, naturellement.

- Naturellement.


Jérôme Orsoni se leva, boutonna son veston et indiqua d’un geste à Xavier la porte de sortie.


Curieux homme. Beau parleur comme tous les agents immobiliers, mais une argumentation absente d’une réelle conviction. Une politesse de surface. Un entretien sans chaleur.


Xavier regagna sa maison. Bien sûr, une piscine était agréable, mais lui serait-elle indispensable ? Il adorait son petit mas de plain-pied aux volets bleus et dont le jardin formait un écrin à l’abri des regards. Pour ne pas entretenir de pelouse, il avait planté sur tout le pourtour deux rangées d’arbustes puis des touffes de fleurs vivaces qui venaient s’étaler jusque sur les pavés de la terrasse. Le nid était douillet et bien des femmes l’auraient jugé romantique.


Cependant le rendez-vous avec Orsoni était pris et Xavier n’allait pas reculer. Il naviguait à vue, pensant qu’en le fréquentant, il en apprendrait davantage sur sa vie, ses idées et peut-être aussi sur ses cachotteries. Un soir, alors que l’écran de son PC diffusait l’image des groupes de lettres mystérieux et que Xavier était perdu dans ses hypothèses, il lui vint l’idée de téléphoner à l’un de ses amis d’Eygalières.


- Excuse-moi Jimmy de te demander un point de vue un peu délicat. Nous nous apprécions suffisamment pour pouvoir nous permettre cette fantaisie. J’ai eu l’occasion, l’autre jour, de rencontrer Jérôme Orsoni. Je ne le connaissais que vaguement et là nous avons bavardé quelque peu. Il semble très avenant et en même temps gesticule avec beaucoup d’esbroufe. Qu’en penses-tu ?

- Xavier, c’est un agent immobilier… Je ne peux que sourire. Ils sont tous les mêmes. En plus il a fait de la politique, alors tu penses, il a l’art de rouler les incrédules dans la farine…

- Je vois. Il a une belle affaire, dis-donc. Mais vend-il seulement des biens immobiliers ou est-il aussi promoteur ?

- Ça, je n’en sais rien. Mais il y a quelques années, des bruits avaient couru sur d’éventuelles malversations. Ce n’étaient que des rumeurs, politiques sans doute. D’ailleurs, à l’époque, ton père devait bien être au courant.

- Probable, oui. Moi, je ne suis de retour au pays que depuis trois ans seulement. Merci Jimmy, et à bientôt, j’espère.


Le vieux clocher d’Eygalières égrenait ses quatre coups lorsque Xavier entra dans le bureau de Jérôme Orsoni. Il l’attendait.


- Ah, Maître Langlois, bonjour ! Vous êtes un homme ponctuel.

- En effet. Bonjour Monsieur Orsoni.

- Je vous propose donc de vous faire visiter la petite propriété dont je vous ai parlé.

- Avec plaisir, mais sans engagement car je ne suis pas encore décidé.

- Parfois, on se décide vite, vous savez.


L’agent d’affaires avait un sourire malicieux. Il poursuivit :


- C’est à vous la magnifique Porsche noire ? On prend ma voiture ou la vôtre ?

- Je vois que la Porsche vous tente assez, reprit Xavier, le sourire à peine voilé. Allez, montez.


Orsoni eut quelques difficultés à s’asseoir aussi bas, attacha sa ceinture et, se tournant en direction de son chauffeur :


- Allez-y, tout droit vers Orgon. Nous allons à l’arrière du château, mais par ici c’est plus commode.


La voiture démarra promptement. Orsoni appuya sa main contre la poignée de porte.


- Dès que vous apercevrez la chapelle St Sixte, vous prendrez la route de gauche. Voilà bien longtemps que je n’étais pas monté dans une Porsche. Je suis agréablement surpris par le confort.


Sa main caressait le cuir du siège. Il poursuivit :


- Autrefois, du temps de ma période universitaire, c’était la mode des Triumph et des MG, moi je m’étais offert une Morgan. Ah, vous auriez vu les filles !…


Xavier se contentait de sourire, lui jetant un coup d’œil de temps en temps.


- Voilà, on arrive, dit Orsoni, montrant une propriété protégée par un haut mur. Garez-vous donc juste après la grille.


Le gravier crissait sous les chaussures. Orsoni étirait son bras pour mieux accentuer ses phrases qui ne tarissaient pas d’éloges à propos du jardin.


- Admirez cette pelouse… Le soir, rien à faire sinon appuyer sur le bouton de l’arrosage automatique. Vous regardez mes statues, je les ai achetées chez l’un de mes vieux amis, brocanteur sur la route de Maussane.

- Vos statues ?… Elles sont à vous ?

- En effet. Que je vous explique… Xavier… Vous permettez que je vous appelle Xavier ?

- Naturellement, répondit celui-ci sans grand enthousiasme.

- Voilà, cette propriété est la mienne. J’envisage de quitter la région, donc de m’en séparer. Mais… et se penchant pour parler à voix basse, il rajouta :

- Personne n’est au courant et je vous demande la plus grande discrétion.

- Naturellement…

- Oui, je veux me retirer… en douceur. C’est un projet qui m’est personnel et j’aimerais qu’il reste entre nous. Donc… voilà la piscine. Regardez : robot, bâche de protection, carrelage suffisamment large pour éviter l’herbe. Aucun entretien.

- Je vois. C’est très agréable.

- Et puis, vous comprendrez que cette magnifique haie de cyprès empêche toute intrusion du mistral. Vous pourrez vous baigner autant que vous le souhaiterez.

- Heu, oui… Cependant la maison me semble grande…

- Trois chambres. Vous savez Xavier, en été ici, on a souvent des visites. Vous apprécierez de pouvoir recevoir.

- Oui sans doute, répondit Xavier, se sentant embarqué malgré lui dans un processus où la réflexion n’était pas tellement privilégiée.


Il s’apprêtait à recevoir le compromis de vente entre les mains, d’une minute à l’autre.


- Regardez le sol de ce magnifique séjour. Que du marbre. Et la cheminée d’époque. Ça doit vous tenter, non ?

- C’est très beau en effet, mais…


Orsoni lui coupa la parole pour rajouter :


- Quant au prix… Moins cher que vous ne l’imaginez. Faites-moi une offre.

- Heu… Je n’en suis pas encore là. Votre maison, la propriété en général, c’est vraiment grand. Je vis seul, Monsieur Orsoni.

- Grand, grand… Beaucoup moins que bien des demeures de la région. Et puis, Xavier, vous m’êtes sympathique, si elle vous plaît, je peux même vous laisser le mobilier.

- C’est très beau, j’en conviens… Xavier montrait son embarras, son hésitation, traînait sur les mots. Et puis, vous avez choisi le design, moi je possède du mobilier régional et de famille.

- Bon, bon, écoutez, réfléchissez. Mais faites vite. N’en soufflez mot à personne. Je suis prêt à vous faire une belle proposition.

- C’est gentil, merci. En effet, j’ai besoin de réfléchir.


Ils s’apprêtaient à remonter dans la voiture lorsqu’Orsoni, s’arrêta et se retourna vers son client potentiel :


- Vous ne jouez pas au golf ?

- Heu, non. Pourquoi ? Vous jouez au golf ici.


Orsoni éclata de rire.


- Non, pas du tout. Mais dimanche, comme souvent, je vais jouer avec mon épouse. Vous me feriez plaisir si vous nous accompagniez sur le parcours.

- Heu… vous croyez ?


Xavier était interloqué par autant de prétention et d’un autre côté brûlait d’envie d’en connaître davantage. Cet Orsoni était vraiment spécial.


- Xavier, je pense que dimanche, le frère de ma femme et ma belle-sœur se joindront à nous. Allez, vous viendrez ?

- Entendu. Je suis moi-même tennisman, mais le golf, je ne connais pas. C’est d’accord. Quelle heure ?

- Disons, après la sieste. 15 h, ça vous va ?

- Très bien. Et à quel endroit ? Des golfs, il y en a plusieurs ici.

- Excusez-moi. Pour moi c’est tellement évident. À Servanes, sur la route de Mouriès.

- D’accord.


Xavier avait déposé Orsoni devant son agence puis il avait regagné son mas. Modeste, certes, et sans piscine, mais tellement chaleureux, tellement agréable à vivre, entouré de lantanas, agapanthes et rosiers aux parfums délicats. Il s’assit sur la bergère adossée à la façade ombragée, puis c’est en regardant le massif de lavandes entrecoupé de coquelicots qu’il se remémora la conversation avec Jérôme Orsoni.

Certes, il allait s’introduire dans le milieu de cet homme qu’il avait découvert au dos d’un ordinateur d’Avignon, sans aucune difficulté d’ailleurs. Il connaîtrait bientôt son entourage, mais progresserait-il dans l’enquête qu’il menait sur cet e-mail mystérieux ? Pas sûr. Car de la partie de golf aux blocs de lettres, il y avait un monde de séparation. Comment le découvrir davantage ? Un homme de sa carrure devait être malin comme un singe et même sous des allures bonasses ne livrerait probablement pas facilement ses secrets.

Le bruit d’une cigale en haut d’un pin du voisin tira Xavier de sa rêverie. Il allait avoir deux jours de repos. Examiner les dossiers de ses clients, préparer la semaine prochaine était indispensable. Il poussa la porte d’entrée qu’encadrait un magnifique bougainvillier violet et alla s’installer à son bureau.



III


Le samedi fut consacré en partie au jardinage et à l’approvisionnement du réfrigérateur. Xavier profitait également du week-end pour cuisiner quelques plats qu’il congelait. Deux dossiers importants perturbaient un peu son esprit, mais ses pensées revenaient toujours sur Orsoni et son courrier mystérieux.


Enfin dimanche arriva et l’heure de se rendre au golf de Servanes. Xavier regarda sa montre et repéra une place à l’ombre qui lui convenait. Heureusement, il avait lavé sa voiture le matin. Il se sentait bien entouré avec à sa gauche une énorme Mercedes belge et à sa droite une Ferrari aux plaques munichoises. Les mains dans les poches de son pantalon blanc et en polo bleu pâle, il se dirigea vers l’entrée du club-house. Visiblement, ses hôtes venaient de prendre le café, ils se levèrent lorsque Jérôme accueillit Xavier.


- Je vous présente Xavier Langlois, brillant avocat, qui va visiter le parcours en notre compagnie. Bonjour Xavier !


Orsoni lui tendit une main ferme et lui écrasa légèrement les doigts.


- Merci pour cette gentille invitation, mais je ne voudrais pas perturber votre réunion de famille.

- Pas du tout, Xavier. Le plaisir est pour nous. Voici mon épouse Agnès, son frère Hervé et sa femme Roxane qui sont venus nous tenir compagnie quelques jours.


Déjà en entrant, Xavier avait trouvé splendide le décor du club-house créé sous les voûtes en pierres d’un authentique moulin à huile, mais lorsqu’il arriva sur le gazon, il ne put s’empêcher de constater que le site était tout à fait exceptionnel, marqué par les contrastes de lumière : Alpilles blanches, ciel bleu azur et vert des oliviers et des cyprès. Un cadre paradisiaque pour une sortie en amoureux. Cependant, l’heure n’était ni à la détente totale, ni aux roucoulements. Il s’agissait de jouer serré, de tout observer et de paraître à l’aise.


- Vous n’êtes pas fatigué, mon cher Xavier ? Ici c’est un parcours de 18 trous, soit un peu plus de six kilomètres. Mais les journées sont longues en ce moment. Vous allez voir comme c’est agréable.


Les quatre participants marchaient en file indienne, casquette vissée sur la tête, traînant chacun son chariot. Xavier suivait, examinant tout son petit monde.


Orsoni marchait naturellement en tête, déterminé comme un officier de l’Empereur qui monte à l’assaut.


Agnès était juste derrière. Grande, élancée, les bras bronzés. Xavier admirait sa couette blonde qui se balançait à l’arrière de sa casquette et surtout le mouvement de ses petites fesses à chaque pas. Une sirène en habit de golfeuse.


Suivait Roxane, dont la mèche brune gesticulait, elle aussi, à la sortie de sa casquette rouge. Une jolie femme avec des yeux de panthère et une poitrine généreuse. Xavier remarqua que sa démarche était également un excellent appât pour faire avancer les retardataires.


Hervé semblait beaucoup plus décontracté. Comme s’il était venu là pour faire plaisir ou simplement admirer le paysage des Alpilles. La cinquantaine, tempes grisonnantes et estomac de représentant, il tirait le chariot le moins lourd, ce qui, aux yeux de Xavier, confirmait bien le manque d’enthousiasme.


Tel un chasseur de sanglier qui vient de repérer une trace, Orsoni leva la main et s’arrêta. Xavier comprit que le grand moment était arrivé. Personne ne parlait plus. Tour à tour, chacun épousseta le gazon, installa sa balle, fit des gestes incompréhensibles devant Xavier, avec un sérieux digne d’un mandarin qui saisit son bistouri pour une opération à cœur ouvert. Les clubs agitaient l’air et bloquaient les respirations.


Xavier profitait de ces instants quasi religieux pour examiner l’attitude de chaque joueur. Orsoni se contorsionnait perpétuellement la face en fonction de la retombée des balles. Agnès, sage comme une image, s’appliquait à jouer telle une première de la classe. Roxane semblait s’impliquer avec la même passion qu’une pétanqueuse au camping d’Argelès un soir de mois d’août. Quant à Hervé, il rappelait un peu un cadre de chez Renault devant la maquette d’un prototype.


L’après-midi s’écoulait au fil des trous et des kilomètres. De temps en temps, chacun s’épongeait le visage et adoptait le geste qui sauve le vigneron, mais avec une bouteille d’eau minérale. C’est vrai qu’il faisait très chaud. Xavier était heureux de n’avoir apporté qu’un léger sac à dos. De temps à autre, il sentait le regard d’Agnès se poser sur lui. Quand c’est lui qui l’observait, elle répondait par un léger sourire. Les conversations étaient réduites. Xavier, n’apprit rien de spécial, si ce n’est que Jérôme disposait d’un index de 5,9 et Agnès d’un 17,5. Si les cours du NASDAQ étaient difficiles à comprendre, le langage des golfeurs relevait de codes de tribus éloignées.


Le soleil était passé derrière les haies de cyprès lorsque toute l’équipe entra au club-house. Les deux femmes s’assirent dans de gros fauteuils en tissu beige clair, les hommes tirèrent des tabourets. L’alcool n’était pas de mise, chacun ayant besoin de se désaltérer.


- Ça vous a plu, Xavier ? demanda Jérôme, s’épongeant le front, rouge comme un homard qui s’apprête à monter dans une assiette.

- Oui, beaucoup, mentit-il. Et puis, un tel cadre mérite d’être connu. Merci pour cette invitation.


Le serveur arriva avec son plateau, Xavier s’empressa de sortir un billet qu’Orsini récupéra et lui redonna.


- Enfin, Xavier, vous êtes ici chez moi. Vous me vexeriez…


Hervé lui adressa un clin d’œil complice, montrant qu’il ne devait pas insister. Il est vrai qu’Orsini se sentait chez lui. Il avait étiré ses bras qui reposaient maintenant sur le dossier de chacun des fauteuils. Il se lança dans une longue tirade sur la création du golf, appuyant bien sur le fait que sa parole avait compté dans la prise de décision.


Hervé regardait ses doigts manucurés, Roxane avait vidé son verre et le tendait de nouveau au serveur, Agnès avait les mains croisées, écoutant sagement le discours du maître. Elle avait quitté sa casquette. De jolis cheveux d’un blond vénitien s’étalaient sur ses épaules. Ses yeux étaient d’un bleu limpide, sa bouche petite, un nez légèrement en trompette qui lui donnait un air ingénu. Elle parlait très peu et on pouvait se demander s’il lui arrivait de s’extérioriser.


Les conversations stoppèrent net, Xavier enfonça son cou dans les épaules. Un vrombissement épouvantable venait de clouer tout le monde sur place.


- Un avion de la base 114 d’Aix. Il devrait voler encore plus bas ! s’écria Orsini qui avait manqué de s’écrouler entre les deux fauteuils. Lorsque j’étais à Cognac, les pilotes avaient comme consigne de ne jamais voler aussi bas sauf au-dessus de la mer. Idem pour le passage du mur du son.

- Vous étiez pilote ? demanda Xavier, surpris.

- Non. Je séjournais à la base de Cognac durant mon service militaire. Affecté aux transmissions, j’occupais la fonction de régulateur chiffreur.


Xavier faillit avaler le glaçon de son verre. Nous y voilà, pensa-t-il. Chiffreur à l’Armée. J’ai mon explication et la certitude que mon message est codé.


Roxane était occupée à secouer sa tête. Elle venait de retirer sa casquette et remettait ses cheveux en place. Ses yeux de panthère étaient vraiment magnifiques. Une bouche pulpeuse et une pluie de taches de rousseur sur le nez indiquaient qu’elle n’avait pas toujours été aussi brune.


Mais Xavier ne remarqua ces détails que l’espace d’un instant. Il n’y attacha pas d’importance, bien trop préoccupé qu’il était par la révélation d’Orsini. Ainsi le masque s’effritait…


On lui proposa de rester dîner, Xavier remercia, prit congé et alla retrouver sa Porsche noire aux fauteuils de cuir.



IV


Durant la semaine qui suivit, Xavier n’entendit pas parler de Jérôme Orsini. Celui-ci avait lancé un appât, sans doute attendait-il que le poisson morde. Le mercredi suivant, jour de marché à St Rémy, Xavier quitta son cabinet vers 11 h 30 afin de s’approvisionner en produits frais. Les parasols multicolores avaient envahi les ruelles du centre-ville. Les forains étaient nombreux et il était bien difficile de faire son choix. Mais Xavier avait ses habitudes et c’est d’un pas décidé qu’il se dirigea place de la mairie. Son œil fut attiré par les premières fraises de pays. Il était occupé à remplir son cabas d’asperges, poires et œufs frais, lorsque son regard croisa celui d’une jolie blonde aux lunettes de soleil relevées sur ses cheveux dorés.


- Bonjour ! Alors d’Eygalières, vous venez faire votre marché à St Rémy ?

- En effet, répondit Agnès, dont le sourire n’avait d’égal que le soleil qui baignait la place de tous ses rayons. J’adore venir ici chaque mercredi. Il y a tellement de choix que ce serait un péché que de se limiter aux quelques légumes d’Eygalières.


Vêtue d’un ensemble en jean et d’un tee-shirt blanc, elle portait un joli foulard noué au cou qui lui donnait un éclat magique. Peut-être en raison d’un léger mistral qui faisait virevolter les mèches en liberté, Agnès avait coiffé ses cheveux en chignon.


- Heureux de vous rencontrer, Agnès. Nous n’aurions pas été présentés dimanche, nous ne nous serions jamais parlé.

- Pas si sûr, répondit Agnès, je connais depuis longtemps votre réputation d’avocat et j’avais l’intention de prendre rendez-vous.

- Ah bon, s’étonna Xavier, changeant de main son lourd cabas. Vous permettez, mettons-nous à l’ombre sous les platanes, nous serons plus à l’aise pour parler.

- Oui, reprit Agnès. Me serait-il possible de venir à votre cabinet ? En toute confidentialité, naturellement.

- Naturellement, répondit Xavier, reposant le cabas pour mieux saisir son BlackBerry de sa poche arrière. Quand êtes-vous libre ?

- Vendredi, est-ce possible pour vous ?

- Vendredi, oui, je suis ici. Voulez-vous 14 h 30 ?

- 14 h 30. Très bien.

- Vous savez où se situe mon cabinet ? En arrivant d’Eygalières, à droite. Le chemin qui longe l’ancien hôpital.

- Oui je vois. Celui de la Promenade Van Gogh ?

- Oui c’est ça, répondit Xavier. Un large sourire aux lèvres lui faisait remonter sa fine moustache.

- Au revoir.

- Au revoir. À vendredi.


Agnès n’avait ni quitté son panier des mains ni lâché la baguette coincée sous le bras. Elle adressa un joli sourire à Xavier et se retourna.


Le mouvement de ses hanches fit penser à Xavier qu’il en avait bien de la chance, Orsoni, d’avoir une aussi jolie femme…


Ainsi, l’épouse de Jérôme voulait le rencontrer en toute discrétion. Étrange. Pouvait-il y avoir une relation entre cette demande, la proposition de l’agent immobilier et le fameux message codé ? Mieux valait attendre plutôt que de faire de fausses suppositions.


La cloche du portail d’entrée tinta. C’était Agnès. Elle portait un chapeau à larges bords. Drapée dans une jolie robe rouge à fleurs blanches, ses bras et ses jambes couleur caramel ressortaient magnifiquement bien. Elle arborait une silhouette de rêve et une très jolie démarche favorisée par des hauts talons de couleur assortie.


- Bonjour !


Ses dents blanches brillaient d’un tel éclat que Xavier ne put s’empêcher de penser aux publicités d’avant 20 h.


- Vous êtes magnifique. Entrez donc.


Xavier prit sa main et lui embrassa le dessus.


- Oh, quel galant homme ! Voilà bien longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Elle continua : Vous avez un splendide jardin. Vraiment agréable. Elle tournait sur elle-même pour ne rien perdre de cet environnement.

- Ce n’est pas très grand, mais je m’y sens bien répondit Xavier, les mains derrière le dos, embrassant sa propriété d’un tour de tête à 180 °.


Il avait saisi un sécateur posé sur le rebord d’une petite fenêtre et d’un geste précis coupa la tige d’une rose géante et globuleuse ressemblant à une fleur de pivoine.


- Tenez, c’est ma préférée. Une Cadfael, je crois. Sa couleur rose dragée est unique.


La saisissant, Agnès sentit le rouge monter sur ses joues.


- Hummmm, quel parfum… C’est très gentil. Merci.

- Entrez, je vous en prie.


Xavier avait ouvert la porte qui donnait directement sur le séjour. Agnès descendit la marche, quitta son chapeau et balaya la grande pièce d’un regard admiratif.


- C’est superbe chez vous. Une demeure chaude et pleine de vie.

- Oh, je suis pourtant seul, réagit Xavier, mais j’aime les meubles qui ont une âme et en présence desquels on se sent bien.


Agnès faisait le tour de la pièce, regardant avec intérêt les tableaux et les sculptures. Ne s’arrêtant pas, par discrétion sans doute, sur les quelques photos reposant sur de mini-chevalets.


- Nous pouvons aller à mon bureau, mais également nous asseoir ici, ce qui sera moins formel. Que préférez-vous ? demanda Xavier.

- Ici, c’est très agréable. Vraiment.

- Asseyez-vous. Désirez-vous un café ?

- Volontiers.


Agnès choisit un fauteuil Voltaire qui regardait le jardin dont la porte était restée ouverte. Elle nota que Xavier s’intéressait à la littérature, remarquant quelques livres posés sur la grande table en merisier.


Seul en cuisine, il versa quatre cuillerées de café dans le filtre, brancha la machine et ajouta la quantité d’eau correspondante. Le téléphone retentit, mais Xavier se contenta de le fixer. Le café prêt, il en versa deux tasses d’une main un peu tremblante et les apporta sur un plateau avec quelques pierres de sucre.


Il s’assit dans son vieux fauteuil de cuir ambré, face à la cheminée, se tourna en direction d’Agnès qui avait croisé les jambes et saisi la soucoupe de café.


- Je vous écoute.


Agnès venait de tremper ses lèvres.


- Voilà. Je viens vous voir pour un conseil, murmura-t-elle, reposant la tasse.

- À votre disposition, répondit Xavier, déchirant le papier d’emballage d’un morceau de sucre avec beaucoup de dextérité.

- Je suis mariée depuis bientôt dix ans. J’ai rencontré Jérôme juste après son divorce. J’étais jeune et à cette époque-là, il avait un certain charme… Bref, j’ai été séduite. Il a aussitôt commencé la construction de la maison et m’a fait comprendre qu’il préférerait que je n’exerce plus mon métier de commerçante.


Xavier ne disait rien tout en remuant son café, mais la regardait avec la plus grande attention.

Agnès poursuivit :


- Je me suis donc retrouvée seule dans cette maison, isolée, loin de ma famille qui habite Lyon. Jérôme m’a présentée à ses relations qui, je l’avoue, ne me plaisaient pas beaucoup. Il m’a invitée aux meilleures tables, m’a appris à jouer au golf. En fait, quand il ne me maintenait pas à la propriété, il m’exhibait dans les endroits les plus en vue. Au fil des années, j’ai perdu le contact avec bon nombre de mes anciens amis. C’était un choix et je l’assumais.


Xavier, croisait les bras, se contentant d’opiner de la tête.


- Jusqu’au jour où j’ai découvert qu’il me trompait.

- Comment l’avez-vous appris ? demanda Xavier.

- Oh, je l’ai compris. Ses absences, sa froideur, sa distance envers moi. Une épouse sent ces choses-là.

- Je me suis souvent demandé comment les femmes réagissaient lorsqu’elles savaient.

- En ne réagissant pas. En tout cas, pour ma part. Disons que j’ai fermé les yeux. Je ne peux pas dire qu’il m’a délaissée. Puis un jour, je suis tombée sur un dossier qu’il avait oublié sur le canapé du salon. Des actes, des courriers, des plans. Mais pour des biens immobiliers qui nous étaient proches.

- Sous quel régime êtes-vous mariés ? interrompit Xavier.

- Séparation de biens. Donc, continua-t-elle, à ce jour, je suis complètement dépendante de lui, vu que je ne travaille plus et que mes parents, d’origine modeste, ne m’ont pratiquement rien laissé.

- Oui, en effet, et alors ?

- Et alors, Xavier, je me pose beaucoup de questions. Depuis quelque temps, Jérôme est bizarre. Il s’enferme des heures dans le petit bureau alors qu’il séjourne des journées entières à celui de l’agence. Il va et vient avec des tas de dossiers. Dès que je lui pose une question, lui qui d’ordinaire répond d’une boutade, s’énerve et clôt la conversation. Je n’ai personne à qui parler, demander un avis, aussi je pensais que vous… peut-être… pourriez me conseiller.


Xavier était perplexe. Il se leva, et tout en arpentant le carrelage en pierre du pays, devant la cheminée, mains dans les poches, il prit la parole :


- Agnès, j’aimerais beaucoup vous aider, mais… que puis-je faire ? Quelle démarche vous préconiser ? Prendre un détective ne vous apportera rien, visiter un conseiller conjugal ne vous tirera sans doute pas d’affaire non plus. Moi je suis avocat. Je ne peux intervenir que dans le cas où vous demanderiez le divorce. Ce ne peut être qu’en ami que je me ferais un plaisir de donner mon avis. Et encore… Le problème est personnel. Vous risquez, en effet, de vous faire dépouiller, votre mari possédant tous les biens, mais je vois mal comment je pourrais inverser la tendance ou tout simplement vous protéger. Je comprends votre crainte de vous retrouver sans rien, mais à l’époque on aurait dû vous conseiller de vous méfier, de ne pas accepter ce type de contrat de mariage.


Agnès s’était également levée et elle restait maintenant debout, adossée au grand bahut qui trônait entre les deux fenêtres.


- Écoutez, reprit Xavier, d’un ton amical, hésitant. Je vais réfléchir et, en ami, je vous dirai ce que moi je ferais à votre place.

- Vous êtes gentil. Merci.


Lorsqu’ils ressortirent, Xavier lui fit faire le tour de la maison. Agnès s’émerveilla : le jasmin d’angle dégageait à cette heure un arôme exquis.


- Savez-vous que pour profiter pleinement d’une branche de jasmin, il faut la couper à peine avant l’aube ? C’est à ce moment qu’elle dégage ses meilleures fragrances.

- Ah bon, répondit-elle, regardant son confident avec une pensée que celui-ci ne put saisir.


Ils se dirigeaient vers la Twingo rouge arrêtée à l’entrée du portail, lorsque soudain Agnès sursauta et, instinctivement s’agrippa à l’épaule de Xavier. Un gravillon s’était introduit sous un orteil de sa chaussure ouverte.


- Oh excusez-moi, dit-elle en rougissant. Mais j’ai été surprise…

- Je vous en prie, répondit Xavier, un peu gêné d’avoir le visage d’Agnès aussi près du sien.


L’espace de quelques secondes, il avait pu s’approcher de ses yeux clairs comme l’eau d’une fontaine et de sa bouche aux lèvres délicieusement brillantes.


V


Le lundi suivant, Xavier reçut un coup de téléphone de Jérôme Orsini. Selon son habitude, celui-ci était toujours aussi flatteur, enjoué, prêt à proposer les meilleures opportunités à son ami. Une fois les banalités d’introduction échangées, il en vint au fait.


- Mon cher ami, pour la maison, avez-vous réfléchi, voulez-vous la revoir, profiter de la piscine ?

- En effet, j’ai réfléchi, répondit Xavier qui avait eu le temps de préparer sa répartie. Je pense qu’une décision favorable serait prématurée. Je vis seul et votre belle propriété est trop grande pour moi.

- Peut-être ne serez-vous pas toujours seul… Orsoni, naturellement, avait rebondi.

- Qui sait ? Mais pour le moment, je pense que je vais rester vivre dans mon mas dix-neuvième, entouré de mes fleurs auxquelles je tiens beaucoup.

- Comme vous voudrez, mon cher Xavier, mais je viens de recevoir une proposition de la part d’un ami. Je ne voulais pas que mon offre vous file entre les doigts.

- Merci, mais ma décision est mûrement réfléchie. N’hésitez pas à concrétiser la vente avec votre connaissance.

- OK. J’espère que vous ne le regretterez pas. À bientôt mon ami.


Xavier voulut prendre congé mais son interlocuteur avait déjà raccroché.

Curieux personnage que ce Jérôme Orsoni, pensa Xavier.


Il n’était que 17 h lorsque le mercredi, notre avocat revenant du Tribunal de Grande Instance d’Avignon roulait sur la route d’Orgon. Il faisait si chaud qu’il avait renoncé à la clim et il circulait toutes vitres baissées. Le ronronnement du moteur de sa voiture lancée à faible allure ne parvenait pas à couvrir le chant des sauterelles et des cigales. Une bien jolie musique d’été. Il allait passer tout près de la propriété des Orsini et une idée lui vint. Depuis deux jours, il se tourmentait à propos des problèmes d’Agnès. Devait-il respecter sa parole si celui qui lui avait demandé de tenir sa langue ne lui paraissait pas des plus honnêtes ? Devait-il continuer de cacher ce qu’il avait appris d’Orsini à la femme qu’il sentait trompée à tous points de vue ? Car, c’était évident, Agnès n’était pas au courant de la proposition de son mari à Xavier. Il avait retourné le problème dans tous les sens et il avait pris la décision de tout raconter dès qu’il le pourrait. Aujourd’hui, l’occasion se présentait.


Xavier venait de dépasser le chemin qui tournait à l’aplomb de la chapelle St Sixte. Il freina brusquement et enclencha la marche arrière. Il conduisit la Porsche vers la haie de cyprès qu’il apercevait et stationna dans un renfoncement, quelques dizaines de mètres plus loin. À cette heure-ci, Jérôme devait être à son bureau et Agnès probablement occupée à nager. Il marcha quelques mètres dans la garrigue. L’herbe sèche crissait sous les pieds, libérant les senteurs de thym, de lavandin et de serpolet. Le portillon était grand ouvert. Xavier entra et se dirigea vers le côté de la maison qui donnait sur la piscine. Il avait vu juste. Agnès était bien là. Mais pas en train de nager, non, allongée sur le dallage, inerte à se faire bronzer.


- Bonjour appela-t-il !


Elle était au loin, n’entendait pas car elle ne bougea pas. Agnès ! cria-t-il plus fort. Rien n’y faisait. Mais il s’aperçut qu’elle était nue… et elle avait les écouteurs d’un baladeur mp3 sur les oreilles. Il recula et contourna la piscine. Agnès l’aperçut au loin, se releva d’un bond et attrapa le peignoir blanc posé sur un fauteuil de plage.


- Bonjour ! reprit-il, je peux avancer ?


Il trouva sa question idiote. Agnès n’allait pas lui dire non. Il arriva jusqu’à elle qui avait eu le temps de boucler sa ceinture et de retirer ses écouteurs.


- Bonjour Xavier, vous m’avez surprise. Je n’ai pas l’habitude de recevoir des visites.

- Excusez-moi, reprit Xavier gêné, essayant de prendre un air naturel tout en ajoutant : c’était ouvert et j’ai appelé.

- Entrez donc, il fait très chaud à cette heure-ci. L’eau est vraiment bonne et je me suis baignée plusieurs fois aujourd’hui. Je vous ferai visiter un jour où je serai habillée, rajouta-t-elle avec un sourire d’une blancheur éclatante.

- Je connais, Agnès…

- Ah bon ? Elle montra une mine interloquée.

- Oui… j’ai visité votre maison… et c’est un peu la raison pour laquelle je me suis arrêté en rentrant d’Avignon.


Ils s’étaient assis l’un en face de l’autre, dans les grands fauteuils de cuir blanc. Agnès le regardait sans rien dire, attendant ses révélations. Elle prit quelques pinces posées sur le rebord de la table en verre et se fit un chignon.


- Oui, reprit-il, à vrai dire, je suis venu ici, il y a une dizaine de jours, invité par votre mari. Je…

- Par Jérôme ?


Elle avait fait un bond, décroisant ses jambes et montrant à son insu l’intérieur de ses cuisses. Xavier recadra aussitôt son regard sur le visage d’Agnès, remarquant au passage, qu’épuré par l’absence de maquillage, il ressemblait à celui d’une jeune fille. Agnès lui plaisait vraiment beaucoup.


- Oui Agnès, votre mari m’a proposé d’acheter la maison.

- Je ne fume plus et tout cela me rend très nerveuse, excusez-moi. Prendriez-vous un whisky ?

- Non merci, pas pour moi. Un grand verre d’eau plutôt. Donc, je voudrais vous faire part d’une conversation dont je ne vous ai…


Mais le BlackBerry interrompit Xavier.


- Excusez-moi. Oui ?… Oui, j’arrive dans cinq minutes. Ok. À tout de suite. Désolé Agnès, c’était ma secrétaire. Un client qui désire me voir d’urgence. Et puis, ici, je peux difficilement vous parler. Pourrions-nous nous rencontrer ?…

- Oui naturellement. Vous m’avez bouleversée.

- J’en suis désolé. Rien de grave, mais des éléments à vous faire connaître.


Xavier s’était levé et s’apprêtait à regagner la porte. Agnès réajusta la ceinture de son peignoir et se leva à son tour.


- Pourrions-nous nous voir demain, proposa-t-elle ?

- Entendu. Je serai disponible à 16h30. Ça vous ira ?

- Bien sûr. Où ça ? À votre cabinet ?

- Je préfèrerais un endroit plus discret. Voulez-vous que nous marchions dans les allées ombragées du Val d’Enfer ?

- C’est une bonne idée. Nous nous attendrons à la Reine Jeanne, à l’arrière du vieux pressoir, si vous voulez.

- Parfait. À demain Agnès. Ne bougez pas, je connais le chemin.


Xavier aurait eu envie de l’embrasser. Elle faisait si fraîche, pieds nus, revêtue de son seul peignoir blanc dont l’ouverture donnait l’impression d’un décolleté généreux, qu’il aurait eu envie de la prendre dans ses bras et de la porter sur le lit de la chambre. Mais il se contenta d’une poignée de main appuyée et tourna les talons.


La Twingo rouge était garée à l’ombre des micocouliers. Lorsque la Porsche se glissa à ses côtés, Agnès, toute de gris vêtue, descendit de sa voiture et accueillit son ami d’un grand sourire.


- J’aime beaucoup cet endroit. Le départ d’une jolie promenade. Bonjour Xavier.

- Bonjour Agnès. Il fait très chaud, encore aujourd’hui. Cette promenade à l’ombre sera agréable.


Selon son habitude, il avait soulevé la main de son amie et avait déposé un baiser. Lui aussi était en tenue de sport, jean délavé, tee-shirt rouge et tennis blanches. Son col était largement ouvert, dégageant le départ d’un système pileux brun abondant.

La forêt de pins s’étendait à perte de vue à cet endroit. En marchant doucement, ils empruntèrent le chemin caillouteux qui menait de l’autre côté de la colline.


- Excusez-moi pour hier, balbutia Xavier qui s’était à peine remis de son arrivée relativement indiscrète.

- Ne vous excusez pas, reprit Agnès, comprenant très bien la phrase, j’aurais dû penser à fermer le portillon.

- Je voulais absolument vous dire que, suite à votre visite de l’autre jour et à vos confidences, j’avais beaucoup réfléchi puis décidé de vous rendre compte d’une conversation que je m’étais pourtant engagé à tenir secrète.


Agnès le regardait en silence tout en marchant.


- Il arrive des moments dans la vie où il faut choisir son camp, reprit-il.

- Et vous l’avez effectué votre choix ? interrompit-elle.

- Heu… oui. Pour trois raisons. D’abord, vous avez demandé un rendez-vous à l’avocat. Celui-ci se doit de vous conseiller au mieux. Ensuite, les manières de Jérôme, je l’avoue, ne me plaisent pas. Enfin… vous m’êtes très sympathique Agnès.


Xavier qui baissait la tête, en parlant, venait de la relever pour regarder son amie. Il remarqua son joli minois. Elle était là, à ses côtés, buvant ses paroles. Il sentit monter un désir vif à lui prendre la main, mais il se retint et poursuivit :


- Oui, hier après-midi, je commençais à vous dire que j’avais visité la maison. J’étais allé à l’agence de votre mari, prétextant la recherche d’une propriété avec piscine. Celui-ci m’a alors proposé la vôtre, sous le couvert d’une excellente affaire.

- Justement, je ne comprends pas. La maison n’est pas à vendre. Jérôme ne me parle pas de son travail, mais là, je demeure stupéfaite car je suis personnellement concernée et il ne m’a rien dit. J’ai réfléchi qu’il avait dû profiter de mes deux jours chez mon père pour effectuer la visite.

- La visite ou les visites, continua Xavier. Je pense que quelqu’un d’autre est intéressé.

- Pourquoi vendre la maison ? Nous n’avons jamais envisagé de déménager…

- Vous, non, lui oui… Il paraît avoir des projets.

- Vraiment, je ne comprends pas. Agnès semblait perdue dans ses réflexions.

- Et puis, je vais vous faire part d’une découverte personnelle qui m’a conduit sur la piste de votre mari…


Xavier venait d’apercevoir un banc et invita son amie à s’asseoir. Il lui raconta l’épisode d’Avignon et la découverte du fameux mail. Agnès n’en croyait pas ses oreilles. Elle s’était approchée de lui et… tout en l’écoutant… lui avait pris la main.


- Agnès, je voulais vous demander… Votre bibliothèque est importante, je l’ai aperçue, pourriez-vous me dire si elle ne contiendrait pas un livre qui parlerait de messages secrets ou d’énigmes d’écritures ?

- Je connais assez bien les ouvrages de la bibliothèque car je les dépoussière de temps en temps, mais ce type de livre, non. Je ne crois pas.

- Et, naturellement, votre mari n’a rien conservé de ses affaires militaires…

- Non, je ne pense pas non plus, et puis il y a si longtemps…

- C’est dommage. Nous aurions pu, probablement, progresser.


À cet instant précis, la conversation fut interrompue par un squelette de pomme de pin qui atterrit sur les genoux de Xavier. Tous les deux levèrent ensemble la tête… Sans doute un écureuil malicieux.


Ils quittèrent le banc et rebroussèrent chemin. Xavier s’aperçut qu’il n’avait pas lâché la main d’Agnès. Arrivés près des voitures, ils se séparèrent en se promettant de se tenir au courant s’ils apprenaient un élément nouveau.


Agnès venait d’appuyer sur la télécommande d’ouverture de sa voiture lorsque Xavier la saisit à la taille.


- À bientôt, Agnès. Et il lui donna un rapide bisou sur le coin des lèvres.


Les deux voitures partirent chacune de leur côté. Un nuage de poussière s’éleva comme pour effacer les traces de ce moment illicite.


VI


Presque chaque soir, Xavier retournait s’asseoir à son bureau et étudiait pensivement l’e-mail qui l’avait conduit jusqu’à Agnès. Il avait beau triturer les lettres de la formule magique dans tous les sens, aucun mot n’apparaissait. Il devait trouver. Il le fallait. D’une part parce que Xavier n’était pas homme à rester sur un échec, et puis il voulait maintenant se valoriser devant sa nouvelle amie. Il fallait qu’il découvre la signification de cette phrase secrète. Il avait la certitude qu’une explication vitale était cachée à l’intérieur de ces groupes de lettres.


Soudain, une étincelle jaillit dans son cerveau. Alors qu’il se remémorait sa récente conversation avec Agnès, le livre qui aurait pu donner l’explication, un esprit bien intentionné, sans doute celui de Sir Arthur Conan Doyle en personne, lui fit taper « GOOGLE » sur son ordinateur, puis « codes militaires ». Rien. Ne figurait que l’alphabet utilisé pour épeler les noms « A comme Alpha, B comme Bravo… Il fit une seconde tentative en tapant « messages militaires », puis « chiffre ». Rien non plus. D’ailleurs, comment imaginer que sur Internet figurerait le déchiffrage des messages top secret ?


Pourtant, Xavier ne s’avoua pas vaincu. C’est en tapant la suite « codes secrets scoutisme » que le père de Sherlock Holmes lui vint en aide. Le site qui s’ouvrit fournissait un certain nombre d’informations très intéressantes. Le mot « tilt » résonna dans sa tête lorsque Xavier découvrit un paragraphe qui le fit jubiler :


« Les codes à décalage sont les codes les plus couramment utilisés. Ils sont basés sur un principe simple : on décale l'alphabet d'un certain nombre de lettres. Par exemple, A devient F, B devient G, etc. jusqu'à Z qui devient E. On peut aussi utiliser des chiffres. A devient 6, B devient 7, etc. jusqu'à Z qui devient 5. »


Eurêka ! se dit-il. Il consulta sa formule et essaya un certain nombre de combinaisons possibles. Malheureusement, aucune ne dégageait un mot ou une phrase claire… Les paupières de Xavier connaissaient quelques difficultés à demeurer ouvertes. C’est donc déçu qu’il prit la décision d’éteindre l’ordi.


Mais auparavant, il eut l’idée de détacher une feuille de son bloc-notes et de recopier la clé mystérieuse :


« BJPIZ OKSON PGVER YATOW IMREN OKDTE GTAIH EKBIN GNOZA UVOPQ YZINH DEMEX XULOC GCOTB UVIZM AKSTU DPIER OCYAL FNUAB GUREIV ZQINI »


Le lendemain, alors qu’il venait de terminer de déjeuner sur la terrasse du café de la Bourse et de lire « La Provence », Xavier voulut prendre un mouchoir. Il palpa un papier plié dans sa poche. Ah, la phrase magique, pensa-t-il. Il l’ouvrit et déposa le billet à côté de sa tasse de café brûlant. De nouveau, il retourna les lettres dans tous les sens. Sans succès.


Sans succès jusqu’au moment où il eut l’idée de sauter des lettres. On pouvait partir avec la première lettre du premier groupe, la seconde du deuxième groupe, etc. Et c’est en ne démarrant pas au départ logique, mais au troisième groupe de lettres que Xavier manqua d’avaler de travers sa dernière gorgée de café.


Un mot venait de s’inscrire dans sa tête. Il voulut vérifier et reposa sa tasse. Il sortit un stylo de sa poche de veste appuyée sur le dossier de sa chaise, puis noircit chaque lettre qui lui semblait appropriée.


« BJPIZ OKSON PGVER YATOW IMREN OKDTE GTAIH EKBIN GNOZA UVOPQ YZINH DEMEX XULOC GCOTB UVIZM AKSTU DPIER OCYAL FNUAB GUREIV ZQINI »


devenait ainsi :


« BJPIZ OKSON PGVER YATOW IMREN OKDTE GTAIH EKBIN GNOZA UVOPQ YZINH DEMEX XULOC GCOTB UVIZM AKSTU DPIER OCYAL FNUAB GUREIV ZQINI »


soit :

PARTHENONxxCITRON


Enfin, il tenait deux mots qui signifiaient quelque chose. Oui, mais, que signifiaient-ils ?

PARTHENON, c’était l’un des fichiers joints en annexe de l’e-mail adressé par Orsini. Et Citron? exceptée la référence au fruit, Xavier ne voyait pas très bien le rapprochement qu’il pouvait effectuer.


Mais sa montre indiquait 14 h… Il se leva et tout en se dirigeant vers sa voiture pour rejoindre son rendez-vous professionnel, il sortit son BlackBerry et adressa un SMS à Agnès.

« J’ai du nouveau. Quand pouvez-vous venir ? »

Xavier venait de s’asseoir en face de son client lorsque la réponse lui parvint :

« Ce soir Jérôme Lyon. Viendrai 19 h ».


C’est à cette heure-là que Xavier, occupé à préparer le travail du lendemain pour Suzanne, entendit un bruit de pas sur le gravillon. Il leva la tête et vit Agnès passer devant la fenêtre puis la devina dans l’encadrement de la porte ouverte :


- Xavier ???


Elle était merveilleuse comme toujours. Ses cheveux fraîchement lavés retombant sur ses épaules, elle avait enfilé une jupe de lin et un chemisier blanc en soie, à motifs ocre et bleus qui s’harmonisaient magnifiquement bien avec son rouge à lèvres et son teint pain d’épices.


- Je suis si heureux de vous revoir, s’exclama Xavier en lui baisant le dos de la main.


Il remarqua que pour la première fois, elle lui avait tendue à bonne hauteur.


- Moi aussi je suis contente. Alors, si en plus vous avez du nouveau…

- Venez. Il lui prit la main et l’entraîna à sa place de travail où il rajouta une chaise. Vous allez voir par vous-même… Fixez notre groupe de mots. Si je sélectionne une lettre dans chaque groupe, regardez ce que cela donne…

- Ah ça par exemple, s’écria Agnès, se penchant encore davantage vers l’écran. PARTHENON et CITRON apparaissent. Mais qu’en concluez-vous ? demanda-t-elle, retirant légèrement sa jambe qui était fortement appuyée contre celle de Xavier, sous le bureau.

- Pour le moment, je n’en conclus rien. Justement, je vous attendais. Ces deux mots ne vous interpellent pas ? Vous n’avez pas entendu Jérôme les prononcer ?

- Non, répondit-elle. J’ai beau chercher, je ne crois pas.

- Dommage… Mais vous voyez, le mot « PARTHENON » qui est le temple de Minerve à Athènes est aussi l’un des noms des fichiers joints. Malheureusement vide.

- Oui… en effet.

- Bon, nous allons réfléchir chacun de notre côté. Peut-être qu’un souvenir vous reviendra, un mot au cours d’un repas…

- Entendu, acquiesça-t-elle en retirant la chaise.

- Voulez-vous un verre de rosé frais ? proposa-t-il. Les célibataires n’ont malheureusement pas grand-chose de sensationnel dans le frigo. Demain, j’irai faire le marché, peut-être nous verrons-nous ?

- Oui c’est possible, je m’y rendrai tôt pour profiter de la fraîcheur. C’est vrai qu’un verre de rosé me ferait plaisir.


Agnès prit place dans le fauteuil Voltaire tandis que Xavier revenait déjà avec une belle bouteille embuée.


- Un Château Romanin, connaissez-vous ?

- De nom uniquement.

- Il est cultivé sur la pente des Baux.


Xavier sortit deux verres du bahut, les essuya et versa délicatement le rosé à la robe saumonée. Agnès en saisit un, le regarda à travers la lumière du soleil qui pointait derrière la fenêtre et elle prononça cette phrase qui obligea Xavier à avaler sa salive :


- À votre santé, aux mystères de l’Internet, et… à nos amours.


Xavier ne répondit pas, trop bouleversé par une telle phrase alors que celle qui faisait battre son cœur depuis quelques jours était là, assise en face de lui, plus belle et désirable que jamais. Il se contenta de lever son verre et d’insister sur le regard bleuté d’Agnès.


- J’aime beaucoup l’ambiance de votre propriété, ajouta-t-elle. Vos meubles dorés sentent bon l’encaustique et ils donnent une telle chaleur à vos pièces… On ressent un vécu, on pressent des histoires qui ont dû se dérouler ici.

- Merci. C’est probable, répondit Xavier, un peu gêné mais flatté d’une telle franchise et d’un enthousiasme aussi spontané.

- Et puis, votre jardin est d’un romantisme… On eût dit qu’elle voulait ajouter « comme vous », mais elle se retint.

- Un autre verre, Agnès ?

- Il est délicieux votre vin, cependant je me méfie…

- Je n’ai pas grand-chose à vous proposer à grignoter. Aimez-vous le saucisson de montagne, ou bien un morceau de clafoutis que j’ai fait hier soir ?

- Du clafoutis ? hummm, oui, avec plaisir.

- Les cerises du jardin… vous verrez… rajouta Xavier, sourire aux lèvres et fines moustaches relevées.


Il se mit debout et se dirigea vers la cuisine.

Xavier était occupé à couper délicatement deux parts de sa pâtisserie, prenant garde à ne pas malmener une cerise qui se serait mise à courir sur les carreaux ambrés, lorsqu’Agnès surgit derrière lui et posa ses mains sur ses épaules, appuyant son menton contre sa nuque…


- Xavier… je suis bien avec vous…


Cela aurait pu être un mirage, une sensation rêvée, un désir sorti tout droit d’une imagination fertile, mais non, c’était bien la voix tendre d’Agnès et ses doigts qui apparaissaient sur le devant des épaules de Xavier, alors qu’il tenait encore le couteau entre ses mains. Il ne réfléchit pas. Sans doute n’en avait-il pas eu le temps, ou bien simplement parce que son instinct lui avait commandé de laisser faire le destin, mais il posa le couteau, se retourna, et entoura la taille de celle qui venait de lui avouer son amour.


- Agnès…


Et alors qu’il aurait dû lui répondre, lui dire qu’il ne pensait plus qu’à elle, qu’il était amoureux depuis le premier jour où ils s’étaient rencontrés, Xavier la contempla, chercha sa bouche, et il l’embrassa avec une grande émotion.


Ils se regardèrent encore sans parler. Agnès avait les yeux d’une pureté que Xavier ne soupçonnait pas. Ses lèvres étaient douces, bien dessinées et encore en attente. Il ne les délaissa pas plus longtemps. Il posa les siennes tout contre, les attrapa, joua quelques instants, avant de goûter sa bouche et sentir sa langue avide qui le pénétrait, le recherchait, le titillait.


Ils restèrent un long moment ainsi, sans rien se dire. Xavier avait pris le visage de son amie entre les mains. Ses pouces lui caressaient doucement les joues. Tout en ayant les yeux fermés, elle les engloutit et les suça…


Xavier la prit dans ses bras, traversa le séjour et la déposa délicatement sur le lit de sa chambre. Agnès avait les yeux fermés et tendait sa bouche, demandant encore davantage de baisers. Il ouvrit son chemisier, retira son propre tee-shirt et s’allongea à côté d’elle. Il l’embrassa partout sur le buste tandis qu’elle poussait des petits gémissements.


Rapidement, ils se retrouvèrent nus et doucement, très doucement, comme un jouet qu’on ne veut pas casser, Xavier lui caressa tout le corps et lui fit l’amour avec beaucoup de tendresse.


VII


Les grillons s’en donnaient à cœur joie et même un crapaud voulait montrer sa présence. La lune éclairait la chambre et parsemait les murs d’ombres, leur donnant vie comme des lutins dans les films de Disney lorsqu’ils partent à travers bois pour conquérir le pays enchanté.


Xavier ne dormait pas et ses pensées vagabondaient du message déchiffré aux beaux yeux bleus d’Agnès, puis revenaient sans cesse sur la signification des deux mots révélés. Comment aller plus loin ? Comment découvrir le secret d’Orsoni ?


Elle reposait à ses côtés, avec la respiration calme d’un enfant qui ne connaît pas encore les soucis. Il se dégagea de sa main qui l’enserrait et marcha vers le bureau, mettre l’ordinateur en route.


Il venait d’avoir comme une prémonition. Xavier retourna sur le site des scouts et éplucha tous les articles qui faisaient référence aux codes et aux cryptogrammes. Il étudiait avec attention les différents moyens utilisés pour chiffrer les messages lorsque, soudain, un paragraphe lui coupa le souffle. Il le lut et le relut avec la plus grande attention :


« L’ENCRE SYMPATHIQUE. Le principe en est simple: un message invisible qui se révèle aux yeux de tous après passage au-dessus d'une flamme. Le jus de citron est une encre qui possède cette propriété. Invisible sur du papier, il noircit après passage par-dessus une flamme ».


Voilà ! Le citron était mentionné. C’est lui qui, invisible aux yeux de tous, divulguait son secret dès qu’il était chauffé. Formidable procédé et pourtant tout simple. Ainsi, le fichier « PARTHENON » vierge à première vue, eh bien, sur papier, il aurait livré son secret en présence d’une flamme. Oui mais… il s’agissait là seulement d’un fichier informatique…


- Agnès, Agnès, réveille-toi… réveille-toi doucement…

- Oui ? murmura celle qui s’était endormie quelques heures auparavant dans les bras d’un homme qui lui avait déclaré son amour.

- Agnès, je viens de faire une découverte, lève-toi…


Encore dans un nuage, elle enfila sa culotte et son chemisier dont elle ne ferma que deux boutons. C’est donc pieds nus, les yeux mi-clos et les cheveux retombant sur son visage, qu’Agnès se planta devant l’ordinateur, les deux mains appuyées sur le bureau.


- Qu’as-tu trouvé ? balbutia-t-elle.

- Peut-être une explication pour pouvoir lire le fichier tout blanc.

- Ah bon ? s’étonna-t-elle, comme un mécanicien du Zimbabwe à qui on montre une brosse à dents.

- Oui, le problème c’est que notre document n’est pas en papier. Si l’écriture est cachée, par quel moyen pourrait-on la faire apparaître ?

- Attends, dit Agnès, remontant ses cheveux et s’asseyant devant l’écran. Je vais essayer un truc.


Le fichier était ouvert, vierge tel un mouchoir de mariée. Agnès saisit la souris et balaya la page. Des plaques noires apparurent sur l’intégralité du document


- Regarde bien…


Xavier qui n’en perdait pas une miette était devenu muet, pétrifié devant l’écran. Elle poursuivit :


- Je vais en haut sur l’icône « Couleur de police » et je sélectionne « Noir ». Regarde…


Et c’est alors que le miracle se produisit comme lorsque Lazare se leva et se mit à marcher. Tout un texte apparut, laissant Xavier pratiquement groggy.


« Bonjour Bruno,

Tu vois, nos années à la base 709 nous servent encore…

Comme convenu, je me rendrai du 16 au 18 là où tu sais. Tous me croiront à Lyon. Le projet aura été entériné. Je posséderai un papier signé qui sera officialisé peu après.

Ainsi, si tout se déroule normalement, le 1er septembre je passerai de l’autre côté. Je compte sur toi et tu peux compter sur moi pour ce qui t’intéresse. Déjà je te donne le nº à l’U.B.S :


3458-609215.T3G


Mais en ce qui concerne les virements, procède ainsi que nous l’avons décidé. Pas de risques inutiles.

Ma poupée est dans les murs, face au lac.

Évite le téléphone, prends le même chemin.

À bientôt,

Jérôme »


Xavier était toujours debout, penché au-dessus de l’écran, appuyé sur les épaules d’Agnès.


- Te rends-tu compte ? Voilà ce que Jérôme cherchait à te cacher. Il s’apprête à réaliser une opération immobilière gigantesque et il veut poursuivre sa vie en toute tranquillité avec une nouvelle femme.

- Oui, je vois. Et ce que tu ne sais pas, Xavier, c’est qu’en plus, il vient de déposséder mon frère de ses biens.

- Comment cela ?


Agnès était maintenant parfaitement réveillée. Elle venait de s’asseoir sur le bord du bureau.


- L’autre jour, j’ai surpris une conversation. Mon frère Hervé était devant la piscine et discutait bruyamment avec Jérôme. Ils parlaient de parcelles de terre. Discrètement, je me suis approchée et j’ai compris que Jérôme voulait acheter des terrains que possédait Roxane. Une super affaire, qu’il proposait là, les terrains étant dans une zone non constructible.

- Ah je vois… et maintenant ils le sont… C’est sans doute ce que voulait dire Jérôme dans son message.


Xavier, très perturbé par leur découverte, assez abattu et soucieux de la manœuvre qui allait flouer Agnès et sa famille, se sentit néanmoins revivre lorsqu’il prit conscience que son amoureuse était là, face à lui, jambes nues, en petite culotte noire à fleurs rouges, le chemisier à peine boutonné qui laissait entrevoir deux seins mignons à croquer.


VIII


- Quel jour revient Jérôme ? demanda Xavier, terminant de faire glisser le miel onctueux sur le toast de sa bien-aimée.

- Demain soir, répondit Agnès.

- C’est parfait. Cela nous laisse du temps. Voilà ce que nous allons faire. Agnès l’écoutait avec la plus grande attention, la tête entre les mains et les coudes posés sur la grosse table de chêne. Tu vas téléphoner à Hervé. Sans te lancer dans trop d’explications, tu vas simplement lui dire que tu viens de découvrir une arnaque. Il est probablement en relation avec un avocat ou un notaire pour concrétiser la vente des terrains. Surtout qu’il ne signe rien ! Prie-le de tout stopper et de te donner le nom de son homme de loi. Moi j’interviendrai aussitôt.

- Tu penses qu’il n’est pas trop tard ? s’inquiéta Agnès, levant légèrement sa cuisse qu’elle sentait collée sur le banc.

- Je crois que nous arrivons à temps. La rédaction des actes exige toujours plusieurs semaines et comme ce n’est pas Jérôme qui va signer, mais son prête-nom, le délai sera encore plus long. Si les terrains sont maintenant constructibles, je me fais fort, avec mon confrère de les faire récupérer en l’état à Hervé.

- Ah comme je suis contente ! Agnès mordait dans son toast à pleines dents.

- Oui mais il est déjà bientôt 8 h 30 et Suzanne va arriver. De plus, je dois plaider à Avignon. J’aurais bien une idée…

- Laquelle ? demanda Agnès, allongeant son bras sur la table pour saisir la main de Xavier.

- Pas celle à laquelle tu penses ! s’exclama-t-il en avalant sa dernière gorgée de café. Nous n’en avons plus le temps. Mais si tu veux, ce soir, je t’invite à dîner. Je crois que maintenant je dois reprendre des forces. Puis-je te prendre chez toi à 20 h ?

- Aaaah super ! Agnès fit le tour de la table et embrassa son chéri.


Maintenant il fallait faire vite. Ils se précipitèrent dans la salle d’eau, Xavier se rasa devant la glace tandis qu’Agnès se plantait sous le jet.


Le ciel était immaculé et le mistral soufflait légèrement, adoucissant quelque peu l’atmosphère chaude qui avait régné toute la journée. Xavier était de nouveau rasé de frais et la Porsche avait également eu droit à la toilette. Cette fois la sonnette tinta et du bout de l’allée, Xavier put entendre une voix qui s’écria : « J’arriiiiiiiiiiiiive !!! »


Plus élégante que jamais, Agnès apparut dans une robe blanche moulante au décolleté généreux et des talons hauts assortis, mettant bien en valeur ses longues jambes dorées. Le chignon était de mise et le maquillage d’un excellent goût.


Cette fois, Agnès n’eut pas droit au baise-main. Xavier qui se tenait devant le portillon, les mains derrière le dos, l’enserra de son bras gauche et déposa sur sa bouche un tendre baiser.


- Tu es magnifique lui dit-il, avec son plus beau sourire, dégageant de derrière lui sa main droite qui tenait une rose Cadfael…

- Oh, comme tu es gentil, murmura-t-elle, la présentant sous son nez. Et quel parfum ! Merci, merci. Et elle l’embrassa.


Ils roulèrent jusqu’au pied des Baux qui, à cette heure-ci s’étaient embrasés par un soleil rouge et généreux. Xavier abandonna sa voiture dans la cour de l’un des plus beaux domaines des Alpilles. Là où l’enseigne en fer forgé indiquait « Oustau de Baumanière ».


Xavier mourait d’envie de prendre Agnès à son bras, mais dans leur situation, il s’agissait de bien se tenir. On sait combien les rumeurs peuvent courir vite et il ne fallait pas trop attirer l’attention. Pourtant, Xavier voulait faire honneur à sa belle. En pantalon bleu nuit et chemise blanche col ouvert, il avait revêtu sa veste à rayures fines bleues et blanches. C’est donc côte à côte qu’ils traversèrent les jardins à la française et choisirent une table qui donnait sur la piscine.


- Je ne connaissais que de réputation, murmura Agnès. Jérôme ne m’a jamais amenée dans cet endroit merveilleux.

- Je te propose de boire à notre avenir, dit Xavier qui avait commandé un Château de Calissanne.

- Oui, à nous deux, et à un bel avenir, reprit Agnès.


Le maître d’hôtel les salua et leur proposa les spécialités du jour. Agnès choisit la sole de Méditerranée et Xavier un rouget-barbet au basilic et fleur de thym. Et, s’adressant au maître d’hôtel, Xavier ajouta :


- Et pour commencer : un œuf de poule au fumet de truffes noires.

- Monsieur a bon goût.


Agnès suivait avec intérêt l’orientation de ce merveilleux dîner. Alors qu’elle voulait savoir pourquoi son ami avait fait rajouter ce plat, celui-ci n’attendit pas la question :


- Nous devons également fêter la résolution de l’énigme. Tu vas voir : un régal.


Xavier remarqua en levant son verre que la clarté des yeux bleus d’Agnès s’harmonisait parfaitement avec la couleur jaune pâle du vin blanc. Agnès lui souriait, ce qui la rendait encore plus belle. Il remarqua qu’elle portait un collier de perles et une bague assortie.


- Je suppose que tu as parlé avec ton frère, reprit-il.

- Oui bien sûr. Et la surprise passée, il m’a raconté que Jérôme le pressait à vendre depuis plusieurs mois. Il en avait assez, mais vis-à-vis de moi, il ne voulait pas faire d’histoires d’autant plus que ses terrains ne lui servaient à rien sinon à enrichir les caisses de l’État.

- Et il a téléphoné à son notaire ?

- Oui, tout est arrangé, affirma Agnès en clignant des deux yeux pour mieux appuyer sa certitude. Aucun compromis de signé non plus.

- Alors, si tu veux, voilà ce que tu vas faire : c’est toi qui vas demander le divorce. Rapidement. Tu vas tirer la première. Le bénéfice de la surprise, c’est nous qui allons l’encaisser. Quant à moi, j’en connais suffisamment pour aller porter l’affaire devant la police. Tu ne repartiras pas les mains vides, ma chérie, je te le promets.


Pour toute réponse, Agnès regarda fixement Xavier, leva son verre et doucement, mais d’une intelligible voix, prononça les deux mots accolés les plus répandus au monde :


- Je t’aime.


Lorsqu’ils quittèrent l’Oustau, la nuit tombait. Les falaises de calcaire étaient redevenues blanches et le ciel prenait sa robe bleu sombre. Xavier prit Agnès dans ses bras et, comme l’aurait déclamé Gérard Philipe ou Francis Huster, prononça cette jolie phrase :


- On dit que l’Étoile du Berger arrêta sa course il y a plus de deux mille ans, ici, sur les roches abruptes des Baux, ici, où la lumière se tait.


La Porsche reprit la route en sens inverse et s’arrêta là où les cigales craquettent pour couvrir le bruit que font les amants lorsqu’ils ne pensent plus à rien et que l’avenir s’ouvre à eux.



FIN


 
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   xuanvincent   
31/8/2008
 a aimé ce texte 
Bien
Lors de la première lecture, j'ai mis un peu de temps à entrer dans le récit (les détails informatiques ne m'ont au départ pas trop passionnée). Ensuite, en le relisant, ce texte m'a davantage intéressée.

Je ne suis pas familière des enquêtes policières... Voici mes impressions, notées lors de ma lecture :

Sur la forme (qui m'a paru bien écrite dans l'ensemble) :
Détails :
. "Jérôme prit sa main et lui embrassa le dessus" : cette tournure me paraît un peu maladroite, je suppose qu'il fait le baisemain
. "voilà bien longtemps que cela ne m'était pas arrivé" (après "Quel galant homme !") me paraît superflu.
. "un rapide bisou sur le coin des lèvres" : "baiser" pourrait être plus approprié dans le contexte.

Sur le fond :

Voilà un avocat bien curieux ! ai-je pensé au début de l'histoire, lorsqu'il découvre cette clé USB et veut découvrir le mystère qu'elle recèle. Par la suite, j'ai trouvé cet avocat perspicace et plutôt doué pour faire avancer l'enquête, jusqu'à son dénouement.

Le portrait du narrateur (l'avocat Xavier Langlois) m'a semblé bien introduit dans l'intrigue.

Les personnages m'ont semblé (un peu) vite se confier à Xavier Langlois. En particulier le suspect, Jérôme Orsini, confie bien vite son secret à Xavier LANGLOIS, alors que ce dernier est avocat. La femme d'Orsini (Agnès Orsini) également fait vite confiance à cet avocat, lui apprenant ainsi rapidement que son mari la trompe.
De même, Xavier Langlois fait rapidement confiance à Agnès Orsini, en lui parlant de sa recherche.

Un romance, assez mignonne (et qui progresse vite) ai-je pensé, vient pimenter et clore cette enquête policière.

   Anonyme   
31/8/2008
 a aimé ce texte 
Un peu ↑
Long, très long texte et je pense que le style de l'auteur a joué en ce qui me concerne.
J'ai eu beaucoup de mal avec la scène du Golf par exemple, où l'emploi de métaphores parfois hasardeuses m'a dévié de la lecture.
en 10 lignes :
- avec un sérieux digne d’un mandarin qui saisit son bistouri pour une opération à cœur ouvert. (un peu étrange)
- Roxane semblait s’impliquer avec la même passion qu’une pétanqueuse au camping d’Argelès un soir de mois d’août.
-Quant à Hervé, il rappelait un peu un cadre de chez Renault devant la maquette d’un prototype.
- Ça vous a plu, Xavier ? demanda Jérôme, s’épongeant le front, rouge comme un homard qui s’apprête à monter dans une assiette.

Bref, autant la métaphore peut servir, autant là je trouve que ça frise le grotesque... peut-être voulu mais maladroit...

Ensuite le langage, parfois trop riche, parfois étrange m'a fait m'arrêter sur plusieurs lignes pour les relire (comme ton texte est long et que je l'ai déjà lu deux fois je vais sortir uniquement les plus flagrants à mes yeux...)
- "Xavier avait donc apporté le PC à son réparateur et il disposait de plusieurs heures avant de retourner le chercher. " (c'est peu succint, X avait donc porté son PC en réparation et comme il ne serait pas prêt avant pusieurs heures... , ce qui peut aussi combler le défaut des phrases parfois trop courtes)
- "Il y avait aussi la copie d’un e-mail envoyé que Xavier ouvrit, toujours par curiosité. Il réajusta ses lunettes et, d’instinct, s’approcha de l’écran." là aussi je trouve que "d'un e-mail envoyé que Xavier ouvrit..."on aurait pu avoir "Xavier ouvrit par curiosité toujours, un mail envoyé, réajustant ses lunettes et se rapprochant instinctivement de l'écran?

Des détails me direz-vous? Peut-être, mais moi ça me perturbe un peu.

Comme la profusion d'images, parfois faciles, toujours très intéressantes et sans doute bien documentées... mais il y en a tellement!
Les allusions aux fleurs, aux vêtements, aux détails parfois trop détaillés justement...

Bref, la lecture en semble plus longue encore, et c'est dommage, car l'histoire est jolie, intéressante et visiblement l'auteur veut nous faire partager un attachement à des lieux, des ambiances, et je trouve ça très bien.

Voilà, j'aurais voulu un peu plus de concision, un choix moins scolaire dans l'écriture... et un peu, un tout petit peu plus d'ambiance dans l'intrigue (ce qui est possible, Ken Follet par exemple ou Easterman savent ponctuer de détails lourds et très riches sans que cela ne nuise au rythme...), un peu plus de passion, et un peu moins de contemplation.

Sinon, autre détail, je crois que le texte serait plus lu si il avait été envoyé en deux parties... c'est long sur la toile ce genre de texte en une fois (dit l'anti-textes-à-suites par excellence!)

Merci celà dit pour les belles images et la lecture... j'irai lire un autre texte de l'auteur.

   Flupke   
3/10/2008
 a aimé ce texte 
Bien ↑
Bonjour Palocace,

Cette histoire m'a beaucoup plu, mais il faut dire que j'ai lu pas mal d'ouvrage sur la cryptographie et surtout son importance dans l'histoire. J'ai adoré cet email avec plein de fichiers vides sauf un dont il fallait altérer la couleur des caractères. Mais bien sûr mon point de vue est subjectif.

Quelques remarques sur des passages que j'ai soulignés en rouge:
« Certains commerçants lui faisait défaut ». On a l'impression d'une faute humaine. « Certains type de commerces » me semblerait plus approprié.
Internet café/PCs disposés sur des tables qui formaient un cercle. Et au milieu, bonjour l'espace vide. Mauvaise gestion de l'espace et me semble donc pas très réaliste. Encore un arc de cercle ou un demi cercle ok mais un cercle complet ....
restaurer un mas au décès de son épouse, je proposerais « suite au décès »
Que pouvaient bien signifier ces chiffres (il me semble qu'il s'agit de lettres). Et Xavier ne semble pas y connaitre grand chose en crytpo donc il n'aurait pas pu utiliser le mot chiffre au sens général de message codé et encore moins au pluriel.
« Et quitté la cravate » me semble une expression étrange mais c'est peu être une expression courante dans la France de mon enfance que j'ai quitté il y a longtemps. Je suis un peu déconnecté au niveau de certaines expressions.
« un grand choix de produits (?) avec piscine » idem.
Le frère de ma femme et ma belle-soeur, (un peu lourd) à la limite le beau-frère est plus « beau » que sa femme donc j'aurais préféré, « mon beau-frère et sa femme » et donner un indicateur plus loin, (au golf) pour dire que le bof était le frère de sa femme.
« Les 4 participants ... trainant chacun SON (?) chariot
« pétanqueuse » aurait été très bien dans un texte comique, n'y a-t-il pas d'autres synonymes moins heurtants (bouliste)?
« un soir de mois d'août » => un soir d'août ?
« il rappelait un peu un cadre » souvenir/souvenir ? Je suggèrerais « il faisait penser à un cadre »
« forains » bon ok étymologique proche de foire, mais j'ignorais que ce mot s'utilisait pour ceux qui vendent dans une foire. Je pensais que c'était plus en rapport avec les fêtes forainnes. Je peux me tromper.
« Ce serait un péché (QUE(?)) de se limiter » (je craint et évite QUE car je trouve qu'il alourdit)
« De recopier la clé mystérieuse ». En cryptographie, je pense que la clé, dans système de vigenère par exemple, est le mot clé qu'il faut utiliser pour transposer un message clair en message codé et vice versa il s'agit d'un mot ou d'une phrase. Ici il me semble que tu utilises le mot clé pour l'ensemble du message codé, qui en fait est une clé pour en décoder le fichier word mais cela il ne le sait pas à ce moment là. (Ou alors dérapage vers le futur du narrateur superomniscient)
« Elle lui avait tendue à bonne hauteur » => Elle lui avait la main tendue à bonne hauteur ou Elle la lui avait tendue à bonne hauteur ?
les 2 mots les plus répandus au monde ? (sujet verbe complément = au moins 3 la plupart du temps, non ? Je t'aime = 3 idem en anglais et en NL "Ik hou van jou = 4)
Parfois je trouve que tu utilises des mots comme MAIS ou CEPENDANT, là où il n'y a pas forcément infirmation ou contradiction avec des propositions/phrases précédentes (ctrl F).
J'ai beaucoup aimé:
Bouche déformée probablement par le cigare et les promesses électorales
Excellent appât pour faire avancer les retardataires

Bref une énigme assez prenante, une histoire d'amour prévisible mais agréable. Merci pour ce chouette moment de lecture (que je n'ai pu interromptre, donc couché fort tard).
Amicalement, Flupke


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